Le 24 février, en ce jour de sinistre anniversaire de la guerre meurtrière déclenchée par Poutine, le président ukrainien Zelensky a déclaré que cette année serait celle de la « victoire inévitable », que lui-même avait comme tâche, chaque jour, « d’unir le monde » et que l’Ukraine « combattait pour tous et notamment pour la sécurité de l’Europe ». Habité par son nouveau personnage en réponse à Poutine et en écho à Biden, il se fait le champion de la guerre par procuration menée par les Etats-Unis et leurs alliés contre la Russie et à laquelle il sacrifie son peuple.
Cela fait maintenant plus d’un an que la population ukrainienne subit les affreuses violences de la guerre, des dizaines de milliers de mort·e·s, de blessé·e·s, des millions de réfugié·e·s, des destructions d’immeubles d’habitation et d’infrastructures indispensables à une vie normale, qui entraînent, en premier lieu pour les plus pauvres, des privations d’eau, d’électricité, de chauffage, de nourriture et de soins médicaux. Un an de souffrances aussi pour les soldats engagés dans le conflit, contre leur volonté dans leur grande majorité en Russie où Poutine a porté à son comble la répression contre l’opposition à la guerre et à son régime.
Un an après le début de cette barbarie conséquence d’une escalade militaire que les grandes puissances n’ont à aucun moment tenté d’empêcher bien au contraire, les dirigeants de chaque camp se préparent à une guerre longue. Les vantardises guerrières et nationalistes comblent l’absence totale de perspectives de paix. Les principaux acteurs de la guerre, la dictature russe et les vieilles puissances impérialistes occidentales emportées par l’obsession de leur domination sur le monde ne maîtrisent pas une logique militariste qu’ils étaient incapables de prévenir et dont ils portent la responsabilité.
Ayant échoué à prendre le contrôle du pays et à en occuper même une partie, Poutine prépare probablement une nouvelle offensive, engagé qu’il est dans une folle fuite en avant dont l’objectif est d’abord et avant tout la survie de son propre pouvoir. Il a prononcé solennellement un discours grand russe, fascisant, qui justifie la continuation de la guerre au nom de la lutte contre « un occident décadent » et du mythe d’une Ukraine néo-nazie. Il a annoncé la suspension de la participation de la Russie aux négociations sur le désarmement nucléaire faisant ainsi planer la menace de l’utilisation de l’arme atomique et d’un élargissement de la guerre.
Comme en miroir -et chacun se sert de l’autre pour justifier l’escalade guerrière-, le président américain Biden a effectué une visite surprise à Kiev auprès de Zelensky puis en Pologne où il a rencontré neuf chefs d’État des pays de l’Est. « Vous savez mieux que quiconque ce qui est en jeu dans ce conflit, a-t-il déclaré à Varsovie, pas seulement pour l'Ukraine, mais pour la liberté des démocraties à travers l'Europe et le monde ». Biden reprend la vieille rengaine utilisée depuis des décennies par les USA pour justifier leur politique militariste et impérialiste contre les peuples, il signe la responsabilité des Etats-Unis dans la guerre, l’instrumentalisation qu’ils font de la résistance ukrainienne à l’agression russe au service de la domination des vieilles puissances occidentales.
La propagande occidentale occulte les origines de la guerre
Les médias déversent quotidiennement un flot d’informations sur le conflit et les livraisons d’armes des Etats-Unis et de leurs alliés à l’armée ukrainienne alors que des guerres tout aussi meurtrières comme au Yémen et en Afrique ou celle, endémique, menée par l’État d’Israël contre le peuple palestinien, laissent la presse écrite, radio et TV quasiment indifférente. Il s’agit de plier les opinions publiques à une propagande belliciste qui joue sur l’émotion et considère la guerre comme un événement isolé, produit de la folie de Poutine, au lieu de l’inscrire dans l’histoire des rapports internationaux, des relations entre les Etats et les peuples. De ce fait, l’explication de « bon sens » -qui est l’agresseur ?- prend le pas sur l’analyse historique sérieuse. L’agression barbare de Poutine contre l’Ukraine répond à une agression rampante des puissances occidentales, à savoir l’élargissement de l’Otan et de l’Union européenne jusqu’aux frontières de la Russie. Contrairement à la promesse qui avait été faite à Gorbatchev en 1990, l’Otan s’est élargie en accueillant la Hongrie, la Pologne et la Tchéquie en 1999, puis la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie en 2004 parallèlement à l’élargissement de l’Union européenne. En 2008, les Etats-Unis et l’Otan se prononcèrent en faveur de l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie, deux pays aux marges mêmes de la Russie. La réaction de Poutine a été immédiate : en août 2008, il lançait une guerre éclair en Géorgie pour appuyer deux petites républiques séparatistes pro-russes contre l’État géorgien.
La crise financière de 2007-2008 a aiguisé la concurrence économique et les tensions entre Etats. L’Ukraine dont les oligarques traitaient aussi bien avec le pouvoir russe qu’avec les autorités européennes tant qu’ils pouvaient continuer leurs affaires de capitalistes mafieux, représente une pièce maîtresse dans la lutte pour l’accaparement des richesses, un des premiers exportateurs mondiaux de céréales et d’oléagineux, un sous-sol qui regorge de richesses, exploitées par une main d’œuvre sous-payée.
La crise entre l’Ukraine et la Russie s’est envenimée en 2014 lorsque le président ukrainien pro-Russe Ianoukovitch a été renversé par la révolte populaire de la place de Maïdan pour avoir refusé de signer un accord d’association avec l’UE. Poutine occupe alors et annexe la Crimée, une région de l’ancienne URSS qu’il juge essentielle -à cause en particulier de son accès à la mer- à son prestige personnel de dictateur et aux intérêts de l’oligarchie capitaliste dont il est le mandataire. Dans le Donbass, une région aux énormes complexes industriels et miniers, en avril 14, des milices séparatistes, soutenues et armées en sous-main par la Russie, s’emparent des lieux de pouvoir, allumant une guerre qui n’a pas cessé depuis. Elle est aujourd’hui une partie de la ligne de front qui s’est stabilisée sur 1500 kilomètres de long, lieu de batailles de tranchées entre les armées russe et ukrainienne, sans cesse pilonné par l’artillerie. Sa population dont une grande partie est russophone, n’aspire qu’à l’arrêt des combats. Comme la très grande majorité des soldats russes et sans doute une partie importante de la population ukrainienne elle-même qui souffre non seulement des bombardements et des privations mais aussi pour une partie d’entre elle du militarisme ultra-nationaliste qui bannit la langue et la culture russes et de la loi martiale qui restreint les libertés démocratiques et syndicales au nom de la défense de la patrie.
Tout au long de ce terrible enchaînement, à aucun moment les grandes puissances occidentales n’ont cherché à engager de sérieuses négociations visant à garantir la sécurité des différents Etats d’Europe de l’est, de l’UE et de la Russie. Elles en étaient bien incapables tant il est vrai que dans le monde du capitalisme mondialisé les rapports entre les États sont soumis à la loi du plus fort sans échappatoire possible.
L’engrenage militariste et guerrier, la terrible logique de la concurrence capitaliste sans frein
Incapables de faire machine arrière, Poutine comme les dirigeants américains et leurs partenaires de l’Otan se préparent à une guerre longue qui s’inscrit dans une nouvelle phase de l’histoire du capitalisme caractérisée par une militarisation croissante et un réarmement des Etats-Unis, après le fiasco des guerres meurtrières qu’ils ont déclenchées en Irak et en Afghanistan et dont ils ont dû se retirer en catastrophe. La guerre en Ukraine leur offre l’occasion d’un nouveau déploiement de l’alliance militaire qu’ils dirigent, l’Otan, appuyée sur leurs alliés de l’Union européenne et pratiquement élargie à leurs alliés en Asie. Elle leur permet de conforter leur leadership mondial menacé par les nouvelles puissances dont ils ont favorisé l’émergence dans les quarante dernières années pour les intérêts de leurs multinationales, la Chine en premier lieu, désignée par le nouvel agenda stratégique de l’Otan adopté par ses membres en juin 2022 comme une menace pour leurs intérêts. « La République populaire de Chine affiche des ambitions et mène des politiques coercitives qui sont contraires à nos intérêts, à notre sécurité et à nos valeurs » y est-il dit.
En Ukraine, les Etats-Unis, tout autant prisonniers d’enchaînements dont ils n’ont pas la maîtrise que Poutine, mènent une guerre par procuration contre la Russie dont ils veulent sinon la liquidation du moins l’affaiblissement, et les Ukrainiens, quelle que soit la volonté indéniable et légitime d’une grande partie d’entre eux de résister à l’invasion russe, sont les fantassins de cette guerre et des visées des Etats-Unis pour conforter leur hégémonie mondiale.
Cette guerre comme d’autres, tout aussi meurtrières, qui existent dans le monde, est le résultat des logiques d’accaparement des richesses produites par le travail humain, de la soif de pouvoir pour s’en emparer, de la concurrence entre groupes capitalistes et leurs Etats, et de la volonté des USA de perpétuer leur domination sur le monde. La concurrence, et le militarisme qui l’accompagne sont décuplés par la crise de sénilité du capitalisme, la difficulté qu’ont les capitaux à se valoriser, à produire suffisamment de profits dans des conditions « normales » à cause de la crise des gains de productivité. La contradiction avec l’exubérance actuelle des profits n’est qu’apparente. Il faut toujours plus d’exploitation des êtres humains et de la nature, de dépossession des travailleurs et des populations, de subventions à fonds perdus des Etats pour générer suffisamment de profits pour éviter l’effondrement de leur système. La concurrence économique débouche sur la concurrence militaire, guerrière, comme on peut en voir les prémices dans le conflit entre les Etats-Unis et la Chine.
La folie de la course aux armements et du militarisme
Les dépenses militaires qui avaient baissé ces 30 dernières années, sont reparties à la hausse. Elles atteignent aujourd’hui 2000 milliards de dollars dans le monde. Au palmarès des budgets militaires, les USA avec 767 milliards de dollars cette année sont largement en tête. Viennent ensuite la Chine avec 242 milliards, puis la Russie avec 88 milliards. « L’économie de guerre », un leitmotiv de Macron, se généralise. Alors que l’armée ukrainienne consomme une quantité de munitions « largement supérieure » à la production des membres de l’Otan, selon les mots de son secrétaire général Stoltenberg, il s’agit d’augmenter cette production et les budgets qui vont avec au détriment de tout ce qui est utile à la population. Macron a annoncé 413 milliards d’euros pour la loi de programmation militaire de 2024 à 2030, ce qui correspond à un budget annuel moyen de 59 milliards d’euros contre 41 milliards en 2022. La Pologne où s’est rendu
Biden ces jours-ci prévoit de porter son budget militaire à 4 % du PIB. Depuis 2014, celui-ci était déjà supérieur aux 2 % du PIB préconisés par l’Otan. Jusqu’alors les Etats-Unis et la Grèce étaient les seuls à atteindre ces pourcentages. Visiblement candidat au maintien de l’ordre en Europe de l’est, l’Etat polonais veut porter les effectifs de son armée à 300 000 hommes. Seule la Turquie, après les USA, « fait mieux », 450 000 hommes, mais dans un pays plus de deux fois plus peuplé. Quant à la Russie, les usines d’armements et de munitions y tournent à plein régime.
Les Etats-Unis, qui ont réussi à reprendre pied en Europe et à y souder la plupart des Etats, renforcent de la même manière leurs alliances face à la Corée du nord et surtout à la Chine en Asie du sud-est. Le Japon, comme l’a fait il y a quelques mois l’Allemagne en Europe -la population de ces deux pays était fortement pacifiste à cause des malheurs qu’ils ont causés puis subis eux-mêmes lors de la deuxième guerre mondiale- a annoncé en décembre dernier qu’il allait augmenter fortement ses capacités militaires et se doter d’armements offensifs.
La guerre est une manne bien évidemment pour toutes les multinationales de l’armement et quel banc d’essai pour les nouveaux matériels ! On s’enthousiasme comme le fait un général d’aviation cité par Les Echos sur le fait que pour la première fois, la guerre se joue « dans les sept milieux de la conflictualité moderne : terre, air, mer, espace, cyber, informationnel et électromagnétique ». Le nec plus ultra des progrès technologiques pour anéantir des vies humaines et dévaster des régions et des villes entières. Ce serait faire preuve de la plus grande inconscience que de penser que les armes produites ne sont pas destinées à servir !
Contre l’escalade militariste d’un système hors contrôle, prolétaires de tous les pays unissons-nous
Les Etats-Unis en lutte pour sauvegarder leur hégémonie mondiale et leurs alliés et vassaux en Europe et en Asie, les vieilles puissances impérialistes, sont armés et mobilisés aujourd’hui contre la Russie et se préparent à l’être tout autant contre la Chine. Leur propagande qui sert les intérêts de leurs multinationales et de leurs Etats forme la pensée officielle dominante, subjugue les cerveaux jusqu’à faire accroire que leur objectif, une défaite de la Russie, serait une garantie pour la paix. C’est une illusion lourde de danger. Une défaite de la Russie obtenue par une implication encore plus massive de l’Otan dans la guerre se ferait contre les aspirations démocratiques des populations, en premier lieu de la population ukrainienne sacrifiée aux intérêts des grandes puissances et provoquerait à court ou moyen terme de nouveaux enchaînements vers une mondialisation de la guerre. Seul le renversement de Poutine par les travailleurs et les classes populaires de Russie tendant la main à leurs frères et sœurs ukrainien·ne·s pour surmonter les haines nationalistes peut conduire à une paix démocratique, ouvrir une perspective pour les travailleurs et les peuples du monde entier.
La guerre en Ukraine n’est pas le produit de la seule folie d’un Poutine, elle est la conséquence de l’engrenage belliciste et meurtrier auquel conduit l’exacerbation de la concurrence dans un système capitaliste à bout de souffle et de la volonté des Etats-Unis de sauvegarder leur leadership mondial. Le seul avenir de paix possible pour l’humanité capable de garantir les droits des peuples et des rapports démocratiques entre eux réside dans un autre mode de production, socialiste, communiste, libéré de la propriété capitaliste.
Notre solidarité avec les travailleurs et les classes populaires d’Ukraine, c'est d'abord et avant tout dénoncer la responsabilité des fauteurs de guerre que sont les USA, la France et l'Otan, combattre notre propre Etat, notre propre bourgeoisie pour enrayer la terrible logique de guerre économique qui conduit à la guerre militaire et sociale. L’indépendance par rapport à notre propre gouvernement, à notre propre bourgeoisie, le refus de toute union nationale, est un enjeu crucial pour l’avenir.
Galia Trépère