« Fronde », « déclin », « nouvelle union de la gauche », « le problème Mélenchon », pas un jour sans que les médias ou les différentes personnalités de la NUPES et de LFI ne s’interpellent ou ne dénoncent les positions des uns ou des autres, en ciblant Mélenchon en particulier. Si ces querelles révèlent les ambitions de beaucoup elles illustrent surtout les limites de cette alliance comme l’impasse du « projet » qu’elle prétend porter.
Se plier aux mensonges d’État ou se démettre…
Comme déjà au lendemain de la révolte des jeunes des quartiers après l’assassinat de Nahel, toute la NUPES s’est pliée avec zèle à la campagne d’union nationale lancée par le gouvernement autour du soutien à Israël, avec une violence verbale sans limites à l’égard de celles et ceux qui ne s’y ralliaient pas, Mathilde Panot, Danièle Obono et Jean Luc Mélenchon en premier lieu.
Jérôme Guedj, pour le PS, les a qualifiés « d’idiots utiles… vous me dégoûtez. ». Au PC, c’est le porte-parole pour les élections européennes qui demande à LFI « des clarifications sur le Hamas ». Un élu régional du PS a été jusqu’à qualifier Mélenchon « d’ordure » dans un tweet.
Enfin, ce sont aussi des élus de LFI, Autain, Corbières, Garrido et surtout Ruffin qui s’y sont associés : le Hamas est une « organisation fanatique, terroriste […] » a déclaré ce dernier. « On doit mettre des mots forts sur des actes horribles, sinon notre parole est discréditée, moquée, enlisée dans des justifications byzantines, pas à la hauteur de la gravité des événements ».
L’agressivité et l’outrance verbale de ces attaques ne servent qu’à justifier l’abdication de ceux qui les profèrent et contribuent à créer un climat de violence politique. Cela vise à étouffer toute contestation, à créer un véritable terrorisme intellectuel qui disqualifie toute parole « dissidente » et justifie la répression à l’égard de celles et ceux qui combattent la politique de l’État israélien. Au moment où le NPA de Poutou et Besancenot est attaqué pour « apologie du Hamas », où des militants syndicaux de la CGT sont placés en garde à vue pour avoir appelé dans un tract à soutenir les droits du peuple palestinien, au moment où encore aujourd’hui la plupart des manifestations sont sous le coup d’entraves ou d’interdictions, nous ne pouvons que dénoncer une telle violence et soutenir celles et ceux qui en sont la cible et nous appelons à nous joindre, à organiser et à participer largement à toutes les manifestations qui ont lieu, en y défendant notre propre politique.
Celles et ceux qui expriment des « réserves » comme Roussel pour le PCF, qui « soutient » les militants de la CGT arrêtés tout en précisant qu’il ne « partage pas » leurs propos, sont absents de toutes les mobilisations, comme le reste de la NUPES, et laissent de fait le terrain libre à toute la vague réactionnaire qui déferle.
A la NUPES et à LFI : un problème Mélenchon ?
La presse et les médias font aujourd’hui leurs gros titres autour de l’éclatement de la NUPES et de la personnalité « problématique » de Mélenchon.
Il n’y a pourtant pas à s’étonner de l’alignement du PCF, d’EELV, du PS et de certaines personnalités de LFI sur la politique de l’État français, c’est une continuité historique. Ils et elles ont toujours soutenu la politique étrangère de la France et participé à différents gouvernements qui n’ont jamais, c’est le moins qu’on puisse dire, contribué à défendre les droits des peuples, ceux des Palestiniens ou d’autres.
Dans ce procès pour délit d’opinion, Mélenchon est lui-même victime de ses confusions et contradictions, pris entre la démagogie parlementaire et ses propres préjugés nationalistes bourgeois.
Dans son blog du 22 octobre titré « Tuer le père » (!), il « s’étonne » du ralliement de certains : « le tournant de EELV et du PC a été un vrai évènement, imprévu par nous. »
Mais lorsqu’il explique sa politique étrangère et le terrain sur lequel il défend le droit des Palestiniens, c’est, comme il le dit lui-même, en « homme d’État » responsable : « Le Hamas a déclenché une opération de guerre contre Israël. Si nous voulons que les crimes de guerre soient jugés et poursuivis, il faut les appeler par leur nom. Cela est possible à la Cour pénale internationale ».
Et quand il reproche au gouvernement sa politique, c’est au nom de… De Gaulle : « Madame Borne profite de la guerre au Moyen-Orient pour mener sa guerre contre LFI. J'ai exprimé la position constante de notre pays depuis De Gaulle… L'approbation du massacre en cours déshonore madame Borne. La France ne parle pas comme ça ! »
On est loin du droit des peuples et Ruffin est sur le même terrain quand il déclare dans un entretien au Figaro le 26 octobre que « la voix de la France a perdu son indépendance ».
Politique parlementaire, institutionnelle, nationaliste ou lutte de classe internationaliste
Chacun, dans la NUPES comme dans LFI, est prisonnier de sa position dans le jeu politique institutionnel et parlementaire qui est leur seul horizon.
Le positionnement des uns et des autres est fonction de choix tactiques ou des ambitions personnelles, dans la perspective des futures alliances ou échéances électorales, que ce soient les européennes ou la présidentielle ensuite, pour participer pleinement à diriger cette société, au cœur de ses institutions.
Mélenchon a porté l’alliance électorale de la NUPES sur la base de son score aux élections présidentielles, à l’issue de sa 3ème candidature, incarnant le « bruit et la fureur » ou encore « la révolution citoyenne ». Il n’a d’autre choix que d’assumer cette identité plutôt que de rallier, toute honte bue, la politique de Macron.
Mais qu’ils soient dissidents ou non, « alignés ou non-alignés », tous les courants en concurrence qui constituent la NUPES et LFI s’inscrivent dans le même cadre, celui des institutions d’un État national, de l’ordre mondial qu’ils contribuent à perpétuer. Le réformisme n’a pas changé et les différences entre eux portent sur des choix tactiques et pas sur des divergences de fond. Chacun cherche avant tout à démontrer son sens des responsabilités pour postuler à la tête du pouvoir.
La seule paix, la seule démocratie possibles, c’est celles que construiront les travailleurs et les peuples eux-mêmes
Ce qui a changé, c’est la situation globale. Aujourd’hui, nous sommes loin de la « mondialisation heureuse » promise après la chute du Mur de Berlin. La réalité du capitalisme financiarisé mondialisé est un chaos global qui ne laisse plus aucune marge de manœuvre pour aucun compromis social, ce qui était la base même sur laquelle pouvait exister le réformisme.
Mélenchon avait fait le pari politique, sur la base de l’effondrement du PS et au moment où une nouvelle contestation sociale cherchait à se construire en particulier autour de l’extrême-gauche révolutionnaire, de capter cette colère. S’il a en partie réussi, il n’a pour autant aucun autre horizon que ce système lui-même, sur des bases souverainistes et étatistes.
Au-delà des luttes intestines et des guerres picrocholines au sein de la NUPES, ce sont ces contradictions qui éclatent aujourd’hui, celles d’un impossible réformisme.
D’une certaine façon, ces querelles ajoutent de la confusion à la confusion, en enfermant tous les enjeux dans le cadre étroit des luttes d’appareils et de pouvoir, elles participent de ce monde qu’elles prétendent combattre.
La seule manière de s’en dégager, c’est de rompre avec le parlementarisme et les vieux partis de la gauche faillie pour adopter un point de vue de classe. Il n’y a pas de diagnostic partagé, pas de dialogue social, pas de cessez-le-feu dans cette bataille. Redonner du crédit, accepter l’imposture des dialogues avec ceux qui gèrent et défendent ce système, en France comme à l’ONU ou ailleurs, c’est censurer la lutte, tourner le dos à nos intérêts, à notre émancipation.
Il n’y a de réponses que dans l’unité du monde du travail ici, en toute indépendance des jeux institutionnels, dans la constitution de notre propre force, contre notre propre Etat.
Penser chacune de nos luttes comme un élément dans un combat d’ensemble -une aspiration largement partagée- c’est chercher à formuler, à refonder non pas un « nouveau réformisme » déjà mort-né mais un programme révolutionnaire pour le monde actuel. C’est dégager une compréhension d’ensemble, faire converger les soulèvements de la terre, des peuples, et du monde du travail et de la jeunesse autour de liens et d'un cadre démocratiques communs en s’appuyant sur toutes les initiatives et expériences issues de nos luttes.
C’est à cela que nous voulons contribuer dès maintenant avec toutes celles et ceux qui contestent la marche à la guerre comme la répression et les reculs politiques et sociaux en cours.
Henri Saussol