Avec l’entrée à l’Assemblée de 89 députés, alors que 8 du FN avaient été élus en 2017, le RN est le principal vainqueur de cette séquence électorale, une menace lourde de dangers dans le contexte de guerre sociale et de guerre tout court menées par les classes dominantes et le gouvernement. Une situation qui est loin d’être cantonnée à la France, alors qu’en Italie, l’extrême-droite arrive en tête des sondages des élections de septembre pour remplacer le gouvernement Draghi.
Une telle situation politique nous impose de sortir des vieux mots d’ordre et des vieux schémas. Les références, le plus souvent incantatoires, au « Front unique » et aux années 30 aveuglent plus qu’elles n’éclairent tant la période ainsi que les partis et les forces en présence sont différents. Les partis de gauche auxquels la majorité du NPA en appelle, sans grand succès, ne sont que de vides caricatures de ce qu’étaient les PS et les PC des années trente. Force est de constater que, de proclamation en proclamation, 20 ans après l’arrivée de Le Pen père au 2ème tour de la présidentielle, cette politique du « Front unique » reste un exercice bien solitaire et impuissant !
La gauche est effondrée, déconsidérée par ses reniements et des années de bons et loyaux services des intérêts des capitalistes. De Jadot à Roussel, ils sont prêts à participer aux manifestations de flics contre la justice appelées par Alliance, pour se rallier à Macron au 2nd tour de la présidentielle, au nom de la République et de ses valeurs… Quant à Mélenchon, s’il a pu capter une partie de la colère contre Macron, il ne cherche qu’à la recycler sur le terrain institutionnel, celui de la République, de la France, flattant un nationalisme partagé par tous les partis dont le RN !
Les proclamations de « l’antifascisme » participent de la même impuissance, celle de la dénonciation morale, comme si le RN était un parti différent des autres… des autres partis « républicains » faut-il croire, de cette république des guerres coloniales, de la Françafrique et des interventions militaires contre les peuples ? Aujourd’hui, anticipant le développement de la lutte de classe, toutes les forces de droite se disputent le même terrain. Il ne manque pas de politiciens prêts à s’appuyer sur les préjugés les plus réactionnaires pour faire le sale boulot pour le compte des classes dominantes, et pour chercher à se mettre en pôle position de ce bloc réactionnaire. De Darmanin, en passant par Pécresse, Ciotti et même Macron, qui n’hésite pas à proclamer le 14 juillet que la « Nation est un tout organique » : une référence directe aux idéologues d’extrême-droite.
Le Pen s’est nourri de la politique de Macron, de sa démagogie contre le « séparatisme » des banlieues, des préjugés racistes de Blanquer, Darmanin ainsi que des dégâts de leur politique antisociale pour se proposer pour la même politique en pire.
Quand l’extrême-droite postule au pouvoir
L’extrême-droite n’est pas un parti à part, hors système, prêt à renverser les institutions… mais bien un courant politique qui a de profondes racines dans l’histoire de la bourgeoisie, de son appareil d’État et de son armée en particulier.
Aujourd’hui, Le Pen a réussi son pari de « dédiabolisation » du RN, en particulier vis-à-vis de la vieille droite issue du gaullisme. Elle s’est empressée d’assurer que son parti serait respectueux des institutions et a obtenu deux vice-présidences à l’Assemblée, avec le soutien des députés LR et LREM, en se félicitant de « la fin du cordon sanitaire ».
Une institutionnalisation au travers de laquelle le RN postule au pouvoir, donne des gages aux classes dominantes, tout en montrant son utilité pour dresser les travailleurs les uns contre les autres, les affaiblir et les mettre au pas. Et il est bien probable qu’aujourd’hui une fraction du patronat voit dans le RN une force qui pourrait lui être utile dans les tensions sociales et politiques à venir.
Le Pen sait que le gouvernement et la droite travaillent pour elle. Elle vient d’applaudir Darmanin qui a annoncé vouloir présenter une loi d’expulsion des étrangers pour des « actes graves » dès septembre. Et Il lui suffit de se scandaliser au sujet d’une activité organisée à la prison de Fresnes pour voir Dupont-Moretti lui emboîter le pas et exiger une enquête.
Le RN anticipe l’accentuation inévitable de la crise politique dans laquelle se retrouve le gouvernement, en se posant en recours pour la bourgeoisie, un garant de l’ordre social, de la bonne marche de l’exploitation et de la machine à profits.
Une progression produit de la décomposition du capitalisme et de la politique de la gauche
Cette montée de l’extrême-droite a deux raisons essentielles : l’offensive des classes dominantes pour maintenir leur pouvoir et leurs profits et l’incurie de la gauche qui, depuis Mitterrand jusqu’à Hollande, a participé pleinement à la mise en œuvre de cette offensive libérale.
Nous ne sommes pas confrontés au simple succès d’une « idéologie » raciste, mais bien à une décomposition de la société capitaliste engendrant les inquiétudes et les peurs dont se nourrit la montée des idées réactionnaires. Et il nous faut souligner le lien entre la menace de l’extrême-droite, la concurrence ouverte entre Le Pen et les autres postulants pour diriger ce bloc réactionnaire du RN au parti de Macron en passant par LR et la période dominée par un capitalisme à bout de souffle, prédateur, et les attaques brutales contre les classes populaires avec l’inflation.
Cette évolution chaotique du capitalisme financiarisé, guidé par la recherche de profits perpétuels des multinationales et du CAC40, se mène au prix d’une économie qui entre en récession, de la paupérisation des classes populaires et d’une partie des classes moyennes déclassées.
Cette fuite en avant suscite des peurs, y compris dans ces couches petites bourgeoises perdantes de la mondialisation, marginalisées par l’affaiblissement des Etats au profit des multinationales et de cette mise en concurrence au niveau mondial. Une partie de celles-ci croient trouver leur salut dans le repli souverainiste, dans des références moyenâgeuses à la race, à une identité nationale fantasmée.
Toute l’extrême-droite fait son fonds de commerce de ces peurs, sur le terrain de la « défense de notre mode de vie » forcément menacé par les étrangers, la mondialisation. Tout comme Macron qui n’hésite pas à flatter ces mêmes préjugés réactionnaires quand il déclare qu’il va falloir « payer le prix de la liberté ».
Le combat contre le racisme est indissociable de celui contre la démagogie « d’égoïsme national », il dénonce fermement le nationalisme pour défendre les idées internationalistes.
Une rupture de fond avec la gauche « populiste » de Mélenchon, qui défend la patrie, se place du point de vue des « intérêts de la France » ou défend le protectionnisme, même s’il le qualifie de « solidaire ». Une politique qui conduit tous les députés Nupes à applaudir debout l’hommage de Borne aux « soldats français tombés au combat » lors de son discours de politique générale.
La lutte contre l’extrême-droite, partie intégrante de la lutte contre le capitalisme
Le Pen se porte candidate à un pouvoir fort, qui s’appuierait sur une partie de la population embrigadée derrière les préjugés racistes, nationalistes et anti-ouvriers. Une politique tournée contre les travailleurs quelle que soit leur origine, les exploités, les militants syndicalistes et politiques du mouvement ouvrier.
Dans ce contexte, la question de l’autodéfense se pose avec d’autres organisations, avec la population d’un quartier, en soutien à une lutte... Face à des nervis d’extrême-droite encouragés par les scores électoraux, nous cherchons à nous organiser pour défendre nos droits démocratiques, comme notre action militante quotidienne. Nous cherchons à construire l’unité sur le terrain syndical, associatif, l’unité de notre classe et aussi l’unité de notre camp politique, celui des révolutionnaires.
Les travailleurs ont aussi et surtout besoin d’une politique globale, une orientation politique autour de laquelle se rassembler, se mobiliser sur un terrain d’indépendance de classe vis-à-vis de tous ceux qui veulent enfermer les luttes du monde du travail dans les institutions ou la « République ».
La politique du NPA, qui fait des appels unitaires une fin en soi, ne répond pas à la gravité de la situation. Ces appels sont piégés par la politique de défense des valeurs de la « République », ou, dans le milieu syndical, du « dialogue social », de ceux auxquels ils s’adressent. Et donc condamnés à l’impuissance.
Nous ne combattrons pas l’extrême-droite, comme les profonds reculs sociaux en cours, sans une politique pour intervenir dans les luttes de classes réelles, combattant les idées réactionnaires en même temps que le système qui les engendre.
La place de tous les antifascistes que nous sommes est au cœur des luttes et mobilisations du monde du travail pour œuvrer à rassembler les exploité.e.s autour d’un programme de contestation sociale qui ouvre une perspective progressiste à toutes les victimes de la faillite des classes capitalistes.
L’offensive réactionnaire sur le terrain idéologique, l’offensive antisociale comme l’offensive contre les peuples et la militarisation qui se renforce ne font qu’un. La réponse doit aussi être une politique globale, postulant à contester le pouvoir des capitalistes sur la marche de la société.
Nous nous appuyons sur la solidarité de classe, l’internationalisme, en appelant le monde du travail à prendre ses affaires en main. C’est sur ce terrain que nous pourrons construire un rapport de force, ce qui signifie gagner les masses, en particulier la fraction du monde du travail qui vote extrême-droite, à ses propres intérêts, en formulant des réponses face à l’offensive capitaliste actuelle.
Alors que le RN postule aujourd’hui à embrigader les couches petite-bourgeoises paupérisées pour le compte des capitalistes, l’enjeu de la période et notre responsabilité est de travailler à armer l’ensemble des travailleurs d’une politique, d’un programme pour prendre en main le pouvoir, en s’adressant à toutes les couches de la population, dont cette petite-bourgeoisie brutalement attaquée elle aussi.
Il n’y aura pas de réponse dans le cadre du système et des institutions. Le capitalisme de prédation ne laisse pas d’autre alternative que la perspective révolutionnaire, pour construire un front de classe autour d'une réponse globale, un programme pour changer le monde maintenant.
Trame de l’intervention de Laurent Delage à l’Université d’été du NPA