Alors que le gouvernement entretient un climat de peur en brandissant la menace de coupures d’électricité, lundi 5 décembre s’est ouvert le débat parlementaire sur le projet de loi visant à accélérer la production d’énergies renouvelables. Il y a urgence ! L’Etat français, déjà condamné pour son retard en matière de lutte contre le réchauffement climatique, est aussi mis à l’amende de 500 millions d’euros par l’UE pour ne pas avoir atteint ses objectifs en 2020 de 23,7 % de part d’énergie renouvelable dans la consommation globale d’énergie.
Cela n’empêche pas Macron de multiplier les annonces qui, derrière le bluff, indiquent bien la direction : « La France doit être la première nation à sortir des énergies fossiles avant 2050 », a-t-il déclaré la veille. « Investir, simplifier les règles et accélérer les projets, car, au fond, la clé, sur le climat comme sur l’attractivité, c’est la vitesse. »... Vitesse pour offrir cette manne des énergies renouvelables aux industriels du secteur !
Or, si entre deux recours au 49-3, le gouvernement a pu parfois compter sur le soutien de la droite voire du Rassemblement national pour faire adopter ses textes, cette fois devant leur hostilité, il a impérativement besoin pour ce projet de loi du soutien ou au moins de la neutralité des différentes composantes de la Nupes, de la FI, du PCF, du PS et des écologistes.
C’est la fameuse « méthode Borne », trouver des majorités textes par texte et si cela ne fonctionne pas faire passer en force avec le 49-3 ! Illustration du jeu de dupe que constitue le théâtre parlementaire et dans lequel se sont aussitôt engouffrés avec plus ou moins d’enthousiasme les députés des différentes composantes de la Nupes... avec l’illusion que leur heure était enfin venue de peser dans les débats !
Le « crétinisme parlementaire » ou l’illusion du rapport de force parlementaire
« C’est la première fois qu’il y a un texte où la majorité ne peut pas construire avec la droite (...) Le gouvernement n’a pas le choix, il est obligé de faire avec nous s’il veut que sa loi soit adoptée », s’est ainsi réjoui le député écologiste Charles Fournier ! « Si pour une fois on peut obtenir des gains, on ira les chercher. » a rajouté la présidente du groupe écologiste, Cyrielle Chatelain. « On a eu de véritables discussions, on n’est pas habitués, ça fait tout drôle », s’est de son côté ingénument étonné le député socialiste Dominique Potier. « On a eu la possibilité de confronter nos points de vue, les relations ont été moins désagréables que d’habitude », a reconnu Clémence Guetté, députée FI avec « de nombreuses victoires en commission » !
Et effectivement depuis plusieurs mois, le gouvernement a multiplié les gestes en direction de la Nupes, rencontres, déjeuners de travail au ministère de l’écologie, intégration en commission de plusieurs amendements avant même l’ouverture du débat... La ministre de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher « a co-construit le texte en amont avec la gauche et les écologistes, et les échanges ont été très courtois », s’est ainsi félicité le député Pierre Cazeneuve, rapporteur du projet de loi pour le gouvernement.
Derrière le ridicule de ces gesticulations parlementaires, il y a la politique d’un gouvernement qui face à la faillite globale du système capitaliste dont la crise climatique, la crise énergétique sont des manifestations, poursuit son offensive de dérégulation, d’aide financière pour les multinationales de l’énergie. Une réalité qui, à moins d’être atteint et aveuglé par le crétinisme parlementaire, tourne le dos à toute véritable politique globale pour faire face aux enjeux du réchauffement climatique...
« La force du marxisme, c'est qu'il sait voir la réalité. « Crétinisme parlementaire », dans la bouche d'un marxiste, n'est pas une injure, mais la caractéristique d'un système politique qui substitue, à la réalité sociale des constructions juridiques et morales, un rituel, des phrases décoratives. » constatait Léon Trotsky en 1933 [1]
Une loi d’« accélération » des énergies renouvelables au service des multinationales
Le contenu du projet gouvernemental ne laisse pas de doute. Derrière les discours consensuels sur la transition écologique, il ne vise qu’à déréguler encore plus le marché de l’énergie en offrant aux promoteurs privés le juteux pactole des énergies renouvelables.
Il prévoit ainsi de « diviser par deux » les délais pour le déploiement des projets de parc d’éoliennes ou de panneaux solaires, portés par des groupes privés... en limitant les possibilités de recours juridiques, ce qui fait craindre qu’il s’agisse surtout d’assouplir les réglementations protectrices de l’environnement souvent malmenées par le gigantisme de certains projets. Le projet prévoit aussi, au nom du « partage de la valeur », d’accorder un dédommagement pour le « préjudice » subi par les riverains des parcs d’éoliennes et des facilités pour développer les éoliennes offshores ou l’installation de panneaux solaires sur les parkings de supermarché ou, avec l’agrivoltaïsme, sur des terres agricoles.
Bref autant de mesures qui relèvent plus du clientélisme et d’avantages donnés aux entreprises privées... que d’une politique publique, ambitieuse, qui fasse passer l’intérêt collectif avant les intérêts privés pour limiter le réchauffement climatique et se préparer aux catastrophes qu’il entraîne déjà. La prétendue « planification écologique » du gouvernement Macron reste en réalité inféodée aux logiques du marché et aux intérêts de multinationales qui sont surtout attirées par un effet d’aubaine.
En effet, depuis une vingtaine d’années, l’Etat a contribué aux financements des industriels des énergies renouvelables pour un montant de près de 43 milliards d’euros, notamment à travers des contrats garantis : l’Etat s’engageant à les soutenir financièrement si le prix du marché était inférieur au coût de production... ce qui a été le cas jusqu’en 2021.
Avec l’envolée du prix de l’énergie, le secteur est devenu plus que rentable... En conséquence, une partie de ces industriels, plus attirés par l’aubaine de l’argent public que par les enjeux de la transition écologique, ont dénoncé ces contrats garantis qui les obligeaient maintenant à verser aux finances publiques l’argent perçu en vendant leur électricité au plus haut (6 à 7 milliards d’euros échapperaient ainsi aux finances publiques en 2023, selon la Commission de Régulation de l’Énergie).
Face à ce projet taillé sur mesure pour les intérêts des entreprises privés, les députés de la LFI hésitent entre voter contre et s’abstenir, ce qui permettrait au gouvernement de le faire passer. Aurélie Trouvé, pour la LFI, regrette qu’il fasse la part belle « au libre marché » et aux « grosses entreprises privées » en ne visant qu’à « retirer les barrières pour les entreprises qui veulent investir » pour conclure tout en euphémisme : « Si c’est pour qu’on s’assoie sur la participation du secteur public et sur le droit de l’environnement, ce serait un développement dangereux » ...
Plus qu’un « développement dangereux » ce ne sera que la poursuite de toutes ces politiques que mènent les Etats et qui de conférences pour le climat en « planification écologique » ou en « green New Deal » ne font et ne feront jamais que défendre les intérêts des multinationales, à grand renfort de fonds publics, tout en leur permettant de continuer à faire du profit en exploitant les populations, en pillant les richesses naturelles, en ravageant l’environnement.
Il n’y a rien à attendre de ces partis qui restent prisonniers du cadre institutionnel. Car ce n’est qu’en rupture avec l’ordre social actuel, en prenant directement, collectivement, le contrôle de la marche de la société pour imposer d’autres choix sociaux que l’ensemble de la production et des échanges pourra être réorganisé, géré rationnellement, y compris en ce qui concerne le choix des sources d’énergie, dans le cadre d’une planification démocratique au service de la satisfaction des besoins de tous et en tenant compte des limites de notre environnement.
Bruno Bajou
[1] https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1933/06/lt19330613.htm