Ces jours derniers se sont tenus plusieurs sommets internationaux, BRICS, UE, G7 et Otan avec en toile de fond la militarisation accélérée du monde et la guerre de plus en plus meurtrière et absurde de la Russie contre l’Ukraine. Alors que s’ouvrait dimanche dernier en Allemagne un G7 sous haute surveillance policière pour tenir les manifestants à distance, l’armée russe bombardait délibérément, assez loin de la ligne de front, des cibles civiles dont un centre commercial très fréquenté à Krementchouk, faisant des dizaines de morts. Une réponse terroriste de Poutine aux chefs d’État du G7 réunis sous la direction de Biden pour accentuer les pressions diplomatiques, économiques et militaires contre la Russie, alors que ses troupes ont dû se retirer d’une grande partie de l’Ukraine pour se concentrer dans la région du Donbass et de la Mer Noire.
Depuis la fin mai, d’intenses tractations diplomatiques sous la houlette des États-Unis ont eu pour objectif de resserrer les alliances contre la Russie et de soutenir militairement l’Ukraine. Depuis le début de l’agression russe, le 24 février dernier, les États-Unis ont envoyé à l’Ukraine plus de 50 milliards de dollars d’équipements militaires, chars, blindés, hélicoptères, drones, missiles bien plus sophistiqués que ceux employés par les troupes russes. Fin mai, Biden, en tournée au Japon et en Corée du sud, les alliés des États-Unis en Asie, a promis de défendre militairement Taïwan en cas d’agression de la Chine, un engagement que les États-Unis s’étaient gardés de prendre jusqu’alors. Biden a décidé manifestement de faire monter la tension.
Le 16 juin, la commission des forces armées du Sénat états-unien a approuvé un budget militaire de 817 milliards de dollars en 2023, 45 milliards de plus que ce que Biden avait demandé.
Le 23, un sommet de l’Union européenne décidait d’accepter la demande d’adhésion de l’Ukraine et de la Moldavie. Un geste politique de soutien, symbolique, l’adhésion elle-même pouvant prendre plusieurs années.
L’implication croissante des puissances « occidentales » sous la direction de Biden et de l’Otan contre la Russie, les pressions exercées contre la Chine montrent clairement que la guerre en Ukraine n’est pas le produit de la seule folie du dictateur Poutine. Elle n’est pas un conflit local et isolé, elle s’inscrit dans les préoccupations et les visées stratégiques des États-Unis qui défendent leur hégémonie mondiale en perte de vitesse, l’élargissement de leur influence en Europe pour resserrer leurs alliances en prévision d’un possible affrontement militaire avec la Chine. Les peuples d’Ukraine sont enrôlés dans une guerre par procuration, victimes de l’agression russe et soldats au service des intérêts des puissances occidentales, une guerre qui écrase le droit des peuples comme la démocratie.
G7, OTAN, une fuite en avant aveugle qui tend à mondialiser la guerre
« Ce n’est pas l’Ouest, qui s’oppose au reste du monde, a déclaré Macron lors de la conférence finale du G7 le 28 juin, mais bien le camp de la paix contre le camp de la guerre ». Une vision on ne peut plus mensongère de l’histoire par des puissances qui ont ravagé l’Afghanistan, l’Irak, le Moyen-Orient, y faisant des centaines de milliers de victimes parmi les civils sans parler des exactions de la France en Afrique subsaharienne ou du soutien à l’État d’Israël contre les Palestiniens.
A Madrid les 29 et 30 juin, suivait le sommet de l’Otan, alliance militaire chapeautée par les États-Unis. Les 30 chefs d’Etat qui en font partie ont adopté un nouveau document stratégique qui fait suite à celui adopté au sommet de Lisbonne en 2010. « Le monde a fondamentalement changé ces dix dernières années, et la compétition stratégique s’intensifie. Le moment est donc venu de réactualiser le concept stratégique [1], indique le site de l’Otan. Ce « nouveau concept » définit trois menaces qui mettent en danger « la paix et la stabilité à l’échelle internationale ». « La Fédération de Russie constitue la menace la plus importante et la plus directe pour la sécurité des Alliés et pour la paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique ». Après quoi vient le terrorisme et en troisième position, la Chine. « La République populaire de Chine, dit le document, affiche des ambitions et mène des politiques coercitives qui sont contraires à nos intérêts, à notre sécurité et à nos valeurs »… « Le resserrement du partenariat stratégique entre la République populaire de Chine et la Fédération de Russie, ainsi que leurs tentatives, se conjuguant entre elles, qui visent à déstabiliser l’ordre international fondé sur des règles, vont à l’encontre de nos valeurs et de nos intérêts »[2].
Sont ainsi définies, pour les 10 ans à venir, les visées stratégiques du bras armé des Etats-Unis et de leurs alliés.
« La guerre d’agression que la Fédération de Russie mène contre l’Ukraine, indique le document stratégique, a fait voler la paix en éclats et a profondément bouleversé l’environnement de sécurité. Par son invasion, brutale et illicite, par ses violations répétées du droit international humanitaire, par ses attaques odieuses et par les atrocités perpétrées, la Fédération de Russie a causé d’indicibles souffrances et semé la dévastation. Pour que la stabilité de la zone euro-atlantique soit assurée, il est indispensable que l’Ukraine soit forte et indépendante. Moscou a adopté un mode de comportement agressif envers ses voisins et la communauté transatlantique au sens large »[3].
Comme toute propagande, celle-ci s’appuie sur des faits bien réels mais unilatéraux et elle vient justifier le fait qu’il n’y ait aucun compromis possible avec la Russie. C’est bien une guerre longue que l’Otan veut faire mener par procuration à l’Ukraine dans le but de mettre la Russie à genoux, de s’élargir, de poursuivre sa politique de militarisation, et de la faire accepter par les populations.
Son secrétaire général, Stoltenberg, avait annoncé avant même l’ouverture du sommet un renforcement des troupes de l’Otan mobilisables à l’Est de l’Europe, de 40 000 actuellement à 300 000 hommes. Biden l’a confirmé en faisant état d’une présence militaire états-unienne qui « marque l’histoire » en Espagne, en Pologne, en Roumanie, dans les Etats baltes, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Italie. En Pologne, il s’agirait de l’installation du 5ème corps de l’armée américaine.
La France, comme l’a annoncé Macron, ne sera pas en reste. Il s’est engagé à ce qu’elle soit « nation-cadre » de l’Otan en Roumanie. 1000 soldats français vont s’y installer, alors que 2600 soldats roumains, américains, français, belges, italiens et anglais sont déjà en poste dans une base militaire toute proche de la Mer Noire et de la frontière ukrainienne. La France y envoie un système de défense sol-air Mamba, équivalent des « Patriots » états-uniens, un dispositif ultra-moderne composé de radars et de lanceurs de missiles, le tout transporté par 30 camions depuis Mont-de-Marsan.
Enfin un des enjeux de l’Otan était l’adhésion à l’Alliance de la Suède et de la Finlande, un temps bloquée par le veto de la Turquie. « Je suis ravi d’annoncer que nous avons un accord qui ouvre la voie à l’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’OTAN » et qui répond aux « inquiétudes de la Turquie sur les exportations d’armes et sur la lutte contre le terrorisme », a déclaré d’après Le Monde Stoltenberg. Les grands démocrates de l’OTAN se félicitent que puissent être livrés au pouvoir dictatorial d’Erdogan les militants kurdes du PKK qu’il accuse de terrorisme. La Turquie a accepté de lever son veto en échange aussi de la promesse de livraison d’avions de chasse américains F16, ce que les USA refusaient jusque-là parce qu’elle recevait du matériel militaire russe.
La guerre, conséquence du désordre capitaliste, l’aggrave
La guerre serait, à entendre les dirigeants des puissances occidentales, la cause de tous les maux. Mais la crise alimentaire que la guerre en Ukraine, un des principaux producteurs agricoles de la planète, ne peut manquer d’aggraver était déjà là avant. Elle frappait d’après des statistiques des Nations unies datant de l’automne dernier 3 milliards d’êtres humains qui se demandent le matin ce qu’ils vont pouvoir manger le soir, dont un milliard souffrent en permanence de la faim.
Au G7, plusieurs chefs d’État dont Macron ont exhorté les États partenaires et le privé à « rendre la nourriture disponible sans fausser les marchés », faisant semblant d’ignorer que ces spéculateurs sans scrupules ne sont autres que les groupes capitalistes qu’ils servent à longueur de temps.
Même chose quant aux prix du pétrole et du gaz dont les prix explosent. Macron s’en est pris aux « spéculateurs qui s’enrichissent », mais il n’a même pas cité Total-Energie dont les profits déjà faramineux en 2021, 15 milliards d’euros, ont battu de nouveaux records au premier trimestre 22 avec 4,9 milliards de dollars.
Quant à la crise climatique que les pics de chaleur et les catastrophes météorologiques nous ont rappelée ces derniers jours, rien n’est fait ni prévu d’autre que ce qui a déjà échoué et l’Allemagne, le pays le plus dépendant des importations russes en énergie, a même annoncé la remise en route de ses vieilles centrales à charbon.
L’impuissance de ces États est proportionnelle à leur rôle, servir les intérêts des multinationales qui pillent le travail et les richesses naturelles de l’humanité dans une foire d’empoigne, une exacerbation effrénée de la concurrence qui se prolonge en Europe aujourd’hui sur le terrain militaire et la guerre.
Le monde menacé par la folie destructrice et prédatrice du capitalisme
Au G7 étaient invités l’Inde, l’Afrique du sud, l’Indonésie, l’Argentine et le Sénégal comme l’étaient aussi au sommet de l’Otan les « démocraties » de la région indopacifique, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Japon, la Corée du sud. Car la volonté des Etats-Unis est d’élargir leur alliance militaire bien au-delà de son champ d’intervention historique. Si les Etats européens n’y sont pas favorables pour l’instant, ils reprennent en chœur cependant les justifications idéologiques qui habillent le militarisme : l’Otan, l’UE, les Etats-Unis seraient le camp des démocraties, de la paix, du droit international face aux dictatures que sont la Chine et la Russie.
Ce n’est qu’une partie du monde qui condamne la guerre menée par la Russie sous l’influence de la propagande guerrière qui joue de l’émotion causée par la vue des souffrances infligées à la population ukrainienne. Une autre partie, beaucoup plus nombreuse, beaucoup plus peuplée, a refusé de voter les sanctions contre la Russie. L’Inde par exemple s’est abstenue de voter le 25 mars dernier la résolution de l’ONU demandant l’arrêt immédiat des hostilités russes contre l’Ukraine et elle n’a pas voulu non plus, le 7 avril, exclure la Russie du conseil des droits de l’homme des Nations unies. La Chine, l’Inde, profitent des exportations de pétrole et de gaz russes et des ristournes que leur fait Poutine. Toute une partie du monde n’a pas oublié les interventions meurtrières des Etats-Unis et de leurs alliés au Moyen-Orient ou en Afghanistan. Et même les monarchies du Golfe persique, Émirats comme Arabie saoudite, des monarchies moyenâgeuses et dictatoriales longtemps inféodées aux Etats-Unis, ne sont plus disposées à obéir de la même façon. Le « monde multipolaire » que prônent la Russie et la Chine leur apparaît aussi séduisant que la tutelle américaine ou l’occasion du moins de marchandages et de négociation de leur place.
C’est pourquoi Poutine a pu intervenir -de façon virtuelle- au sommet des BRICS, le 23 juin. Mis au ban par les pays occidentaux, le président russe a souligné sa volonté de « renforcer les liens » entre les cinq Etats : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Et le 24 juin, lors d’un « Dialogue de haut niveau sur le développement global » rassemblant les dirigeants des BRICS et ceux d’autres pays (Algérie, Argentine, Cambodge, Egypte, Indonésie, Sénégal).
Un sommet du G20, présidé par le chef d’État de l’Indonésie, aura lieu dans ce pays en novembre et il n’est pas dit que les dirigeants de l’Otan ou de l’UE puissent en exclure la Russie.
Pour contrecarrer l’influence internationale que le pouvoir chinois a pu acquérir à travers son programme d’investissements en infrastructures des Routes de la Soie dans des dizaines de pays d’Asie et d’Europe, Biden a annoncé lors du G7 le lancement d’un programme d’infrastructures de 600 milliards de dollars en 5 ans dans les pays en voie de développement. De quoi tenter de s’attirer les bonnes grâces non seulement des groupes capitalistes américains ou européens en quête de marchés garantis mais aussi des classes dirigeantes de ces pays qu’il s’agit de gagner aux USA dans la compétition acharnée qu’ils livrent contre la Chine pour ne pas perdre leur position hégémonique mondiale.
Ni « campisme » ni « anticampisme », un seul camp, l’intervention des travailleurs et des peuples au mépris des frontières
Par leur intervention jusqu’au-boutiste dans le soutien à l’Ukraine contre la Russie, les Etats-Unis testent et affermissent la solidité de leurs alliés dans le cadre de leur affrontement avec la Chine, dont la cause première et apparente pourrait être une tentative d’annexion par Pékin de Taïwan, la propagande guerrière trouvant un justificatif dans le droit de la population de Taïwan à disposer d’elle-même. Mais la raison de fond en est non seulement la rivalité entre les deux premières puissances du monde mais la volonté des Etats-Unis de maintenir un ordre mondial qui garantisse leur hégémonie. De la même façon que l’agression russe contre l’Ukraine est utilisée par le camp des puissances de l’Otan au nom du droit des peuples, la politique de Xi Jinping par rapport à Taïwan pourra l’être également contre la Chine.
A l’heure où l’exploitation de toutes les sources possibles de profit, ressources naturelles, travail humain, conquêtes de nouveaux marchés est l’objet d’une véritable foire d’empoigne entre les groupes capitalistes et les États qui servent leurs intérêts, il est pour le moins illusoire d’espérer que le respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes puisse être garanti par les prédateurs voraces qui pillent la planète. Comme l’ensemble des droits démocratiques, il ne pourra véritablement exister que grâce à l’intervention des populations exploitées et dominées pour briser le joug des rapaces et instaurer leur pouvoir démocratique pour réorganiser l’économie sur la base de la coopération et de la solidarité pour la satisfaction des besoins de toutes et tous.
Comment croire que la population de l’Ukraine, dont le PIB est devenu un des plus bas d’Europe parce que toutes les richesses y ont été pillées et bradées par des oligarques ukrainiens ou russes ou d’autres capitalistes depuis les années 1990, pourrait disposer librement d’elle-même par une adhésion à l’UE dont une des conditions est certes la fin de la corruption mais pour y imposer la libéralisation totale de l’économie, du droit du travail, la liberté de vendre sans aucune limitation les terres agricoles, par exemple, que réclament tant l’UE que le FMI et qui sont au programme de Zélensky ?
Bien des militants qui avaient une vision campiste de la situation internationale à l’époque de l’URSS, avec ou contre l’URSS, le « bien » étant tout ce qui était contre l’impérialisme états-unien, ont inversé leur vision pour dénoncer aujourd’hui « l’impérialisme russe » au nom de la liberté et de l’indépendance de l’Ukraine sans mettre en évidence l’interventionnisme de l’Otan, des Etats-Unis et de l’UE qui n’a rien à voir avec les intérêts de la population ukrainienne.
Pas plus que dans le passé ils ne raisonnent du point de vue des intérêts révolutionnaires des exploité.es. Au lieu de substituer un nouveau « campisme » à l’ancien, alors que les camps en présence, les Etats sont tout aussi brigands les uns que les autres, il y a une troisième voie et c’est la seule issue positive : militer pour débarrasser la société et le monde du système d’exploitation et d’oppression qu’est le capitalisme. Alors bien sûr, une telle politique serait pour certains vouée à l’impuissance, d’autres même ont le cynisme de la dénoncer comme abandonnant les populations d’Ukraine aux sbires de Moscou ! Indignation morale qui invoque la solidarité internationale pour ne pas rompre avec l’opinion officielle nationale qui cimente les partis parlementaires !
Comme s’il existait une autre voie que la préparation ardente de l’affrontement de classe qui mûrit à travers la planète et unit dans un même combat la bataille contre le militarisme, les dépenses d’armement, la lutte contre l’inflation et pour les salaires, la lutte contre la crise économique et écologique à la lutte pour les droits démocratiques, les droits des peuples et la paix.
Nous combattons « l’économie de guerre » de Macron, Johnson, Biden and Co qui brise les peuples tout en combattant pour la paix. Notre solidarité, celle du mouvement ouvrier est pleine et entière avec les populations ukrainiennes et de Russie contre tous ceux qui les dressent les unes contre les autres, les sacrifient à leur soif de pouvoir et de domination. Elle vise, avec nos forces et nos moyens, sans faire la leçon ni être dupes des indignations verbales de la propagande officielle, à œuvrer au renversement de tous ceux qui aujourd’hui veulent perpétuer leur domination réactionnaire sur le monde.
Galia Trépère
[1] Voir la page du site de l’Otan : https://www.nato.int/strategic-concept/fr/
[2] https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2022/6/pdf/290622-strategic-concept-fr.pdf
[3] https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2022/6/pdf/290622-strategic-concept-fr.pdf