La loi immigration, la 30ème depuis 1980, a été discutée et votée cette semaine au Sénat, avant de l’être à l’Assemblée à partir du 11 décembre. Le Sénat a aggravé le projet initial du gouvernement. Les amendements réactionnaires et répressifs des sénateurs LR, majoritaires, ont trouvé les faveurs de Darmanin, soucieux de ne pas se laisser doubler sur sa droite et qui fait du vote de cette loi anti-immigrés, « le texte le plus ferme, avec les mesures les plus dures, de ces trente dernières années », sa bataille personnelle pour prendre le leadership du bloc réactionnaire dans la course à la présidentielle.

Le projet de loi a déchaîné une surenchère raciste et xénophobe de la droite, Retailleau criant au « laxisme », au « chaos migratoire », à la « submersion », Bardella au « plus grand appel d’air à l’immigration clandestine de la Ve République ». La députée RN Edwige Diaz, qui avait dénoncé « les manquements » du projet de loi, « rien pour supprimer le droit du sol… rien pour réserver les aides sociales aux Français… », s’est réjouie de ce moment « politiquement intense et épanouissant », où les surenchères politiciennes ont légitimé les idées réactionnaires de l’extrême-droite.

Les Républicains ont imposé des amendements régressifs qui s’attaquent un peu plus aux immigré·es, migrant·es, demandeur·es d’asile, étudiant·es étrangers… dont les conditions n’ont cessé de se dégrader au fil des précédentes lois. Ils instaurent des quotas migratoires, facilitent les expulsions en réduisant ou supprimant dans certains cas les recours, rendent plus difficile le regroupement familial, suppriment le droit du sol automatique pour les enfants nés en France de parents étrangers. Si l’Assemblée confirme ce vote, l’AME, l’aide médicale de l’Etat qui permet l’accès aux soins pour les travailleurs sans-papiers sera remplacée par une aide médicale d’urgence, beaucoup plus restreinte, qui va aggraver leur précarité sanitaire et fragiliser le système de soin tout entier, comme le dénoncent les associations de soutien et les professionnels de santé.

LR et le RN avaient posé comme « ligne rouge » pour accepter de voter la loi la suppression de l’article 3 qui prévoyait la régularisation sous condition des travailleurs étrangers dans les métiers en tension. Une « idée folle » selon Retailleau qui causerait des « dizaines de milliers » de régularisations de « clandestins ». Darmanin était favorable à sa suppression, « une position personnelle » selon Elisabeth Borne, mais a dû négocier un compromis, l’alignement sur l’escalade xénophobe des sénateurs de LR et du RN, n’étant pas majoritaire dans son propre camp. La gauche a hypocritement dénoncé l’excès répressif, la déshumanisation des migrants par la loi, alors que tous les gouvernements de gauche ont durci l’accueil et le séjour des étrangers. Au-delà des jeux de rôle, tous s’accordent sur le fond, dans un consensus global qui voudrait faire croire que « la France ne peut accueillir toute la misère du monde », comme le disait déjà le socialiste Rocard en 1989, une propagande qui désempare l’opinion, rend difficile d’imaginer pour le monde du travail et les classes populaires une autre politique que celle, répressive, de tous les gouvernements qui se sont succédés depuis des décennies.

Une campagne permanente raciste et xénophobe du bloc réactionnaire

Cette nième loi immigration, dont l’objectif est de rendre encore plus difficile l’accueil et le séjour des travailleurs immigrés entretient la propagande permanente raciste et xénophobe de Macron-Darmanin, de la droite et de l’extrême-droite, pour qui les migrants, demandeurs d’asile, mineurs isolés, étrangers contraints de séjourner en situation irrégulière ne peuvent être que des délinquants, des terroristes ou des adeptes du « tourisme médical ». « Notre pays ne peut pas être le guichet social du monde entier » déclarait la sénatrice LR Valérie Boyer. En prenant pour cible « les étrangers délinquants ou ne respectant pas les principes de la République », ils visent tous les immigrés et les français d’origine étrangère, la population pauvre des quartiers populaires, rendus responsables d’une insécurité fantasmée et de la dégradation sociale.

Ils criminalisent, stigmatisent, attisent la haine et la violence qui reflètent leur propre peur devant leur faillite, leur incapacité à répondre aux besoins sociaux et démocratiques de la population, de la jeunesse. Ils distillent le racisme, le nationalisme pour diviser les classes populaires et les travailleur·se·s, pour les désarmer et les soumettre, tenter de masquer leurs propres responsabilités, les détourner des véritables responsables de la régression sociale, la classe capitaliste qu’ils servent. Leurs seules réponses au chaos engendré par leur politique ne sont que sécuritaires et répressives, un pouvoir de plus en plus autoritaire. A défaut de faire face aux drames que vivent les plus défavorisés le gouvernement déploie contre eux une campagne de haine de classe, les attaques contre les immigrés se combinant avec celles contre l’ensemble du monde du travail.

Un texte contre les immigré.es qui sert le patronat

La loi est censée contenir un « volet social » avec la régularisation conditionnelle des travailleur·es dans les métiers en tension, présentée comme une avancée qui permet aux bonnes consciences de gauche et de certains marconistes d’afficher une hypocrite humanité, mais même si l’Assemblée rétablit l’article 3, il ne s’agit en aucun cas d’assurer à ces travailleur·es une sécurité de travail et de vie de longue durée en France. « Nous rejetons cette loi avec ou sans l’article 3 qui régularise temporairement les travailleurs des métiers en tension. C’est pire car c’est un titre de séjour dont la durée et la validité dépendront du gouvernement et de l’employeur… avec les métiers en tension, vous devenez un esclave moderne », a expliqué le porte-parole du collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry. Il ne s’agit que de faciliter pour le patronat le recours à la main d’œuvre sous-payée des sans-papiers, sans les inconvénients de la traque permanente dont ils sont l’objet, tout en exerçant une pression à la baisse sur l’ensemble des salaires.

Par-delà les frontières, une seule classe ouvrière

Darmanin a dit au Sénat : « Nous n'avons pas fini de parler immigration, et peut-être tant mieux, car parler immigration, c'est parler de nos souverainetés ». Pour lui comme pour toute la classe politique institutionnelle de la gauche à l’extrême-droite, souverainisme et nationalisme nous protègeraient de la vague grandissante de migrant es qui fuient la violence des guerres, de la misère, des catastrophes climatiques, victimes du développement destructeur du capitalisme qui ruine les peuples et la planète. Le nombre de demandeurs d’asile ne cesse d’augmenter. Il est passé de 23 000 à 156 000 entre 2005 et 2022, 70 % des demandes d’asile sont rejetées par l’Etat français, un des taux les plus élevés d’Europe. Leur folie sécuritaire qui érige toujours plus de murs, de barbelés multiplie les drames, les morts aux frontières et en Méditerranée pour toutes celles et ceux qui n’ont pas d’autre choix que risquer leur vie, à la recherche d’une vie meilleure dans les pays riches d’Europe, riches par le pillage, depuis des siècles, des ressources des pays que le plus souvent fuient les migrant·es.

La répression des travailleurs migrants relève de la même offensive des classes dominantes contre l’ensemble du monde du travail et des classes populaires, pour faire baisser le coût du travail. Elle appelle notre réponse globale de travailleur·es, avec ou sans papiers, quelle que soit notre origine. Pour faire taire l’arrogance réactionnaire de ceux qui servent les nantis, en finir avec le drame des migrant·es, avec l’indignité de traitement des travailleurs immigrés par l’Etat colonial français qui a exploité et laissé les chibanis, ces travailleurs maghrébins devenus retraités vivre toute leur vie seuls à l’hôtel, et qui traque et pourchasse les nouveaux travailleurs du monde. Pour imposer ensemble la libre circulation, ce droit démocratique élémentaire qui ne connaît pas de frontières, la liberté d’installation, l’ouverture des frontières, la régularisation de toutes et tous, la fermeture des centres de rétention.

Nos intérêts communs face à l’exploitation et aux préjugés sécuritaires, racistes et xénophobes qui l’accompagnent nécessitent de nous unir, de nous organiser pour imposer l’égalité des droits et des réponses à nos besoins, pour les salaires, le pouvoir d’achat, les conditions de travail, pour exiger des moyens pour l’hôpital, la santé, un logement pour toutes et tous, dans la perspective d’un monde plus juste et plus fraternel, un monde socialiste, sans frontières.

Christine Héraud

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