Hier soir, 13 jours après que le Sénat puis l’Assemblée nationale ont adopté la loi Macron-Darmanin-Ciotti-Le Pen sur l’immigration, Macron s’est livré à son habituel étalage d’autosatisfaction, hors sol, drapé dans le tricolore pour se vanter « du réarmement » de la nation, appeler à une unité nationale dont il se voudrait le chef. Il entend poursuivre et accentuer l’offensive contre les classes populaires en manœuvrant entre les forces du bloc réactionnaire nationaliste majoritaire à l’Assemblée nationale qui s’est regroupé autour de la loi xénophobe qui se revendique de la « préférence nationale », cheval de bataille de Marine Le Pen et du RN. Au-delà des convulsions internes qui ont secoué les différents partis dont la majorité, ce tournant était inscrit dans l’évolution réactionnaire du microcosme politicien parlementaire sous la pression de l’exacerbation des tensions sociales et internationales engendrées par la politique des classes dominantes, les guerres.
Cette offensive xénophobe est le complément de l’offensive militariste et guerrière dont le génocide du peuple palestinien par l’armée israélienne est l’aboutissement. On ne sait si le plus abject est le massacre méthodique d’une population ou le silence complice des dirigeants des puissances occidentales et de leurs amis.
Après la guerre par procuration d’Ukraine menée par les USA et l’Otan contre les ambitions grand-russes de Poutine, la guerre génocidaire d’Israël contre le peuple palestinien, alors que les USA ont formé une coalition internationale contre les Houthis au Yémen avec en ligne de mire l’Iran, renforce le camp du nationalisme et du militarisme en invoquant la défense de l’Occident, en réalité la défense des intérêts des vieilles et anciennes puissances coloniales et impérialistes.
Au nom de l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme ce bloc réactionnaire associant à sa propagande des fractions de la gauche parlementaire déploie une politique répressive contre le soutien et la solidarité aux victimes du génocide, combinée à une police des esprits et une censure contre toute politique de solidarité internationale matraquée par les préjugés racistes, xénophobes et militaristes invoquant leur « Guerre de civilisation », affabulation idéologique qui désigne en fait la guerre des grandes puissances occidentales pour maintenir leur hégémonie contre le reste du monde.
Une victoire parlementaire des forces réactionnaires qui appelle une réponse politique de tous les prolétaires
L’adoption par l’Assemblée de la loi immigration a été saluée comme une « victoire idéologique » du RN par Le Pen. Préférence nationale en matière de prestations sociales, notamment les allocations familiales et les aides au logement, remise en cause du droit du sol, extension de la déchéance de nationalité, caution pour les étudiants étrangers : le texte a été dicté par la droite et l’extrême droite.
Le psychodrame politicien qui a agité l’assemblée nationale et la majorité présidentielle dont les médias nous ont abreuvé, les commentaires sur la crise politique de la majorité ne sont que la mousse parlementaire d’une bataille politique jusqu’alors sans combat réel puisque le monde du travail est resté désarmé, paralysé par l’inertie des organisations qui prétendent parler en son nom, le représenter tant sur le terrain politique que syndical.
Cette loi vise à dissuader les migrants de venir en France, facilite leur expulsion et rend plus difficiles le regroupement familial et la naturalisation. Elle constitue une attaque contre la fraction du monde du travail la plus exploitée, les travailleurs sans-papiers, une attaque contre tous les immigrés déjà installés dans le pays puisqu’elle supprime l’acquisition automatique de la nationalité pour leurs enfants nés sur le territoire.
Et il serait stupide et aveugle de croire que cette dite préférence nationale protège qui que ce soit des mauvais coups des classes dominantes. Bien au contraire, cette préférence nationale n’est que le masque de la défense du patronat et des privilèges de la bourgeoisie de ce pays. Loin de protéger le monde du travail, elle vise à faire baisser le coût du travail. Ces nouvelles attaques se répercuteront contre tous les salariés que la bourgeoisie veut mettre en concurrence, opposer les uns aux autres, diviser pour renforcer l’exploitation de toutes et tous.
Cette politique xénophobe n’est pas la simple conséquence d’une compétition entre politiciens démagogues flattant les préjugés réactionnaires comme si les responsables en étaient, au final, les classes populaires elles-mêmes comme le disent les politiciens et médias et le laissent entendre y compris des gens de gauche voire d’extrême gauche. Non, le racisme, la xénophobie, sont le fruit mortel de la politique des classes dominantes pour mettre en concurrence les travailleurs tant au niveau national que sur le marché mondial du travail. Les surenchères démagogiques et le renforcement des politiques xénophobes ici, en Europe, et dans le monde entier résultent de l’exacerbation de la concurrence économique dans le cadre du capitalisme mondialisé en crise dont résultent aussi les tensions internationales, les guerres.
« Une folie sans raison » ? Non, la folie barbare du capitalisme
La guerre d’Israël serait « une folie sans raison » selon le Pape, une folie indiscutablement mais pas sans raisons ni explications que le Pape, comme la plupart de ceux qui n’en font pas l’apologie ou ne la justifient pas, veut masquer parce que les raisons, ce sont la folie de tout un système, sa logique policière et terroriste, militariste et nationaliste.
L’armée israélienne, son État-major, ses soldats enrôlés dans le massacre d’un peuple, la destruction de ses moyens de survie, deviennent une machine à tuer échappant à toute règle, une armée raciste prête à tout, au pire, entraînée dans la folie sanglante, déshumanisante de la guerre devenue son seul horizon, son propre piège meurtrier.
Netanyahou le dit et le répète : « Nous ne nous arrêtons pas. La guerre se poursuivra jusqu’à la fin, jusqu’à ce que nous la terminions, rien de moins », ce qui veut dire explicitement qu’elle ne pourra ni s’arrêter à la bande de Gaza déjà en ruines ni à la Cisjordanie, mais concerne déjà l’ensemble du Moyen Orient. Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, a précisé les objectifs de Tsahal : « Nous sommes dans une guerre à plusieurs fronts. Nous sommes attaqués sur sept fronts : Gaza, le Liban, la Syrie, la Judée et la Samarie (la Cisjordanie), l’Irak, le Yémen et l’Iran ». Jusqu’où la folie guerrière et les ambitions de conquête entraîneront Israël, personne ne peut le prévoir d’autant que personne ne sait jusqu’où les USA eux-mêmes ont l’intention de l’armer et eux-mêmes d’aller, si tant est qu’ils le sachent.
« Nous sommes en présence d’un des cas les plus tragiques de l’histoire, où une nation opprimée, comme les juifs, ayant souffert de la barbarie des nazis, a exercé une oppression barbare sur une autre Nation – les Palestiniens, qui n’avaient pas la moindre responsabilité dans l’holocauste. »[1] écrivait, en 1998, Tony Cliff, dirigeant trotskiste originaire de Palestine, fondateur du SWP anglais. Cette « oppression barbare » prend une dimension qui saisit d’horreur le monde entier. La violence meurtrière méthodique visant à détruire un peuple tétanise alors que déjà la folie guerrière de Poutine provoquée par la politique des USA et de l’Otan aux portes même de l’Europe rappelait un passé de guerre que l’on aurait voulu croire révolu. Ce passé en pire est le futur obscur que le capitalisme mondialisé nous prépare si nous laissions faire.
Pour nos conditions de vie, contre le nationalisme et la xénophobie, contre la guerre, la lutte pour le socialisme
L’offensive réactionnaire, les attaques contre les migrants, contre l’ensemble des travailleurs pour faire baisser le coût du travail au profit du capital, l’inflation et la spéculation sur les prix, les horreurs de la guerre, la montée du nationalisme et du militarisme à travers le monde sont le résultat des convulsions d’un capitalisme qui, ayant conquis toute la planète, soumis toute l’humanité à la loi du profit et de la concurrence, n’a plus d’horizon et ne perpétue son règne que par la surexploitation du travail et de la nature. Les différentes fractions du capital se livrent entre elles une guerre économique sans merci qui exacerbe les tensions internationales et débouche sur la guerre tout court, le sacrifice sanglant de populations aux intérêts d’une minorité parasite hyper-privilégiée qui concentre entre ses mains des richesses inimaginables alors que la misère, le dénuement voire la faim frappent le plus grand nombre.
Les prodiges inventés et créés par le travail humain, les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle qui défraie la chronique et alimente les fantasmes des milliardaires à la Musk and co ne servent qu’à asservir toujours plus les salarié·e·s, la classe des producteurs, asservi·e·s à la machine, asservi·e·s à l’organisation mondialisée du travail en fonction de la seule rentabilité financière.
C’est bien pourquoi notre solidarité avec les populations d’Ukraine et de Russie, avec le peuple palestinien ainsi qu’avec les populations qui, à travers le monde, souffrent quotidiennement de l’exploitation et de l’oppression capitaliste est une solidarité internationaliste qui met au premier plan la lutte contre notre propre bourgeoisie, notre propre État. L’ensemble de nos exigences sociales, économiques, démocratiques, écologiques, pacifistes convergent dans une même lutte pour en finir avec le pouvoir de la minorité capitaliste, pour le socialisme.
Pour sortir de la catastrophe où conduit inévitablement le développement du capitalisme financiarisé mondialisé, il n’y a d'autre issue que la socialisation des moyens de production. La façon dont les hommes produisent, les techniques qu’ils mettent en œuvre pour cela ont besoin d’une nouvelle organisation fondée sur la solidarité et la coopération internationales. Cette transformation sociale indispensable et inéluctable sera l’œuvre des prolétaires du monde entier, de toutes celles et tous ceux qui n’ont pour vivre que la vente de leur force de travail.
L’impérieuse nécessité de regrouper le camp internationaliste et révolutionnaire
C’est à travers sa propre expérience, à travers les bouleversements de ses propres conditions d’existence, de vie et de travail que la classe des producteurs prend conscience de la nécessité de transformer le monde pour empêcher la catastrophe en cours de tout détruire sur son passage. Elle a besoin de s’organiser, de se constituer en parti, son propre parti indépendant des directions de la gauche parlementaire et syndicale qui expliquait aux travailleurs au second tour des élections présidentielles de 2017 et 2022 qu’ils devaient voter Macron pour faire barrage à Le Pen, défendre les droits démocratiques et les droits des immigrés ! Macron qui, aujourd’hui, s’allie directement à Le Pen après avoir, pour une large part, fait sa politique !
Les travailleurs ne peuvent pas plus leur faire confiance pour s’opposer à la mise en œuvre d’une politique d’extrême droite par le futur gouvernement en gestation, politique qui n’a pas besoin des élections présidentielles pour s’appliquer et ne manque pas, dès maintenant, de postulants.
Dans le cadre du dialogue social, les appareils syndicaux sont des rouages de la politique du grand patronat et de l’État. Sophie Binet, la secrétaire de la CGT, appelle à la « désobéissance civile ». Le 14 janvier, une journée de mobilisation contre la loi immigration est annoncée et bien sûr toutes et tous y prendront leur place. Mais lors de la lutte contre la réforme des retraites de cette année, les appareils syndicaux ont mené vers une impasse un immense mécontentement social. La loi immigration si elle était définitivement adoptée représenterait une défaite, conséquence de la défaite sur les retraites et la politique de capitulation de la gauche syndicale et politique.
Le mouvement révolutionnaire est la seule force en capacité d’assumer la lutte contre la loi immigration, pour la régularisation de tous les sans-papiers et pour l’ouverture des frontières. Cette lutte contre le tournant xénophobe et raciste qui s’opère et conduit la droite extrême ou l’extrême droite au pouvoir est une lutte sociale et politique qui exige de ne pas craindre d’affronter l’État de la bourgeoisie, de défendre un programme et une politique pour la transformation révolutionnaire de la société.
Dans cette bataille, les élections européennes de juin prochain seront un moment important pour œuvrer au rassemblement du monde du travail autour de ses propres objectifs, de ses exigences, de son propre programme internationaliste contre le camp de la xénophobie, du nationalisme, du militarisme pour rassembler le camp de l’internationalisme dans la perspective d’une collaboration des peuples, d’une Europe de la solidarité et de la paix, une Europe des travailleurs et des peuples.
Se donner collectivement les moyens de mener cette bataille passe pour les révolutionnaires par un bilan critique pour surmonter les divisions et rompre avec les politiques sectaires ou opportunistes qui ont jalonné leur histoire et engendré les divisions. Tirer les leçons des erreurs du passé en particulier lorsque Lutte Ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire avaient ensemble obtenu 5 députés au Parlement européen en 1999 sans que cela ne permette réellement un pas en avant pour le mouvement ouvrier. Le succès a renforcé les rivalités sectaires dont sont issues, pour une grande part, les divisions actuelles dont la scission-explosion du NPA fut un nouvel épisode. LO qui présentera pour les Européennes de juin sa propre liste en refusant toute discussion avec le NPA et les autres courants révolutionnaires en porte une large responsabilité.
Tirer les bilans c’est travailler à créer les conditions pour que se forge dans les luttes à venir contre l’offensive capitaliste, la guerre et l’extrême-droite, une force révolutionnaire par la fusion de l’extrême-gauche et cette fraction du mouvement social qui, depuis le mouvement des gilets jaunes, manifeste son indépendance vis à vis du jeu institutionnel. Notre tâche est d’aider à cette naissance, c’est à dire à la rupture avec le gauchisme sectaire et opportuniste qui se protège et tente de survivre derrière ses frontières organisationnelles, tout entier capté et mobilisé par la vie et les besoins internes de son groupe et l’illusion que celui-ci deviendra un jour le parti révolutionnaire parce que, un jour, la classe ouvrière s’y mettra et trouvera en lui sa direction !
Il est temps, urgent, de tourner la page, de discuter concrètement à travers des rapports démocratiques des voies et moyens de nous rassembler, d’éviter les pièges sectaires de la concurrence et des rivalités pour faire vivre la démocratie révolutionnaire. Tous nos vœux de réussite dans notre combat pour changer le monde et à celles et ceux qui se sont engagés dans cette voie difficile à laquelle nous espérons contribuer avec nos modestes moyens.
Yvan Lemaitre
[1] Les juifs, Israël et l’Holocauste, https://www.marxists.org/francais/cliff/1998/00/cliff_19980000.htm