Xi Jinping a organisé sa réélection à la tête de l’État chinois par le XX° congrès du Parti communiste, concentrant tous les pouvoirs, ou presque, au nom de la « sécurité nationale... fondement du renouveau de la nation ».

De nombreux médias et dirigeants, à commencer par Biden, ont beau jeu de dénoncer la dictature pour alimenter la campagne contre « la menace chinoise », fauteuse de crise et porteuse d'un danger de guerre à Taïwan. Cette campagne agressive leur sert à camoufler la responsabilité des vieilles puissances dans les surenchères guerrières et la logique destructrice du capitalisme mondialisé. Une campagne qui prépare l'opinion à l'aggravation des tensions.

Dans cette situation, et au-delà de la volonté personnelle du tyran, le renforcement de la dictature est la réponse des classes dominantes chinoises qui se préparent elles-aussi. Xi Jinping a annoncé au congrès « les rudes épreuves qui se succéderont, telles des tempêtes, voire des ouragans »...

Derrière l’étiquette usurpée et mensongère d’État « communiste », l’atelier du monde, devenu la deuxième puissance capitaliste mondiale, est confronté à des contradictions insolubles, provoquées par la récession, la concurrence exacerbée des USA et de l’UE, et plus globalement les limites du capitalisme, sans possibilités d’extension à la mesure de la soif de profits et de domination des classes dominantes. Faisant partie des principaux créanciers de la finance mondiale, la Chine est particulièrement menacée par la crise de la dette et les krachs financiers. Subissant et aggravant la crise environnementale, elle fait face aussi à la pression agressive et aux logiques guerrières des USA et de leurs alliés, l’UE, l’Australie, le Japon... Les tempêtes ont déjà commencé.

Cette crise sans précédent entraîne un durcissement de la concurrence mondiale, qui se répercute sur les prolétaires de tous les pays. L’aggravation brutale de l’exploitation et des politiques répressives provoque colère, grèves, révoltes, insurrections dans de nombreux pays, y compris en Chine.

Culte du chef et pouvoir personnel uniques depuis Mao, le bonapartisme dictatorial de Xi Jinping et de sa clique naît des tempêtes et des ouragans annoncés, en jouant des contradictions entre le nouveau capitalisme chinois et les vieilles puissances impérialistes. Il sert la finance tout en flattant le nationalisme contre la menace de révolution. Plus il concentre de pouvoir, plus il s’élève au-dessus des masses, plus il se fragilise, souligne son imposture et se met lui-même en danger au risque de devenir… « un tigre de papier »...

Un Congrès en temps de crise ou le nouveau grand timonier...

Les tensions au sommet du PCC sont apparues à travers des images... contrôlées par l’État, comme la mise en scène de l’éviction de l’ancien président, Hu Jintao, pour signifier qu’il est vain de contester Xi.

Ce dernier a placé davantage d’hommes à sa main, après avoir modifié la constitution en 2018 pour s’offrir son troisième mandat, voire un pouvoir à vie. Mais si l’autocrate a étouffé les tensions au sommet, il n’a pas le pouvoir de les faire disparaître. Elles témoignent des oppositions au sein de la classe dominante, luttes de pouvoir et de cliques plus que réels désaccords sur la politique à mener face à une crise inédite.

L’Etat chinois, ni communiste ni au service du peuple, compose avec son origine issue d’une révolution populaire nationaliste pour servir les intérêts des classes dominantes chinoises qui se sont développées depuis quelques décennies à l’ombre de l’Etat et se font de plus en plus entendre.

Nombre de grands patrons ont critiqué la politique de Xi face à l’épidémie de Covid, notamment le retour des mesures de confinement encore récemment dans les plus grandes villes industrielles comme Shanghai et Shenzhen, qui ont aggravé le ralentissement de l’économie chinoise.

Cette politique a été contestée au sein des classes populaires, frappées durement par le confinement et les ruptures alimentaires. A Shenzhen, quelques dizaines de personnes ont osé manifester publiquement dans la rue. A Pékin, le jour de l’ouverture du congrès, deux banderoles ont été accrochées sur un pont, disant « je ne veux pas de test PCR, je veux pouvoir manger » et dénonçant « le dictateur et traître Xi Jinping ».

Face à la contestation, le PCC persiste et signe. Xi a prétendu avoir « protégé au plus haut point la sécurité et la santé du peuple ». Ces discours, dont l’écoute est imposée dans nombre d’entreprises, ne peuvent qu’accroître la colère. Mais l’autocrate ne peut se dédire sans s’affaiblir.

Sur un autre plan, l’an dernier, une joueuse de tennis avait osé accuser publiquement de viol le vice premier ministre. La réponse de Xi, dont le bureau politique ne compte aucune femme et affiche un masculinisme provocateur, a été de faire siéger le violeur au premier rang du congrès.

Face à la haine du pouvoir qui grandit, Xi répond par les dérivatifs de nombre de dirigeants : discours sécuritaire, nationalisme, grandeur de la patrie, militarisme... et lutte contre la corruption. De nombreux hauts fonctionnaires ont été poursuivis, petits cadres et ex-ministres, près de 1,5 millions de condamnés ces derniers mois. Il s’agit aussi d’un moyen de contrôle du pouvoir central sur un « parti » de plus de 90 millions de membres, qui lui sert de relais pour encadrer toute la société, en plus des forces de répression.

Des contradictions insolubles

Si la Chine n’est plus simplement l’atelier du monde, dont les esclaves salariés étaient les soutiers de la mondialisation financière, elle reste dépendante de l’économie mondiale. Elle est percutée de plein fouet par la stagnation en train de devenir récession. L’Etat a beau fixer annuellement un taux de croissance du PIB à atteindre, le marché reste plus fort que le Parti... Officiellement, il y a eu 3,9 % de croissance sur le dernier trimestre, sans doute moins. Pour 2022, la Banque mondiale estime la croissance à 2,9 %, contre les 5,5 % fixés par l’Etat... bien loin des taux très élevés qui se sont effondrés depuis la crise mondiale de 2008-2009.

Pour relancer l’économie et être moins dépendant de la concurrence internationale, l’Etat a développé depuis une dizaine d’années le marché intérieur. Il s’est appuyé sur l’immobilier, poussant les ménages à s’endetter pour acheter, et finançant des sociétés géantes du bâtiment, y compris en ouvrant leur capital à la finance mondiale. Mais ce qui devait être une solution à la crise et à la dépendance au marché mondial s’est retourné en son contraire. Ce secteur est frappé par une spéculation folle sur les biens, l’endettement a dû être freiné par l’Etat, provoquant en retour une chute des ventes de 60 % sur un an, et à la clé, la faillite de plusieurs sociétés. Pour empêcher l’effondrement, les pouvoirs locaux se sont endettés à leur tour, après avoir spéculé. L’échec du pouvoir est cuisant, le secteur représentant au total près de 30 % du PIB (construction, matériaux, et ameublement).

Comme toutes les économies capitalistes, l’économie chinoise est prisonnière de la contradiction venant de l’appropriation privée des profits sur le dos de la production collective des richesses, d’autant plus aiguë que la croissance ralentit, voire stagne. Une minorité s’enrichit très rapidement, il y a plus de 1000 milliardaires en dollars et quatre millions de millionnaires. Le PCC prétend avoir « éradiqué la pauvreté absolue », mais des centaines de millions de travailleurs restent très pauvres et le chômage progresse. Il a atteint près de 20 % cet été chez les jeunes qui tweetent « recevoir son diplôme, c’est devenir chômeur ! ». 300 millions de travailleurs des campagnes, relégués au statut de migrants dans leur propre pays, sont parmi les plus frappés.

Le pays est percuté aussi par la crise mondiale de l’énergie, une hausse des coûts qui échappe à l’Etat. Celui-ci aggrave la crise climatique en relançant des centrales à charbon. Le réchauffement provoque également une crise de l’eau, obligeant à construire des infrastructures pour répartir l’eau vers des régions à sec, alors qu’une étude du gouvernement constate que 80 % des eaux souterraines seraient polluées.

Tous ces éléments se conjuguent dans une crise globale insoluble, un ralentissement de l’économie qui est lié aussi à la concurrence et aux sanctions économiques des USA.

L’État chinois face à la concurrence internationale et à l’agressivité des USA

Ces problèmes « intérieurs » sont indissociables de la situation mondiale, tant les économies sont imbriquées. Les classes dominantes, leur Etat, n'ont pas d'autre choix que de mener bataille dans l’arène internationale face aux autres puissances.

Il doit répondre aux sanctions économiques engagées par Trump et poursuivies par Biden. Ce dernier vient de décider d’interdire l’exportation vers la Chine de semi-conducteurs perfectionnés, pour la priver d’avancées importantes. Le gouvernement US veut favoriser la production taïwanaise et relancer une production sur son territoire. L’Etat chinois prend le contrôle sur les « terres rares » indispensables à leur production, et veut développer lui-aussi la sienne. Ces décisions s’accompagnent de déclarations nationalistes des deux côtés, visant à embrigader les populations. La logique folle de la concurrence est en marche, excitée par le rétrécissement des marchés et la rupture des chaînes de production lors de la pandémie, les réorganisations en cours en fonction des stratégies militaires en cas de guerre.

Cette compétition entre capitaux se poursuit sur le terrain du militarisme, par la course aux armements, les démonstrations de puissance, le déploiement de forces armées.

L’administration US se fait particulièrement provocante. Depuis cet été, son armée a mené plusieurs opérations « liberté de navigation », des patrouilles de navires de guerre dans le détroit de Taïwan. Nancy Pelosi, puis une délégation du congrès, ont rencontré des dirigeants taïwanais, alors qu’officiellement, seule la Chine de Pékin était reconnue par les USA depuis 1979. Biden vient de promettre pour 1,1 milliards d’armes à Taïwan et a promis l’envoi de son armée en cas « d’attaque sans précédent » sur Taïwan. Un dirigeant de l’US Navy vient de déclarer qu’il fallait se préparer à réagir à une invasion d’ici 2024.

L’UE emboîte le pas. Une note de ses services demande aux 27 pays membres de durcir leur action : « nous nous dirigeons vers une concurrence totale sur le plan économique mais aussi politique. »

La campagne anti-chinoise bat son plein, et les puissances les plus riches ont beau jeu de brandir leur démocratie, un vernis bien écaillé, face à la dictature chinoise pour justifier cette surenchère et leur domination.

L’Etat chinois répond sur le même terrain. Depuis des années, il renforce sa présence militaire en Mer de Chine, et Xi assume l’intensification des tensions : « Nous œuvrerons avec la plus grande sincérité et les plus grands efforts pour une réunification pacifique [avec Taïwan], mais nous ne renoncerons jamais au recours à la force »... Prudence et menaces devant le piège qui se tend, un scénario identique à celui qui a conduit Poutine à agresser l’Ukraine...

Face à l’hégémonie « unipolaire » américaine, la fuite en avant de l’Etat chinois pour tailler sa place

Pour l’Etat chinois, devenu deuxième puissance mondiale, il n’est plus possible de se plier à la domination économique et militaire des USA. Face à lui, et en direction des pays dits « émergents », il promeut un monde multipolaire, dans lequel la Chine serait un facteur de stabilité.

Le mois dernier, au sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (près de vingt pays, dont la Russie, l’Inde, le Pakistan, l’Iran et la Turquie, soit 40 % de la population et 30 % de l’économie mondiale), Xi a déclaré que « La Chine est prête à faire des efforts avec la Russie pour assumer le rôle de grandes puissances, et jouer un rôle de guide pour injecter de la stabilité et de l’énergie positive dans un monde secoué par le chaos ». Ne condamnant pas l’agression de l’Ukraine par la Russie, son ministère des affaires étrangères « appelle toutes les parties concernées à aplanir leurs différences convenablement par le dialogue et la consultation », en opposition à la surenchère guerrière de l’OTAN.

C’est la même posture qui est adoptée face à la crise environnementale. « Nous participerons activement à la gouvernance mondiale sur le changement climatique » a déclaré Xi Jinping au Congrès, avec la même hypocrisie que les autres dirigeants... puisqu’en suivant, il promet de « renforcer l’utilisation propre et efficace du charbon ».

En contestant la domination unipolaire des USA au nom d’une « gouvernance mondiale », ce sont bien les intérêts de sa bourgeoisie que défend l’Etat chinois. Comme ses concurrents, il investit et place ses pions sur toute la planète, comme avec la tentative d’achat d’une partie du port de Hambourg. Il taille sa part du pillage des peuples, notamment par les mécanismes de la dette.

Xi a annoncé au congrès qu’il faut se préparer à faire face à la même politique d’enserrement qu’a subie la Russie et qui l’a conduite à la guerre : « Les tentatives d’endiguement venues de l’extérieur risquent de s’aggraver à tout moment. La Chine se trouve à une période de son développement où les opportunités stratégiques coexistent avec les dangers et les défis, et les facteurs d’incertitude s’accroissent. »

En plus des tensions entre puissances, les « facteurs d’incertitude » sont aussi ceux qui provoquent faillites et soulèvements populaires. Les « nouvelles routes de la soie », le grand projet qui devait donner une nouvelle place internationale à la Chine, sont en partie en panne. Plusieurs « partenaires » sont exsangues, incapables de continuer à financer leurs infrastructures décidées par la Chine. Le Pakistan, le Laos, le Sri Lanka, essaient de renégocier leur dette avec Pékin qui a contribué à la généralisation de l’endettement, devenant insupportable pour les peuples.

Les « ouragans » dont parlaient Xi Jinping ont déjà provoqué la quasi faillite du Sri Lanka et une révolte renversant le gouvernement.

Une accumulation de crises... porteuse de perspectives révolutionnaires

La réponse du congrès à cette situation inédite et à la peur du prolétariat est de concentrer les pouvoirs entre les mains de Xi, renforcer la dictature d’un des régimes parmi les plus brutaux du monde.

Mais ce choix des classes dominantes chinoises pourrait bien se retourner contre elles. Fichage, vidéo-surveillance, reconnaissance faciale, censure d’internet, arrestations arbitraires, disparitions, condamnations... moderne ou à l’ancienne, la répression ne fera pas taire la colère, alors qu’aucune solution à la crise n’existe dans le cadre du système.

Les dictatures peuvent provoquer les crises politiques les plus aiguës, quand les luttes pour les libertés et les droits démocratiques rejoignent les luttes sociales, un ferment pour des perspectives révolutionnaires. On l’a vu avec la révolte des parapluies à Hong Kong en 2014, avec les printemps arabes, on le voit en Iran. A l’heure où le capitalisme est à bout de souffle, de plus en plus parasitaire et destructeur, ces luttes pour les droits démocratiques, comme les luttes contre la guerre, seront pleinement victorieuses en attaquant ce système à sa racine, pour le renverser.

L’Etat chinois et le PCC n’ont pas oublié la révolte de la place Tiananmen en 1989. Ils ont tout fait pour l’effacer, parce qu’ils savent comment le mouvement étudiant pour la liberté a trouvé immédiatement la solidarité de la classe ouvrière, bien au-delà de Pékin et de la place Tiananmen. Le régime s’était sauvé en tuant plusieurs milliers de manifestants dans le pays, mais les effets de la répression n’ont qu’un temps. Le spectre de la révolution est bien là, d’autant plus présent que la classe ouvrière n’a jamais été aussi puissante, nombreuse, et que l’offensive réactionnaire et dictatoriale de la bourgeoisie chinoise et de son Etat nourrit la colère et la révolte.

François Minvielle

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