« Écosocialisme, communisme, autogestion… Pour quel projet de société nous battons nous ? », ce débat est, en réalité, un débat sur notre programme, notre projet politique commun, plus largement celui du mouvement révolutionnaire, un débat qu’au final nous n’avons jamais, depuis la fondation du NPA, mené sérieusement alors que notre congrès de fondation l’avait mis à l’ordre du jour afin de clarifier les ambiguïtés stratégiques et programmatiques qui prévalaient à sa naissance. Cette faiblesse de direction, conséquence des réticences de la principale fraction du NPA, la section française de la IV, à soumettre à la discussion sa propre orientation des partis larges combinée à l’écosocialisme, est une des principales explications du renforcement des divisions au sein du NPA et de son affaiblissement.

A l’heure où le développement du capitalisme financiarisé mondialisé débouche sur une nouvelle période qui met la nécessité de la transformation révolutionnaire de la société à l’ordre du jour, cette discussion est centrale et devrait déboucher sur un document stratégique et programmatique capable de rassembler.

En effet, il ne s’agit pas d’avoir une discussion pourrait-on dire idéologique sans que cela ait de liens ou de conséquences sur l’activité et nos perspectives immédiates. Pas plus que notre programme ne se résume à « un plan pour les luttes » associé à un supplément d’âme que serait « notre projet de société », ce « projet » n’est pas un plan sur lequel nous voudrions modeler la société. Le socialisme scientifique tel que formulé par Engels n’est pas une utopie sur laquelle les révolutionnaires voudraient modeler le monde. Certes, il est nécessaire de restituer au marxisme la dimension utopique dont il a été amputé mais dans l’idée d’inscrire cette utopie, ce possible qui n’existe nulle part, dans la réalité de l’évolution historique de la société et des luttes de classes.

Enraciner notre compréhension de l’avenir possible de l’humanité dans les conditions objectives historiques suppose de développer un programme de transition vers le socialisme, le communisme, sans privilégier l’une ou l’autre des dénominations qui font l’une et l’autre référence à une continuité historique des luttes d’émancipation.

Il s’agit bien de répondre aux questions sur la nécessité, la possibilité, les conditions de réalisation d’une société communiste débarrassée de l’exploitation et de l’oppression, de redonner crédibilité au programme révolutionnaire.

Répondre à ces questions, alors que la faillite des vieux partis issus du mouvement ouvrier a discrédité toute idée d’alternative au capitalisme, est au cœur de notre travail en opposition aux vaines tentatives de recycler les illusions réformistes sous la forme du populisme de gauche de Mélenchon.

« Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel » Marx, Engels

« Le communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes » écrivaient en 1843 Karl Marx et Friedrich Engels dans L'idéologie allemande. L’idée ici développée est particulièrement importante dans le contexte historique actuel qui voit, du fait d’un appauvrissement du marxisme, le mouvement révolutionnaire balkanisé en de multiples chapelles pour qui le « communisme révolutionnaire » est plus une proclamation volontariste qu’un programme ou une politique.

Notre projet, notre programme est « de découvrir à l'intérieur de la forme de mouvement économique qui se désagrège les éléments de la nouvelle organisation future de la production et de l'échange qui éliminera ces anomalies » écrivaient les fondateurs du socialisme scientifique. Les rapports de production socialistes, la nécessité de produire et d’échanger différemment, résultent des contradictions du capitalisme. Leurs bases matérielles et humaines sont les forces productives hautement développées prisonnières des rapports de propriété capitalistes.

Notre projet désigne une société sans classe, sans État, sans monnaie, où l’activité économique est transparente car les humains, à égalité, définissent eux-mêmes ce qui doit être produit et la manière de le produire.

La période de transition entre capitalisme et communisme est celle de l’expropriation du capital, de l’organisation d’un nouveau mode de production et d’échange fondé sur la coopération et la planification, la monnaie devient une unité de compte qui ne peut plus se transformer en capital. Au fur et à mesure que la révolution s’étend, que la planification démocratique détermine la production et la répartition, que l’économie est socialisée, que les progrès scientifiques et techniques sont mis au service des hommes, l’État dépérit.

Le temps de travail est réduit, les tâches rébarbatives sont effectuées à tour de rôle, la planification consciente permet les relations les plus riches entre les hommes et avec la nature. Avec la propriété privée disparaissent les oppressions de genre et de race. « A la place de l'ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. »

Ce sont là les grandes lignes d’une évolution sociale infiniment complexe que nous ne sommes en mesure ni d’imaginer ni de décrire.

Ce programme est une utopie au sens où il n’existe nulle part mais il indique l’évolution possible de la société qui en contient déjà les éléments objectifs mais aussi subjectifs qui s’expriment à travers les multiples luttes qui secouent la planète, luttes sociales, démocratiques, luttes des femmes, mobilisations contre le racisme, mouvement des migrants, luttes contre le réchauffement climatique… Des mobilisations qui intègrent la dimension planétaire des drames auxquels l’humanité est confrontée et, en conséquence, des réponses.

Les échecs ou plutôt les tentatives du passé, la révolution permanente à l’œuvre

Paradoxalement, les révolutions du passé, dont beaucoup se complaisent à ressasser les échecs qui seraient les échecs du communisme, sont en réalité autant d’efforts héroïques des masses pour briser le carcan de l’oppression même si elles n’ont pu encore venir à bout du capitalisme et de la société de classes, des défaites qui, loin d’être une faillite, ont contribué à façonner le monde. Elles sont autant de moments de ce mouvement de révolution permanente, expériences et bouleversements sociaux qui participent de la maturation des bases objectives et subjectives de la révolution comme la révolution russe malgré le stalinisme ou les révolutions anticoloniales prisonnières des limites de la lutte nationale. Ce mouvement de révolution permanente a façonné le monde qui porte en lui une nouvelle phase révolutionnaire.

« Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s’y substituent avant que les conditions d’existence matérielle de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société ? », écrivait Marx dans la Préface de Contribution à la critique de l’économie politique. Au-delà des appréciations subjectives, l’histoire nous montre qu’en réalité les conditions objectives et subjectives d’une transformation révolutionnaire mondialisée n’étaient, jusqu’alors, pas encore suffisamment mûres. Les bouleversements scientifiques, techniques réalisés depuis soulignent les limites du passé pour laisser voir le processus révolutionnaire mondialisé en maturation, les perspectives nouvelles qui s’ouvrent.

Plutôt que de regarder l’avenir dans le rétroviseur, il nous appartient de décrire, comprendre et anticiper les développements à venir de ce mouvement qui abolit l’ordre existant, n’a jamais cessé et se poursuit.

Cela veut dire prendre la mesure de l’évolution du capitalisme, des données de la nouvelle période.

Un programme qui naît des contradictions même du capitalisme arrivé à son âge sénile

Nous connaissons une situation historique dominée par le développement d’un capitalisme arrivé à son âge sénile. Cette spécificité de l’époque trace la perspective du processus révolutionnaire en termes nouveaux.

Elle est la conséquence d’une crise globale d’accumulation. La logique même du capital est de s’accroître sans cesse par la transformation d’une partie de la plus-value produite par l’exploitation du travail humain vivant en toujours plus de capital. Aujourd’hui, malgré son expansion à la planète entière, ou plutôt à cause de cette expansion, le capital n’est plus en mesure de mettre en mouvement une quantité de force de travail suffisante pour extraire de la vente des marchandises la plus-value nécessaire à sa valorisation. Il ne peut s’accroître d’une valeur supérieure à celle dont il s’est antérieurement nourri et il se dévalorise. D’où la menace permanente de krach financier, de récession, la destruction de marchandises comme de force de travail, de la nature, le risque d’effondrement du système. La crise ne trouve d’autre réponse qu’une politique de régression sociale et démocratique, de militarisme et de guerre, de destruction et de pillage, de catastrophe écologique, piller toujours plus le travail humain et la nature pour éviter la faillite.

Ce processus n’est pas nouveau, il est inhérent au système. Mais, aujourd’hui, il n’est plus possible d’y répondre comme au début du siècle dernier, par le développement impérialiste qui permit, un temps, de surmonter ou plutôt de repousser les contradictions du capitalisme pour, à travers les guerres et les révolutions, atteindre un nouveau stade de développement, le capitalisme financiarisé mondialisé.

L’ère de l’impérialisme, qualifiée par Lénine de « stade suprême du capitalisme », est révolue. A l’ère du capitalisme financiarisé mondialisé, il n’y a plus d’expansion géographique possible. Tout progrès dans les applications de la science à la production tend à aggraver les obstacles à la valorisation du capital, se retourne contre lui. Les rapports de production sont dépassés par le développement des forces productives. Telle est la spécificité historique du capitalisme contemporain et de sa crise, la déroute historique d’une classe qui doit céder la place.

Le prolétariat, le sujet révolutionnaire

Si la crise écologique dans toutes ses dimensions est l’expression la plus achevée de la globalité de la faillite du capitalisme, de son parasitisme destructeur et prédateur, nous n’avons pas pour autant besoin d’inventer un nouveau terme, l’écosocialisme, pour définir notre programme, ou de mettre le préfixe « éco » à toutes les sauces. Cette référence constante à l’écologie, loin de donner une nouvelle crédibilité aux idées du socialisme et du communisme, est bien plus source de confusion par rapport à l’écologie politique que de clarification.

Nous avons besoin, au contraire, de souligner l’existence du sujet révolutionnaire que le postmodernisme a effacé, pour redonner toute sa place à la lutte de classe. « La bourgeoisie n'a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort ; elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes, les ouvriers modernes, les prolétaires ».

L’évolution globale du capitalisme a renforcé le prolétariat non seulement sur le plan numérique, de sa coopération à l’échelle internationale mais aussi sur le plan de ses capacités à l’auto-organisation, à apprendre en utilisant toutes les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies et l’augmentation du temps libre, même si les rapports d’exploitation donnent à ce temps libre la forme brutale de la précarité et du chômage. Après la conquête du pouvoir, le procès révolutionnaire libérera plus de temps dégagé des contraintes de la production tout en en finissant avec la production pour l’argent en faveur d’une production de valeurs d’usage destinées à satisfaire les besoins déterminés rationnellement par « les producteurs associés » eux-mêmes.

Le socialisme, le communisme, produits de l’impasse capitaliste et des luttes qu’elle engendre

Le communisme n’est pas une société idéale inventée de toutes pièces par quelques penseurs plus ou moins bien inspirés. C’est l’évolution même du capitalisme qui révèle sa monstrueuse sénilité quand il atteint ses limites historiques au moment où il a développé au maximum les forces productives. Cette situation qui le plonge dans une crise chronique catastrophique contient les moyens matériels de construire d’autres rapports sociaux émancipés de la propriété privée et fondés sur la coopération.

Une masse croissante de prolétaires, partout dans le monde, sont soumis à des conditions d’existence de plus en plus difficiles, précaires à travers une économie de plus en plus socialisée et internationalisée, interdépendante. Les connaissances, les sciences, les savoirs et techniques élaborés par les générations passées passent entre les mains de celles et ceux qui font tourner l’économie, le prolétariat même s’il en est dépossédé par le capital et les États. Une nouvelle culture prend forme.

Il n’y a cependant aucun automatisme, les rapports de classes et d’exploitation peuvent se perpétuer à travers le chaos et la barbarie hors de l’intervention consciente du prolétariat se constituant en classe, prenant conscience de lui-même, de la nécessité et de la possibilité de libérer l’humanité de la propriété privée qui fonde la domination de la classe capitaliste. En partant de ses propres exigences immédiates, de ses luttes pour se protéger des agressions du capital, le prolétariat en vient à remettre en cause la domination de classe, il est amené à faire sienne la proposition de Marx : « Au lieu du mot d’ordre conservateur : un salaire équitable pour une journée de travail équitable, ils [les prolétaires] doivent inscrire sur leurs drapeaux le mot d’ordre révolutionnaire : abolition du salariat ».

Le facteur révolutionnaire, « les fossoyeurs de la bourgeoise », a besoin d’une politique communiste

« L'existence et la domination de la classe bourgeoise ont pour condition essentielle l'accumulation de la richesse aux mains des particuliers, la formation et l'accroissement du Capital ; la condition d'existence du capital, c'est le salariat. Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux. Le progrès de l’industrie, dont la bourgeoisie est l'agent sans volonté propre et sans résistance, substitue à l'isolement des ouvriers résultant de leur concurrence, leur union révolutionnaire par l'association. Ainsi, le développement de la grande industrie sape, sous les pieds de la bourgeoisie, le terrain même sur lequel elle a établi son système de production et d'appropriation. Avant tout, la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inévitables ». Le processus décrit par Marx et Engels dans Le manifeste communiste a atteint un degré tel que l’affrontement de classe a aujourd’hui pour arène la planète entière et qu’il entre dans une phase décisive.

Au-delà des multiples différences selon les pays, les prolétaires sont toujours obligés de lutter pour assurer leur survie quotidienne contre « les empiétements du capital ». Cette lutte se heurte à l’incompatibilité entre les besoins du plus grand nombre et les exigences de l’accumulation sans fin qui est la raison d’être du capital. La lutte réformiste qui ne remet pas en cause le rapport d’exploitation peut tout au plus freiner quelque peu la régression sociale sans être à même d’y mettre un coup d’arrêt.

Les prolétaires sont alors en mesure de prendre conscience de leur puissance face à la décadence de la bourgeoise, de leur capacité à changer le monde, seule voie pour satisfaire leur propres besoins les plus élémentaires, s’emparer des moyens matériels, intellectuels, sociaux de leurs vies. Ils rompent alors avec l’idéologie des classes dominantes pour se constituer en classe, la conscience de la nécessité et de la possibilité d’une autre société qui ne peut naître que de bouleversements révolutionnaires.

Cette contradiction entre les drames engendrés par la faillite d’une classe décadente et les perspectives révolutionnaires faisait dire à Marx : « Vous ne direz pas que je me fais une trop haute idée du temps présent, et si malgré tout je ne désespère pas de lui, c’est que sa situation désespérée est précisément ce qui me remplit d’espoir ».

« Retrouver l’unité et la cohésion entre un programme marxiste et une stratégie révolutionnaire »

Le premier pas pour les prolétaires est de s’approprier la compréhension de l’évolution du capitalisme en se libérant de l’idéologie et de la morale dominantes pour voir, sans fard, par-delà les discours officiels lénifiants, la réalité d’une classe parasitaire pour s’unir sur la base de la conscience que le capitalisme ne peut survivre qu’au prix d’une surexploitation des hommes et de la nature qui menace l’existence de la société humaine par la misère, les maladies, les guerres, une aggravation de la destruction de la nature. S’unir aussi dans la lutte politique contre l’offensive réactionnaire qu’engendrent la peur et la panique des classes privilégiées appelées par la droite et l’extrême droite à défendre leur « mode de vie » qui conduit à la dictature contre les classes et les peuples « dangereux ». La défense des droits démocratiques, des libertés est indissociable de la défense des conditions de vie ou de survie des classes exploitées.

Il s’agit donc bien, pour les communistes, de partir des besoins immédiats, urgents, sociaux, démocratiques, écologiques, contre les discriminations de sexe ou de race pour contribuer à ce que ces luttes convergent vers la contestation du vieil ordre bourgeois pour s’emparer des idées de la révolution et rompre avec le réformisme relooké, une démarche transitoire vers le socialisme, le communisme.

A travers les étapes de la lutte de classes, ses aléas, les révolutions et leurs limites et échecs, le développement du capitalisme a créé les deux conditions que Marx posait comme nécessaires à la transformation révolutionnaire de la société : l’épuisement de l’accumulation, de la croissance capitaliste, qui conduit le monde du travail à engager la lutte globale contre la domination de la bourgeoisie, la lutte pour le pouvoir afin de ne pas subir la violence destructrice et barbare d’une classe dépassée se battant pour sa survie.

Notre projet, notre programme s’inscrivent dans cette perspective. Il vise, dans une période de bouleversements économiques, sociaux, idéologiques et politiques, à reconstruire le lien entre stratégie et programme révolutionnaire, lien brisé par la faillite des vieux partis issus du mouvement ouvrier. Une tâche à la fois pratique, politique, théorique, construire un mouvement ouvrier révolutionnaire, mettre en œuvre une politique communiste, « retrouver l’unité et la cohésion entre un programme marxiste et une stratégie révolutionnaire » pour reprendre la formule de Daniel Bensaïd.

Trame de l’intervention d’Yvan Lemaitre à l’université d’été du NPA

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