Durant toute la campagne présidentielle, Philippe Poutou et Nathalie Arthaud se sont ignorés, les deux organisations, le NPA et LO, ne se pensant pas comme deux sensibilités d’un même courant révolutionnaire confronté à une situation nouvelle et inédite qui nécessiterait, a minima de créer un cadre démocratique pour débattre de nos expériences comme de nos échecs, tourner la page pour créer les conditions d’unir nos forces.

Chacun.e a justifié cette situation en expliquant que ce n’était pas un problème : plus il y a de voix pour défendre les idées révolutionnaires mieux ce serait ! LO écrivant même : « Au vu de ce que représentent aujourd’hui dans les urnes Lutte ouvrière et le NPA, (…), rien ne pouvait justifier que l’une ou l’autre de nos organisations renonce à défendre sa politique à la présidentielle »[i]. Étrange façon de poser la question de l’unité, comme un renoncement, quand il s’agit de discuter des voies et moyens qui sont entre les mains des militant.e.s révolutionnaires pour jeter les bases d’un parti, instrument de notre objectif commun, l’émancipation du monde du travail. L’enjeu est bien de donner crédibilité à nos idées et aux perspectives que nous portons. La convergence des colères et des luttes suppose la convergence des idées et des perspectives.

Au lendemain de l’élection présidentielle, les échanges de courriers entre la direction du NPA et celle de LO jettent un éclairage significatif sur la réalité de la politique des deux organisations, un éclairage utile du moins s’il peut contribuer à la prise de conscience des militant.e.s et sympathisant.e.s des deux organisations et nous aider à prendre la mesure des enjeux du moment.

Ils sont le constat d’un échec, l’espoir aussi que les yeux se dessillent.

D’autant que les résultats des élections présidentielle ont confirmé des ruptures profondes avec les partis gouvernementaux qui se sont effondrés, un rejet du jeu de dupe électoral et institutionnel avec une abstention record mais aussi un réel intérêt d’une fraction de la jeunesse pour les idées révolutionnaires comme en témoigne le public des meetings tant du NPA que de LO.

Et même la dynamique autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon dont s’est emparée une partie de la jeunesse, du monde du travail ou de milieux militants témoigne d’une volonté de ne pas subir, de chercher une perspective politique face à la faillite du capitalisme.

Mais pas plus le NPA que LO n’ont réussi à rendre crédible, populaire une perspective révolutionnaire qui réponde à cet éveil des consciences, un programme liant la réalisation des exigences sociales, démocratiques, écologiques immédiates à l'intervention directe des classes exploitées pour imposer leur contrôle sur la marche de la société, un programme qui pose la question du pouvoir en toute indépendance du cadre institutionnel.

La fraction majoritaire de la direction du NPA a maintenu une ambiguïté permanente en plaçant la campagne de notre camarade Philippe Poutou dans la perspective d’une reconstruction d’une « gauche de combat », dans la continuité de sa politique d’alliance avec LFI qu’elle a engagée depuis deux ans aux municipales à Bordeaux avec BEL, puis aux élections régionales en Nouvelle Aquitaine et en Occitanie et maintenant avec l’offre de service à NUPES pour les législatives, malgré l’échec de sa tentative d’intégration à cette nouvelle mouture d’union de la gauche…

Quant à LO, sa campagne est restée enfermée au nom du communisme et du parti révolutionnaire dans une logique d’auto affirmation repliée sur sa propre activité, sans prendre en compte les conditions et les enjeux de la nouvelle période et ne s’adressant à l’ensemble du mouvement révolutionnaire qu’en donneur de leçons.

A défaut de chercher à résorber les clivages, au moins à en discuter, à les apprécier pour essayer de dégager une orientation politique susceptible de rassembler le mouvement révolutionnaire, les deux campagnes n’ont fait que les aggraver. Une impasse dont il y a urgence à nous dégager pour engager la bataille pour un parti des travailleurs ouvert, large, démocratique et révolutionnaire.

Un échange de courriers… pour justifier repli sectaire et fuite en avant opportuniste

Les derniers échanges de courriers entre le NPA et LO sont l’illustration et l’aboutissement de cette politique de fuite en avant où chacun reste prisonnier du passé sans mesurer l’urgence, la situation inédite auxquelles le courant révolutionnaire et le mouvement ouvrier sont confrontés. Chaque organisation ne cherche dans la critique indignée de l’attitude de l’autre que la confirmation de la justesse de sa propre politique et donc de sa poursuite, avec une logique qui ne peut qu’alimenter le sectarisme des deux.

Ainsi pour reprendre rapidement le fil de ces échanges[ii], le 19 avril, la direction du NPA a envoyé une invitation à LO pour échanger sur « l’appréciation de la situation et des tâches pour les révolutionnaires » tout en précisant qu’elle venait de répondre positivement à l’invitation de l’Union populaire pour discuter des législatives dans le cadre de l’orientation définie et voulue par Mélenchon. La démarche à notre avis erronée de la direction du NPA, dans la continuité de sa campagne, méritait une réponse politique. Pour LO, elle fut perçue comme une provocation qui ne pouvait qu’en appeler une autre en retour. Après avoir refusé l’invitation par courrier le 28 avril et renvoyé la discussion au débat public de la fête de Presles, LO a profité de la commémoration organisée en hommage à Alain Krivine le 30 avril pour faire la virulente critique du « suivisme » du NPA et de la IVème internationale et graver dans le marbre le clivage entre les deux organisations : « C'est avec cette orientation que, depuis notre origine en tant que courant, nous avons été en désaccord et continuons de l’être. ». L’intervention de Rodinson pour le moins peu respectueuse du cadre où elle se produisait devint le prétexte d’une nouvelle surenchère : demande d’excuses de la part du NPA le 5 mai, refus de LO le 7 mai et pour terminer l’annonce de non-participation à la fête et au débat de LO par le NPA, le 11 mai... « au vu de la nature de nos relations actuelles, les conditions ne sont pas réunies pour que le NPA participe cette année à votre fête. ».

Scénario prévisible, presqu’écrit à l’avance, dans lequel chaque organisation a joué son rôle, en restant prisonnière de son orientation et de sa justification alors que les bouleversements en cours devraient nous obliger à repenser toute l’expérience passée. Un dialogue de sourds qui révèle l’absurdité de ces relations entre organisations révolutionnaires où chacune met en avant ses désaccords, sans réelle volonté d’échanger pour penser ensemble une situation nouvelle et inédite et surtout en ignorant l’essentiel, ce qui fait accord, à savoir l’objectif commun de transformation révolutionnaire de la société. Cet objectif commun qui nous unit de fait, est la véritable base sur laquelle s’appuyer pour construire, œuvrer à unifier le mouvement révolutionnaire et s’adresser, au-delà de nous, à l’ensemble du monde du travail et de la jeunesse.

Cela voudrait dire rompre avec les conceptions qui conduisent LO à conclure ainsi sa lettre du 28 avril : « Pour l’heure, ni vous ni nous n’avons pu faire la démonstration de la validité de notre démarche politique. L’histoire ne nous a pas départagés devant le seul témoin possible : les masses exploitées. »

En écrivant ainsi, LO ne se rend même pas compte de l’étrange compréhension qu’elle a de ce que pourraient être les rapports démocratiques entre militants, les masses et le parti que nous voulons construire, le parti de l’émancipation des travailleurs qui sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ! Notre défi n’est pas de tenir sur sa ligne politique juste et inflexible, hors du temps, jusqu’à ce que l’histoire tranche, comme si les masses allaient départager les courants révolutionnaires, sinon par un vote de congrès, du moins en reconnaissant leur guide suprême vers la victoire finale et le socialisme ! Caricature de marxisme qui n’appartient pas réellement à la compréhension et à la méthode que nous a transmises Trotsky.

Les masses ont en réalité tranché, à ce stade. Elles nous laissent en marge, sur le côté. Il ne manquera pas d’esprits clairvoyants pour nous expliquer que le rapport de forces est dégradé ! Certes, mais nous sommes aussi des acteurs de ce rapport de force et nous sommes confrontés au défi d’être capables de faire notre propre révolution, de rompre avec la routine des groupes gauchistes hérités des années post-soixante-huitardes pour ensemble travailler à jeter les bases d’un parti révolutionnaire dans lequel les travailleurs, les jeunes, les femmes puissent se retrouver et se reconnaître.

Dépasser les clivages et sectarismes n’est pas une question morale mais politique et théorique

Cette situation aboutit à un gâchis considérable pour l’ensemble du mouvement révolutionnaire riche de bien des possibilités. Elle traduit avant tout la difficulté des organisations révolutionnaires à rompre avec leur passé pour élaborer une politique répondant aux contradictions du monde d’aujourd’hui, aux besoins des travailleurs face aux bouleversements provoqués par la mondialisation financière, autrement que par la simple reconduction des mêmes politiques.

Trop longtemps les organisations révolutionnaires sont restées des opposants à la social-démocratie et au stalinisme défendant une orthodoxie marxiste, révolutionnaire dans un contexte où la classe ouvrière ne postulait pas au pouvoir, ni même ne contestait radicalement le système.

Ce contexte est révolu, une page vient de se tourner.

Notre défi n’est pas de protéger l’héritage du marxisme révolutionnaire mais bien de le faire vivre au cœur des masses à partir de leurs expériences concrètes tant politiques que sociales. Le faire vivre, c’est l’utiliser pour comprendre l’évolution actuelle du capitalisme, de la mondialisation financière du point de vue des possibilités révolutionnaires que cela ouvre. C’est la condition pour répondre aux enjeux de la période marquée par la crise globale du capitalisme, l’effondrement de la gauche gouvernementale mais aussi par la montée de la colère et de la révolte dans le monde du travail, de la jeunesse, des femmes.

Face à une telle situation il y a urgence à regrouper nos forces pour aider à l’émergence d’un nouveau mouvement ouvrier et révolutionnaire, œuvrer à la construction d’un parti révolutionnaire qui se situe en toute indépendance des institutions dans la perspective d’une transformation révolutionnaire de la société.

Au lieu de cela le mouvement révolutionnaire reste paralysé par une crise permanente où chaque organisation, chaque fraction campe sur ses positions en refusant tout réel débat démocratique, qui pourrait l’amener à remettre en cause ses vieux cadres de raisonnements, à plonger dans l’inconnu au moment même où tout est bousculé par la nouvelle époque de développement du capitalisme et des luttes de classes.

La direction du NPA se perd dans des aventures impossibles... reconduction de sa politique de recherche permanente d’alliance avec ce qui reste d’une gauche en ruine qui n’a plus grand-chose à voir avec le vieux mouvement ouvrier. Faute de tirer les leçons de ses échecs successifs, elle se condamne à ne se penser que comme l’aile gauche de cette « gauche de combat » entretenant de fait les ambiguïtés avec tous ceux qui s’accrochent à l’illusion d’une solution compatible avec le cadre institutionnel.

LO, de son côté, fait la morale, en faisant du communisme comme de la nécessité d’un parti révolutionnaire une affirmation identitaire plus qu’un objectif concret dont il s’agirait de discuter à partir de la situation actuelle, des forces réelles des révolutionnaires comme des évolutions de conscience.

Les deux organisations s’enferment de plus en plus dans cette double impasse comme dans une fuite en avant qui évite de s’interroger sur les échecs et les occasions ratées de ces deux dernières décennies.

Rompre avec les pratiques sectaires

La nécessité pour l’extrême gauche de rompre avec notre passé de petit groupe pour franchir une étape significative se pose comme une possibilité concrète depuis qu’en 1995, pour la première fois, Arlette Laguiller a réalisé plus de 5 % des voix à l’élection présidentielle.

L’appel d’Arlette Laguiller à la construction d’un parti des travailleurs qui a suivi a été rapidement vidé de tout contenu par la direction de LO. D’abord par son refus d’y associer la LCR qui y avait alors répondu positivement et surtout parce qu’en réalité LO n’a jamais fait de cet appel une véritable politique de construction en direction du milieu large qui avait voté pour elle et encore moins une politique unitaire en direction de l’ensemble des organisations révolutionnaires pour faire un pas vers leur regroupement.

Comme effrayée par son propre succès et plutôt que de s’appuyer sur lui comme sur un levier pour franchir une étape qui l’aurait obligée à dépasser son mode de fonctionnement pour prendre l’initiative de créer un cadre large, démocratique, la direction de LO a rapidement renoncé pour s’enfermer dans une logique de repli sur soi, resserrant les rangs de ses militants autour d’une affirmation de plus en plus proclamatoire de sa filiation révolutionnaire. Cet abandon a provoqué une crise au sein de LO qui a abouti à l’exclusion des camarades à l’origine de Voix des travailleurs qui ont fusionné avec la LCR en juin 2000, et sont à l’origine de Démocratie révolutionnaire dans le NPA. Elle a aussi entraîné, en 2008, l’exclusion des camarades de la Fraction L’étincelle qui ont rejoint depuis le NPA.

Confirmant la réalité des possibilités nouvelles que la période ouvrait aux révolutionnaires, en 1999, une liste LO-LCR aux élections européennes permit d’envoyer 5 députés au Parlement Européen dont Arlette Laguiller et Alain Krivine, donnant un contenu plus concret à ce qu’aurait pu être une politique unitaire de regroupement du mouvement révolutionnaire dans un cadre commun, la perspective du « parti d’Arlette et d’Alain ». Mais aucune des deux organisations n’a voulu utiliser ce succès électoral pour aller plus loin dans cette perspective de regroupement.

Malgré cela, l’intérêt pour les idées révolutionnaires se confirma en 2002 quand, faute d’une candidature commune des révolutionnaires, Arlette Laguiller et Olivier Besancenot réalisèrent ensemble plus de 10 % des voix aux élections présidentielles et encore en 2007 près de 6 %.

Après le refus de LO de sortir de la logique d’auto construction pour envisager un cadre large de regroupement, la fondation du NPA en 2009 à l’initiative de la LCR était une tentative de répondre à cette nécessité d’unité en explorant les possibilités qu’ouvrait la période. Le NPA se voulait à sa fondation ce cadre large et démocratique capable d’associer, d’entraîner largement tous ceux qui à travers les combats qu’engendrent les résistances à la mondialisation financière, se retrouvaient dans la perspective « d’une transformation révolutionnaire de la société ». LO a alors refusé l'invitation à participer au processus.

Un tel projet de rassemblement des anticapitalistes et des révolutionnaires impliquait d’engager et de mener jusqu’au bout le débat stratégique pour lever les ambiguïtés et confusions qu’un tel cadre large ne pouvait qu’avoir, et notamment sur la question du pouvoir. Mais la confusion politique, inévitable du début, a été entretenue d’une part, par la politique dite « des partis larges » qui a conduit à cette politique unitaire vis-à-vis de la gauche radicale, antilibérale que défend toujours la fraction majoritaire de la direction, et d’autre part par la difficulté à dépasser la vie des petits groupes qui a condamné le NPA à rester un regroupement de fractions qui coexistent, chacune cherchant à s’auto-construire, sans parvenir à penser une politique pour l’ensemble de l’organisation, du mouvement révolutionnaire, sans chercher à dépasser l’histoire particulière de chacun des courants pour participer d’un dépassement collectif.

C’est de cette impasse qu’il nous faut sortir pour répondre aux enjeux de la période.

Pour un parti des travailleurs large, démocratique et révolutionnaire, un parti pour la conquête du pouvoir

En réalité, les difficultés que rencontre le mouvement révolutionnaire tournent autour de la question de la conquête du pouvoir c’est-à-dire de la conquête, par le monde du travail, de la démocratie, du droit de contrôler et de décider de la marche de la société. Une question centrale que les rapports de force ont conduit le mouvement révolutionnaire soit à mettre de côté, soit à en faire une proclamation, soit à verser dans l’opportunisme pour attendre de la gauche l’impossible.

LO comme le NPA ont défendu durant la campagne un programme pour les luttes mais sans réellement et concrètement poser la question du pouvoir hors du cadre institutionnel. Pour les législatives LO reste dans la même logique alors que le NPA, rattrapé par la question politique, ne voit d’autres éléments de réponse que dans le soutien critique à NUPES.

Même si nous menons partout le débat avec les camarades, les travailleurs, les jeunes influencés par NUPES que nous côtoyons dans les luttes, dans les syndicats, nous ne sommes pas en soutien critique de cette gauche qui cherche à ranimer ce vieux mythe éculé qu’il serait possible de changer les choses en évitant la lutte des classes, dans le cadre du jeu de dupe institutionnel. Nous portons une toute autre perspective, celle d’un parti des travailleurs, démocratique et révolutionnaire, postulant à la conquête du pouvoir par et pour les travailleurs, hors du cadre institutionnel, un gouvernement des travailleurs et de la population issu des mobilisations. C’est cette perspective qu’il s’agit de discuter, de confronter pour aider les évolutions de conscience à aller jusqu’au bout de la rupture avec les illusions institutionnelles, à prendre la mesure qu’aujourd’hui même la satisfaction des besoins les plus immédiats pose la question de l’intervention des masses, de leur contrôle sur la marche de la société, la question du pouvoir.

Notre programme n’est pas une liste de revendications emblématiques et un projet de société mais bien un programme pour l’intervention directe des travailleurs sur le terrain où se décident leurs propres destinées.

La tâche des révolutionnaires est d’aider le monde du travail à se constituer en parti, le parti de l’émancipation des exploités par eux-mêmes pour la prise en main de la marche de la société par ceux qui la font fonctionner par leur travail.

Un tel parti ne naîtra pas de recompositions des débris d’une gauche en ruine qui ne vise qu’à gouverner dans le cadre institutionnel… Il ne naîtra pas non plus de la seule activité d’une fraction révolutionnaire qui prouverait que seule sa ligne est juste, ni même d’ailleurs d’un front de fractions qui se paralysent dans une confrontation stérile.

Le parti de l’émancipation ne peut qu’être un parti large, ouvert, démocratique et révolutionnaire. Un parti qui naîtra d’un mouvement démocratique, vivant, sélectionnant à travers la lutte des classes ses dirigeants, comme ses orientations. Un parti qui lie ses revendications, son programme à une stratégie de lutte pour le pouvoir en rupture avec le système et ses institutions, une stratégie révolutionnaire.

Bruno Bajou

 

[i] https://mensuel.lutte-ouvriere.org//lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/224-mai-juin-2022

[ii] https://mensuel.lutte-ouvriere.org//2022/05/02/une-correspondance-entre-le-npa-et-lo_301282.html

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