En pleine crise des urgences, Macron est allé « prendre le pouls » à l’hôpital de Cherbourg, accompagné de la nouvelle ministre de la santé, Brigitte Bourguignon. Face à des personnels et médecins épuisés et en colère, il a promis une… « mission flash d’un mois » pour « faciliter l’accès aux soins urgents et non programmés, partout en France » d’ici l’été… Il a également promis « à partir de juillet » une grande conférence sur la santé avec « tous les acteurs », tout en ajoutant que, pour ce qui est du personnel, « on va continuer à gérer la pénurie […] dans les dix ans qui viennent » !

Pas l’ombre d’une piste concrète, rien qui puisse un tant soit peu freiner l’hémorragie de personnels à l’hôpital, permettre de rouvrir des lits et améliorer le fonctionnement des urgences. A la place, de nouvelles provocations, dans le prolongement de celles de Véran qui, sur le départ du ministère, lançait quelques jours plus tôt, « il y a des postes, il y a des budgets, il y a de l’argent, il y a des salaires qui ont été augmentés pour recruter ces soignants […] je ne crois pas que ce soit un problème de salaire [mais] un problème d’organisation, de bureaucratie, de charge administrative »…

L’exaspération, le ras le bol, la colère des travailleurs de la santé face à l’effondrement de l’hôpital et au-delà du système de santé, sont d’autant plus importants que le « Ségur » a accouché d’une souris après des mois de « dialogue social » avec la participation complaisante des syndicats sauf SUD et CGT. Le Ségur n'a fait qu’illustrer l’impuissance et le mépris du gouvernement, cherchant à gagner du temps et à diviser les salarié.es. Les quelques augmentations accordées, 160 euros mensuels pour les personnels du privé lucratif, 183 à l’hôpital public, auxquels s’ajoute un savant saupoudrage de primes, sont dérisoires tant les besoins et les problèmes sont nombreux alors que les salaires des personnels de santé restent inférieurs au salaire moyen, contrairement à de nombreux autres pays. Et si la question des salaires est centrale, elle ne peut à elle seule répondre au profond malaise des personnels et aux démissions en cascade.

100 000 lits ont été fermés par les gouvernements de droite et de gauche entre 1993 et 2017. Le quinquennat Macron1 en a ajouté 18 000, malgré le Ségur et la crise Covid.

Aujourd’hui, 120 hôpitaux de toutes tailles, dont 14 CHU, sont obligés de réduire l’activité de leurs urgences et-ou de les fermer face à une situation sans précédent. A Oloron, dans les Pyrénées Atlantiques, l’annonce de la fermeture totale des urgences de l’hôpital pour 4 mois a provoqué une mobilisation de la population qui a obligé l’ARS à les rouvrir trois jours après avec des médecins intérimaires… mais pour combien de temps ?

Le 18 mai, les urgences de l’hôpital de Chinon fermaient en totalité suite à des arrêts maladie massifs du personnel, non remplacés. Le même jour, le CHU de Bordeaux, classé parmi les « meilleurs hôpitaux » depuis des années, annonçait la fermeture de ses principales urgences au public de 17h à 8h chaque nuit. La moitié des médecins y ont démissionné et le service fonctionne depuis des semaines en mode « dégradé », 4 des 8 lignes d’urgence sont fermées. Désormais, passé 17h, seuls les patients adressés par le « 15 » sont admis. Ceux qui se présentent directement sont accueillis jusqu’à 22h par des bénévoles de la Sécurité civile qui les aident à appeler le 15. Ceux qui arrivent après ne trouvent qu’une affichette et un téléphone devant la porte close. A l’autre bout, pour répondre au téléphone, des étudiants en médecine eux aussi bénévoles sont appelés en renfort. Une cinquantaine de médecins libéraux, qui assurent à tour de rôle des gardes pour réguler et orienter les personnes qui appellent, sont eux payés 100 euros de l’heure…

Le CHU de Bordeaux est un des plus impactés par le manque de lits : 700 ont été supprimés depuis 2000, dont 356 ces dix dernières années alors que dans le même temps la population de la métropole bordelaise a augmenté de 100 000 personnes et a vieilli. Les entrées aux urgences sont passées de 81 000 en 2019 à 121 000 en 2021 (+ 66 %). Trouver un lit d’hospitalisation pour ceux qui en ont besoin est devenu mission impossible. Des personnes âgées restent des jours sur des brancards. Une situation qui crée une surcharge de travail et une insatisfaction devenues insupportables à de nombreux personnels et médecins alors que les heures supplémentaires s’accumulent. Plus de 200 postes sont actuellement vacants sur le CHU, les arrêts maladie explosent, obligeant à fermer des lits supplémentaires. Entre 300 et 400 sont fermés chaque jour par manque de personnel, près de 15 % du total. Des services d’hématologie, cardiologie, oncologie digestive, etc., sont amenés à fermer, parfois du jour au lendemain quand les arrêts se multiplient et qu’aucun.e remplaçant.e n’a pu être trouvé.e. Des patient.es sont renvoyé.es chez eux en catastrophe.

Cette situation est en germe depuis bien avant le Covid. Cela n’a pas empêché la direction de présenter, il y a à peine un an, son projet « nouveau CHU de Bordeaux » avec 1,2 milliard d’euros d’investissements sur 10 ans et… 200 nouvelles suppressions de lits ! Le Directeur général, Bubien, assure aujourd’hui que ce n’est plus d’actualité au vu du contexte… mais cet expert en restructurations et fermetures de lits, ex chef de cabinet des ministres de la santé Bertrand, Bachelot et Buzyn, n’en est pas à une pirouette près.

Dans tout le pays, l’ensemble du système de santé est touché et tous les professionnels craignent le pire pour cet été. Des milliers de lits vont être fermés dans tous les hôpitaux mais aussi nombre de cliniques faute de remplaçants.

Les personnels n’ont pourtant cessé depuis des années de dénoncer la catastrophe annoncée et de se battre. Toute l’année qui a précédé l’épidémie de Covid a été marquée par une agitation grandissante dans les hôpitaux, en particulier dans les services d’urgences. Les personnels s’y sont organisés en collectifs syndiqués et non-syndiqués, se regroupant nationalement dans un Collectif Inter-urgences. La mobilisation s’est progressivement étendue à l’ensemble du personnel et aux médecins hospitaliers. Fin 2019, Macron promettait, sans rire, un… « plan d’urgence » pour « redonner de l’oxygène » à l’hôpital. En réponse, début 2020, 1000 médecins chefs de services démissionnaient de leurs responsabilités administratives exigeant des mesures immédiates face à la catastrophe annoncée, en vain.

La crise Covid a laissé l’hôpital exsangue, le personnel à bout. Mais des équipes recommencent à s’organiser, à se mobiliser. A travers le refus d’une situation extrême, personnels, médecins et jusqu’aux cadres, habituellement peu enclins à protester, contestent le fonctionnement de l’hôpital, la logique des politiques de santé.

Contre la soumission du système public de santé aux intérêts privés et à la finance

Une tribune publiée dans le Monde, signée par près de 1500 salariés et médecins du CHU de Bordeaux, dénonce les « critères comptables qui nous sont imposés, un taux élevé d’environ 95 % d’occupation des lits qui ne permet plus d’assurer une disponibilité de lits pour les patients nécessitant une hospitalisation de manière rapide […] des délais chirurgicaux allongés voire des annulations d’actes chirurgicaux […] une gestion industrielle de la médecine »…

Tous ceux qui aujourd’hui tentent d’agir contre la déroute en cours, d’inverser le cours des choses, sont amenés à contester les bases mêmes du système. Il ne peut y avoir de mesure à la marge, la situation pose la question de l’organisation de l’ensemble du système de santé, la nécessité de l’extraire des griffes des intérêts privés, de la finance, des « logiques comptables » et de la tarification à l’activité. Les hôpitaux, contraints d’emprunter toujours plus auprès des banques faute de financement public, sont aujourd’hui pris à la gorge par le remboursement de la dette et de ses intérêts qui captent une part toujours plus grande des budgets. La dette des hôpitaux publics représentait 29,3 milliards d'euros en 2019. L’Etat s’est engagé avec le Ségur à en reprendre un tiers à sa charge sur dix ans… une aubaine pour les banques qui peuvent à nouveau financer des hôpitaux jusqu’à peu surendettés, certains en cessation de paiement, s’assurant à la fois le remboursement par l’Etat d’une part des emprunts passés et de nouveaux intérêts conséquents à venir.

40 ans d'attaques libérales, de restrictions budgétaires et de restructurations, de fermeture de lits, de services, d’hôpitaux entiers, ont saigné l’hôpital public, l’ont soumis toujours plus à la finance et ont fait la part belle au secteur privé.

De nombreux services ont été externalisés, confiés à des entreprises privées tels le ménage, les cuisines, les blanchisseries, des services techniques ou administratifs (l’AP-HP vient de confier la gestion de ses lits à une start-up privée), voire les parkings… faisant le bonheur des Vinci, Elior, Sodexho et autres. Les « partenariats » public-privé ont vu la construction de cliniques privées au sein de parcs hospitaliers ; des plateaux techniques ont été confiés à des groupements d’intérêt économique (GIE) dans les locaux d’hôpitaux… L’essentiel des activités lucratives ont progressivement migré du secteur public vers des cliniques privées, tandis que l’hôpital s’est concentré sur les spécialités coûteuses, demandant des investissements massifs ou « peu rentables » avec des hospitalisations longues et peu de gestes rémunérateurs. Ce sont eux aussi qui prennent en charge l’enseignement et la recherche. L’hôpital public a ainsi été consciencieusement désossé, démantelé, préparant sa faillite.

Faire du 7 juin une étape pour nous organiser, contester leur monde et porter nos exigences

Mardi prochain 7 juin, les syndicats CGT, SUD, CFE-CGC et certains collectifs appellent à une journée de mobilisation sur la question des urgences. Annoncée le 24 mai, cette date a été relayée de façon très tardive, en pleine période de pont et de jours fériés, les fédérations syndicales donnant bien peu les moyens aux militant.es, malgré la gravité de la situation, d’en faire un succès ou tout au moins une étape pour la suite. Certaines équipes ont néanmoins essayé de s’en saisir même s’il est difficile de dire quel pourra en être le résultat. Mais quoi qu’il en soit, la révolte face aux reculs incessants, l’envie de ne plus subir gagnent du terrain, par-delà l’apathie des directions des fédérations syndicales et leurs rivalités à l’approche des élections professionnelles du secteur public.

Les hospitaliers, et plus largement l’ensemble des personnels de santé publics et privés, la population n’auront d’autre choix que de s’organiser dans les semaines, les mois qui viennent pour empêcher la déroute de s’amplifier et porter des mesures immédiates, en commençant par l’annulation totale de la dette des hôpitaux.

Il faut un plan d’urgence massif pour augmenter les salaires de 400 euros net minimum ; pour former immédiatement les centaines de milliers d’infirmier.es, d’aides-soignant.es, de médecins, kinés, manips radio et autres spécialités nécessaires en assurant à chaque étudiant.e un véritable salaire, des conditions d’étude et de travail correspondant à leurs aspirations. L’attirance pour ces métiers, l’envie d’être socialement utile n’ont pas faibli : 30 % des lycéens ont inclus dans leurs souhaits des études dans la santé ou le social dont, pour 650 000 d’entre eux, le « Parcours accès spécifique santé ».

Quant aux moyens, ils ne manquent pas davantage : l’argent magique n’a cessé de couler depuis deux ans pour renflouer les caisses des entreprises privées qui leur ont permis de verser un record de dividendes à leurs actionnaires ! Les très riches ne se sont jamais si bien portés. La fortune d’un Bernard Arnault, estimée aujourd’hui à 158 milliards de dollars, permettrait à elle seule de boucher quelques trous du budget de la santé.

Les connaissances médicales, scientifiques, technologiques, ne cessent de progresser, permettant d’assurer à l’ensemble de la population un égal accès à la santé. Chaque jour de nouvelles avancées rendent possibles de meilleures prises en charge, l’amélioration des conditions de vie, y compris en permettant d’évaluer en temps réel les besoins. Mais ces progrès sont aujourd’hui soumis à la loi du marché et du profit, la recherche fléchée en fonction des retours sur investissements attendus par les financeurs et décideurs. La santé, la dépendance, le handicap sont sources intarissables de profits pour les multinationales du médicament, du matériel médical, des cliniques, des Ehpad… dont les révélations autour d’Orpéa ont donné une petite mesure, ainsi que des liens qu’ont ces mastodontes avec la finance internationale et les réseaux obscurs. Orpéa dont la direction a annoncé qu’elle ne verserait pas cette année la prime d’intéressement aux salariés, provoquant une grève massive dans tout le pays ce vendredi 3 juin.

Il est urgent de mettre un terme à ce parasitisme criminel, cette gabegie en expropriant, sans indemnités ni rachat, les groupes et autres géants de la santé privée. Et il est tout aussi urgent de réorganiser l’ensemble du système de santé, des différentes structures, en intégrant l’ensemble des établissements dans un même système sanitaire public planifié et géré démocratiquement en fonction des besoins collectifs. Mettre en réseau, faire coopérer l’ensemble des pièces de ce puzzle ne posera guère de difficultés tant la marche même du capitalisme a déjà créé ces réseaux, les outils de coordination, d’organisation, de mesure. Il suffira aux travailleurs qui les font aujourd’hui tourner pour les profits d’une ultra minorité, de le faire pour la collectivité… ouvrant ainsi des perspectives bien différentes. Y compris nombre de médecins et autres « spécialistes », chirurgiens ou anesthésistes, qui dans le système actuel prélèvent sans scrupule leur part, se sentant autorisés à imposer des dépassements d’honoraires scandaleux (certains même à l’hôpital public) trouveront dans cette organisation une qualité de travail, de relations, de pratique professionnelle et d’émulation apportant de toutes autres satisfactions.

Quant à l’exercice « libéral » de la médecine, cette aberration ne survivra pas longtemps. L’installation et la répartition des médecins ne répondent aujourd’hui à aucun plan ni besoin collectifs, dépendant du seul « choix » des médecins. Sur fond de graves pénuries, des territoires de plus en plus nombreux, en particulier en secteur rural, sont aujourd’hui sans médecins généralistes, sans kinés voire sans infirmiers. Les jeunes professionnels qui acceptent de s’installer dans ces « déserts médicaux » sont livrés à eux-mêmes, isolés… Seules les populations, les mairies, et les médecins qui attendent pour prendre leur retraite se mobilisent, essayant d’attirer et de simplifier la vie d’éventuels nouveaux venus. L’évidence s’impose de plus en plus de la nécessité de remplacer cette « liberté » archaïque, où chacun se retrouve livré à lui-même, par une coopération organisée, démocratique, respectueuse des usagers, de la population et des travailleur.ses de la santé, toutes professions et qualifications confondues. Là aussi, les évolutions sont déjà en route avec le besoin pour bien des médecins et autres professionnels de santé de se regrouper dans des cabinets collectifs, des maisons de santé tant pour leur qualité de travail que de vie.

La crise de l’hôpital ne pourra se résoudre sans une réorganisation totale, une planification démocratique de l’ensemble du système de soins, adaptant les moyens aux besoins définis collectivement et, pour cela, échappant à toute logique marchande et de profit. Les mobilisations des travailleurs de la santé et de la population y ouvriront naturellement la voie, ne craignant pas de remettre en cause la domination des intérêts privés, la propriété capitaliste.

Isabelle Ufferte

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