Jeudi dernier, Macron, en voyage officiel à Barcelone, pouvait bien afficher son mépris du monde du travail qui se levait contre lui, c’est une véritable lame de fond qui a déferlé sur le pays contre sa réforme. Plus d’un million de manifestant·es, reconnaît la police, 2 millions pour la CGT dont 400 000 à Paris, des cortèges dans toutes les villes, et dans les petites, la quasi-totalité de la population active, toutes les catégories du monde du travail dans la rue, salarié·es du public, salarié·es du privé, des usines, des services, du commerce, travailleur·es indépendants, artisans, chômeurs. La grève a été très suivie dans les raffineries, les secteurs des transports, de l’énergie, l’Éducation, la Santé, et un très grand nombre d’entreprises privées. Hier, c’était au tour des jeunes dont les associations appelaient à descendre dans la rue lors de la manifestation appelée aussi par LFI.

La révolte contre le recul de 62 à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite et contre l’augmentation du nombre d’annuités à 43 ans a cristallisé un mécontentement plus large, extrêmement profond qui confine à l’exaspération : la baisse des salaires réels et du niveau de vie à cause de l’inflation, l’intensification de l’exploitation dans toutes les entreprises, la dégradation accélérée des conditions de travail dans les services publics qui entraîne une véritable maltraitance pour les personnels et la population dans la Santé, l’Éducation, les services sociaux, et qui aboutit à des démissions en nombre interprétées doctement par les analystes comme un « changement du rapport au travail », la faillite des petits artisans ou des commerçants. Une violence sociale qui nourrit l’accaparement des richesses par une infime poignée de milliardaires. « Sur les 10 dernières années, en moyenne, indique le dernier rapport de l’Oxfam, pour 100 € de richesses créées en France, 35 € ont été captés par les 1 % des Français-e-s les plus riches, 32 € par les 9 % suivants. Les 50 % les plus précaires n’en ont capté que 8 € ».

Alors, oui, l’évidence s’impose, l’offensive contre les droits des travailleurs et de la population comme la réforme des retraites n’ont qu’un seul objectif, favoriser l’enrichissement du capital. Il faut y mettre un coup d’arrêt en faisant plier le gouvernement et le patronat pour leur imposer le retrait pur et simple de leur réforme.

« Le capitalisme à la retraite » ! (pancarte dans la manifestation parisienne)

L’enjeu de la bataille qui s’est engagée ne se limite pas à empêcher une nouvelle régression sociale. Elle participe de la bataille pour les salaires, contre le chômage, elle est un moment décisif pour changer le rapport de force entre les classes. Chacun le sait, si la réforme passe, elle sera suivie d’autres mauvais coups. Le capitalisme ne peut se maintenir qu’en générant de la régression sociale, et c’est sans fin. Les groupes capitalistes engrangent des profits faramineux mais ils en ont besoin de toujours plus sous peine d’effondrement de leur système. Ils ne peuvent réaliser de profits suffisants pour maintenir en marche la chaudière d’accumulation du capital qu’en dépossédant les travailleurs et les peuples, qu’en surexploitant et détruisant la nature et qu’en étant arrosés en permanence de subventions étatiques sous toutes les formes. L’État, exclusivement à leur service, ne peut satisfaire leurs besoins qu’en accentuant l’offensive contre les droits sociaux et contre toutes les dépenses publiques qui ne leur permettent pas de réaliser du profit, y compris celles qui financent la Santé ou l’éducation qu’il veut privatiser -et il a commencé à le faire- pour leur offrir de nouvelles sources de richesses à exploiter. C’est bien à cette offensive sociale et politique des classes dominantes qu’il s’agit de mettre un coup d’arrêt.

L’arrogance et le mépris de Macron contre le monde du travail fait le lit de l’extrême droite

Interrogé jeudi après-midi à Barcelone sur la mobilisation, Macron est resté droit dans ses bottes : « C'est une réforme qui a été démocratiquement présentée lors de l'élection présidentielle et des élections législatives. Elle a été étudiée avec les organisations syndicales et elle a été validée par le gouvernement. C'est une réforme juste et responsable ». Tout juste a-t-il concédé, grand prince, le droit de manifester !

La voilà leur démocratie, on vote et on en prend pour 5 ans d’un pouvoir hors contrôle soumis aux intérêts de l’aristocratie financière. Le gouvernement organise la concertation entre les « partenaires sociaux », représentants du patronat et des confédérations syndicales sur les « réformes » et nous n’aurions plus qu’à accepter les décisions du gouvernement favorables au patronat même si les syndicats ne sont pas d’accord, alors que c’est nous qui travaillons et nous qui en subissons les conséquences.

Les démagogues du Rassemblement national espèrent tirer les marrons du feu de la situation. Ils se disent opposés à la réforme et à Macron, contrairement à LR qui en soutient l’essentiel même si certains de ses députés menacent de ne pas la voter. Plutôt qu’un « relèvement de l’âge de départ de 62 à 64 ans », Bardella interviewé sur Cnews/Europe1/Les Echos a évoqué d’autres « pistes », comme « soutenir la natalité », « soutenir la productivité », « réindustrialiser », encourager « le patriotisme économique », ou « s’engager sur le long terme sur la suppression (…) des impôts de production ». Non seulement le RN est favorable à la retraite à 62, mais il reprend la fable gouvernementale des problèmes du financement des retraites et il propose de nouveaux cadeaux au patronat, la suppression complète des impôts de production. C’est la même arnaque que leur campagne pour une augmentation des salaires contre une diminution des cotisations sociales puisque non seulement cela ne coûterait rien aux patrons mais cela amputerait encore plus les budgets sociaux. Même chose pour leur pseudo-opposition à Macron.

Ils ne cachent pas leur haine des organisations ouvrières et parient sur leur discrédit si jamais Macron réussissait à imposer sa réforme pour apparaître comme le seul recours contre lui pour parvenir au pouvoir.

Ils y feraient la même politique puisqu’il s’agirait de servir les mêmes intérêts, ceux des capitalistes, et encore plus brutale que Macron. Marine Le Pen, du « principal parti d’opposition » comme ils aiment à le dire, se projette dans le scénario d’une crise politique, d’un échec du gouvernement et d’une dissolution de l’Assemblée nationale dont elle tirerait le bénéfice.

L’enjeu de la lutte engagée, c’est de changer le rapport de force politique non seulement contre ceux qui, aujourd’hui, servent la bourgeoisie mais aussi contre tous ceux qui aspirent à la servir, en premier lieu l’extrême droite.

Ni négociation ou dialogue social ni jeux parlementaires, retrait !

Les directions syndicales qui se sont réunies en intersyndicale le soir du 19 ont pris acte de l’ampleur des grèves et des manifestations dans leur communiqué intitulé : « Une puissante mobilisation qui oblige au retrait ». Elles font état du rejet de la réforme « par 9 travailleuses et travailleurs sur 10 », appellent « les salarié.es et les jeunes à préparer des assemblées générales pour discuter de la poursuite des mobilisations ». Elles rendent le gouvernement responsable du blocage éventuel du pays et appellent à une prochaine journée de mobilisation interprofessionnelle le 31 janvier prochain.

Pour l’instant le gouvernement apparaît comme ne voulant faire aucune concession mais il pourrait bien y être contraint devant l’approfondissement et le renforcement de la mobilisation et il est probable que certains dirigeants syndicaux seront tentés d’y répondre favorablement pour ne pas rompre le dialogue social. C’est pourquoi nous ne pouvons laisser la direction de la lutte aux appareils, bien trop soucieux de maintenir leurs relations de partenaires sociaux avec le patronat et le gouvernement. C’est le retrait pur et simple de la réforme que nous voulons.

Quant à la gauche, c’est bien elle qui avait été à l’initiative des premières attaques contre les retraites, avec le Livre blanc de Michel Rocard, ministre socialiste de Mitterrand, en 1991 qui a débouché sur la loi Balladur en 1993 contre les retraites du privé. Pour les gouvernements de gauche qui ont suivi, Jospin en 2002, Hollande en 2012, il n’a jamais été question, autrement que dans des promesses électorales, de revenir sur les mesures réactionnaires que la droite avait fait passer. C’est même sous le gouvernement Hollande que la réforme Touraine a imposé le passage à 43 annuités pour l’obtention du taux plein. La bataille d’amendements que promet de mener la Nupes à l’Assemblée s’inscrit dans cette politique respectueuse du système, incapable de rompre avec sa raison d’être, le jeu parlementaire.

Le retrait, première étape de notre contre-offensive

Ce qui est en route aujourd’hui, c’est une mobilisation profonde, des initiatives des travailleurs, des jeunes, des équipes militantes, des discussions sur les lieux de travail et d’études, des débats en assemblées générales, des actions décidées démocratiquement. Le 23 janvier, lundi, le gouvernement présente sa réforme en conseil des ministres, des mobilisations et des appels à la grève auront lieu. Les raffineurs ont annoncé des appels à la grève dans leur secteur le 26 janvier pour 48 heures -et le 6 février, jour de l’ouverture du débat à l’Assemblée, pour 72 heures. L’enjeu dans les jours qui viennent est de renforcer la mobilisation pour que le 31 janvier soit plus massif encore que le 19, qu’il soit le point de départ de grèves reconductibles et que les travailleurs, la population, se convainquent de la possibilité de gagner cette bataille, d’imposer le retrait.

Nul doute qu’il y aura de nombreuses manœuvres de la part du pouvoir, de Macron et des partis de droite dont il recherche l’alliance pour faire voter sa loi, des dirigeants syndicaux avec qui son gouvernement tentera de marchander la négociation de sa réforme.

Il n’y a rien à céder. Le gouvernement ose parler de justice et d’équité, il allonge à 44 ans la durée de cotisation des salarié·es ayant des carrières longues, il ose s’en prendre aux prétendus privilèges des régimes spéciaux, mais ce ne sont pas les travailleurs dont beaucoup connaissent la pénibilité du travail, les astreintes, le travail de nuit et le week-end, les coupures en pleine journée, qui verront des privilèges dans des départs à la retraite anticipés, le plus souvent d’ailleurs compromis par le nombre d’annuités nécessaire à un taux plein, quand les vrais privilèges, ceux des milliardaires ,s’étalent à la vue de tout le monde. Quand également Macron annonce une augmentation des dépenses militaires de 100 milliards d’euros sur les années 2024 à 2030, ce qui aura pour effet de porter le budget de l’armée de 43,9 milliards d’euros en 2023 à 57 milliards en moyenne sur ces années-là.

Diriger nos luttes aujourd’hui, l’ensemble de la société demain

Pour déjouer les manœuvres et les pièges politiques qui sont devant nous, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, notre organisation démocratique, notre indépendance politique vis-à-vis des appareils et des institutions. Oui, c’est nous qui travaillons, c’est nous qui décidons.

Nous pouvons l’emporter si nous prenons nos luttes en main, ce sera le meilleur moyen de les rendre contagieuses tellement la démocratie de la lutte est attirante, irrésistible. Nous pouvons leur faire peur au point qu’ils soient contraints de reculer.

Nous organiser aujourd’hui pour la lutte contre cette réforme, et au-delà pour l’abrogation de toutes les réformes sur les retraites depuis 1993, pour l’augmentation des salaires et des pensions, des minimas sociaux, c’est postuler dès maintenant à diriger, collectivement, démocratiquement, demain, la société au service des intérêts de toutes et tous et non d’une minorité parasite.

Les travailleurs, parce qu’ils font déjà tourner l’ensemble de la société sans privilèges, parce que ce sont eux qui organisent la production de toutes les richesses, leur distribution, tous les services, collectivement, sans exploiter personne, peuvent imposer leur volonté à Macron and Co et, demain, construire un autre monde.

Galia Trépère

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