Alors que les conséquences catastrophiques du réchauffement climatique frappent de plus en plus violemment une large fraction de la population mondiale, les rapports scientifiques qui se succèdent sont de plus en plus alarmistes, soulignent le caractère global de la menace et s’inquiètent de l’incapacité des gouvernements et des multinationales à en prendre la mesure pour y faire face.
Un nouveau rapport de l’ONU publié le 25 octobre met en garde « contre six menaces qui pourraient faire basculer des systèmes indispensables à la vie humaine. » : l’effondrement de la biodiversité, l’épuisement des eaux souterraines, la fonte des glaciers, l’augmentation des températures, la multiplication des débris spatiaux, l’incapacité d’assurer ces nouveaux risques. Six menaces parmi bien d’autres « points de bascule de risques » dont les effets se combinent, menaçant directement à l’échelle de la planète les systèmes d’alimentation en eau et en nourriture, obligeant à « considérer le monde comme un seul système connecté ».
Le même jour, plus de 15 000 scientifiques signaient une tribune publiée dans plus de 200 revues scientifiques pour appeler, face à la crise climatique et à l’effondrement de la biodiversité, à une action commune, concertée à l’échelle de la planète car « cette crise environnementale globale est désormais si grave qu’elle constitue une urgence sanitaire mondiale. »
Mercredi 1er novembre, ce sont plusieurs organisations regroupant plus de 40 millions de professionnels de santé à travers le monde qui adressaient une lettre ouverte au président de la prochaine conférence internationale sur le climat (COP28) qui se tiendra fin novembre à DubaÏ pour exiger la prise en compte des « conséquences directes du changement climatique sur le bien-être personnel et les systèmes de santé » et réclamer des mesures pour sortir des énergies fossiles pour « sauver des vies ».
Pourtant ces appels des scientifiques aux gouvernements et aux institutions internationales pèsent de bien peu de poids face à la folie de la logique d’un système capitalisme en faillite qui entraîne l’ensemble de la société dans une spirale mortifère de guerre, de crise économique, d’explosion des inégalités, de montée des nationalismes, des politiques réactionnaires et du militarisme dans tous les pays du globe.
En réalité, plus le discours des scientifiques se fait précis et alarmiste sur la catastrophe globale à venir qui menace les conditions d’existence de l’humanité, plus l’incurie des classes dirigeantes, des multinationales et des Etats à leur service apparaît de façon patente.
Un greenwashing des Etats et des multinationales pour nous vendre leur capitalisme vert...
Illustrant ce cynisme sans limites des classes dominantes, la COP28 se tiendra sous la présidence du Sultan Al Jaber, ministre de l’Industrie des Emirats arabes unis et patron du géant pétrolier Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC) !
Alors que les scientifiques expliquent que le réchauffement climatique est pour l’essentiel lié à l’utilisation à très grande échelle des énergies fossiles, charbon, pétrole et gaz et que tout l’enjeu est d’en réduire l’utilisation, les multinationales des combustibles fossiles, comme en France TotalÉnergies, continuent à multiplier les projets d’exploitation de nouveaux gisements à travers le monde jusqu’en Arctique ou au fond des mers, tout en étant largement subventionnées par les Etats. Avec la complicité des Etats, elles ont donc aussi la mainmise sur les négociations autour de la transition énergétique, ce qui leur permet d’empêcher toute réelle décision de sortie des énergies fossiles, de garantir ainsi les surprofits qu’elles continuent à en tirer, tout en s’accaparant les financements publics et les nouveaux marchés des énergies renouvelables. Des méthodes mafieuses à l’image de ce capitalisme mondialisé sénile devenu de plus en plus prédateur, qui ne sait que traquer la moindre opportunité de valorisation du capital, quelles qu’en soient les conséquences pour l’environnement, pour les populations, pour l’avenir de l’humanité.
Ainsi en complète contradiction avec les discours officiels sur la transition énergétique, les subventions directes au pétrole, au charbon et au gaz ont largement dépassé la barre des 1 000 milliards de dollars l’an dernier. Le Fonds monétaire international (FMI), a recensé les aides directes de 170 pays aux combustibles fossiles : elles ont atteint 1 300 milliards de dollars en 2022, soit près de trois fois plus que leur niveau de 2020.
En 2022, les banques françaises ont participé au financement de l’expansion des énergies fossiles à hauteur de 13,6 milliards d’euros... Et TotalÉnergies vient d’annoncer 6,7 milliards de dollars (6,3 milliards d’euros) de bénéfices réalisés au troisième trimestre 2023, avec une production d’hydrocarbures en hausse de 5 %, et un taux de redistribution aux actionnaires en hausse de 7,5 % par rapport à 2022.
Les discours lénifiants sur l’écologie ne servent qu’à masquer cette froide réalité : les capitalistes mentent avec le plus parfait cynisme quand ils prétendent lutter contre le réchauffement climatique dont ils sont pour une large part responsables. La plateforme CarbonBombs a recensé 425 sites d’extraction d’énergies fossiles à travers le monde, en cours ou en projet, qualifiés de bombes climatiques car leur exploitation génèrera cinq fois plus d’émission de CO2 que la limite fixée par les scientifiques pour rester en dessous de 1,5°C d’augmentation de la température mondiale.
« On a un problème de capitalisme. Le capitalisme tel qu’on le vit actuellement n’est pas compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique. » n’a pu que déclarer Jean Jouzel, climatologue et ancien président du Giec, devant l’accueil glacial qu’il a reçu fin août lors de son passage à l’université d’été du Medef notamment de la part de Patrick Pouyanné, PDG de TotalÉnergies, qui lui a opposé « la vie réelle »... en clair les profits des actionnaires !
Alors que la concurrence capitaliste fait rage, la crise écologique globale ignore les frontières
L’argument de la lutte contre le réchauffement climatique, de la transition écologique est utilisé, dévoyé par tous les gouvernements, comme par les multinationales pour justifier des politiques de financement public dans le cadre d’une concurrence économique exacerbée à l’échelle de la planète. Une manne d’argent public non pour mettre en place une politique cohérente à l’échelle internationale pour limiter et s’adapter aux conséquences catastrophiques du réchauffement climatique mais pour ouvrir et développer les nouveaux marchés de la transition énergétique comme autant de nouvelles sources de profits.
Et dans cette course au capitalisme vert chaque Etat, chaque multinationale est en concurrence avec les autres, les Etats comme les multinationales multiplient les projets verts sans plan d’ensemble, sans cohérence, ni réelle volonté de freiner la marche à la catastrophe ni même de protéger les populations contre ses conséquences mais avec comme seule logique la valorisation du capital.
En France, la « planification écologique » vantée par Macron, censée permettre une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 n’est rien d’autre qu’un vaste plan de financement public au service des multinationales françaises de l’énergie, de l’automobile, du bâtiment. Macron lors de son intervention fin septembre a eu le ridicule de parler d’un modèle d’« écologie à la française », pour plus concrètement appeler à « une écologie créatrice de valeurs » qu’il a traduite en souveraineté et compétitivité économique. Derrière ce prétendu modèle, il y a surtout de l’argent public offert aux patrons de différents secteurs industriels pour les aider à se positionner au mieux sur les marchés de la transition énergétique.
Ainsi, au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, Macron veut financer le développement des filières de nouvelles énergies, comme l’hydrogène ou la biomasse, pour que leurs entreprises deviennent des précurseurs en position de monopole et leur garantir de futurs profits.
De même, avec son annonce de produire un million de voitures électriques par an en France, Macron qui « adore la bagnole » vise surtout à soutenir la multinationale Stellantis sur un marché en pleine expansion face à la concurrence des producteurs chinois.
Alors que le monde est confronté à une « urgence sanitaire globale », qui nécessiterait une profonde réorganisation de toute l’économie mondiale, le gouvernement comme tous les partis institutionnels cherchent à dévoyer les réelles inquiétudes d’une large fraction de la population face à la crise écologique qui se combine à la crise économique pour nous resservir les mêmes vieilles illusions qu’il serait possible de trouver des solutions dans le cadre de « nos » frontières nationales, sur la base de « nos » solutions industrielles, en concurrence avec les autres pays, les autres industriels !
Jusqu’au RN qui n’hésite pas à s’autoproclamer « premier parti écologiste de France » dans une opération de greenwashing des préjugés les plus réactionnaires, un « nationalisme écologique » qui au nom des « circuits courts » opposés à la mondialisation, n’offre comme perspective que le protectionnisme économique et l’affirmation identitaire.
Comme si la fermeture des frontières pouvait protéger d’un réchauffement climatique global dont les conséquences se manifestent à travers toute la planète ! Comme s’il pouvait y avoir des solutions à la crise climatique sans avoir à s’affronter à la poignée de multinationales qui dominent toute la vie économique, sans remettre en cause le capitalisme et ses fondements, la propriété capitaliste, les Etats, les frontières.
Le décalage est de plus en plus profond entre ce greenwashing généralisé des classes dominantes et de leurs serviteurs et la nécessité d’une réponse globale internationale, reposant sur la solidarité entre les populations face à une catastrophe à l’ampleur mondiale qui oblige à remettre en cause le cadre étroit et réactionnaire des frontières nationales comme la folie de la concurrence et des marchés.
En finir avec les frontières et la domination des multinationales
La crise écologique, sous ses multiples aspects, réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, pollution de l’eau, de l’air, des sols est un puissant révélateur du caractère global de la crise actuelle du capitalisme, de la faillite historique d’un système et de l’obstacle que constituent aujourd’hui les Etats, les frontières, les institutions qui le défendent pour y faire face.
L’incapacité des Etats à prendre à bras le corps la question climatique est la conséquence de leur soumission aux lois du marché et de la concurrence qui dirigent et dominent toute la marche de la société. Une organisation sociale aberrante dont les défenseurs prétendent, contre l’évidence même, qu’elle ne rend possible face à la crise écologique que des solutions qui entrent dans le cadre du marché, de l’initiative privée, de la concurrence et du profit.
La propriété capitaliste des moyens de production permet à une poignée de multinationales de soumettre toute la production des biens indispensables à la vie sociale à la seule logique d’une course aux profits sans limite, sans aucune considération pour les besoins réels des populations ni pour la préservation de notre environnement. En s’étendant à toute la planète, le mode de production capitaliste a révélé à quel point il empêchait la société humaine d’être maîtresse de son destin pour faire face à des menaces globales engendrées par sa folie productiviste mortifère. C’est cette logique aveugle d’une classe minoritaire qui s’accroche à un système en faillite qui conduit toute la société dans une impasse, entraînant l’explosion des inégalités sociales, une destruction de l’environnement qui menace les conditions d’existence de l’humanité et une exacerbation de la concurrence, des nationalismes, avec la menace d’une généralisation de la guerre.
Le caractère mondial de la crise climatique, écologique appelle des réponses concertées, planifiées à l’échelle internationale. Face à cette « urgence sanitaire mondiale » dont s’alarment les scientifiques l’urgence est de mobiliser tous les moyens humains, scientifiques, techniques pour mettre en œuvre des politiques internationales faisant passer l’intérêt général à long terme avant les intérêts à courte vue des classes dominantes et des gouvernements à leur service.
C’est une autre logique sociale que celle du profit qu’il s’agit d’imposer et cela implique de s’affronter directement aux intérêts sociaux et politiques des classes dominantes, d’une poignée de multinationales et de leurs actionnaires, de remettre en cause la propriété capitaliste.
Pour imposer une autre organisation de la production et des échanges, il n’y a pas d’autres issues pour le monde du travail et la jeunesse que d’exercer directement leur contrôle en empiétant sur la propriété capitaliste jusqu’à l’expropriation des principales multinationales pour les prendre en main et s’en servir de levier dans le cadre d’une planification démocratique de l’économie.
Cela implique aussi d’en finir avec les cadres nationaux et les rivalités entre Etats, avec la concurrence économique, la fuite en avant dans la course à la productivité, à la compétitivité.
De tels bouleversements sont non seulement indispensables face à l’urgence de la situation mais aussi possibles car, malgré le parasitisme du capitalisme, les progrès des sciences et des techniques, le développement des moyens de production et d’une classe ouvrière à l’échelle mondiale ont créé les conditions et les bases matérielles pour une autre organisation sociale, un autre mode de production capables de prendre en compte les besoins réels des populations et les limites des ressources de notre environnement.
La contradiction entre la prise de conscience de plus en plus largement partagée de la gravité du changement climatique et le cynisme et l’incurie des classes dominantes contribue à faire évoluer les consciences, à dissiper les illusions dans la bonne volonté des Etats, des multinationales, à révéler l’impuissance des grandes institutions internationales face à la cupidité des classes dominantes. Elle oblige à prendre conscience de la nécessité de ne compter que sur nos mobilisations, sur nos luttes pour changer le système.
Ainsi, en amont de cette prochaine mascarade que sera la COP28, de nombreuses associations ont lancé une mobilisation mondiale Power up pour dénoncer la responsabilité des multinationales des énergies fossiles non seulement dans le réchauffement climatique mais aussi dans l’exacerbation de l’oppression et des guerres, et appeler à prendre sur leurs profits pour financer une réelle transition écologique.
L’impasse insupportable que représente la folie du capitalisme en crise ne peut qu’engendrer de la contestation, de la révolte, révolte face à la crise écologique, révolte contre les inégalités, contre la montée des idées réactionnaires, du poison nationaliste et de la menace des guerres. C’est bien cette révolte sociale, démocratique qui est porteuse de la rupture possible et nécessaire avec le capitalisme en toute indépendance de ses institutions, porteuse d’un autre avenir, permettant d’organiser la production des biens utiles aux populations de la façon la plus rationnelle et respectueuse possible de l’environnement.
Cette rupture est inscrite dans le développement historique de la société.
L’évolution même du capitalisme a rendu caduque la propriété privée des moyens de production qui sont aujourd’hui organisés à l’échelle de la planète comme les frontières qui la protègent à l’heure de la libre circulation des capitaux. Elle rend l’organisation capitaliste de la production et des échanges complètement dépassée par rapport aux possibilités qu’elle ouvre, en opposition aux besoins sociaux qu’elle est incapable de satisfaire. Les forces réactionnaires qui la défendent parce qu’elles ont peur de perdre quelques privilèges voudraient nous ramener en arrière en attisant les nationalismes, les rivalités et les haines. Notre tâche, à l’opposé, est d’être des acteurs de l’évolution de la société afin qu’elle achève son œuvre pour se débarrasser des scories du passé et contribuer à la naissance d’une société de coopération et de solidarité, réconcilier l’homme avec la nature.
Bruno Bajou