Aboutissement d’un projet ayant mobilisé 1200 scientifiques de 14 pays à travers la collaboration de la NASA et des Agences spatiales européenne (ESA) et canadienne (ASC) depuis une trentaine d’années, le télescope James Webb est le plus grand et le plus puissant des télescopes spatiaux jamais lancés. Après l’avoir positionné à près de 1,5 million de kilomètres de la Terre, avoir réussi à déployer son miroir géant de 6,5 m de diamètre, les scientifiques ont rendu publiques lundi 12 juillet les premières images fabuleuses de ce nouveau télescope… La première image révélée par la NASA est « l'image la plus profonde jamais prise de notre Univers », montrant avec une précision stupéfiante des galaxies lointaines remontant à plus de 13 milliards d’années.

Un exploit technique qui prépare de nouvelles révolutions scientifiques

Comme l’ont exprimé bien des scientifiques : « Nous sommes en train de vivre une révolution », pour reprendre les mots du président de la Société française d’astronomie et d’astrophysique.

Le James Webb Space Telescope et ses différents instruments à la précision inégalée doivent permettre d’observer et d’analyser des objets très lointains et anciens comme ces galaxies primordiales mais aussi des objets plus proches de nous mais très faiblement lumineux, comme les exoplanètes tournant autour d’autres étoiles que notre soleil.

Cet exploit est le fruit et une nouvelle étape de la révolution scientifique qui depuis le début du XXème siècle a bouleversé toutes les sciences physiques, celles de l’Univers comme celles qui s’intéressent à la structure de la matière avec la théorie de la relativité d’Einstein et la physique quantique. Cette révolution a abouti à de nouveaux modèles cosmologiques pour expliquer un Univers en expansion depuis plus de 13,8 milliards d’années et dont l’origine, le fameux Big bang, semblait un horizon indépassable à la connaissance… La physique quantique en étudiant le comportement des particules élémentaires de la matière a totalement remis en cause la physique classique du XIXème, celle de Newton, en soulevant une multitude de problèmes théoriques. Cette révolution inachevée n’est pas que théorique puisqu’elle est aussi à la base de nombreuses inventions et innovations qui ont permis l’émergence des nouvelles technologies comme l’informatique, la robotique, l’internet qui ont révolutionné toute la société.

James Webb est l’enfant de cette révolution et il doit aussi permettre d’en ouvrir une nouvelle phase puisque les innombrables données et connaissances totalement inédites qu’il apportera dans les années qui viennent vont mettre à l'épreuve des faits les différents modèles théoriques actuels, ceux du Big bang comme de la mécanique quantique. Cette confrontation sera, à n’en pas douter, à l’origine de nouveaux questionnements, de nouveaux problèmes, à l’origine de nouvelles révolutions scientifiques….

Car c’est ainsi que progresse la science : les progrès techniques, en l’occurrence l’incroyable perfectionnement de nos outils d’observation, en élargissant notre vision et notre connaissance du monde réel, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, bousculent nos représentations, obligent à repenser les théories scientifiques conçues sur la base de connaissances antérieures plus étroites, à en formuler de nouvelles qui rendent de mieux en mieux compte de la réalité de l’Univers, de la matière et de leur histoire.

Face à l’émerveillement provoqué à travers le monde par ces images fantastiques comme à l’enthousiasme partagé pour les nouvelles découvertes qu’elles annoncent, le Vatican, s’est payé le ridicule de déclarer que le télescope James Webb révèle « l’œuvre de Dieu (…) son extraordinaire pouvoir et son amour de la beauté »… L’éternel argument éculé du grand « horloger » à l’origine des merveilles de l’Univers… La vieille fable qui voudrait soumettre l’homme au fantôme du pouvoir divin, à l’ignorance et au bien réel pouvoir des classes dominantes.

James Webb démontre l’inverse. Il révèle l’extraordinaire capacité des sciences et des techniques humaines à ouvrir de nouvelles fenêtres sur ce qui était jusque-là inconnu et ainsi dissiper les mythes et les croyances religieuses produits des peurs et de l’ignorance des hommes et justification idéologique du pouvoir des classes dominantes. En améliorant notre connaissance de la réalité du monde, les sciences nous révèlent, à l’opposé de toutes les croyances métaphysiques en une quelconque création ou en des lois immuables, qu’il n’y a rien de stable, de fini mais un Univers sans limite ni commencement, en perpétuelles évolution et révolution et dont il s’agit d’appréhender la réalité en devenir, à toutes les échelles, des particules élémentaires de la matière jusqu’à l’infini de l’espace, jusqu’à la vie et son évolution… jusqu’aux sociétés humaines et leur histoire.

Les progrès des sciences modernes ont considérablement enrichi la conception matérialiste du monde, en révélant un monde en devenir, en changement permanent et dont il ne s’agit pas de tirer des lois immuables mais d’étudier l’histoire, celle de la matière, de la vie, de l’être humain, comme des sociétés humaines. Cette conception moderne scientifique évolutive sape les bases de toute idéologie de l’ordre ! Il n’y a pas d’ordre établi immuable dans la société pas plus que de lois éternelles dans l’Univers, celui-ci construit en permanence ses propres lois à travers son histoire selon un déterminisme ouvert, dialectique… qui ne suit pas de plan préétabli mais qui permet l’émergence de structures complexes et donc un développement historique fait d’évolution et de révolution.

« Le cerveau humain est un produit du développement de la matière et c'est en même temps un instrument de connaissance de cette matière; peu à peu, il s'adapte à sa fonction, essaye de dépasser ses propres limitations, crée des méthodes scientifiques toujours nouvelles, imagine des instruments toujours plus complexes et plus précis, contrôle sans cesse son œuvre, pénètre pas à pas dans des profondeurs antérieurement inconnues, change notre conception de la matière sans toutefois jamais se détacher d'elle, cette base de tout ce qui existe. » résumait Léon Trotsky en 1926 lors d’un Congrès des Amis de la Radio[i].

Un produit de la coopération internationale, du travail humain

James Webb est une nouvelle étape, dans la longue liste des inventions et des réalisations techniques qui en élargissant notre connaissance du monde matériel font avancer, progresser l’ensemble de la société. Cet exploit est l’aboutissement d’une coopération internationale de scientifiques, d’ingénieurs, de techniciens sur plusieurs décennies… ce qui prouve que même dans cette société capitaliste soumise à la logique aveugle de la course aux profits les plus immédiats, le progrès humain trouve sa voie et qu’il est avant tout le produit du travail humain, de la coopération, de la volonté de ne pas se résigner devant l’inconnu.

D’ailleurs la masse colossale de nouvelles données que ce télescope et d’autres qui sont déjà en préparation apporteront ne pourra elle-même être exploitée qu’à travers le travail et la collaboration de la communauté scientifique à l’échelle du monde, soulignant plus que jamais l’archaïsme des frontières, des rivalités entre Etats, de la logique du marché et d’une concurrence généralisée qui concerne jusqu’à la recherche scientifique.

C’est l’illustration même du caractère profondément contradictoire du progrès des sciences et des techniques dans le cadre d’une société capitaliste où l’essentiel de ces progrès est détourné de son utilité sociale, dévoyé et entravé car soumis aux intérêts des classes dominantes, d’une poignée de multinationales.

James Webb donne la mesure de ce qui serait possible dans une société débarrassée du parasitisme de la machine à profit et du gaspillage qu’entraîne cette subordination de toute l’activité économique à la seule logique de l’accumulation sans fin du capital.

Ce n’est que sur la base de la coopération, de la mobilisation des compétences techniques et scientifiques à travers le monde qu’il est possible d’atteindre des objectifs extraordinaires qui ne soient pas directement inféodés à la logique à court terme des marchés et de la rentabilité. Il n’y aura pas d’autres voies pour faire face et résoudre les problèmes auxquels l’ensemble de la société humaine est confronté, faire face au bouleversement climatique et aux catastrophes qu’il entraîne comme la multiplication des incendies dévastateurs comme à l’urgence de faire disparaître les inégalités qui ravagent l’humanité.

Des progrès qui préparent une révolution sociale, l’émergence d’une nouvelle civilisation

En ce sens ces progrès scientifiques révèlent l'arriération de cette société capitaliste mais ils annoncent aussi et préparent d'autres révolutions… et dès maintenant ils sont la manifestation de tout ce dont le développement social, technique, scientifique est porteur au sein même de ce monde où les classes dominantes minoritaires s'affrontent avec une brutalité mondialisée aux intérêts de l’ensemble de l’humanité pour prolonger leur système capitaliste en faillite.

C’est ce dévoiement du progrès humain qui est révélé par l’incurie des classes dominantes, leur incapacité à mobiliser toutes les ressources, les compétences scientifiques technique à l’échelle de la planète pour faire face à ces catastrophes sociales, écologiques, sanitaires qui menacent les conditions même d’habitabilité de notre planète.

Jamais la contradiction n’a été aussi grande entre les possibilités ouvertes par la science et la technique et donc toutes les aspirations à plus de liberté, de démocratie, de bien être que cela fait naître à travers le monde et la réalité d’une société où explosent les inégalités sociales, la misère jusqu'à la famine, le militarisme et les guerres et où l’incurie des classes dominantes nous conduit à la catastrophe et paralyse les capacités de l’ensemble de la société à y faire face.

Les nouvelles technologies, les nouveaux moyens de communications ont fait du monde un village interconnecté où les informations, les connaissances, les découvertes peuvent circuler instantanément d’un bout à l’autre de la planète et créent les conditions pour une collaboration sans précédent de l’ensemble des compétences dont la société est riche. Ces progrès rendent pour la première fois possible l’émergence d’une réelle intelligence collective de l’humanité, indispensable pour mobiliser et coordonner toutes les ressources et les compétences de la planète.

Les progrès scientifiques et techniques dont James Webb est une nouvelle étape importante exacerbent les contradictions du capitalisme. Ils les portent à leurs limites. Ils préparent de nouvelles révolutions scientifiques et contribuent à transformer la société en profondeur, à développer en son sein même les éléments, les points d’appui comme les évolutions de conscience qui rendent possible et nécessaire un bouleversement de tout l’ordre social… Ils contribuent à préparer les conditions de l’émergence d’une nouvelle société, d’une nouvelle civilisation, des révolutions sociales qui permettront d’en finir avec cet archaïsme de la domination des classes exploiteuses, de la course aux profits, de la propriété capitaliste, pour libérer et donner toute sa puissance à ce que le progrès humain est capable d’accomplir sur la base de la solidarité, de la coopération entre les peuples, de la démocratie et du respect de la nature indissociable du respect de l'humanité elle-même…

Bruno Bajou

 

[i] Léon Trotsky – Radio, Science, Technique et Société (discours au 1er congrès des Amis de la Radio) - https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/litterature/radio.htm

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