Après des jours de tractations de couloir, les rêves de Macron d’un « gouvernement d’union nationale » ou d’une coalition gouvernementale tombent à l’eau. Lundi, Borne présentait son « nouveau » gouvernement, remanié à la marge en fonction des revendications du Modem ou d’Horizons, le parti de Philippe. Abad a dû faire ses valises suite aux nombreuses plaintes de harcèlement sexuel et de viol, aux grands regrets du gouvernement qui voit partir son transfuge de LR.

Mercredi, Borne n’a pas voulu mettre au vote la confiance des députés dans son gouvernement, par crainte de le voir chuter à peine nommé. Macron qui espérait vainement se placer au-dessus de la mêlée des partis se retrouve président d’un gouvernement sans majorité, dominé par la mêlée...

Des « majorités de projets »… contre le monde du travail

« Une nouvelle page de notre histoire politique et parlementaire commence : celle des majorités de projet », a déclaré Borne dans son discours de politique générale. Une façon flatteuse de décrire la politique de ce gouvernement à géométrie variable, prêt à composer avec la droite ou l’extrême-droite, voire à s’appuyer, pourquoi pas, sur les élus de la Nupes selon les sujets. Tout ce qui importe étant de défendre les intérêts des classes dominantes.

Alors que Macron avait mis en sourdine sa réforme du RSA le temps de la campagne des législatives, Borne a annoncé que « France Travail », qui remplacera Pôle Emploi, sera chargé de « l’insertion des bénéficiaires du RSA », invoquant les « droits et devoirs » des chômeurs… Tout un programme !

Par contre, concernant le patronat, il n’y aura aucun « devoir » et question « droits », ils seront bien servis. Borne a annoncé un cadeau fiscal de 8 milliards par la suppression de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises)… 8 milliards qui manqueront aux hôpitaux, aux écoles, aux services publics dans les quartiers populaires.

Quant à la question des salaires qui décrochent face à la flambée des prix, elle s’est contentée de déclarer : « au moment où l’inflation est forte, j’attends des employeurs qui le peuvent qu’ils prennent leurs responsabilités »… Ils en tremblent déjà !

Le « quoi qu’il en coûte » pour subventionner le patronat fait exploser la dette

Et à son tour, elle nous refait le coup de la dette qu’on ne peut pas « laisser à nos enfants », avec l’aide du président de la Cour des Comptes, Moscovici, qui appelle à une « maîtrise de la dépense publique ». Borne veut « ramener le déficit public sous les 3 % » en 2027 alors qu’il était à 6, 5 % fin 2021 ! Et bien sûr, pas question d’augmenter les impôts des riches, « nous devons cesser de croire qu’à chaque défi, la solution est une taxe ». Quel cynisme, alors que le patronat a bénéficié de 25 milliards de réduction d’impôts par an sur le dernier quinquennat !

Borne répète que le « plein-emploi », la « croissance » vont tout régler. Un coup de bluff pour masquer que leur seule politique est de faire payer les classes populaires. Ce sont les groupes capitalistes qui profitent de la dette publique et la font exploser. Après avoir empoché les 440 milliards du quoi qu’il en coûte pendant la crise sanitaire, ils ont bénéficié de 130 milliards de plans de relance. Inflation chronique suite aux pénuries, aux spéculations des capitalistes et à la guerre, montée des dépenses militaires (2,7 milliards)… C’est la folie du capitalisme qui aggrave la dette dont Borne présente la facture aux classes populaires.

A commencer par les retraites : « Oui, nous devrons travailler progressivement un peu plus longtemps. Cette réforme n’est pas ficelée. Elle ne sera pas à prendre ou à laisser. Mais elle est indispensable ». Indispensable à qui ? Aux jeunes qui resteront plus longtemps au chômage ? Aux très nombreux salariés qui toucheront des retraites incomplètes et au rabais ? Ou aux capitalistes qui continueront à s’enrichir des intérêts de la dette.

C’est la même folie prédatrice qui est à l’œuvre dans le fiasco d’EDF. Borne annonce « l’étatisation » de l’entreprise sans revenir sur la politique de libéralisation de l’énergie qui l’a conduite au bord de l’effondrement financier. Elle ne compte même pas changer son statut de société anonyme, prévoyant le seul rachat pour 12,7 milliards des actionnaires minoritaires par l’Etat, pour mener la même politique destructrice.

Une loi, des miettes pour donner le change

Quant à la loi pouvoir d’achat, elle s’inscrit dans toute cette politique de chèques et d’aumônes lancée par Macron en septembre dernier. Le gouvernement prépare ainsi la fin de la remise des 18 centimes sur le carburant qui sera prolongée jusqu’à fin août, pour être remplacée par une « indemnité carburant travailleurs », sous condition de ressources. En seront donc exclus les chômeur.ses, retraité.es, etc. Une forte économie sur le dos des automobilistes, alors que le pouvoir se refuse à baisser la TVA sur les carburants ou à supprimer la TIPP. Et pas question non plus d’imposer la moindre contrainte sur les prix à TotalEnergies ou à tous ces capitalistes qui profitent de la situation, à l’image du patron de CMA CGM dont la fortune vient de passer de 6 à 36 milliards en un an grâce à la flambée des prix du transport maritime !

Quant aux revalorisations annoncées pendant la campagne électorale, elles sont loin du compte : + 4 % sur les retraites au 1er juillet seulement… escamotant les pertes subies par les retraités depuis le début de l’année. Pire, cette augmentation ne touche que la retraite de base, soit 2/3 de la retraite des salariés du privé, alors que le patronat refuse toute augmentation des retraites complémentaires dans l’immédiat.

Alors que l’inflation atteint 5,8 % en juin le gouvernement ne prévoit qu’une revalorisation de 4 % des minima sociaux, tandis que l’INSEE souligne que pour les 10 % les plus pauvres, l’augmentation des prix sur un an atteint + 6,2 %.

Même chose pour l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires de 3,5 % qui ne s’applique elle aussi qu’à partir du 1er juillet. Guerini, le ministre de la fonction publique, se vante d’une augmentation inédite « depuis 37 ans ». Mais en réalité, le niveau de vie des fonctionnaires recule de 3,75 % vu l’inflation annuelle, un record et aussi un signal fort envoyé à l’ensemble du patronat pour imposer des salaires à reculons !

Nupes, une opposition sur le seul terrain parlementaire

Face à cette offensive la Nupes reste accaparée par les joutes parlementaires. Mercredi, Mathilde Panot a interpelé Borne : « un vote de confiance s’imposait, vous avez choisi la fuite ! ». Une façon de se positionner en défenseuse de l’Assemblée nationale, au lieu de révéler cette démocratie bourgeoise frelatée dont toute la fonction consiste à duper les masses.

La Nupes mène la même politique lorsque Eric Coquerel accède au poste de président de la commission des finances, donnant des gages à l’ensemble de l’institution : « Je souhaite que le climat qui règne ici depuis cinq ans se perpétue », promettant de ne pas « organiser une chasse aux sorcières fiscale ». Il se retrouve à la tête d’une commission chargée de veiller aux comptes dans le cadre même de la loi budgétaire du gouvernement, participant de cette cogestion institutionnelle permanente existant au sein des « élus de la République ».

Fait significatif quant au respect des institutions et de l’Etat, les députés Nupes ont applaudi debout eux aussi l’hommage de Borne aux « soldats tombés au combat », un soutien sans équivoque à l’armée et à ses « terrains d’opération » en Afrique ou au Moyen-Orient !

L’arène parlementaire est d’autant plus une impasse que l’avenir de l’attelage entre le PS, le PC, EELV et les Insoumis semble bien fragile. L’avertissement de Mélenchon dans Libération est symptomatique : « Désormais, il en coûtera très cher de descendre du train. Cela vaut pour tout le monde. Y compris pour nous insoumis » … C’est dire la confiance que lui-même porte à cette « unité » !

Le RN s’affirme comme un possible recours

Dans cette situation de crise politique, Le Pen s’est empressée d’assurer que son parti serait respectueux des institutions et a obtenu deux vice-présidences à l’Assemblée avec le soutien des députés LR et LREM.

Le RN et ses 89 députés participent de plein pied à ces tractations et manœuvres parlementaires, revendiquant « la fin du cordon sanitaire » ! Une institutionnalisation au travers de laquelle l’Extrême-droite postule au pouvoir, donne des gages aux classes dominantes, tout en montrant son utilité pour dresser les travailleurs les uns contre les autres, les affaiblir, les mettre au pas.

Le danger est réel pour le monde du travail, la situation porte en elle une conflictualité à laquelle se prépare la bourgeoisie, prête à s’appuyer sur les forces les plus réactionnaires pour maintenir ses privilèges.

Mais la position de Macron à la tête d’un gouvernement minoritaire, comme l’étalage des grandes manœuvres parlementaires vont aussi accélérer les ruptures en cours et créer les conditions pour construire la véritable opposition à ce pouvoir du gouvernement et du patronat, celle des travailleurs, des grèves, de la démocratie par en bas.

Face à l’inflation, un combat politique pour faire payer les capitalistes et le patronat

Le 6 juillet, la grève des cheminots a été importante, avec un train circulant sur deux en Île-de-France et deux TER sur cinq en région. La direction a annoncé une hausse de 3,7 % pour les plus petits salaires et 2,2 % pour les cadres… Une mesure loin du compte pour les cheminots, d’autant que le bénéfice 2022 de la SNCF pourrait atteindre des records.

A Roissy, la grève des pompiers et du personnel d’ADP la semaine dernière a obligé la direction à revenir sur les baisses de salaires qu’elle avait imposées au personnel pendant la crise sanitaire et à augmenter les salaires de 3 %, soit une hausse de près de 6 % des salaires pour 1 800 salariés.

L’exemple pourrait faire tache d’huile. Les syndicats des entreprises sous-traitantes maintiennent leur préavis de grève sur les départs en vacances et des grèves éclatent dans différents aéroports comme Nantes, Marseille ou Bordeaux.

En même temps, des grèves longues s’approfondissent face à des directions qui refusent de lâcher. Les salariés de Pommier ont dépassé les 30 jours de grève, 3 semaines pour ceux de Ratier-Figeac dans le Lot qui réclament 300 € brut.

Toutes ces luttes posent le problème de quelle riposte collective face à l’ensemble de la classe capitaliste. Comment faire de chaque grève une bataille politique pour affirmer que l’ensemble des salaires doivent suivre l’inflation, en prenant des initiatives à partir des luttes en cours.

Les directions syndicales ne proposent aucune politique pour étendre le mouvement. La CGT et Sud viennent d’annoncer une journée interprofessionnelle sur les salaires, les retraites, la défense des droits des chômeurs pour le… 29 septembre. Rien d’étonnant à ce que bien des travailleurs en aient assez de ces journées sans lendemain.

Préparer une riposte interprofessionnelle signifie défendre une politique globale, sans rien attendre du cirque parlementaire et des institutions auxquels Mélenchon voudrait soumettre les militantEs du mouvement social, après le dialogue social, le dialogue parlementaire ! L’intervention directe des travailleurs est la seule voie à même de faire face à la gravité de la situation. Une telle politique ne se décrète pas, elle passe par une prise de conscience de la duperie que représente la politique de la Nupes et de la nécessité pour les travailleurs de s’organiser, par en bas, pour discuter de leurs actions, de leurs mobilisations, de se rassembler pour créer les conditions politiques de la convergences des luttes.

Notre tâche est d’y aider en rassemblant nos propres forces, construire des liens démocratiques et vivants en réponse à la paralysie des appareils.

Face à l’inflation, l’ensemble du monde du travail a besoin d’une échelle mobile des salaires. Une grève, même victorieuse, ne peut suffire pour maintenir le niveau des salaires dans une période où l’inflation augmente chaque mois. Il nous faut discuter d’une autre organisation de la société, contester le pouvoir du patron de décider des augmentations en fonction de ses bénéfices en défendant le contrôle des classes populaires sur les prix et l’indexation de tous les revenus sur ceux-ci.

Une telle politique signifie préparer un affrontement majeur, postuler nous-mêmes, à la base, à décider, à contrôler la société, à mettre en œuvre le pouvoir démocratique de la vraie majorité, celle que constituent celles et ceux qui font tourner l’économie et toute la société.

Laurent Delage

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