A en croire le gouvernement ou les experts économiques, il faudrait éviter à tout prix la fameuse « spirale prix-salaires » qui serait pire que le mal. Mais il suffit de voir les résultats de la plupart des grands groupes capitalistes pour constater que la seule spirale, c’est celle prix-profits, la hausse des profits se nourrissant directement de la hausse des prix.

Stellantis vient d’annoncer un bénéfice net de 8 milliards d’euros sur 2022, + 34 % sur un an. Pourtant, le groupe automobile a vu ses ventes reculer de 7 %... Mais il a profité des pénuries de semi-conducteurs pour augmenter ses prix et sa marge.

Même chose pour Hermès, qui annonce 1,64 milliard de bénéfices nets, une hausse de 39,7 % grâce à une marge « historique » de 42,1 % ! LVMH, numéro un mondial du luxe, vient d’annoncer 6,5 milliards de bénéfice sur 2022, soit + 23 % par rapport à l’an dernier.

Quant à TotalEnergies, les hausses des prix de l’énergie ont fait exploser les marges de raffinage. Le résultat net du groupe atteint 18,8 milliards de dollars sur le semestre, trois fois plus qu’en 2021. La multinationale a dégagé 25 milliards de cash, qui vont servir entre autres au rachat d’actions pour faire monter les cours. Indécent, au point que TotalEnergies s'est senti obligé d’annoncer une remise de 20 centimes à la pompe en septembre et octobre, puis 10 centimes en novembre et décembre… Tout aussi indécent, une aumône par rapport à leurs superprofits !

Cette explosion des profits et des prix est aujourd’hui un phénomène international, dans lequel la guerre en Ukraine joue tout autant un rôle d’accélérateur que de révélateur. Elle est la conséquence de la faillite en cours du capitalisme mondialisé qui entraîne l’économie, la société dans une folle course à la rentabilité financière. Depuis la crise de 2007-2008, les banques centrales ont racheté des titres de dette aux banques, injecté des masses de capitaux à des taux directeurs très bas voire négatifs pour sauver les profits et le système de la banqueroute, sans parvenir à relancer la machine économique. Cette politique, loin de guérir le mal l'a aggravé. La masse de capitaux ne cesse de croître avec de plus en plus de difficulté à assouvir leur soif de plus-value.

La crise du Covid a retardé la crise financière attendue, tout en aggravant le désordre de l'économie capitaliste alors que les États et les banques centrales inondaient à nouveau le marché de capitaux au nom du « quoi qu'il en coûte ». Cette politique a encore permis d'éviter la banqueroute, mais en aggravant encore la contradiction entre une économie atone et la masse de capitaux sans cesse croissante. Les possibilités d'intervention des États et des banques centrales atteignant leurs limites du fait de l'explosion de la dette, les multinationales et les financiers n'avaient pas d'autre moyen pour maintenir les profits que la hausse des prix, une spéculation mondialisée pour piller les travailleurs et les peuples.

Les effets de la guerre en Ukraine, qui elle-même s'inscrit dans cette exacerbation de la concurrence et des tensions internationales, comme ceux de la crise sanitaire en Chine ou du dérèglement climatique viennent accentuer concurrence et spéculations sur les prix en jouant des désorganisations des chaînes de production, des pénuries de matières premières, de pièces détachées ou de produits agricoles... Les effets destructeurs du capitalisme ne sont pas la cause première de l'inflation mondialisée, mais ils l'amplifient et servent en même temps de justification à la politique des capitalistes et des États, laissant croire que ces phénomènes seraient indépendants les uns des autres alors qu'ils ont la même origine, la logique prédatrice et destructrice de la course à la rentabilité financière.

Capital - États - Banques Centrales, la grande machine à profit

La semaine dernière, prétendant chercher à limiter l’inflation en Europe, la directrice de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, annonçait le relèvement des taux directeurs de la BCE, une première depuis 2011, faisant passer le principal taux d’intérêt de 0 à 0,5 %.

Mettant en garde contre la soi-disant « spirale salaires-prix », elle a déclaré : « En agissant ainsi, nous envoyons un message clair aux entreprises, aux travailleurs et aux investisseurs : il ne fait aucun doute que l’inflation reviendra au niveau de notre objectif de 2 % à moyen terme ». Une méthode Coué visant à répéter en boucle que l’inflation n’est que passagère et surtout du bluff, qui masque une politique contre les salaires au service des profits.

Les premiers effets de la mesure seront l’envolée des profits des banques et de l’industrie de la dette.

La remontée des taux signifie des marges plus importantes sur les crédits émis par les banques aux entreprises, aux particuliers et même aux États. L’arrêt des taux négatifs signifie aussi la fin de la taxe de 0,5 % sur les liquidités bancaires déposées à la BCE et non distribuées en crédit : soit un gain estimé de 1,5 milliard d’€ par mois !

Les banquiers se frottent les mains et certains estiment déjà que les établissements de la zone euro pourraient voir leurs gains sur les intérêts augmenter de 17 milliards d’euros d’ici à un an. Dans le crédit immobilier, la hausse n’a même pas attendu l’annonce de Lagarde : les taux d’intérêts ont atteint 1,52 % en juin contre à peine 1 % en début d’année.

Cette politique de tout pour les profits prétend assurer la croissance et la transition écologique. En réalité elle est le plus court chemin vers une aggravation de la récession. Le FMI avertit que les prochains mois seront « sombres et plus incertains » avec une croissance mondiale de 3,2 % en 2022 après les 6,1 % enregistrés en 2021.

La hausse des profits, c'est la baisse des salaires, la marchandisation de toute la société

La « loi d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat » ainsi que le projet de loi de finance rectificative voté cette semaine n'ont d'autre objectif que de répondre aux attentes de la finance en maîtrisant tant les salaires que la dette de l’État qui atteint le record de 2 800 milliards.

Face à l’inflation qui impacte lourdement l’immense majorité, le gouvernement n’avance que des mesurettes comme l’aide pour le chauffage au fioul, l’aide sur le carburant qui passera à 30 centimes de septembre à octobre puis à 10 centimes jusqu’en décembre ou la prolongation jusqu’à la fin de l’année du bouclier tarifaire encadrant le prix de l’électricité et du gaz.

Pas question d’indexer les retraites sur l’inflation réelle, quitte à faire revoter deux fois les députés et à provoquer un esclandre. Pas question non plus d’augmenter le SMIC au-delà de la loi, ainsi que l’a voté unanimement le bloc réactionnaire allant du gouvernement à l’extrême-droite. En bons serviteurs des intérêts du patronat, tous veulent maintenir les salaires bien en-dessous de l’inflation !

Par contre, la loi prévoit la défiscalisation des heures supplémentaires réclamée par la droite, tout comme la possibilité pour le salarié de vendre ses RTT au patron, du moins s’il est d’accord puisqu’il n’y a aucune obligation. Toute la démagogie du « travailler plus »… pour gagner moins !

Une démagogie reprise par Dussopt qui promet une nouvelle offensive contre les chômeurs dès la rentrée : « nos règles d’indemnisation doivent tenir compte de la situation du marché de l’emploi (…) Quand ça va bien, on durcit les règles et quand ça va mal, on les assouplit »… Une politique destinée là encore à maintenir les salaires au plus bas.

Au-delà de ces mesures, le budget rectificatif prévoit aussi 9,7 milliards d’€ pour le rachat des actions privées d’EDF. On est bien loin de la « renationalisation à 100 % d’EDF » proclamée par le gouvernement. L’État compte bien maintenir sa politique, obligeant EDF à fournir à ses concurrents privés de l’électricité à bas prix, quitte à l’acheter au prix fort sur le marché. Vendre à perte à des opérateurs privés pour qu’ils dégagent des marges suffisantes, voilà la logique qui conduit EDF à annoncer 5,3 milliards de pertes ces derniers jours !

Concernant l’hôpital public, au bord de la rupture avec un sous-effectif aigu de soignants, les suppressions de lits qui ont continué, le management et les conditions de travail devenues insupportables, le gouvernement n’a rien prévu dans ce budget rectificatif. Le Maire a tout juste promis sans rien chiffrer une « compensation intégrale » de la hausse du point d’indice des fonctionnaires.

Là encore, la maladie des hôpitaux est bien connue. C’est celle de la marchandisation de la santé, de la tarification à l’activité, de la généralisation de l’ambulatoire et des cadeaux aux groupes privés. Faute de financement public, les hôpitaux ont été contraints de s’endetter toujours plus. En 2020, leur dette a atteint 30 milliards d’€. Plus de trois hôpitaux sur dix sont en situation de surendettement ! Quant aux cliniques privées, qui ne se consacrent qu’aux actes les plus rentables, leurs bénéfices cumulés sont estimés à 533 millions d'euros en 2020, pour 17,6 milliards de recettes.

Une offensive sociale et politique pour justifier la régression sociale

Cette politique pour les profits, dans une telle déroute du système, se mène au prix d’une offensive politique et idéologique réactionnaire de la part des classes dominantes et de l’État, pour justifier leurs privilèges et soumettre toute la population à leur politique.

L’offensive contre les travailleurs s'accompagne d'une offensive nationaliste, chauvine et xénophobe. Darmanin a donné le ton en revendiquant de « parler aux tripes des français » pour annoncer une prochaine loi dès septembre permettant « l’expulsion de tout étranger reconnu coupable d’un acte grave par la justice, quelle que soit sa condition de présence sur le territoire national ». Le Pen a aussitôt réagi : « Je dis clairement à Monsieur Darmanin que s’il entend expulser des étrangers qui ont commis des crimes et des délits ce sera oui, cent fois oui ».

Le gouvernement renforce ce bloc réactionnaire allant de Renaissance jusqu’au RN, à l'exemple de Macron qui, lors de son interview le 14 juillet, proclamait « une nation est un tout organique »… Une référence directe aux idéologues d’extrême-droite brandissant la nation contre les étrangers et la lutte de classe.

Et le même Macron vient de recevoir en grande pompe Mohammed ben Salmane, le prince héritier d’Arabie saoudite, commanditaire et complice dans l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Le voilà à nouveau très présentable, lui qui a ordonné l’exécution en une seule journée de 81 personnes il y a quelques mois et alors que l’Arabie Saoudite mène une guerre meurtrière au Yemen !

Pour lutter pour les salaires, enrayer la grande machine à profits

La décomposition en cours souligne à quel point il est urgent d’en finir avec ce cycle infernal du profit. En finir avec la guerre et le militarisme, sortir de la crise écologique et climatique, défendre nos conditions de vie et de travail, en finir avec les inégalités supposent de renverser ce système en faillite de plus en plus prédateur et destructeur, pour mettre en place une autre façon de produire et de partager les richesses.

Cette lutte commence par la lutte pour nous protéger des conséquences de la fuite en avant de la finance, protéger nos conditions de vie et de travail, nos droits démocratiques, sans craindre, bien au contraire, de les mettre eux et leur système en faillite.

Lutter pour les salaires exige de contester le détournement de richesses opéré à large échelle par le capital financier qui profite de l’inflation et de la montée des taux d’intérêts. Cela signifie défendre un programme pour l’ensemble du monde du travail, incluant l’échelle mobile des salaires mais aussi l’annulation de la dette, la création d’un monopole public bancaire sous le contrôle des salariés, la fermeture de la Bourse.

Il n'y a pas d'autre voie pour éviter la catastrophe annoncée que l'intervention directe des travailleurs pour imposer leur contrôle sur la marche de l'économie.

Laurent Delage

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