La journée du 7 mars, celle du 8 pour la journée internationale de lutte des femmes et du 9 avec les jeunes sont déjà un succès indépendamment de l’impasse que représente pour la suite la politique de l’intersyndicale. Le blocage du pays est au centre des discussions, des espoirs du plus grand nombre et des angoisses du pouvoir qui craint que le mouvement échappe au « calme » des directions syndicales. Le monde du travail, le mouvement des femmes, la jeunesse prennent confiance et conscience de leur force. A travers tout le pays de multiples réunions syndicales, de collectifs, d’interpros organisent des actions, préparent le 7 et discutent de la suite. Il est clair que le blocage ne pourra se limiter à n’être que le moment le plus fort du mouvement en attendant les suites du débat parlementaire au Sénat. Il sera bien le début d’une nouvelle étape. Le monde du travail, le mouvement des femmes, les jeunes rassemblent leurs forces, s’organisent à la base, se préparent à se mesurer avec le pouvoir.

Cette nouvelle étape, à un niveau supérieur, appelle de nouvelles initiatives.

En réalité, le mouvement arrive à un tournant où inévitablement le consensus qui semblait régner jusqu’alors entre la mobilisation du monde du travail et l’intersyndicale va être soumis à une grande tension. Pour les directions syndicales, le mouvement est un moyen de négocier leur place dans le cadre du dialogue social, leur rôle d’interlocuteurs du pouvoir, comme il l’est pour la gauche de négocier la sienne dans le cadre du parlement. Leurs intérêts ne sont pas à l’unisson avec ceux de la mobilisation. Les uns veulent négocier, les autres amender ou réécrire alors qu’il s’agit d’imposer le retrait, la capitulation de Macron pour créer les conditions d’une contre-offensive du monde travail.

Macron fait l’éloge de l’exploitation et veut la renforcer pour nourrir les profits

Le gouvernement, de son côté, tente d’utiliser ce moment de calme relatif avant la reprise du débat parlementaire au Sénat et le 7 mars, pour reprendre l’initiative après la déroute de ses ministres au parlement ou devant la presse. Darmanin avec sa loi raciste contre les migrants et les sans-papiers voudrait détourner le débat en flattant le RN, alors que Macron, pour le moins discret jusque-là, tente de donner le change en parlant d’autre chose tout en affirmant son inflexibilité. Avant d’aller au salon de l’agriculture, il a prétendu, à Rungis, s’adresser à « la France qui se lève tôt », mimant Sarkozy pour plaire au LR justifiant son agression contre les retraites en la banalisant : « dans l'ensemble, les gens savent qu'il faut travailler un peu plus longtemps en moyenne, tous, car sinon on ne pourra pas bien financer nos retraites ». Et d’aller dans le sens des propos sur « la paresse » de Darmanin, ou sur « l’oisiveté » de Borne pour pérorer, « c’est par le travail qu’on construit la force d’une nation […] il n’y a pas de modèle social qui tient si on ne crée pas plus de richesses ». Relever l’âge de départ de 62 à 64 ans ne créera pas « plus de richesses pour le pays » mais plus de profit pour le capital !

Macron comme tous les siens et la bourgeoisie voudrait confondre la production de richesses utiles à la société et la création de profit, de capital supplémentaire, qui accroît la richesse d’une minorité parasite de capitalistes au détriment de la société.

En agitant dans le vide le thème du travail, il ouvre une porte aux directions syndicales en les invitant à venir discuter du rapport au travail. « Au-delà de la question de la durée de la vie professionnelle, il faut améliorer la qualité de vie au travail et trouver les conditions du « bon emploi » », a, dans la foulée du président, repris la Première ministre… Baratin dérisoire pour appâter les directions syndicales qui signaient la semaine dernière, à part la CGT, l’accord sur le partage de la valeur avec le patronat, mensonges et hypocrisie que ces propos mielleux et condescendants à l’adresse de « toutes celles et ceux qui permettent à notre pays de tourner, de vivre », les mêmes que l’hommage hypocrite et mensonger rendu aux premiers de corvée lors de l’épidémie. Leur monde d’après est celui d’avant en pire.

Le CAC 40 a battu un nouveau record avec une hausse moyenne de 10 % des bénéfices. TotalEnergies, Stellantis, Axa, BNP Paribas, Publicis, Schneider Electric, Airbus et autres engrangent des milliards. Et Roux de Bézieux, président du Medef, se félicite de la réforme prétendant sauver les retraites d’un « déficit » en oubliant de parler des 18 milliards d’euros de déficit des caisses de la Sécu à cause des exonérations de cotisations sociales dont bénéficie le patronat chaque année… ou des 6,7 milliards d’euros que permettront les économies générées par les deux réformes de l’assurance-chômage de 2021 et 2023.

Sans parler de la hausse de 40 % du budget militaire, 413 milliards d’euros sur 6 ans alors que tous les services publics se délitent et des milliards engloutis dans une guerre criminelle et absurde, réactionnaire contre les peuples.

Obstruction ou illusions parlementaires, la même impasse institutionnelle

Vendredi 17 février à minuit, conformément à l’article 47.1 de la Constitution qui permet au gouvernement de limiter les débats à vingt jours à l’Assemblée nationale en première lecture, le débat à l’Assemblée a été clos. Le Sénat prend le relais pour quinze jours à partir du 28 février puis une commission mixte paritaire sera convoquée pour trouver un « accord ». La date limite d’examen au Parlement est fixée au 26 mars. Le texte serait alors ou adopté par un vote majoritaire à l’Assemblée ou par… le 49.3 !

Macron s’est donné toutes les garanties que lui permet la constitution pour imposer sa réforme et construire un rapport de force politique qui lui soit favorable en discréditant le parlement condamné à l’impuissance et les directions syndicales elles aussi contraintes au final de se soumettre, un jeu politicien qui profite à Le Pen.

« Macron voulait pouvoir opposer la légitimité de l’Assemblée à celle du mouvement social avec un vote favorable de l’Assemblée nationale. Échec total. », ces propos vantards de Mélenchon vantant sa politique d’obstruction pour empêcher le vote sur le projet de loi y compris sur l’article 7, le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, sont pour le moins dérisoires. Ils lui ont valu les accusations de Martinez et de Berger expliquant d’une même voix que Mélenchon n’était « pas un allié du mouvement social » comme celles de ses amis de la Nupes qui avaient retiré l’essentiel de leurs amendements pour accélérer les discussions. « Nous regrettons profondément que nous n’ayons pu débattre de l’article 7 qui est le cœur de cette réforme. Nous avons tout fait pour que cela arrive », se défendait Fabien Roussel…

De son côté, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, s’est indigné du « spectacle désolant » et « honteux » de l’Assemblée, « au mépris des travailleurs ». Ces propos éclairent la stratégie de l’intersyndicale, prétendant qu’il est possible de convaincre les députés de droite de rejeter la réforme des retraites, et, par ce biais, d’imposer un recul au gouvernement. Berger n’y croit même pas mais essaye de justifier sa stratégie de pression en misant sur… Eric Ciotti et en faisant semblant d’ignorer les moyens dont dispose Macron pour imposer sa réforme, quel que soit le vote de l’Assemblée, par ordonnance ou 49.3. « Il y a un débat au Sénat dans lequel l’intersyndicale a décidé d’être entièrement présente et c’est notamment les raisons de la mobilisation le 7 mars », a-t-il déclaré ajoutant : « la grève du 7 mars ne sera pas une prolongation du bordel qui s’est passé à l’Assemblée nationale. »

Des propos qui rassurent le pouvoir qui pourrait prendre au sérieux les appels radicaux des uns et des autres à « bloquer tout, bloquer partout » qui restent dans le cadre institutionnel, du dialogue social et du parlementarisme, une impasse. En réalité, la vraie crainte du pouvoir, c’est celle de la base, de l’incapacité des dirigeants syndicaux à garder le contrôle de la situation.

Le mouvement ouvrier a besoin d’une stratégie pour changer le rapport de force

Les rivalités entre appareils, dirigeants politiques et syndicaux occupent la scène en espérant occuper les esprits. Eux aussi savent bien que les journées des 7, 8 et 9 mars pourraient bien être le début de la généralisation de la grève, de sa politisation, de la radicalisation du mouvement prenant conscience de lui-même pour devenir un mouvement de contestation radicale, sociale et politique de leur monde d’après, de ce capitalisme sans frein ni limite qui ruine la société. « Tu nous mets 64, on te remet 68 » dit un slogan exprimant la contestation globale et radicale du système que porte le mouvement.

C’est bien là l’enjeu des jours à venir. Construire une nouvelle confiance et une nouvelle conscience à la base à travers les initiatives décidées et organisées par des Unions locales voire départementales, des AG et Interpros, des comités de mobilisation qui cherchent à étendre la grève et à convaincre de sa reconduction en prenant appui sur les appels à la reconductible formulés par l’intersyndicale RATP, la CGT Cheminots et SUD Rail ou encore les fédérations CGT des Services Publics, des Transports, de l’Energie, des points d’appui comme ceux de la CGT des éboueurs et de « l’ensemble de la filière » des déchets ou de la chimie dès le 6 mars au soir.

Ces multiples initiatives visent à s’adresser au plus grand nombre pour gagner celles et ceux qui, aujourd’hui, n’ont pas rejoint le mouvement ou qui ne voient pas comment le radicaliser, ainsi qu’à faire converger toutes les luttes et mobilisations en particulier sur les salaires.  

Œuvrer à ce grand rassemblement des forces du monde du travail, c’est construire une perspective, développer une stratégie autour de trois axes principaux : l’affrontement est inévitable et nécessaire, les directions syndicales ne peuvent en être la direction et, au cœur de cette politique, la question de la démocratie, diriger nos luttes aujourd’hui pour demain imposer le contrôle du monde du travail sur la marche de la société.

Œuvrer à l’émergence d’un mouvement démocratique et révolutionnaire

Pour Macron et la bourgeoisie, la bataille pour imposer leur réforme s’inscrit dans le long terme. Elle poursuit et accentue leur offensive contre le monde du travail engagée alors que la gauche était aux affaires, jalonnée par une série de remises en cause des retraites. Notre politique se pense en réponse à la leur en combinant court terme et long terme, revendications immédiates et perspectives révolutionnaires. Ils nous font la guerre, nous avons besoin d’une stratégie qui y réponde, une stratégie qui rompe avec les politiques de négociations à reculons, de concessions, de pressions qui laissent entièrement l’initiative au pouvoir et patronat.

La mobilisation fait naître l’envie, le désir de devenir acteur de la lutte et de sa propre vie, de s’organiser sur le terrain syndical ou local et aussi et surtout renforce la contestation, lui donne un contenu social, donne envie de faire de la politique, ouvre de nouvelles perspectives individuelles et collectives.

Un véritable parti du mouvement se constitue à travers le pays pour organiser la lutte mais aussi, au-delà, préparer l’avenir pour défendre les revendications immédiates tout en travaillant à la transformation révolutionnaire de la société. Un parti dont le programme est la perspective d’en finir avec le pouvoir des gros actionnaires, de la finance, des riches pour construire une société fondée sur la solidarité, le partage, l’émancipation du travail, de l’exploitation, la propriété collective des moyens de production et d’échanges, la planification démocratique afin que l’économie serve à satisfaire les besoins humains dans le respect de la nature.

Yvan Lemaitre

 

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