« La fin de l’insouciance, la fin de l’abondance » a eu le culot de promettre Macron ce 25 août alors que des centaines de milliers de familles ne savent comment elles pourront se chauffer cet hiver, que l’inflation bondit, plus 24,5 % pour la viande, 18 % pour les pâtes… Les prix en grande surface ont augmenté de 7 % sur un an et pourraient atteindre 10 % d’ici la fin de l’année. Quant à l’électricité, les prix de gros pour 2023 ont battu de nouveaux records vendredi, 1000 € le mégawattheure alors qu’il y a un an il était de 85 €.

« Les combats que nous avons à mener, nous ne les gagnerons que par nos efforts » a péroré Macron mercredi au conseil des ministres dans la continuité de ses provocations du 19 août à Bormes-les-Mimosas demandant « de la force d’âme pour regarder en face le temps qui vient […] et accepter de payer le prix de notre liberté et de nos valeurs » !

Finies les envolées sur le « ruissellement », Macron promet du sang et des larmes aux travailleur.ses, à la jeunesse, aux pauvres pour sauver les « valeurs » sonnantes et trébuchantes des classes dominantes alors que leur fuite en avant plonge le monde dans une concurrence généralisée et une désorganisation sans précédent, une crise globale économique et financière, climatique, militaire qu’elles entendent faire payer aux peuples et aux travailleurs. Inflation, restrictions budgétaires, baisse drastique de la dépense publique, remise en cause des droits sociaux, du droit du travail, des retraites, blocage des salaires, hausse dérisoire des pensions, attaques contre les droits des chômeurs… tandis que les budgets militaires explosent et que le gouvernement compte bien continuer d’arroser les riches, l’industrie et la finance.

Le Maire, après avoir assuré il y a peu qu’on avait atteint le « pic de l’inflation », vient d’expliquer tout aussi doctement qu’« il ne faut pas attendre d'amélioration avant début 2023 ». Personne pas plus au gouvernement que dans les conseils d’administration des banques et des multinationales n’a la moindre idée de l’évolution de la crise, la moindre maîtrise. Toute leur politique ne peut que la précipiter tant il est clair que la seule issue ne peut venir que de l’intervention des travailleur.ses et des opprimé.e.s, seul.e.s à même de remettre en cause la propriété capitaliste, la domination d’une minorité prédatrice qui mène l’humanité au chaos.

L’été a aidé aux prises de conscience de l’impasse de cette société. La colère s’accompagne d’un sentiment d’urgence face à la guerre en Ukraine dont tout le monde voit qu’elle n’a rien d’une guerre locale, face à la désorganisation de l’économie, à la guerre de classe que mènent les possédants et leurs gouvernements, aux conséquences dramatiques du dérèglement climatique.

Tentatives de diviser et faire taire, brouhaha réactionnaire permanent

Si personne n’en connaît les rythmes, chacun sait que des bouleversements profonds sont en cours. Les consciences évoluent en accéléré. Et c’est bien ce que redoutent la bourgeoisie et son personnel politique, ils ont la trouille des explosions sociales, de ce que peuvent produire l’organisation, la solidarité, la détermination des premières et premiers de corvée, des travailleur.ses, de la jeunesse.

C’est cette trouille qui anime Macron, Darmanin, Dupont-Moretti et leurs acolytes de la majorité gouvernementale et d’ailleurs qui tentent de diviser en instrumentalisant les préjugés. Darmanin est sur tous les fronts en commençant par l’annonce tonitruante en début d’été de l’expulsion d’un imam, retoquée par le Tribunal administratif (le Conseil d’Etat doit rendre sa décision en début de semaine). Détail, Médiapart vient de révéler qu’en 2014 Darmanin, candidat à la mairie de Tourcoing, courtisait le même imam pour gagner des voix parmi les musulmans… La démagogie réactionnaire n’a ni foi ni loi.

Et ça a déferlé tout l’été : la reprise du méga feu en Gironde ? Pour Darmanin et Borne, l’origine ne pouvait être que criminelle, qu’importe que l’enquête du parquet ait conclu à une reprise naturelle. La violence des orages en Corse qui ont fait 5 morts ? Les salariés et ingénieurs de Météo France sont les coupables désignés… jusqu’à ce que ressorte un récent rapport du Sénat, « Temps instable sur Météo-France : quand le refroidissement budgétaire se confronte au réchauffement climatique », qui s’inquiète que Météo-France ait perdu un quart de ses effectifs et deux tiers de ses implantations en dix ans. Puis Dupont-Moretti qui participe à la curée contre un jeu organisé à la prison de Fresnes, trouvant « les images choquantes » ce qui a fait bondir la Contrôleuse générale des prisons dénonçant le cynisme du buzz alors que les prisonniers sont « enfermés en cellule vingt-deux heures sur vingt-quatre, à deux, à trois, parfois même à six ou huit, voient cavaler des punaises de lit qui les piquent, des cafards qui leur galopent sur le corps » …

La sale musique qui tente de désigner des boucs émissaires a un but, diviser, faire taire, au risque d’en faire un peu trop quand une fraction grandissante de l’opinion publique n’en peut plus de tant de grossièreté et de violence sociale.

Face aux ravages de la fuite en avant capitaliste, la mondialisation de la révolte des exploité.e.s

A une très large échelle, les travailleur.ses, l’ensemble des opprimé.es sont confrontés à l’urgence de contester le pouvoir des classes dominantes qui plongent l’humanité dans la pauvreté et la précarité généralisée. Au début de l’été, les images des manifestants envahissant la résidence du président sri-lankaiscontraint de fuir ont fait le tour du monde, point d’orgue de mois de mobilisations contre la dette, l’inflation, les pénuries et la corruption qui ravagent le pays.

En Equateur, rongé par la misère et la violence, étranglé par le FMI, l’état d’urgence et la répression qui a fait 6 morts et 500 blessés n’ont pu avoir raison de semaines de mobilisations massives. Le gouvernement a fini par baisser le prix du carburant, reculé sur les privatisations et nombre d’exigences portées par les communautés indigènes. Au Bangladesh, 150 000 ouvrières et ouvriers agricoles des plantations de thé se sont mis grève il y a quinze jours pour exiger une augmentation de 150 % de leur salaire qui atteint à peine un dollar par jour. En Afrique du Sud, le 24 août, des dizaines de milliers de travailleurs et travailleuses défilaient dans les villes et villages du pays pour « un salaire vital ». La révolte sociale se répand dans le monde entier par des voies et à des rythmes différents mais partout les prises de conscience s’accélèrent et convergent.

Pour se protéger de l’inflation, les travailleurs anglais montrent la voie en Europe

La multiplication des grèves pour les salaires en Angleterre résonne particulièrement pour les travailleurs européens. La crise politique et la crise sociale, comme ici, s’alimentent pour généraliser la colère. Le mouvement n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis juin. L’inflation y a dépassé les 10 % en juillet et devrait atteindre plus de 13 % en octobre. Une hausse de 82 % de l'électricité est annoncée. De nombreuses familles qui renoncent déjà à l’essentiel sont au bord du gouffre.

Depuis plus de deux mois, services postaux, éboueurs, avocats, salariés des télécoms, de la santé, de la logistique (Amazon) se mettent en grève, totale ou avec des débrayages, ensemble ou successivement… Les cheminots, qui débrayaient depuis juin, sont entrés en grève le 18 août de même que les salariés du métro de Londres pratiquement à l’arrêt. C’est le plus long mouvement du rail depuis 1989, à la fin des années Thatcher.

Chaque jour, de nouvelles entreprises, de nouveaux secteurs rejoignent le mouvement, recevant tour à tour l’assentiment de la population. « Ce sont des gens comme moi, nous essayons tous de gagner notre vie et de nous débrouiller. J’ai toute la sympathie du monde pour eux », expliquait un voyageur en gare de Leeds à un journaliste de l’AFP. Public, privé, industrie ou services, l’ensemble de la population travailleuse se rassemble autour de la lutte pour les salaires. Dimanche 21 août, 1 900 dockers, grutiers, opérateurs de machines du port de Felixstowe, un des principaux ports de fret du pays entamaient une grève de huit jours. La dernière grève remontait ici aussi à 1989.

Ce mouvement inédit a eu raison de l’empilement d’obstacles administratifs qu’ont mis les gouvernements anglais depuis Thatcher. Avant tout dépôt d’un préavis de grève, les syndicats doivent déposer un « préavis de vote » dans les entreprises concernées et obtenir la majorité des voix (les abstentions sont comptées avec les contres). Dans de nombreux secteurs, la grève est aujourd’hui votée à 80 %.

Les patrons oscillent entre trouille bleue et « fermeté », refusant les offres de négociation répétées des directions syndicales. Le parlement vient de voter une loi qui ouvre la possibilité de recours à des intérimaires pour remplacer les grévistes. Liz Truss, favorite chez les conservateurs appelés à désigner le remplaçant de Boris Johnson, promet de ne pas laisser le pays « être rançonné par des syndicalistes militants » et d’user de la manière forte si elle est désignée première ministre. Son rival, Rishi Sunak, envisage lui d’interdire les grèves dans les services publics…

Mais la lutte continue à s’amplifier. Des milliers d'employés de la société de logistique britannique Royal Mail viennent de partir en grève ce vendredi. « Allons-nous vers une grève générale ? » demandait la BBC dès fin juillet. Elle est à l’ordre du jour, mais le mouvement a besoin de se donner sa propre politique pour surmonter la passivité des directions syndicales.

Refuser les sacrifices pour sauver les profits, se regrouper, s’organiser en toute indépendance des jeux parlementaires

Ici aussi se pose la question de faire converger les luttes pour les salaires, contre l’inflation. La vague de luttes dans de nombreuses entreprises avant l’été est dans les esprits et dans certaines se discute une possible reprise de la grève. A Auxerre, les éboueurs sont en grève depuis le 7 juillet, soutenus par une part importante de la population. D’autres se préparent, comme dans les transports en commun de Lille où un préavis a été déposé pour la braderie de début septembre.

Partout, les mobilisations sont le fruit des initiatives et de la volonté des militants à la base, par-delà la politique des directions des confédérations syndicales embourbées dans le dialogue social et de la gauche parlementaire qui ne parle de luttes que pour appeler à la soutenir sur le terrain institutionnel.

Mi-juillet, l’ensemble des directions syndicales (CFDT, CGT, FO, CFTC, CFE-CGC, FSU, Solidaires et UNSA) signaient un texte à l’occasion de l'examen du projet de loi pouvoir d'achat à l’Assemblée. Une telle unanimité, « c’est rare […] ça vaut le coup de se déboucher les oreilles » estimait sans rire Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. Le texte, fort mesuré et se gardant bien de formuler des perspectives, expliquait que « Réduire les inégalités, notamment entre les femmes et les hommes, exige avant tout des mesures visant à une meilleure répartition des richesses au profit des salariés ». Certes, mais au-delà même de savoir ce qu’est une « meilleure » répartition des richesses, comment s’y prend-on ?

Suite au discours de Macron, Martinez a appelé à « s’opposer aux sacrifices » en participant à la journée d’action CGT du 22 septembre dans la santé et à celle interprofessionnelle du 29 septembre appelée par CGT et Solidaires. Des dates bien tardives (le gouvernement a fait sa rentrée le 24 août) et déconnectées de toute perspective et plan de bataille dont elles pourraient constituer des étapes, l’affiche de la CGT n’appelant même pas à la grève…

Ces journées peuvent être l’occasion de regrouper les travailleur.ses, les jeunes qui cherchent les moyens d’exprimer leur colère, à condition de compter sur nous-mêmes pour construire le mouvement, discuter des suites, donner confiance et entraîner. Elles peuvent permettre de s’organiser à la base dans les sections syndicales, les unions locales, dans les services, les ateliers, avec les collègues syndiqué.es ou non syndiqué.es, la jeunesse. Autant d’occasions de débattre des voies et moyens pour changer la donne, tisser des liens, s’organiser en comptant d’abord et avant tout sur la force collective des travailleur.ses, en toute indépendance des jeux parlementaires et des illusions institutionnelles, réformistes que tentent aujourd’hui de raviver LFI et la Nupes auxquelles sont liés une grande partie des appareils syndicaux.

Car s’opposer aux sacrifices, c’est contester le « droit » qu’une poignée de parasites s’est arrogé, soumettant la vie de milliards de personnes à leurs profits. C’est poser la question du contrôle des travailleur.ses, des jeunes, des 99 % sur la marche de l’économie et de la société pour assurer le respect de l’intérêt collectif, construire la perspective d’une issue progressiste à la fuite en avant capitaliste.

En cette rentrée, ici comme en Angleterre, crise politique et crise sociale se conjuguent pour créer les conditions de la convergence des colères en un mouvement d’ensemble au sein du monde du travail pour exiger la hausse générale et l’échelle mobile des salaires. Le mouvement se prépare et se construit en aidant à la convergence de toutes celles et ceux qui n’attendent rien du parlement ou du dialogue social pour ne compter que sur eux-mêmes, les mobilisations et œuvrer à l’organisation démocratique des luttes.

Isabelle Ufferte

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