Samedi, après avoir interdit la manifestation, le gouvernement a fait charger 1 500 gendarmes face aux 4 000 manifestants opposés au chantier de méga-bassine à Sainte-Soline sans réussir le moins du monde à empêcher la mobilisation qui s’est poursuivie aujourd’hui dimanche. Un pouvoir au service de l’agro-business, mais sa réponse montre aussi sa fébrilité face à toute contestation qui pourrait faire tache d’huile dans la situation actuelle.
En quelques jours, le gouvernement a dû dégainer trois fois le 49.3 pour faire passer sa loi de finance et celle de la Sécurité Sociale. Un aveu de faiblesse, même si le pouvoir peut compter sur la mécanique bien huilée de ces institutions au service des plus riches pour poursuivre sa politique de subvention des profits « quoi qu’il en coûte ».
Le budget 2023 prévoit ainsi la réduction de moitié de la CVAE, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, qui a remplacé en partie la taxe professionnelle. Celle-ci doit même totalement disparaître en 2024, soit un cadeau de 8 milliards pour le patronat ! Il rajoute aussi 3,5 milliards d’aides pour les entreprises embauchant en contrat d’apprentissage, une façon de fournir au patronat des jeunes payés au rabais dans le cadre des attaques contre les lycées professionnels. Il prévoit également 12 milliards d’aides aux entreprises pour leur facture énergétique, alors que le bouclier tarifaire des ménages va se détériorer au 1er janvier en permettant des augmentations de 15 % des factures de gaz et d’électricité.
Quant à la Sécurité sociale, le gouvernement prévoit un objectif de 7,2 milliards de déficit contre… 17,8 milliards cette année. Il compte sur une forte diminution des dépenses liées au Covid et… sur la lutte contre les « abus » des arrêts maladie. Une démagogie qui ne peut cacher que ce budget signifie une cure d’austérité dans un secteur de la santé déjà dévasté, avec des services d’urgence qui continuent à fermer et alors que le plan blanc vient d’être déclenché dans tous les établissements de santé en Gironde et en pédiatrie à Rouen, au Havre, Mayotte…, plan qui permet des mesures « d’exception » telles que le rappel des retraités, la suppression de congés, des déprogrammations de soins ou d’interventions.
7 000 soignants de pédiatrie ont paraphé la lettre ouverte publiée la semaine dernière et dénonçant le manque critique de moyens face à l’épidémie de bronchiolite, les obligeant à trier les patients par manque de place. « Santé des enfants : l’inaction politique est irresponsable » écrivaient-ils. En réponse, le gouvernement a annoncé un « plan d’urgence » de… 150 millions d’euros ! Une provocation, quand au même moment le PSG met sur la table 630 millions pour conserver le footballeur Mbappé…
Une mascarade parlementaire qui profite aux forces réactionnaires
Face au recours aux 49.3, la Nupes a mis au vote lundi une motion de censure ne formulant aucun sujet de désaccord ni avec la droite, ni avec l’extrême-droite, dans le but de « faire tomber » le gouvernement. Le RN a également mis au vote la sienne, tout en votant le texte de la Nupes, rédigé « en des termes acceptables » d’après Le Pen.
Non seulement cette mascarade parlementaire n’avait aucune chance d’aboutir, mais elle ne fait qu’entretenir ambiguïtés et confusions, qui au final profitent aux forces les plus réactionnaires.
Mathilde Panot s’est félicitée du vote du RN en déclarant : « Cinquante voix. C’est ce qu’il aura manqué pour censurer la Macronie. Qu’ils se le tiennent pour dit, leur gouvernement ne tient qu’à un fil ». Corbière s’est enthousiasmé : « Une majorité alternative existe, c’est le peuple ! Nous sommes prêts à gouverner. Rappelez le peuple aux urnes, c’est à lui de décider ». Quant à Mélenchon, il se voit déjà prêt à gouverner : « La droite sauve le gouvernement de justesse. Il manquait 50 voix pour éjecter le gouvernement. Nous sommes prêts pour la relève ».
Comme si le pouvoir avait tremblé et surtout, comme si la question du poids de l’extrême-droite dans le vote de cette motion ne se posait pas. Quel aveuglement de LFI dans sa logique populiste, cherchant à occuper la posture de premier opposant à Macron dans le cadre même de ces jeux parlementaires et de ces institutions qu’ils respectent !
Une politique qui au final profite au RN qui peut faire pression sur la droite. « Désormais, il n’y a plus aucun doute, Les Républicains sont les alliés d’Emmanuel Macron », a déclaré Le Pen. Une droite qui répond par la surenchère réactionnaire à l’image des propos d’Olivier Marleix, le président du groupe LR : « Des majorités sont possibles dans cet Hémicycle » en citant « l’immigration, la sécurité et l’autorité de l’Etat ».
Une opportunité pour Macron qui tente de reprendre la main en dénonçant les manœuvres parlementaires et en posant au seul chef possible : « Il n’y a pas, ni aujourd’hui ni demain dans notre pays, une majorité alternative » !
Mercredi soir, il a déroulé le programme de son offensive. Pas question d’indexer les salaires sur les prix au nom de la fameuse « boucle prix-salaires », alors que la seule chose que « l’on n’arrête plus », c’est la boucle « prix-profits » alimentée par les capitalistes. Sur les retraites, il réaffirme qu’il veut imposer la retraite à 65 ans… ou à 64 ans si les « partenaires sociaux » viennent négocier un allongement de durée de cotisation. Travailler plus pour continuer à subventionner cette machine à profits, ce capitalisme de prédation !
S’adressant à la droite, il lance cette offensive au nom « du mérite, de l’ordre, du travail » en annonçant un débat sur l’immigration dès début 2023. Un débat « avec nuance » mais avec « le sens de la vérité » déclare-t-il, en reprenant à son compte l’amalgame entre immigration illégale et délinquance ! « Nuance » partagée par Darmanin qui veut « rendre impossible la vie des OQTF en France » en affirmant qu’ils bénéficieraient de « logements sociaux »… Un mensonge crasse dans le prolongement de la campagne raciste sur le meurtre de la petite Lola.
Face à cette offensive il n’y a rien à attendre des jeux parlementaires, ni de la politique de la formule visant à « renverser » Macron pour mettre Mélenchon 1er ministre. La démagogie de la gauche populiste reste sur le terrain du nationalisme, de la République et des institutions.
C’est le rapport de force qu’il faut changer, pour leur faire peur par l’intervention consciente et démocratique des masses, et pour cela être prêt à chasser les classes dominantes parasitaires, leur contester ce pouvoir qu’elles détiennent sur toute la société.
S’organiser par en bas, prendre en main nos luttes pour les faire converger
Face à l’inflation, de nombreuses grèves ont éclaté pour l’augmentation des salaires, et bien souvent en obtenant des succès. Bien plus en tous les cas que le « dialogue social » cher aux directions syndicales, à la CFDT en particulier.
Son dirigeant n’hésite pas à reprendre à son compte la campagne du gouvernement et des médias contre la CGT des raffineries, en affirmant que sans la grève, la CFDT aurait obtenu le même résultat : « quand je vois 300 grévistes vouloir décider pour 14 000 salariés, je n’appelle pas cela de la démocratie. On a le droit de ne pas être d’accord, mais le fait majoritaire doit s’imposer » !
C’est bien la démocratie de la lutte qui a commencé à changer la donne et qui doit s’imposer, en rompant avec ce « dialogue social » et ces appareils qui ne visent qu’à museler la contestation et la colère qui s’expriment aujourd’hui.
Quant à la direction de la CGT, si elle a pris l’initiative des grèves dans les raffineries, elle ne cherche pas non plus à étendre l’affrontement. Après le 18 octobre, la journée du 27 octobre, appelée du bout des lèvres par la CGT seule, a regroupé 7 fois moins de participants. Rien d’étonnant, tant cette journée obéissait plus à des préoccupations d’appareil, d’élections professionnelles et de congrès qu’aux intérêts du mouvement.
Ce bluff de la direction de la CGT est significatif de sa politique, qui même lorsqu’elle appelle à la mobilisation, cherche à rester dans le cadre même du « dialogue social » et des institutions. Une politique vouée à l’impuissance face à l’offensive en cours, alors même que les luttes se multiplient sur les salaires.
Parmi elles, dans la foulée du 18 octobre, une grève d’une centaine de travailleurs a éclaté à Airbus Toulouse, à l’initiative de jeunes salariés les plus mal payés, qui ont sollicité les militants de la CGT pour les aider. Ils réclament 10 % d’augmentation et ont fait le tour d’autres secteurs pour essayer de répandre leur grève, prenant des contacts pour la suite de la lutte, tissant des liens à la base.
Des grèves ont éclaté à Enedis en Seine-St-Denis pour 10 % de hausse de salaires, chez Blanc Aero Industries en Aveyron pour 220 € pour tous, à Geodis Gennevilliers pour 150 € pour tous et une revalorisation des primes alors que le groupe vient d’augmenter son chiffre d’affaires de 28 % sur un an. A Bordeaux, une grève sur les salaires et pour les embauches vient d’éclater à la clinique du Tondu.
Les questions de l’augmentation générale des salaires, de l’échelle mobile face à l’inflation sont posées par ces grèves, où des travailleur.es, syndiqué.es ou non, prennent des initiatives, cherchent à s’organiser sans attendre les mots d’ordre venant des directions syndicales. C’est bien cette organisation à la base qu’il s’agit de renforcer, car c’est elle que les patrons comme le gouvernement craignent.
Développer une politique en ce sens signifie regrouper les forces des militant.es, des travailleur.es, qui rompent avec cette inertie des directions syndicales bien trop moulées dans le « dialogue social ». Cela signifie dépasser nos divisions, en particulier au sein du mouvement révolutionnaire, en étant capable de développer une politique pour construire des réseaux militants, capables d’intervenir en toute indépendance des appareils dans les journées d’action, les luttes à venir ou en cours.
Des réseaux pour que les travailleurs prennent leurs luttes en main, démocratiquement, en mettant en œuvre eux-mêmes une politique de convergence de leurs grèves pour affronter l’offensive du patronat et du gouvernement.
Laurent Delage