Tandis que la guerre poursuit ses ravages insupportables en Ukraine, que l’inflation continue de grimper rendant la vie de plus en plus difficile pour des milliards d’êtres humains, que la révolte populaire qui couve dans les pays pauvres condamnés au pire dénuement vient d’exploser au Sri-Lanka et en Equateur, prolongeant la longue liste des révoltes sociales qui ont émaillé les dix dernières années, le Parlement débattait et adoptait le « projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat », avant d’enchaîner sur le projet de loi de finance rectificative (PLFR), portant lui aussi diverses mesures censées améliorer le pouvoir d’achat.

Le bloc réactionnaire, le parti présidentiel, LR et le RN, s'est retrouvé uni pour imposer son refus de toute augmentation de salaire en distribuant quelques mettes afin de donner le change face au mécontentement. La Nupes a voté contre, à l’exception de 18 députés qui n’ont pas pris part au vote, tandis que 17, tous du PS, se sont abstenus.

Prenant acte du fait que « les prix à la consommation se sont accrus de 5,2 % sur un an en mai 2022 », la loi « pouvoir d’achat » met en avant une série de mesures censées diminuer « l’impact de la hausse des prix à la consommation sur le budget des ménages, particulièrement sur l’énergie et l’alimentation ». Cela selon trois axes : « d’abord, la protection du niveau de vie des Français ; ensuite, la protection du consommateur ; enfin, la souveraineté énergétique ». Un méli-mélo où la question des revenus des travailleurs côtoie le droit de pouvoir résilier quand on le veut et sans frais son contrat de téléphonie mobile ou d’internet, ou encore la réouverture de centrales à charbon… Méli-mélo qui se poursuit dans le PLFR avec, en vrac, la question de la revalorisation du point d’indice des fonctionnaires, de la défiscalisation des heures supplémentaires, de la taxation des superprofits, de la renationalisation d’EDF, etc.

La véritable urgence, pour le gouvernement, est de faire face au mouvement de grèves pour les salaires qui se sont multipliées ces dernières semaines, les travailleurs prenant en main, à leur façon, la question de leur propre pouvoir d’achat. Tenter de désamorcer le mécontentement qui se développe alors que la situation dans les hôpitaux ne cesse de se dégrader, que les méga-incendies sont une dramatique illustration des mensonges et de l’incurie du pouvoir face au réchauffement climatique comme de sa responsabilité criminelle dans le manque de moyens de secours incendie, en particulier aérien, liste non exhaustive.

Macron et sa majorité sont bien conscients que l’aggravation continue de la situation économique, sociale, écologique, sanitaire porte en elle la menace de voir renaître, en plus profond, un mouvement comme celui des Gilets jaunes. Ces lois et la comédie parlementaire dans laquelle elles sont mises en scène sont une tentative de lanterner le bon peuple, de retarder l’inévitable dans la vaine attente d’une amélioration de la situation économique. Elles sont aussi, sous couvert de défense du pouvoir d’achat, un cran de plus dans l’offensive contre les classes populaires. C’est en particulier le cas avec le premier chapitre de la loi « pouvoir d’achat », la prétendue « protection du niveau de vie des Français », qui s’inscrit pleinement dans la logique politique régressive que Macron s’est complu à rappeler dans son discours du 14 juillet, « nous devons travailler plus et plus longtemps », tandis qu’à la fin du débat sur la loi « pouvoir d’achat », Le Maire, disant vouloir ramener le déficit public à 3 % en 2025, promettait une baisse drastique des dépenses publiques.

Le gouvernement et sa majorité de circonstance font comme s’il s’agissait juste de passer une mauvaise passe grâce à quelques mesures prises dans un cadre national, alors que l’ensemble du mode de production capitaliste mondial s’enfonce dans une crise multiforme, sociale, économique, sanitaire, écologique, une fuite en avant marquée par l’exacerbation de la concurrence, la militarisation et la guerre, à laquelle aucun pays ne peut échapper. Marquée aussi par la poursuite de l’offensive antisociale de laquelle participent leurs lois pour le pouvoir d’achat.

Fausse défense du pouvoir d’achat, nouvelle attaque contre les travailleurs et les classes populaires

Alors que l’inflation s’envole, patrons et gouvernement, accompagnés par les députés du bloc présidentiel, de LR et du RN, ont tout fait pour éviter de fixer dans la loi la moindre hausse des salaires, cantonner les maigres miettes qu’ils accordent à des primes diverses dont le versement est lié aux circonstances. Ils ont en particulier voté contre un amendement déposé par la Nupes proposant de porter le smic à 1500 euros nets.

Le premier article de la loi « pouvoir d’achat », voté par tous les groupes sauf la Nupes, est caractéristique de cette offensive contre les salaires. La « prime Macron » mise en place lors du mouvement des Gilets jaunes pour soi-disant inciter les employeurs à verser un complément de revenus en les exonérant de cotisations salariales, s’appellera désormais « prime partage de la valeur ». La somme maximale passe de 2000 à 6000 euros dans le cas où existe un accord d’intéressement, à 3000 euros pour les autres. La presse complice s’est félicitée de ce qu’elle appelle « triplement de la prime Macron », alors qu’il s’agit en réalité du triplement de son plafond, en dessous duquel les patrons ont toute liberté, y compris ne rien payer du tout. Et comme toutes les primes, le fait qu’elle soit exonérée des cotisations sociales signifie un nouveau manque à gagner pour les caisses de la sécurité sociale, les retraites.

Dans la même veine, la loi prétend développer l’intéressement dans les entreprises, en simplifiant les procédures, en particulier pour les entreprises de moins de 50 salariés dans lesquelles il est très peu mis en œuvre. Il s’agirait, pour le ministre du Travail Olivier Dussopt, de faciliter le « partage de la valeur » au sein de l’entreprise… L’utilisation du terme « partage de la valeur » est une arnaque, la tentative dérisoire de masquer que le véritable « partage de la valeur » est ailleurs, entre la part de la valeur créée par le travail qui va dans les salaires et celle qui va dans la plus-value qu’extorquent les patrons, c’est-à-dire l’exploitation salariale.

A cela s’ajoutent les faux semblants de la revalorisation des prestations sociales. En la fixant à 4 % alors que l’inflation est bien supérieure, ce qu’ils appellent « rattrapage » entérine en réalité un recul. C’est aussi le cas avec la revalorisation de 3,5 % du point d’indice des fonctionnaires, très loin de compenser les reculs accumulés au fil des années de blocage et encore plus alors que le coût de la vie explose.

Les économistes aux ordres sont venus à la rescousse, exhibant une prétendue « loi économique » selon laquelle la hausse des salaires générerait la hausse des prix, entraînant l’économie dans une spirale inflationniste incontrôlable. La belle blague ! S’il y a inflation aujourd’hui et si elle est incontrôlable, elle ne vient certainement pas d’une croissance déraisonnable des salaires. Elle vient des profits gigantesques d’une infime minorité, de la spéculation qui fait feu de tout bois, de l’exploitation des positions de quasi-monopole que détiennent certaines grandes multinationales des secteurs pétrolier, minier, agricole comme des transports maritimes, etc., pour imposer leurs prix et accumuler des fortunes inouïes. Et tant pis si cela a pour conséquence d’acculer l’économie mondiale à la stagflation, la hausse des prix se poursuivant sur fond de stagnation économique, voire de récession.

Opposition parlementaire à sa majesté ou une opposition ouvrière et populaire sur le terrain de la lutte de classe

« J’aimerais savoir dans cet hémicycle qui a déjà touché 800 euros ? Par mois, pas par jour ! Qui a déjà touché 900 euros ? 1000 euros ? Personne ! ». C’est par ces mots que Rachel Keke, députée de la Nupes, a fustigé le mépris manifesté, dans les rangs de l’Assemblée, vis-à-vis des « travailleurs essentiels », de plus en plus nombreux à être condamnés à la misère faute de revenus suffisants. Rachel Keke et ses collègues femmes de chambre de l’hôtel Ibis Clichy-Batignoles ont mené, de juillet 2019 à mai 2021, une grève de 22 mois qui a contraint le groupe Accor à lâcher sur la quasi-totalité de leurs revendications, les salaires, les conditions de travail. Elle représente, en concentré, l’opposition absolue qui existe entre deux mondes, celui des débats parlementaires stériles, où tout est joué d’avance, et celui de la lutte collective des travailleurs pour défendre leurs propres intérêts.

Certes, au cours des « débats houleux » qui ont marqué la discussion sur « le partage de la valeur », plusieurs députés de la Nupes, en particulier LFI, se sont élevés contre le remplacement des augmentations des salaires par les primes. Pour Clémence Guetté, ce « projet donne un blanc-seing aux entreprises pour ne pas augmenter les salaires », « Les primes défiscalisées c’est moins d’argent pour l’État, l’intéressement c’est moins d’argent pour l’État, la baisse des cotisations c’est moins d’argent pour la Sécu…» François Ruffin a qualifié le triplement du plafond de la « prime Macron » de fumisterie…

Mais leur combat s’inscrit sur un terrain qui n’est pas celui des travailleurs. Ils s’opposent à ce qu’ils dénoncent à juste titre comme une opération « d’enfumage », mais dans le cadre parlementaire, à travers une stérile bataille d’amendements (plus de 1800 ont été déposés sur la loi « pouvoir d’achat », plus de 1000 sur le PLFR !). Ils lui donnent de ce fait du crédit, participant d’un enfumage plus profond, faire croire que les choses pourraient changer en mieux dans le cadre des institutions étatiques.

La question du partage de la valeur ajoutée, des salaires, de la répartition des richesses ne se jouera pas au Parlement mais bien sur le terrain de la lutte des classes, l’affrontement des salariés, des classes populaires contre les classes dominantes et leurs représentants politiques, de quelque bord qu’ils se disent.

Des députés représentant réellement le monde du travail pourraient utiliser la tribune parlementaire pour développer une politique de classe, un plan de mobilisation pour faire céder le patronat et l’État aux exigences des travailleurs. Cela n'est pas la politique de la Nupes qui veut être une simple opposition parlementaire, visant au compromis politique avec le pouvoir comme l’écrit la présidente du groupe LFI, Mathilde Panot : « J’ai vainement essayé de saisir toutes les occasions de compromis avec E Macron. Salaires, assurance chômage, retraites, Uberisation du travail, taxe sur les superprofits : son cap est clair. Sa main tendue ne nous concerne pas. »

Taxer le capital, c'est prendre sur les profits pour augmenter les salaires, pas de revenus en dessous de 1800 euros, échelle mobile des salaires

Prenant appui sur le gouvernement espagnol qui a décidé d’un impôt exceptionnel de 7 milliards d’euros sur deux ans visant les surprofits réalisés par les banques et les compagnies d’électricité, divers groupes parlementaires ont déposé des amendements allant dans le même sens. LFI réclamait une « taxation des surprofits des profiteurs de crise » à hauteur de 25 %. Le PS proposait de taxer, entre autres, Total de 4 milliards d’euros, Engie de 925 millions, la compagnie maritime CMA-CGM de 4,4 milliards… Le RN voulait faire payer les « profiteurs de guerre »… Plusieurs députés du groupe présidentiel défendaient eux-aussi une telle mesure bien que le gouvernement s’y oppose, Le Maire en tête, disant préférer un « geste volontaire » de la part des compagnies visées. C’est sans difficulté que, dès vendredi, Total lâchait quelques miettes, une remise de 20 centimes par litre à la pompe à partir du 1er septembre et jusqu’au 1er novembre où elle passera à 10 centimes jusqu’à la fin de l’année, et CGA-CGM annonçait qu’elle fera des « des réductions jusqu’à 25 % du taux de fret » sur les containers entrant en France (Métropole et Outre-mer). Des miettes qui voudraient donner le change alors que les amendements introduisant la taxation des superprofits ont été écartés, par huit voix d’écart.

Les députés de la NUPES avaient reçu dès lundi 18 le soutien du collectif Plus jamais ça (Amis de la Terre, Attac France, CGT, Confédération paysanne, FSU, Greenpeace France, Union syndicale Solidaires, Oxfam France) sous forme d’une tribune intitulée « Taxons les superprofits des multinationales pour redonner du pouvoir d’achat »[1]. Le ton était donné dès l’introduction : « Alors que débute ce 18 juillet à l’Assemblée nationale l’examen de la loi sur le pouvoir d’achat, les mesures proposées par le gouvernement et leur financement ne sont pas à la hauteur des enjeux. Pour certaines, ces mesures s’inscrivent à contre-courant d’une transition écologique de toute façon nécessaire, et d’une manière générale les montants mobilisés sont insuffisants au regard de l’urgence. » et plus loin « Pour les organisations de PJC, alliance écologique et sociale, l’argent nécessaire est mobilisable : ce sont les superprofits. » …

Voir dans ce projet de loi des mesures « pas à la hauteur des enjeux », « des montants insuffisants au regard de l’urgence », autrement dit faire comme s’il ne s’agissait pas, de la part du gouvernement, d’une offensive contre les travailleurs doublée d’une opération d’enfumage, c'est voir la politique des classes dominantes à travers les lunettes du dialogue social et du jeu parlementaire. Leur tribune s’inscrit dans la même logique que celle des députés de la Nupes, dans l’impasse d’un « partenariat social » qui va jusqu’au ridicule de « conseiller » le pouvoir : « l’argent nécessaire est mobilisable : ce sont les superprofits ».

Il est insupportable que des entreprises comme Total, Engie, CMA-CGM accumulent des fortunes alors que la crise sociale ne cesse de s’approfondir pour l’immense majorité de la population. Leur taxation aurait été un minimum bien insuffisant, au regard de l'inflation, pour se mettre « à la hauteur des enjeux », mobiliser des « moyens suffisants au regard de l’urgence ». L’urgence face à l’inflation, au recul du pouvoir d’achat, c’est imposer, par la grève, dans la rue, qu’aucun revenu ne soit inférieur à 1800 euros nets, qu’ils soient indexés sur l’évolution du coût de la vie par l’instauration d’une échelle mobile des salaires. Et c’est sur l’ensemble des profits, produit de l’exploitation du travail humain, qu’il faut prendre l’argent, par l'expropriation de leurs détenteurs.

Lutter pour les salaires implique de ne pas craindre de remettre en cause la logique du profit

La question des salaires est l’objet d’un affrontement central entre deux classes aux intérêts irréconciliables, et il est vain de croire qu’il serait possible de changer le rapport de forces par un compromis parlementaire, comme dans le cadre du dialogue social.

La lutte pour les salaires est indissociable d’un combat contre le fonctionnement même de cette société, soumise au bon vouloir d’une infime minorité d’exploiteurs et aux Etats qui les servent. Lutter pour les salaires, comme pour le moindre droit, se heurte à la volonté des classes dominantes. D’une part parce qu’elle touche au partage de la valeur produite par le travail, et que chaque euro gagné par les salaires se traduit par une perte équivalente du côté des profits. Mais aussi parce que dans le contexte de crise généralisée dans laquelle le capitalisme s’enfonce sans espoir d’en sortir, les profits tirés de l’exploitation salariale ne cessent de s’amenuiser au regard des capitaux investis. Parallèlement, leur répartition entre les diverses couches de la bourgeoisie opère une concentration toujours croissante des richesses, captées par une poignée d’oligarques financiers qui soumettent l'économie à leurs besoins.

Au cours de la période qui a suivi la crise de 2007-2008, il est devenu de plus en plus patent que le capitalisme financiarisé et mondialisé, rongé par de multiples contradictions, s’enfonce dans la faillite. Cela éclate aujourd’hui au grand jour avec la course à la guerre, la vitesse avec laquelle des pans entiers de l’humanité s’enfoncent dans la misère, l’incapacité du capitalisme et de ses institutions à sortir d’une fuite en avant dans laquelle toute mesure prise pour pallier un problème en génère de nouveaux et aggrave la situation.

Aucune amélioration n’est à attendre du capitalisme lui-même et de ses institutions. Les mobilisations peuvent renverser le rapport de force, imposer les exigences du monde du travail et des classes populaires à condition d'inspirer une peur salutaire aux classes dominantes, la peur de tout perdre. Cela veut dire dénoncer les causes principales de l’inflation et des dysfonctionnements de plus en plus criants du système de production et d’échange, la logique de la politique du profit qui creuse les inégalités et désorganise, ruine les services publics. Cela veut dire inscrire nos revendications dans un programme politique qui rompt avec les lois du marché et de la concurrence, la recherche sans limite du profit, l’assujettissement de l’ensemble de l’économie au bon vouloir des quelques dizaines de parasites sociaux, au nom du fait qu’ils en détiennent les droits de propriété ; un programme pour le contrôle démocratique des travailleurs et de la population sur la finance, le crédit, l'économie, la marche de la société ; un programme pour le socialisme.

En 1935, dans un article sur la situation en France, Trotsky écrivait : « […] les plus grandes "concessions", dont est capable le capitalisme contemporain, lui-même acculé dans l'impasse, resteront absolument insignifiantes en comparaison avec la misère des masses et la profondeur de la crise sociale. Voilà pourquoi la plus immédiate de toutes les revendications doit être de revendiquer l'expropriation des capitalistes et la nationalisation (socialisation) des moyens de production. Cette revendication est irréalisable sous la domination de la bourgeoisie ? Évidemment. C'est pourquoi il faut conquérir le pouvoir. »[2]

Daniel Minvielle

 

[1] https://blogs.mediapart.fr/collectif-plus-jamais-ca/blog/180722/taxons-les-super-profits-des-multinationales-pour-redonner-du-pouvoir-d-achat

[2] Encore une fois, où va la France ? - Les revendications immédiates et la lutte pour le pouvoir : https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/ouvalafrance/ovlf32.htm

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