En quelques jours, la grève des raffineurs d’Exxon-Mobil et de Total a changé la donne, le climat social et politique du pays. Elle a entrouvert une brèche face à l’offensive et à l’arrogance du patronat et du gouvernement. Les attaques de celui-ci et de la direction de Total contre les grévistes ont eu le résultat inverse de celui recherché. Lorsque Elizabeth Borne a annoncé le lundi 11 à l’Assemblée que des grévistes allaient être réquisitionnés dans les dépôts d’Exxon-Mobil, l’après-midi même les raffineurs de Donges en Loire-Atlantique rejoignaient la grève. Après avoir refusé toute négociation depuis des semaines, la direction de Total, pressée par la grève et le gouvernement, a annoncé ouvrir une discussion jeudi soir avec les syndicats de salariés. La CGT en a claqué la porte dans la nuit, estimant à juste titre qu’y rester aurait été s’aplatir devant la direction. Les deux autres syndicats de l’entreprise, la CFDT et la CGE-CFC, ont déclaré qu’un accord avait été trouvé sur une augmentation de l’ordre de 7 % dont ils n’auraient pas pu se vanter s’il n’y avait pas eu la grève. Un « accord au rabais » disent les grévistes et la CGT, loin des 10 % qu’ils revendiquent parce qu’ils estiment qu’en plus de compenser l’inflation, Total devrait céder à ses salariés une partie des bénéfices exceptionnels qu’il a faits sur leur travail.

Le gouvernement s’est empressé de décréter la grève illégitime puisqu’un compromis avait été trouvé avec des syndicats dits majoritaires. C’est ce qu’il appelle le « dialogue social » dans sa propagande pour justifier les atteintes au droit de grève que sont les réquisitions. Refuser celles-ci, c’est s’exposer à 15 000 € d’amende et 6 mois de prison ferme. Il n’empêche, il a manqué son coup, la grève a été revotée dans toutes les raffineries du groupe.

Le bras de fer est engagé entre les travailleurs et le gouvernement et les multinationales, et pas seulement ceux des raffineries ni même seulement ceux qui sont mobilisés dans de nombreux secteurs, mais l’ensemble des travailleurs. La journée de grève interprofessionnelle du 18 octobre appelée par la CGT, Solidaires, FSU, FO et des organisations de jeunesse sera une étape importante dans cet affrontement, dans l’approfondissement et l’extension du mouvement. La détermination des grévistes nous aide à nous y préparer, en rompant avec la propagande d’union nationale et les faux semblants du dialogue social dont Macron nous a asséné la logique mensongère dans son show télévisé du 12 octobre.

Contre la politique de Macron, de l'Etat et des patrons

Dans cette émission intitulée « Le Monde en crise(s) », il a tenté de convaincre que nous aurions tous des intérêts communs et que lui, et l’État lui-même, seraient au-dessus des classes entre lesquelles ils œuvreraient pour une répartition équitable et le bien commun face aux dangers de ce monde, guerre, crises, réchauffement climatique. Quels pieux mensonges ! Notre solidarité à l’égard des peuples d’Ukraine est entière face à l’agression de Poutine, mais nous ne sommes pas dans le camp « de notre Union européenne et de l’Otan », comme dit Macron qui, avec les USA, portent une lourde responsabilité dans cette guerre. Nous savons bien que ce n’est pas pour protéger, selon ses mots, « notre sol national » que des soldats et des équipements militaires français sont installés en Roumanie, en Estonie, en Lituanie.

« On s’installe dans la guerre » a-t-il déclaré dès les premières minutes de son interview, il nous a surtout convaincus que pour lui, comme pour ses amis de la bourgeoisie, la question de la guerre, de l’engagement de l’État français aux côtés de l’Otan est indissociable de la question sociale. A l’évocation de l’extension de la grève des raffineries aux salariés des centrales nucléaires, il s’est exclamé sur un ton solennel : « Au moment où il y a la guerre […], nul n’a le droit dans notre pays de ne pas être solidaire, uni et responsable ».

Le gouvernement et ses commanditaires capitalistes mènent une même guerre contre les peuples et contre les travailleurs, pour leur imposer les sacrifices toujours plus importants nécessaires au maintien de leur domination, de leurs profits, de leur système. Les groupes capitalistes sont gavés d’argent public, plus de 157 milliards par an en 2019 -et beaucoup plus depuis le Covid- selon une étude récente dont rend compte Médiapart*, l’Éducation, la Santé, les transports, le secteur social sont rognés jusqu’à l’os et le gouvernement veut ponctionner encore la population par les réformes de l’assurance chômage déjà votée et celle sur les retraites en préparation. Et plus que tout, il veut éviter aux patrons d’avoir à augmenter les salaires. C’est une question névralgique, plus de salaire pour les travailleurs, c’est moins de profits pour les groupes capitalistes directement dans le privé, moins d’argent de l’État à leur distribuer dans le public.

Voilà pourquoi il est essentiel pour eux de donner crédit à ce jeu de dupes qu’est le dialogue social. Et face aux grèves des raffineurs, après avoir fait mine d’œuvrer pour que les patrons du secteur pétrolier ouvrent le dialogue avec les grévistes, il menaçait le 12 à la télé « que la CGT permette au pays de fonctionner et quand il y a un accord avec des syndicats majoritaires, qu’elle le respecte ». Sans suite...

Faire notre politique avec nos armes de classes

Aujourd'hui avait lieu à Paris la Marche « contre la vie chère et contre l’inaction climatique » lancée il y a plusieurs semaines par la France insoumise et Mélenchon. Plusieurs dizaines de milliers de personnes y ont participé, loin cependant des 140 000 annoncés par la Nupes, pour exprimer leur mécontentement, leur espoir de changer la société. Ils ont eu droit à un discours de Mélenchon posant au futur chef d’État de « la France » cocarde bleu-blanc-rouge à la boutonnière. L’appel à la grève générale de mardi, la marche contre la vie chère, « il faut penser tout ça comme un tout qui s'entraide, qui s'épaule »… En clair, les luttes subordonnées aux prétendues solutions, luttes de pouvoir et manœuvres parlementaires, un pâle remake de l’union de la gauche. Les travailleurs l’ont déjà expérimenté, il n’y a rien à en attendre si ce n’est de nouvelles démoralisations.

Car ce sont bien les grèves qui ont changé la situation, le climat social. Loin de monter les automobilistes et la population contre les grévistes, les attaques des groupes pétroliers et du gouvernement ont donné une plus grande visibilité à la grève, à son efficacité et mis la question des salaires sur le devant de la scène. Le hashtag #balancetonsalaire créé suite aux calomnies de Pouyanné, le patron de Total sur les 5000 euros que toucheraient les raffineurs -le double de leur salaire réel en 3x8 et week-end compris- a explosé. Plus de 17 000 tweets depuis mercredi dernier, chacun.e y indique son salaire, la plupart soutenant les grévistes. Les calomnies de Pouyanné sont d’autant plus insupportables que lui-même a augmenté son salaire de 50 % en 2021, ce qui le porte à 6 millions d’euros.

Dassault-Falcon, Carrefour, PSA Stellantis, Monoprix, Renault Trucks, Arkema, éboueurs de Saint-Brieuc, employé.es des cantines, chauffeurs de bus dans plusieurs villes, Safran Corbeil, les travailleurs entrent en lutte, débrayent, font grève pour les salaires, des embauches, contre les conditions de travail qui deviennent insupportables à cause de la réduction des effectifs et de l’intensification de l’exploitation.

C’est cette combativité qui a décidé mercredi dernier la CGT puis les syndicats Solidaires, FO, FSU et les organisations de jeunesse à une journée de grève interprofessionnelle mardi prochain, le 18 octobre, au départ jour de la mobilisation construite par les personnels de l’enseignement professionnel contre la réforme du lycée pro.

Les motifs pour entrer en lutte peuvent différer d’une entreprise ou d’un secteur professionnel à l’autre, mais quels qu’ils soient ils mettent en jeu le rapport de force entre notre camp social, celui des travailleurs avec ou sans emploi, qui ne peuvent vivre que de leur travail et le camp des exploiteurs qui s’enrichissent de ce travail. La question salariale peut réunir toutes les professions, toutes les catégories. Oui, c’est bien 300 ou 400 euros de plus qu’il faut à tout le monde et l’indexation des salaires sur le coût de la vie pour ne pas que l’augmentation acquise soit bouffée par l’inflation. Mais il y a aussi les conditions de travail liées au manque d’effectif, l’intensification de l’exploitation, les licenciements, le chômage... Le succès de la mobilisation générale qui se met en route repose en grande partie sur le fait que les travailleurs, les militants, les équipes syndicales ou les collectifs prennent en main leurs propres luttes, la popularisent auprès de leurs collègues, se réunissent en assemblées générales sur leurs lieux de travail, formulent leurs revendications et contrôlent les négociations, leurs résultats. Militants de la grève pour une augmentation générale des salaires, ils établiront des contacts avec les entreprises voisines ou du même secteur. Sans aucune illusion sur le « dialogue social », ils ne comptent que sur leur propre force collective et leur organisation démocratique qui rendent la lutte contagieuse.

C’est cette mobilisation qui était en marche depuis les luttes en 2016 contre la loi Travail, la grève SNCF au printemps 2018, le mouvement des Gilets jaunes fin 2018 et le mouvement contre la réforme des retraites, qui avait démarré par la journée du 5 décembre 2019 construite à la base par des équipes militantes de la RATP et de la SNCF. Elle poursuit son cours aujourd’hui, après l’interruption causée par le Covid en mars 2020, alors que la régression sociale, les inégalités croissantes et les conséquences visibles de l’absurdité du système capitaliste ont fait grandir le mécontentement et la révolte et posent la question de la préparation consciente de l’affrontement avec les groupes capitalistes et leur État.

Galia Trépère

* https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/111022/160-milliards-d-aides-publiques-par-un-pognon-de-dingue-pour-les-entreprises

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