Lors du traditionnel « discours sur l’état de l’Union », à Washington, Biden, accueilli par une standing ovation, deux ans après le siège du Congrès par les insurgés fascistes de Trump, a promis de « finir le travail » pour rendre à l’Amérique sa fierté et sa prospérité. Il a tenu un discours qui se veut social et progressiste -« Je me suis présenté pour vraiment changer les choses, pour être certain que l’économie fonctionne pour tous »- afin de mieux faire passer sa politique agressive et militariste pour défendre le retour de l’Amérique à laquelle il veut redonner « fierté » et « confiance ». Il veut poursuivre le travail entamé par Trump en se gardant d’attiser les tensions sociales, raciales ou sur la question du droit à l’avortement tout en jouant de démagogie contre les milliardaires pour guérir « l’âme » de l’Amérique et « unifier le pays ». Un discours creux et plein d’hypocrisie pour tenter de faire accepter aux classes populaires le coût de la politique « America First », préparer l’opinion à l’escalade militariste du « leader du monde libre » pour perpétuer sa domination, celle de Wall Street et du Pentagone, et tenter de la justifier.

Ballon-espion à la dérive et politique de la tension pour militariser l’opinion

« Ne vous y trompez pas : comme nous l’avons dit clairement la semaine dernière, si la Chine menace notre souveraineté, nous agirons pour protéger notre pays » a déclaré Biden se justifiant des accusations d’avoir trop attendu avant d’autoriser l’armée de l’Air à abattre le dit ballon-espion. L’idée que le gouvernement chinois cherche à obtenir secrètement des informations vitales sur les armes nucléaires américaines au moyen d’un énorme ballon blanc clairement visible qui traverse lentement l’espace aérien américain, aussi stupide et ridicule qu’elle soit, a gagné l’opinion officielle américaine, colportée et argumentée, si on peut dire, par les politiciens comme par les médias. Trump a demandé immédiatement que ce qui n’était selon le ministère chinois des Affaires étrangères qu’un « dirigeable civil utilisé à des fins de recherche, principalement météorologiques », soit abattu et Biden, le 4 février, en a donné l’ordre à l’armée de l’air. Dans la foulée, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a annulé son voyage prévu en Chine.

Le gouvernement Biden, en collaboration avec le Parti républicain, a profité de l’occasion pour attiser la haine et la xénophobie anti-chinoises, conditionner l’opinion à accepter les plans américains de guerre avec la Chine présentée, alors que les États-Unis l’encerclent de missiles offensifs à quelques kilomètres de ses côtes, comme l’agresseur dans le conflit sino-américain.

Au cours de la semaine dernière, les USA ont annoncé un plan qui vise à installer des bases supplémentaires aux Philippines à partir desquelles ils pourraient lancer des attaques contre la Chine. Biden a également eu des discussions avec le premier ministre japonais Fumio Kishida sur la remilitarisation du pays en vue d’un conflit avec la Chine. Il a appelé à la création d’une « équipe de manœuvre de forces interarmées fortifiée, prête, intégrée et agile, prête à combattre et à gagner à l’intérieur de la première chaîne d’îles », faisant référence à Taïwan et à d’autres îles au large de la Chine.

Aujourd’hui, alors même que les États-Unis et les puissances de l’OTAN intensifient leur guerre par procuration avec la Russie en utilisant à leur propre fin la folie guerrière et grand-russe de Poutine, la classe dirigeante met en scène le conflit avec la Chine, une façon de donner le change en faisant passer l’escalade qui s’engage en Ukraine au second plan tout en justifiant une guerre impopulaire.

La guerre en Ukraine, pierre angulaire du redéploiement militariste de l’impérialisme occidental

Biden sans donner trop d’importance à l’implication des USA dans la guerre a assuré que les Etats-Unis soutiendront l’Ukraine « aussi longtemps qu’il le faudra » face à l’invasion russe, faisant applaudir l’ambassadrice de Kiev, présente en tribune, « Elle ne représente pas seulement sa nation, mais le courage de son peuple ». Avec l’Otan, les Etats-Unis « ont fait face à l’agression menée par Poutine et se sont tenus aux côtés du peuple ukrainien », « Un test pour l’Amérique. Un test pour le monde. Défendrions-nous les principes les plus fondamentaux ? […] Défendrons-nous le droit des peuples à vivre à l’abri de la tyrannie ? […] Oui, nous l’avons fait ». Et, pourrait rajouter Biden, nous avons ainsi réussi à faire l’union nationale au Congrès et à engager l’Europe à nos côtés pour prendre sa part de la défense de nos intérêts, accroître son budget militaire, s’engager dans la militarisation...

Et, un an après sa visite à Washington, quelques heures après le discours de Biden, le président ukrainien Zelensky s’est rendu à Londres, Paris et Bruxelles pour demander un soutien militaire renforcé, en particulier l’envoi d’avions de chasse alors que l’armée britannique a déjà pris en charge la formation de pilotes ukrainiens.

Biden a laissé Zelensky faire le job en direction des puissances européennes, pour, comme le demandait en son temps Trump, qu’elles portent leur part du fardeau dans la défense du « monde libre », c’est à dire celui des vieilles puissances impérialistes.

Réaffirmant la volonté de son pays de « gagner son adhésion dans une Europe qui gagne » et de « devenir membre de l’Union européenne », Zelensky a martelé « Si l’Ukraine tombe, c’est votre mode de vie qui disparaît. [...] Nous nous défendons contre la force la plus antieuropéenne du monde moderne ». « Nous nous défendons, nous vous défendons ! »

Chef de guerre devenu aussi directeur de conscience des politiciens occidentaux, il a plaidé pour renforcer l’aide militaire. « Je vous demande, à vous et au monde, des mots simples mais très importants : des avions de combat pour l’Ukraine, des ailes pour la liberté. »

Au cours des dernières semaines, à l’instigation de Washington, plusieurs puissances européennes ont commencé à envoyer des chars de combat en Ukraine, les États-Unis ont annoncé l’envoi de missiles de précision à longue portée capables de frapper profondément en territoire russe et des plans pour envoyer des avions de combat à Kiev.

« Notre victoire changera le monde » a proclamé Zelensky face aux parlementaires britanniques. Personne ne peut anticiper ce que serait une victoire de l’Ukraine, les conditions militaires ou diplomatiques qui la rendraient possible, mais une chose par contre est sûre, c’est qu’elle ne signifierait en rien une paix démocratique ni pour les peuples d’Ukraine ou de Russie, ni pour le monde. Il y a urgence à mettre fin à cette guerre mais pour cela il ne suffit pas de réclamer le retrait des troupes russes. Personne ne peut souhaiter une victoire de la Russie, mais aujourd’hui aucune condition permettant une éventuelle paix négociée n’est sur la table. Une victoire de l’Ukraine telle que la formule Zelensky s’adressant aux puissances impérialistes occidentales s’inscrirait dans un rapport de force géostratégique dont les enjeux sont à un autre niveau que la question de l’avenir du régime corrompu de Zelensky qui a vendu les intérêts des populations, des travailleurs d’Ukraine aux grandes puissances en guerre pour leurs intérêts et leur domination sur le monde.

Cette victoire ne pourrait résulter que d’une intervention à grande échelle des forces de l’Otan dont, jusqu’à présent, les USA ne veulent pas préférant laisser durer cette guerre sanglante et absurde tant que les tensions internationales ne les obligent pas à faire le pas dont ils savent qu’il déclencherait des enchaînements incontrôlables qui seraient une nouvelle étape vers la mondialisation de la guerre. La seule issue qu’ils n’envisagent pas, c’est une paix démocratique qui ne pourrait venir que de la fraternisation des travailleurs et des peuples.

« L’Otan économique » vers la mise en place d’une économie de guerre

« L’invasion de l’Ukraine par la Russie, écrit Claude Serfati, accélère la fragmentation géopolitique de l’économie mondiale qui a commencé à la fin des années 2000. Les pays occidentaux proposent la constitution d’un « Otan économique » et la relocalisation des activités de leurs groupes industriels dans les « pays amis ». La Chine est ciblée comme « rival systémique », à la fois adversaire géopolitique et économique. La proximité de la concurrence économique et des rivalités géopolitiques survient dans le contexte des crises multidimensionnelles qui frappent l’humanité. [...] Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, c’est la guerre qui impose sa loi dans les relations économiques internationales. Le monde est passé des guerres commerciales à la guerre tout court. Les conflits entre grands pays mobilisent aujourd’hui en même temps des moyens militaires et des instruments économiques. On peut donc, en transposant l’aphorisme énoncé par Carl von Clausewitz, observer que dans la situation actuelle, l’économie est la continuation de la guerre avec d’autres moyens. » [1]

L’offensive nationaliste et militariste de Biden est le complément d’un programme de guerre économique dirigé contre la Russie et la Chine qui, pour autant, ne ménage pas ses alliés de l’Otan ou en Asie. La politique « Made in America », « Buy American » et « la chaîne d’approvisionnement commence ici » flattent un nationalisme économique qui remet en cause les rapports nés de la mondialisation dont cependant les USA ne peuvent que difficilement s’extraire.

Et aujourd’hui, la réorganisation des chaînes d’approvisionnement engagée par les USA ne peut se limiter à un protectionnisme borné, elle doit intégrer les données des bouleversements accomplis à travers la mondialisation, les liens de dépendance économique qui se sont construits. Ainsi, la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a relancé la semaine dernière sa nouvelle doctrine commerciale mise en avant en avril 2022, Friend-Shoring, bâtir des chaînes d’approvisionnement solides avec les alliés des USA pour combattre l’inflation et empêcher des pays comme la Chine de faire pression sur l’approvisionnement en matières clés. « Travailler avec les alliés et partenaires à travers le Friend-Shoring est un élément important pour renforcer la résilience économique en soutenant le dynamisme et la croissance de la productivité qui viennent avec l’intégration économique », pour bâtir des chaînes d’approvisionnement stables afin de réduire la dépendance envers la Chine pour la fourniture de semi-conducteurs, batteries et autres produits industriels clés.

« Nous ne pouvons pas permettre aux pays comme la Chine d’utiliser leur position sur le marché des matières premières clés, des technologies ou des produits pour perturber notre économie ou exercer une influence géopolitique non souhaitée », en soulevant la nécessité de diminuer les risques de « surconcentration » des fournitures principales vers les « pays non fiables ».

La nouvelle stratégie commerciale américaine de la « relocalisation chez les pays amis » vise à créer un bloc de pays alignés derrière les Etats-Unis. « Favoriser le « friend-shoring » des chaînes d’approvisionnement à un grand nombre de pays en lesquels nous avons confiance, afin que nous puissions continuer à étendre en sécurité l’accès aux marchés, réduira les risques pour notre économie et pour nos partenaires commerciaux de confiance ».

Elle ignore l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Plus de vingt ans après son admission dans le club du libre-échange en 2001, la Chine a capté l’essentiel des chaînes de valeur mondiales. Les Etats-Unis ont donc largement tourné le dos à cette enceinte multilatérale pour rétablir un ordre commercial qui affirme leur prééminence et leur permette de faire face à une situation de conflit aigu voire de guerre.

Janet Yellen justifie cette démarche par l’agression de l’Ukraine. « Nous ne pouvons laisser à certains pays le pouvoir d’utiliser leurs parts de marché dans les matières premières, les technologies ou les produits clés pour bouleverser notre économie ou exercer un levier géopolitique contre notre gré ». Cela implique une remise en question des relations économiques avec la Chine et va de pair avec la nouvelle stratégie de sécurité nationale de l’administration Biden : s’imposer afin de rester la première puissance mondiale incontestable.

La guerre en Ukraine constitue le moment charnière dans cette fin de la mondialisation « libérale » et de la division du travail qui l’a caractérisée : la conception des produits dans les vieux pays impérialistes et leur production dans les pays à faible coût de main-d’œuvre. La logique de la concurrence mondialisée conduit à une remontée des protectionnismes et aux alliances économiques et militaires entre les pays qui « partagent les mêmes valeurs démocratiques » - en gros, les pays de l’Otan, le camp des vieilles puissances impérialistes contesté par les bouleversements des dernières décennies.

Contre la guerre économique et militaire, la solidarité et la coopération des travailleurs et des peuples

Cette réorganisation des chaînes d’approvisionnement en réponse aux intérêts et rivalités entre grandes puissances ne peut qu’accentuer les désordres économiques en cours, l’aggravation de la dette et de l’inflation dont les travailleurs et les peuples seront les premières victimes. Elle exacerbe nécessairement la concurrence donc les tensions internationales et les menaces de guerre.

Les milliardaires américains seront toujours plus nombreux et plus riches pendant que le Pentagone et les entreprises d’armement s’enrichissent avec l’argent des contribuables au prix d’une régression sociale qui nourrit les forces réactionnaires avec lesquelles Biden recherche l’alliance et qu’il renforce au nom de l’union nationale.

Une telle politique accentue le déclin américain, affaiblit son influence, importe le désordre mondialisé en son propre sein dans le même temps qu’elle l’aggrave au détriment des peuples mais aussi à son propre détriment. Les États-Unis sont engagés sur la voie de la régression globale, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur sans autre réponse que le protectionnisme, la guerre économique, la guerre sociale, le militarisme belliciste avec en conséquence la montée des forces réactionnaires, nationalistes, xénophobes et fascisantes auxquelles Trump a donné une forte impulsion.

L’attaque du 6 janvier contre le Capitole était un avertissement, la politique de Biden et des Démocrates, le parti de la guerre, prépare le terrain à une nouvelle offensive des Républicains pour tenter d’imposer une union nationaliste contre les travailleurs, les classes populaires au mépris des droits démocratiques, de ceux des minorités et des femmes.

La guerre en Ukraine et la mise en scène du conflit avec la Chine sont les signes d’une politique d’escalade agressive, antisociale et militariste que, derrière des propos doucereux et hypocrites, Biden met en œuvre.

Le capitalisme croyait avoir triomphé il y a trois décennies lorsque l’Union soviétique s’est effondrée. Les USA croyaient pouvoir dominer le Monde. La fin annoncée de l’histoire était un conte pour enfant, le triomphe du capitalisme financier mondialisé est une catastrophe pour les travailleurs, les peuples et la planète y compris au sein même de la première puissance mondiale sur la voie de la décadence.

L’ennemi est dans notre propre pays. La paix, la solidarité internationaliste, le bien-être, la démocratie, la justice ou l’égalité, l’émancipation de toutes et tous sont incompatibles avec le déclin sans fin du capitalisme. Ils se forgeront, aux USA comme ici, à travers la nécessaire intervention sociale et politique des opprimé.es et des exploité.es, leur mobilisation politique pour mettre fin aux rapports capitalistes d’exploitation et de domination pour établir le socialisme.

Yvan Lemaitre

 

[1] https://alencontre.org/laune/leconomie-une-continuation-de-la-guerre-avec-dautres-moyens-i.html

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