Le jeu de dupes de la discussion parlementaire du projet de loi sur la réforme des retraites se poursuit sur la scène du Sénat, même théâtre d’ombres que celle de l’Assemblée nationale. Le jeu de rôle est quelque peu différent, la droite occupe le terrain et y négocie sa place auprès de la majorité en commençant, d’entrée de jeu, par adopter en commission, avant que ne commence la discussion, la réforme moyennant quelques amendements sur la situation des mères de famille, pour lesquelles une surcote de 5 % (mais rien pour les femmes sans enfant concernées par des carrières hachées) et un « CDI senior », incitation à l’embauche couplée à une énième exonération de cotisations pour les patrons… Et samedi, il votait la fin des régimes spéciaux ! La droite qui y est majoritaire court au secours de Macron en se pliant à un débat tronqué. Rien à attendre de ces faux semblants politiciens qui accoucheront d’une commission de 14 membres, sept députés et sept sénateurs, dominée par le bloc réactionnaire.

Macron s’empresse, « Je souhaite que le Sénat puisse enrichir le projet » et Elisabeth Borne développe, « On va écouter les propositions du Sénat et on va trouver un chemin ensemble »…

Quant à la gauche, libérée de l’emprise de LFI qui n’est pas représentée au Sénat, elle prend sa médiocre revanche, unie pour désavouer toute politique d’obstruction et déclarer dans un même élan : « Nous souhaitons que les vingt articles de la loi soient traités. » « Nous estimons que c’est ce que nous devons au peuple français qui attend que ce débat ait lieu », dixit le chef de file du PS, Patrick Kanner, petite bassesse bien digne du PS qui rend responsable LFI de l’absence de débat parlementaire alors que c’est Macron qui a décidé d’une procédure, le 47.1, qui permet de censurer la discussion en se réservant qui plus est une nouvelle fois le possible recours au 49.3. Macron vise à disqualifier les partis d’opposition de droite et de gauche qui s’y prêtent sans retenue ainsi que le Parlement. Sans majorité, il joue les Bonaparte au-dessus des partis et des institutions en tirant profit de la crise pour tenter d’imposer sa férule au pays.

C’est là, pour lui, l’enjeu de la bataille de la réforme, mettre au pas, disqualifier, ridiculiser son opposition, plier l’intersyndicale à sa politique, exporter la crise partout en utilisant à ses propres fins la crise internationale, la guerre ou, défenseur d’une Françafrique décadente, en allant faire la leçon à ses amis les dictateurs d’Afrique centrale, serviteurs comme lui des multinationales contre leur peuple.

Le même qui n’a pas d’argent pour financer nos retraites trouve des milliards pour servir les ambitions de la classe dirigeante française et de ses alliés de l’OTAN ou préparer l’armée à faire face à une mondialisation de la guerre avec les grandes manœuvres militaires Orion 23, dont l’organisation a coûté 35 millions d’euros et qui implique des milliards d’euros d’équipements militaires.

Et dans le même temps, Darmanin et le ministre du Travail, Olivier Dussopt font la promotion devant le même Sénat de leur projet de loi « contrôler l'immigration » et « améliorer l'intégration » soucieux d’aider la droite à rallier Macron - « Tout ce que LR a toujours demandé sur l'immigration, nous le proposons » - tout en flattant la clientèle raciste de Le Pen à laquelle le même Dussopt avait adressé ses compliments à l’Assemblée nationale la jugeant « bien plus républicaine que d’autres élus de gauche ». Une politique manœuvrière et arrogante qui voudrait masquer la faiblesse d’un pouvoir aux abois et dont les conséquences désastreuses annoncées donnent la mesure des enjeux de la bataille qui s’est engagée. C’est le rapport de force entre les classes qui se joue, moment dont dépendront les mois et années à venir.

Une mobilisation militante qui a du mal à se dégager du cadre de l’intersyndicale

Construire ce rapport de force en construisant la grève reconductible, en la généralisant nécessite que le mouvement se donne une autre politique que celle de l’intersyndicale objet d’une grande méfiance mais dont les initiatives ont jusqu’alors répondu aux besoins et possibilités de la mobilisation sans être contestée réellement encore moins débordée même si tout le monde comprend bien que les journées à répétitions ne permettront pas de faire plier Macron pas plus qu’elles ne l’ont permis par le passé.

L’appel de l’intersyndicale à « bloquer le pays » le 7 mars, « une France à l’arrêt », les appels de plusieurs syndicats, dans plusieurs secteurs, comme l’intersyndicale de la RATP, la CGT Cheminots, SUD Rail, mais aussi les fédérations CGT de la pétrochimie, de l’énergie, des ports et docks, du verre et de la céramique ou encore des syndicats de routiers à une grève reconductible pour imposer une défaite à Macron, représentent, de fait, un tournant. « Macron, si tu continues, il va faire tout noir ! » Les agents d’EDF des centrales nucléaires se sont mis en grève dès vendredi à l’initiative de la CGT.

Le 7, une marée humaine va déferler contre le gouvernement. L’intersyndicale anticipe les possibles débordements en limitant par avance les appels pour mieux contenir la mobilisation. « Je fais confiance à l'imagination des salariés pour agir de la façon qu'ils souhaitent, mais tous les jours, de façon reconductible », assure Philippe Martinez qui appelle à « des grèves reconductibles » et « sous des formes variées ». Les salariés prévoient « une à deux heures de grève tous les jours » ou encore « des rassemblements » devant leurs bâtiments. « Chacun fait selon ses moyens ».

Laurent Berger se tient délibérément en réserve, il ne veut pas de grève reconductible, pas de « bordel ». Il veut faire du 7 mars une nouvelle journée de 24 heures pour faire pression sur le Sénat !

Chacun joue sa partition en réponse aux aspirations de différents secteurs du mouvement pour garder la main mais sur le fond ils poursuivent, par-delà leurs rivalités, le même objectif d’appareil, contraindre Macron au dialogue et à la négociation, défendre leur place en tant qu’interlocuteur privilégié du pouvoir et des patrons.

Et c’est bien là le fond, les objectifs et les moyens de les atteindre. L’objectif, c’est le retrait et en faisant plier Macron, changer le rapport de force, discuter salaires, inflation, services publics, répartition des richesses et pour cela construire la grève générale.

Il n’y a pas d’autre voie que faire peur au patronat, aux classes dominantes pas seulement en bloquant une journée le pays mais par la grève, en bloquant la production, la machine à profit, ce qui fait paniquer Véran !

Une dynamique qui a sa propre logique, celle de la lutte des classes

Cette politique n’est pas celle de l’intersyndicale mais le mouvement a sa propre dynamique qui s’écrit en marchant. La réussite des cinq journées de mobilisation a déjà permis à ceux qui y ont participé de prendre conscience qu’ils n’étaient pas tout seuls, qu’ils appartenaient à une force collective qui manifeste et agit, une classe. L’envie de militer pour le mouvement, d’agir ensemble, de se retrouver, de se serrer les coudes se renforce, la joie, l’enthousiasme de la lutte.

Ces manifestations ont été des moments de rassemblement, un lieu de démocratie vivante et de prise de conscience collective que craint le pouvoir et qui a été capable de gagner une première bataille, celle de l’opinion, d’isoler et d’affaiblir le gouvernement.

Chacun voit bien qu’il est possible de gagner mais en même s’interroge, comment et le prix à payer. Les travailleurs mesurent leur force, le nombre, le fait que c’est eux qui font tourner la société. S’ils se mettent massivement en grève, tout s’arrête, ils ont la capacité de prendre le contrôle de l’énergie, de transport, de la production.

Le 7 sera une nouvelle étape dans cette prise de conscience, le sentiment d’être une force irrésistible, ainsi que dans la compréhension que rien ne sortira du parlement et que Macron voudrait nous mettre à genoux. Le prix à payer pour la lutte se mesure au regard des enjeux non seulement pour les retraites mais pour l’avenir, l’avenir même de la société.

Le 7 mars, la grève reconductible peut se propager dans toutes les entreprises, l’occasion tant attendue de mettre un terme à l’offensive des classes dominantes, de renverser la vapeur pour prendre l’initiative, imposer nos droits, remettre en cause la logique destructrice du profit et de la concurrence capitaliste.

Le 8 mars, la journée internationale des femmes ou la dimension égalitaire, émancipatrice de la lutte

Elisabeth Borne déclarait en mai 2022, que « rien ne devait freiner le combat pour la place des femmes dans notre société ». Oui, rien et surtout pas les mensonges en série de la même Elizabeth Borne et de son gouvernement ! Les femmes seront les premières victimes de la réforme des retraites.

L’égalité salariale est une exigence élémentaire. Elle rapporterait 5,5 milliards d’euros aux caisses de retraites tout comme l’embauche de milliers de personnes dans la Santé ferait autant de cotisations en plus.

Et la promesse mensongère d’une pension minimale de 1 200 euros brut ne vaut que pour une carrière complète, ce qui n’est pas le cas pour 40 % des femmes qui ont eu des carrières hachées. 20 % des femmes devront de toute façon travailler jusqu’à 67 ans, si elles ne veulent pas subir une décote sur le montant de leur pension. Et de toute façon, l’inégalité des salaires fait que celle-ci est en moyenne inférieure de 28 % à celle des hommes.

L’intersyndicale voudrait éviter que la mobilisation des femmes le 8 mars ne devienne le deuxième jour de blocage du pays en cantonnant la journée à « mener des actions et des communications spécifiques sur la situation des femmes par rapport à la retraite ».

Une autre voie est nécessaire. Tout en manifestant pour poser des revendications féministes, il est possible de faire du 8 mars une étape vers la généralisation de la grève en lui donnant un contenu global, politique, émancipateur en affirmant notre commune volonté d’en finir avec toutes formes de discrimination et d’inégalité.

La jeunesse, flamme de la contestation sociale et politique

Macron et son gouvernement redoutent la généralisation de la grève et qu’elle entraîne par là-même la jeunesse travailleuse, étudiante et lycéenne. Cette jonction en écho à la colère profonde qui s’exprime dans la jeunesse depuis plusieurs années contre parcoursup et un avenir bouché, une société où 40 % des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté, où les jeunes alternent entre chômage et jobs précaires, contre les violences policières et le racisme, sur la crise climatique, l’égalité entre les sexes ou le mouvement LGBTQI, la solidarité avec les migrants… Elle serait un pas en avant, un renforcement de la mobilisation et pour les jeunes un mouvement de contestation globale, une « opportunité de faire payer la facture à Macron pour l’avenir qu’il nous prépare » comme le disait un appel d’une AG interfac de la région parisienne.

La solidarité entre générations ne se limite pas à la question des retraites mais elle converge dans une contestation globale et solidaire pour conquérir le droit de maîtriser son avenir, celui de la société.

Le 7, le 8, le 9, le 10... construire l’affrontement aujourd’hui pour être en position de force demain

Le 7 mars est l’occasion de franchir une étape décisive dans la lutte en imposant, dans les faits, une autre stratégie que celle des directions syndicales qui a jusqu’alors prévalu. Portées par la dynamique du mouvement et la logique de l’affrontement, certaines fédérations de la CGT, des intersyndicales, de nombreuses équipes militantes ont commencé à prendre les affaires en main en militant pour la reconductible, en organisant des actions, des rassemblements, des AGs, des fêtes de la lutte. Ils se convainquent de la possibilité de faire plier Macron. Le mouvement pour la reconductible se renforce, les travailleurs s’emparent de la discussion et ils ont les moyens de faire basculer les choses. L’organisation d’AG, la nécessité de faire vivre la démocratie pour prendre en main la direction de la lutte est au cœur des objectifs des jours à venir.

Dans ces évolutions en cours, la tâche des militants révolutionnaires est de politiser le maximum de travailleurs, d’élever leur niveau de conscience à travers l’expérience collective que nous vivons et partageons pour mettre à nu la politique des classes dominantes et de leur État. Les attaques contre les retraites participent d’une seule et même offensive contre les chômeurs, les salaires, la santé et les services publics, d’une seule et même crise, l’inflation, l’énergie, la crise alimentaire ou la crise de l’eau, la guerre. Ce sont autant de conséquences dramatiques d’un système à bout de souffle qui ne se survit qu’en pillant les travailleurs, les peuples et la nature.

Nous avons besoin de discuter des enjeux réels du mouvement, les retraites oui, mais l’avenir même de la société, des anciens comme des nouvelles générations.

La bataille en cours est un moment d’une guerre entre la minorité capitaliste qui ruine la société et l’immense majorité de la population. Nous pouvons les faire plier. Mais quelle que soit l’issue de la lutte, elle représente déjà un acquis important de par l’expérience collective qu’elle représente, les prises de conscience qui compteront pour la suite surtout si elles sont en mesure de se donner une forme organisée, démocratique et révolutionnaire, un parti des travailleurs. Notre tâche est d’y contribuer, elle se confond avec celle de contribuer à préparer la généralisation de la grève.

Yvan Lemaitre 

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