Hier, 11 février, le mouvement a manifesté une nouvelle fois sa vitalité et son dynamisme, 2,5 millions de manifestant.e.s, des cortèges déterminés et joyeux, qui se sont répandus dans toutes les villes de quelque importance dans le pays, bien souvent du jamais vu depuis plusieurs décennies. Le matin même, avant les manifestations, s’était réunie l’intersyndicale qui a lancé cet ultimatum dans son communiqué lu à la presse : « si malgré tout, le gouvernement et les parlementaires restaient sourds à la contestation populaire, l’intersyndicale appellerait les travailleurs et les travailleuses, les jeunes et les retraité·e·s à durcir le mouvement en mettant la France à l’arrêt dans tous les secteurs le 7 mars prochain. L’intersyndicale se saisira du 8 mars, journée internationale de luttes pour les droits des femmes pour mettre en évidence l’injustice sociale majeure de cette réforme envers les femmes. »

La menace est certes au conditionnel mais l’hypothèse que le gouvernement retire sa réforme avant le 7 ou qu’il se plie à un vote de rejet des députés si ces derniers votaient majoritairement contre le texte est tellement improbable qu’on peut déjà considérer l’appel au 7 mars comme un appel à la grève générale qui ne s’assume pas. Il y a d’ores et déjà des appels syndicaux à la grève reconductible à partir du 7 mars à la SNCF et à la RATP.

Que les directions syndicales osent envisager l’emploi de l’arme de la grève « pour mettre le pays à l’arrêt » montre à quel point Macron s’est trompé en croyant pouvoir mettre tout le monde à sa botte mais le vrai combat n’est pas celui entre les directions syndicales et Macron mais bien celui entre le monde du travail et le Capital et son État.

Un bras de fer entre le Capital et le Travail

Le mouvement est bien un soulèvement général du monde du travail, de la population contre cette réforme qui prétend imposer deux ans de plus à toutes celles et ceux qui n’en peuvent déjà plus d’un travail aliéné, dépossédé de son utilité sociale, et de l’exploitation éhontée du plus grand nombre pour aller grossir les fortunes personnelles d’un Bernard Arnault, plus de 180 milliards d’euros -autant que 20 millions de Français- ou les bénéfices des groupes capitalistes. TotalEnergies vient d’annoncer les siens, 20,5 milliards de dollars pour 2022 et encore plus en réalité, 36,2 milliards, avant que le groupe en ait retiré 15 milliards au titre de ses désinvestissements de Russie.

Ce qui se joue est bien le rapport de forces entre le Capital et le Travail, coup d’arrêt possible à l’offensive du gouvernement et des classes possédantes contre les droits des travailleurs, contre la retraite, les salaires, la protection sociale et les services publics, ou bien la voie libre à l’intensification de l’exploitation, la dévastation sociale et la guerre. C’est pourquoi imposer le retrait de la réforme est vital.

La voie parlementaire ? Une impasse

L’évidence s’impose d’ores et déjà. Ce n’est pas au Parlement que la démocratie, la volonté majoritaire de la population, le rejet de la réforme, pourront triompher, le gouvernement s’étant de toute façon réservé la possibilité d’écourter la discussion en actionnant l’article 47.1 de la constitution puis d’adopter la réforme par ordonnance.

Certaines interventions des député.es LFI ont fait mouche comme celle d’Iñaki Echaniz qui a ridiculisé le ministre du Travail Dussopt en lui posant la même question que celui-ci avait posée à Woerth lors du mouvement contre la réforme des retraites en 2010 lorsque, député du PS, il était contre le recul de l’âge légal de départ de 60 à 62 ans. Comme l’était Véran également dont l’intervention à l’Assemblée en 2010 circule sur les réseaux sociaux. « Veste retournée » comme l’a dit Echaniz, ou plutôt, intégration de toutes les forces politiques réformistes aux institutions et aux intérêts des classes possédantes, par les vertus de leur « assiette au beurre » -comme le montre l’affaire du marché de l’eau à Annonay dans laquelle Dussopt alors député-maire avait favorisé la SAUR- et de la gestion des affaires de la bourgeoisie au gouvernement.

La seule utilisation qu’on peut faire du Parlement, c’est celle d’une tribune pour s’adresser à la population, aux travailleur·e·s. Comme l’a fait la députée du groupe LFI Rachel Kéké le 6 février en apportant à l’Assemblée les témoignages des femmes de ménages, des aides-soignantes, des salariés de la logistique qui ont « le dos cassé » bien avant 62 ans, qui « prennent des médicaments pour dormir », les conditions de travail des « invisibles » dont elle a fait partie, femme de ménage qui a mené avec ses collègues de l’hôtel Ibis Batignolles une grève longue et victorieuse et en appelant le poing levé à manifester et à faire grève les 7 et 11 février.

L’alternance gauche-droite laisse la place à l’affrontement Capital-Travail

Macron a été porté au pouvoir par les patrons et les riches en 2017 sur les ruines de l’alternance gauche-droite, de la droite traditionnelle et du PS, tandis que l’extrême droite se nourrissait du rejet de ces partis sur le thème du « tous les mêmes et tous pourris ». Il a été élu au deuxième tour de la présidentielle en 2022 grâce au rejet de l’extrême droite, tandis que Mélenchon et LFI réussissaient à donner naissance à une nouvelle mouture, populiste, d’union de la gauche. Les partis traditionnels de droite et de gauche étaient devenus interchangeables au gouvernement, menant les mêmes politiques d’austérité au service de leurs commanditaires capitalistes, ce qui a conduit à leur effondrement, 4,78 % pour Pécresse de LR et 1,75 % pour Hidalgo du PS à la dernière élection présidentielle en 2022.

Le fond du problème, c’est qu’aucune politique qui reste dans le cadre des institutions bourgeoises, du système capitaliste, ne peut changer les choses. Le véritable pouvoir, celui des multinationales qui contrôlent l’économie, exige, pour leur propre survie, toujours plus de profits et de dépossession des travailleurs et de la population. La seule alternative possible aujourd’hui à ce système, c’est celle du monde du travail, de la jeunesse, des femmes, et la nouvelle société qu’ils portent. C’est cet affrontement qui se prépare.

L’émergence de la NUPES à l’initiative de LFI en est une expression déformée par les ambitions parlementaires de ses différents protagonistes. Son programme, respectueux du système qu’ils veulent seulement amender, nationaliste, les rattache au vieux monde et les enferme dans ses institutions. Au final, ils n’ont d’autre fonction que de canaliser la révolte vers les jeux parlementaires et les combats électoraux sans issue, de l’étouffer.

Limites des directions syndicales, extrême droite en embuscade

Les directions syndicales qui sont à la tête du mouvement, sans pouvoir s’y dérober jusqu’à présent, sont prisonnières de leurs propres limites, du dialogue social, autre forme d’institutionnalisation. Elles ne remettent pas en cause le système lui-même, elles voudraient seulement l’améliorer, le rendre plus humain, défendre leur place et leur rôle de partenaires sociaux, le dialogue social. D’ailleurs ne participent-elles pas en ce moment-même, en plein mouvement, à une concertation sur « le partage de la valeur » avec le patronat qui y refuse fermement toute idée d’augmentation des salaires ? Un dialogue de dupes !

Même si la CGT et Solidaires ne sont pas sur la même ligne, l’intersyndicale ne fait pas un lien explicite entre les grèves pour les salaires et le mouvement contre la réforme des retraites, pas question de montrer qu’il s’agit de lutter dans un cas comme dans l’autre contre une même offensive des groupes capitalistes et de leur gouvernement. On argumente sur les possibilités de financement des retraites, sur le terrain du gouvernement qui marchande des mesures qui coûteraient une petite dizaine de milliards alors que l’État a déversé des centaines de milliards dans les coffres des multinationales. Mais attention, nous dit-on, ce n’est pas la même chose, il y a les caisses de l’État d’un côté, et celle de la protection sociale d’un autre. Le « débat autour des milliardaires », il n’est pas « intéressant », déclarait Berger sur France 2 le 30 janvier.

Réforme des retraites et réforme de l’assurance-chômage sont dissociées au lieu de montrer qu’elles font partie d’une même offensive du Capital contre le Travail, comme aussi la privatisation rampante des services publics, de la Santé et de l’Éducation, le blocage des salaires, l’inflation elle-même et les attaques de Darmanin contre les travailleurs immigrés.

C’est cette absence de cohérence, ces programmes d’adaptation au système capitaliste qui permettent à l’extrême droite de gagner une large influence parmi les travailleur.es, de s’afficher comme opposante à Macron tout en semant sa démagogie xénophobe du « on est chez nous », désignant des boucs-émissaires, les étrangers pauvres, les Rroms, rendus coupables de toutes les nuisances.

L’enjeu du mouvement actuel est bien d’inverser le rapport de forces, de mettre un coup d’arrêt à l’offensive des classes possédantes et à leur propagande réactionnaire dont le RN est une des composantes, de faire triompher les intérêts collectifs, la solidarité entre travailleur·e·s quels que soient leur statut, leurs origines, leur nationalité.

Prenons la direction de nos luttes aujourd’hui pour diriger la société demain.

Contre l’offensive du Capital, s’affirme aujourd’hui potentiellement un parti du monde du travail, des dizaines de milliers de travailleur·e·s, de jeunes, de femmes qui combattent la réforme sur les retraites en étant conscients qu’imposer un recul à Macron aujourd’hui, c’est non seulement lui faire remballer sa réforme pourrie mais aussi créer les conditions pour reprendre l’offensive pour les salaires, le partage du travail entre toutes et tous, l’ensemble de nos conditions de vie.

Préparer l’affrontement, ne pas le craindre, c’est, en toutes circonstances, agir pour œuvrer à ce que le mouvement prenne conscience de sa force, de ses possibilités, qu’il s’organise démocratiquement. C’est nous toutes et tous qui faisons tourner la société, c’est notre travail qui enrichit une poignée de milliardaires parasitaires, nous pouvons diriger la marche des entreprises, de toute l’économie, la société toute entière, imposer le contrôle démocratique de la population, qu’elle s’érige elle-même en pouvoir.

La campagne militante pour généraliser la grève, faire plier Macron et le patronat, refuser les 64 ans, pour imposer une hausse générale des pensions et des salaires, contre le chômage et la précarité, l’exigence d’une autre répartition des richesses pose la question de comment on les produit. La bataille capital travail, c’est l’affrontement entre deux logiques de classe : celle de l’appropriation privée des richesses produites grâce à la propriété privée des moyens de les produire entre les mains d’une minorité capitaliste contre l’appropriation collective des richesses, leur partage grâce à la socialisation des moyens de les produire sous le contrôle des travailleur.es eux-mêmes.

L’immense succès des manifs de samedi, les semaines qui viennent ouvrent la possibilité de gagner une première manche dans cet affrontement et, aussi, de jeter les bases de la construction de l’outil dont nous avons besoin pour mener cet affrontement. La force, c’est notre nombre et notre place dans la société. L’exercer, c’est nous unir, nous unir en toute indépendance des institutions qui sont au service du pouvoir des classes dominantes, des riches.

Dans cette bataille pour que le monde du travail se donne sa propre organisation pour mener son combat de classe, pour conquérir la démocratie, pour le socialisme, le communisme, il est indispensable que toutes celles et ceux qui, dès aujourd’hui, partagent ces mêmes objectifs s’unissent, se rassemblent, prennent en main localement, partout où elles et ils sont la préparation de l’affrontement à venir.

Nous sommes des milliers, voire des dizaines de milliers à le penser, militant·e·s syndicaux, jeunes, travailleur·e·s et en premier lieu bien sûr les militant·e·s révolutionnaires. Mettons à profit la mobilisation du 16 février et les jours qui suivront pour nouer ou renouer des contacts, des discussions, populariser ensemble la grève, faire en sorte qu’elle démarre dans le maximum de secteurs et d’entreprises le 7 mars, qu’elle se généralise et se coordonne pour faire reculer Macron et commencer à mener la contre-offensive.

Galia Trépère

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