Mardi 12 décembre, Biden, recevant Zelensky qui venait de célébrer l’investiture du nouveau président argentin d’extrême droite, Javier Milei, à Buenos Aires, interpellait le Congrès américain qui « doit adopter une rallonge pour l’Ukraine [...] avant qu’il n’offre à Poutine le plus beau cadeau de Noël qui soit ». Les Républicains ont fait la sourde oreille et refusé la rallonge de 61 milliards. Zelensky devra se contenter d’une aide militaire supplémentaire de 200 millions de dollars.
« Ce que l’administration Biden semble vouloir, ce sont des milliards de dollars supplémentaires sans supervision adéquate, sans réelle stratégie de victoire » selon le nouveau Speaker (président) républicain de la Chambre des Représentants, Mike Johnson. Il a formulé, au-delà des marchandages parlementaires sur la lutte contre l’immigration à la frontière mexicaine, les ressorts du refus des Républicains de l’aide à l’Ukraine. La campagne électorale de Trump est lancée et ce dernier prétend refuser de dilapider des milliards pour une guerre dont les objectifs stratégiques affichés deviennent de moins en moins crédibles, dans lesquels non seulement une large fraction des classes populaires mais y compris une fraction des classes dominantes, ne voient pas où elle mène et dont elles veulent se décharger sur leurs alliés. Biden a misé sa présidence sur une victoire dans la guerre qui s’enlise. Il est largement discrédité dans l’opinion américaine, un discrédit amplifié par son soutien au génocide israélien à Gaza. L’appel à défendre la « liberté ukrainienne » se fracasse contre l’insistance de Biden à refuser tout cessez-le-feu même humanitaire. Il est rattrapé par la politique de Trump : faire payer les guerres sans fin des USA pour défendre leur hégémonie mondiale à leurs alliés et aux peuples qu’ils ont enrôlés. « La mauvaise option de la faiblesse », commente Le Monde espérant voir l’UE faire ce que lui demandent… les USA, augmenter les budgets militaires pour financer la guerre et y intervenir. La militarisation du monde s’impose au sein des classes dirigeantes et de leurs idéologues comme la seule option possible, tous prêts à sacrifier les populations à leurs intérêts.
Zelensky sacrifie la population d’Ukraine aux intérêts des oligarques et des USA
Au total, en dix-huit mois, les États-Unis auront déboursé plus de 100 milliards de dollars pour la guerre d’Ukraine. C’est plus de 5 % du budget total de l’armée américaine. Bien que la majeure partie de cet argent soit versée directement sous forme d’armements et revient donc dans les caisses des usines d’armement américaines, les USA veulent limiter drastiquement l’aide à l’Ukraine. « L’Amérique et l’Europe sont fatiguées de la longue guerre en Ukraine » selon The Economist. Cela ne signifie nullement que la diplomatie américaine négocie ou envisage de négocier la fin de la guerre ou un cessez-le feu. Il n’en est pas plus question en Ukraine qu’au Moyen-Orient. Par contre, ils n’ont pas choisi de faire un pas supplémentaire dans une guerre sans plan ni issue. A ce stade, les USA n’ont pas les moyens ni intérêt à prétendre renverser Poutine, ce qui signifierait une dangereuse escalade dont la menace nucléaire.
L’échec de la contre-offensive ukrainienne, engagée le 4 juin, couplé aux progrès russes sur le front, a entaché la crédibilité de Zelensky, aussi d’une partie de son état-major. La corruption, les luttes et rivalités de pouvoir en particulier avec les militaires, l’isolement de Zelensky de plus en plus critiqué, impopulaire au sein d’une population qui en a assez de mourir et de geler pour une guerre dont personne ne voit l’issue.
Alors que le front s’est stabilisé, les USA et l’Otan n’envisagent pas un pas supplémentaire dans l’escalade militaire qui pourrait transformer la guerre en cours, un pas supplémentaire voire irréversible vers une mondialisation de la guerre d’autant qu’ils se heurtent à des difficultés pour garder le contrôle sur l’évolution de la guerre d’Israël. Sans imaginer un instant une issue négociée, ils entretiennent un front plus ou moins stable pour continuer la pression sur la Russie et l’ensemble des Etats en sacrifiant la population d’Ukraine prise au piège sanglant dans lequel ses propres dirigeants l’ont enfermée.
Poutine quant à lui, après un an et neuf mois de guerre, profite du moment pour rappeler ses objectifs : « la dénazification et la démilitarisation de l’Ukraine, son statut de neutralité » et que la solution « serait négociée ou obtenue par la force ». Il inscrit sa politique dans une guerre sans fin ainsi que les USA qui n’y voient d’autre issue que sa poursuite meurtrière, à moindre frais pour eux tout en accélérant la mue des puissances européennes en une association militariste afin qu’elles assurent elles-mêmes leur sécurité et accroissent leur participation au financement de l’Otan.
Quelles que soient les postures électorales de Biden ou de Trump, c’est bien là la politique du Pentagone et de Wall street, America great again.
Les Etats européens font le job dans le cadre de l’Otan et de l’UE
« N’offrez pas à Poutine cette première – et seule – victoire de l’année. [...] Aujourd’hui, c’est le jour d’une décision politique en réponse à ce que nous avons accompli. Il s’agit d’ouvrir des négociations d’adhésion avec l’Ukraine », c’est en reprenant les propos de Biden que Zelensky s’est adressé au Conseil européen qui s’est tenu jeudi et vendredi à Bruxelles. A la veille du sommet, le chancelier d’Allemagne, Olaf Scholz avait affirmé : « L’aide à l’Ukraine a une importance existentielle pour l’Europe ».
Au final, les dirigeants de l’Union européenne ont décidé d’ouvrir des négociations d’adhésion avec l’Ukraine ainsi qu’avec la Moldavie. « Victoire de l’Ukraine. La victoire de toute l’Europe. Une victoire qui motive, inspire et renforce », a réagi Zelensky. Une victoire toute symbolique, ces négociations ne sont ni ouvertes réellement ni encore moins conclues d’autant que l’aide militaire de 50 milliards d’euros d’ici 2027 annoncée n’a pas été votée.
Orban, après avoir cédé sur les négociations sur l’entrée dans l’UE de l’Ukraine du fait que la Hongrie allait récupérer 10 milliards d’euros, une partie des fonds que l’UE avait gelés, a, par contre, exercé son droit de veto pour ce qui concerne les 50 milliards annoncés d’aide à L’Ukraine.
« Quoi qu’il arrive », l’UE continuera à soutenir l’Ukraine, a assuré Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. « On le fera aussi longtemps que nécessaire », a indiqué de son côté Scholz. A voir, mais en attendant Orban négocie le remboursement de ce que l’UE devrait à la Hongrie. Sordide marchandage à l’image des rapports entre les 27.
L’UE devrait trouver une issue en donnant satisfaction à Orban. Toujours est-il que les mêmes difficultés qu’aux USA traversent l’UE. La guerre a certes poussé les Vingt-Sept à adopter un plan qui permettrait de faire converger leurs politiques de défense mais ce plan reste limité, chaque Etat joue sa propre partition, et sous la domination américaine.
Pour les USA, la guerre en Ukraine est un moyen de pression sur les puissances européennes pour les contraindre à assumer leur part du « fardeau » des grandes puissances occidentales et de la sécurité en prévision de nouvelles étapes dans l’escalade militaire mondialisée qui est engagée avec en ligne de mire la Chine.
Les désaccords Biden-Netanyahou, un écran de fumée pour masquer la responsabilité des USA dans le génocide
Biden affiche des différends avec Netanyahou pour donner le change face à l’opinion. Il met en garde Israël face à la « bascule de l’opinion mondiale » contre la guerre génocidaire alors que le nord de Gaza est à présent détruit à 68 % soit autant que Dresde ou Hambourg en 1945 et que la population de la bande de Gaza est déplacée à 85 %, que « les bombardements aveugles » se poursuivent tant au Sud qu’au Nord, que la guerre au sol est de plus en plus féroce, « l’enfer sur terre » et que les colons et l’armée exercent leur terreur en Cisjordanie.
Biden a dénoncé « le gouvernement le plus conservateur de l’histoire d’Israël » qui ne voulait « pas d’une solution à deux Etats ». A l’heure actuelle, si Israël a le soutien de « l’Europe » et de « la majeure partie du monde », « Ils sont en train de perdre ce soutien avec les bombardements aveugles qui ont lieu » tout en rappelant qu’« il n’y a aucun doute sur la nécessité de supprimer le Hamas ».
Netanyahou n’est pas dupe et développe son « désaccord » avec Washington au sujet de la « période après-Hamas » s’engageant à « ne pas répéter l’erreur d’Oslo », accords entre Israël et l’OLP conclus en 1993 ayant permis l’établissement de l’Autorité palestinienne. « Les autres pays doivent comprendre qu’on ne peut d’un côté soutenir l’élimination du Hamas et de l’autre appeler à la fin de la guerre, ce qui empêcherait d’éliminer le Hamas », « Donc Israël va poursuivre sa juste guerre pour éliminer le Hamas . […] Jusqu’à la victoire, rien de moins », Eli Cohen, chef de la diplomatie israélienne, ajoute, « avec ou sans soutien international ».
Ce jeu de rôle diplomatique n’est pas seulement un jeu de dupes destiné à abuser l’opinion. Biden s’inquiète d’une guerre dont il sait qu’elle sera longue et surtout du risque de son extension sans que les USA gardent la main sur les rythmes sans pouvoir contenir l’influence de l’extrême droite israélienne. Il s’en inquiète d’autant plus que Netanyahou est rejeté voire détesté par la grande majorité des Israéliens, un rejet qui va s’amplifier encore avec la mort de trois otages dont Tsahal est responsable. C’est ce discrédit qui pourrait, combiné à celui de l’Autorité palestinienne et des régimes arabes, engendrer une instabilité régionale voire une explosivité que redoutent les USA. Le Pentagone est parfaitement au courant de cette situation, il l’a anticipée en déployant son arsenal aéronaval au large de Gaza.
Le ministre de la Défense israélien, Yoav Gallant, n’en fait pas mystère. Cela durera « plus que quelques mois ». « Le Hamas est une organisation terroriste qui s’est construite au cours d’une décennie pour combattre Israël et qui a mis en place des infrastructures souterraines et aériennes qu’il n’est pas facile de détruire », a-t-il expliqué au conseiller américain à la sécurité nationale Jake Sullivan. Ce dernier s’est déclaré convaincu « qu’il serait juste qu’Israël occupe Gaza, réoccupe Gaza à long terme », un soutien inconditionnel…
Par ailleurs, il est peu probable que la guerre puisse se limiter à l’objectif du Hamas sans s’étendre au Liban au risque de provoquer l’Iran qui déclarait à la suite du veto américain à l’ONU : « Tant que les Américains soutiennent les crimes du régime sioniste et la poursuite de la guerre, existe la possibilité d’une explosion incontrôlable de la situation dans la région ».
Gallant le dit par avance : « Lorsque les combats s’achèveront à Gaza, nos efforts militaires seront dirigés principalement vers le nord », autrement dit vers le Liban. Les plans de l’armée israélienne incluent le risque d’une guerre au Liban et à partir de là à des enchaînements difficilement contrôlables surtout si l’Iran entrait dans la mortelle sarabande.
Biden en a parfaitement conscience. Les discours « critiques » voudraient plaider pour la bonne foi démocratique des USA tant sur le terrain international que vis à vis de l’opinion américaine mais il n’est pas question pour eux de lâcher leur principal et fidèle allié dont ils partagent les plans, la construction du grand Israël comme garant des intérêts des USA au Moyen Orient. Après avoir posé son veto à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU exigeant un cessez-le-feu humanitaire, la Maison-Blanche n’a pas hésité à déclencher en « procédure d’urgence » – donc sans même l’approbation du Congrès –, l’envoi de quelque 14 000 obus à l’armée israélienne. Puis, à nouveau, 12 décembre, ils se sont opposés à l’adoption d’une nouvelle résolution pour « un cessez-le-feu humanitaire immédiat » à Gaza, résolution adoptée à une écrasante majorité 153 voix pour, 10 contre (dont Israël et les Etats-Unis), et 23 abstentions sur 193 Etats membres.
Pas de cesser le feu pour les USA et l’Otan, pas question de « Renoncer à notre leadership mondial »...
« L’Histoire jugera sévèrement ceux qui ont tourné leur dos à la cause de la liberté », a lancé Biden au Congrès lors de la discussion sur l’aide à l’Ukraine. « Les membres républicains du Congrès sont prêts à offrir à Poutine le plus beau cadeau qu’il puisse espérer et à renoncer à notre leadership mondial » C’est la même préoccupation qui anime Biden dans son soutien à Israël au risque d’assumer l’impopularité du génocide en cours.
Dans un discours le 19 octobre, au lendemain de sa visite à Tel-Aviv, Biden avait fait le parallèle entre l’Ukraine et Israël, l’un et l’autre attaqués par des ennemis qui veulent « annihiler des démocraties voisines ». En réalité, l’un et l’autre ayant fait le choix de se faire les alliés inconditionnels de leur protecteur les USA.
Israël est leur place forte au cœur d’une région déterminante en raison des richesses pétrolières et gazières. Ce qui lui permet de bénéficier d’une aide militaire américaine sans fin. Puis, après la « sécession » du Donbass et l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, l’Ukraine est devenue un nouveau bénéficiaire majeur de l’aide militaire américaine. Tandis que les conflits et les foyers d’instabilité ne cessent de se multiplier, l’Ukraine et Israël sont devenus les alliés les plus importants des États-Unis et de facto une extension de l’OTAN. Rien d’étonnant à ce qu’en avril 2022, Zelensky ait pu parler de son pays comme d’un « grand Israël avec sa propre identité », un espoir et une politique plus qu’une réalité...
Ukraine et Israël constituent deux pièces maîtresses dans le redéploiement diplomatico-militaire américain et avec Taïwan, trois « têtes de pont » censées barrer la route respectivement à la Russie, l’Iran et la Chine.
Les États-Unis renforcent leurs alliances avec le Japon, la Corée du Sud et Taïwan au nord, l’Australie au sud, en passant par les Philippines, Singapour, la Thaïlande ou encore l’Inde, en vue d’un éventuel affrontement avec la Chine.
Les guerres d’Israël et d’Ukraine s’inscrivent dans les grandes manœuvres des USA et de l’Otan. Si aujourd’hui les USA s’emploient à garder la maîtrise des guerres et de leur propre implication, c’est pour rester maîtres du jeu. Ce dont nous pouvons être certains, c’est que la politique des USA et de l’Otan visant à défendre l’hégémonie du capitalisme occidental contre le reste du monde menace la planète d’une terrible conflagration.
Une menace qui n’a aucune fatalité. Les grandes manœuvres des vieilles puissances impérialistes pour perpétuer leur domination révolue sur le monde sont autant de moments de prise de conscience mondialisée pour les classes opprimées et exploitées, la prise de conscience qu’il n’y a aucune issue dans les rivalités économiques, financières, militaires entre puissances capitalistes. Le prolétariat aurait tort de se laisser enrôler tant dans la guerre économique qui les oppose que dans les guerres auxquelles elle conduit.
Nous ne sommes pas les soldats de la concurrence capitaliste économique ou militaire mais nous combattons pour en finir avec elle, pour prendre le contrôle de la marche de la société, pour la fraternisation et la collaboration des travailleurs et des peuples, le socialisme.
Yvan Lemaitre