Alors que son gouvernement a déjà été condamné deux fois pour « inaction climatique », Macron, espérant glaner quelques voix du côté des électeurs de Mélenchon ou de Jadot avant le deuxième tour de la présidentielle, avait annoncé que le futur premier ministre serait chargé de la « planification écologique » en lien avec un « ministre de la planification énergétique ». Le 4 mai, avant même d’avoir finalisé son nouveau gouvernement, il recevait une dizaine d’experts du climat pour réfléchir « à la mise en œuvre de la planification écologique »….

Derrière la grossièreté cynique du greenwashing présidentiel, ce discours sur la « planification écologique », expression directement reprise du programme de Mélenchon, est de fait l’aveu que la « concurrence libre et non faussée », les lois du marché dont se revendiquent pourtant tous les défenseurs du capitalisme sont bien incapables d’être le cadre d’une politique économique prenant en compte l’intérêt général et se donnant un autre objectif que la course au profit d’une minorité.

La planification, une nécessité rendue possible par le progrès scientifique et technique

Le caractère mondial de la crise climatique, écologique, appelle des réponses mondiales, concertées, planifiées à l’échelle internationale. Des réponses qui nécessitent de faire passer l’intérêt général à long terme avant les intérêts à courte vue des classes dominantes et des gouvernements à leur service. Elles impliquent d’en finir avec les cadres nationaux et les rivalités entre Etats, avec la concurrence économique, la fuite en avant dans la course à la productivité, à la compétitivité, avec la logique du profit et donc avec la propriété capitaliste.

L’incapacité des gouvernements à mettre en œuvre le moindre début de réponse dans le cadre du marché redonne toute son actualité à la nécessité d’une planification de l’économie, c’est-à-dire d’un cadre permettant d’organiser la production rationnellement à l’échelle internationale pour satisfaire les besoins des populations tout en tenant compte des limites naturelles de notre planète.

Les progrès scientifiques et techniques qui ont permis de faire du monde ce village planétaire en unifiant comme jamais l’humanité créent les bases pour une telle planification mondiale, même si ces progrès sont aujourd’hui pervertis par une poignée de multinationales qui les détournent de leur utilité sociale pour les soumettre à la seule logique du profit.

Mais ces progrès existent et de fait ont contribué à construire une économie intégrée à l’échelle du monde qui ne fonctionne que par le travail social d’une classe ouvrière plus importante que jamais, jeune, instruite, féminisée, interconnectée. Tous les puissants outils de recensement, de logistique, de gestion et de production qui permettent aujourd’hui aux multinationales d’organiser l’ensemble de la production et des échanges à l’échelle de la planète, pourraient être libérés du carcan de la propriété privée et directement utilisés par ceux qui les mettent en œuvre par leur travail, pour recenser les besoins réels comme les ressources naturelles disponibles et leurs limites, afin de rationaliser la production avec de tout autres critères que ceux de la rentabilité financière, de la compétitivité…

La contradiction n’a jamais été aussi grande entre les possibilités ouvertes par ces progrès, la capacité qu’ils donnent à l’Humanité pour agir face au changement climatique et à ses conséquences et les entraves de cette propriété capitaliste archaïque et de la folie d’une économie où il s’agit de produire des marchandises pour les vendre afin de réaliser un profit et non pour répondre à de réels besoins.

Le débat autour de la nécessité d’une planification écologique n’est pas une question « technique », une question d’experts, mais bien une question sociale et politique, qui pose la question d’en fonction de quels intérêts sociaux s’organise l’économie, ceux d’une poignée de multinationales ou ceux de l’ensemble de la société et de son environnement.

La planification incompatible avec la propriété privée capitaliste

Depuis plusieurs décennies, années après années, les rapports des scientifiques du GIEC alertent sur les dangers des bouleversements de plus en plus rapides du climat, ils ont décrit les causes de ce réchauffement, mais la mise en œuvre de la moindre des mesures permettant d’y répondre impliquerait de limiter le droit des classes possédantes à faire de la course aux profits le seul but de toute l’activité économique, impliquerait de remettre en cause la propriété capitaliste.

Une réelle planification est impossible dans le cadre d’une économie capitaliste mondialisée qui ne connaît que les lois du marché comme régulateur et dont le seul moteur est l’accumulation du capital ; un capitalisme qui devient de plus en plus financier, prédateur avec des conséquences dévastatrices pour l’ensemble de la société comme pour l’environnement.

L’échec répété des grandes conférences internationales sur le climat révèle l’incurie des classes dominantes, l’incapacité des gouvernements à faire face aux conséquences d’une crise climatique aggravée par les ravages environnementaux de la mondialisation capitaliste. Toutes ces conférences se sont soldées par des échecs car elles ont toujours refusé d’empiéter sur le droit de propriété capitaliste, refusé de sortir du cadre du marché et n’ont cherché qu’à mettre en avant des solutions compatibles avec la poursuite de la course au profit… d’où la multiplication de fausses solutions comme le marché du carbone, le marché des droits à polluer, le développement d’une finance verte.

Toutes ces mesures reposent sur ce credo absurde que les lois du marché permettraient de faire rentrer l’économie dans un cercle vertueux écologique, alors que non seulement elles n’ont été d’aucune utilité pour préserver le climat, mais elles ont surtout permis de créer de nouvelles sphères spéculatives pour la finance qui n’ont fait qu’aggraver la situation.

Derrière les lois du marché, il y a la réalité des rapports de classes, la réalité de la domination d’une classe minoritaire et parasitaire devant lesquels s’inclinent tous les gouvernements, comme toutes les institutions internationales.

Quelques multinationales, géants de l’industrie et de la finance, contrôlent, organisent, planifient toute l’activité économique mondiale en fonction de leurs seuls intérêts, soumettant l’ensemble de la vie sociale à la seule logique du profit à très court terme, menant une lutte acharnée pour s’accaparer toutes les richesses produites par le travail, entraînant désastre humain et écologique et surtout rendant impossible toute réponse collective, rationnelle face aux catastrophes annoncées, toute réelle planification de l’activité humaine dans l’intérêt général.

Il ne peut y avoir de réelle planification sans remettre en cause la propriété capitaliste sur laquelle repose cette domination des multinationales, sans remettre en cause le fonctionnement même de l’économie capitaliste.

La planification écologique de l’Union Populaire, la révolution par la constitution et les institutions

Toute l’agitation « écologique » de Macron à quelques semaines des élections législatives ne fait que révéler le cynisme du pouvoir, prêt à récupérer pour son propre compte la formule de « planification écologique » de Mélenchon. Une usurpation rendue possible par la teneur même de ce programme, qui dénonce l’absurdité du marché mais sans remettre en cause ni le capitalisme, ni le cadre institutionnel.

La « planification écologique » que Mélenchon développe dans le programme « l’Avenir en commun » de l’Union Populaire repose sur une « règle verte », à inscrire dans le marbre de la constitution, qui prévoit « à l’échelle de la France, de ne pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer, ni de produire plus de pollutions et de déchets que ce qu’elle peut supporter »… Des vœux pieux, comme si la Charte de l’environnement de 2004 déjà adossée à la constitution, avait changé quoi que ce soit à la folie du système capitaliste !

Mais l’UP assure que tout sera différent avec une « loi de planification » votée au Parlement ou un « Conseil à la planification », avec démarche participative et de « nouveaux indicateurs » mesurant le niveau de bien-être et pas le PIB ! Le programme défend un principe de « sobriété » au niveau des besoins de la population, sans dire un mot sur des mesures autoritaires à imposer aux plus riches ou à l’industrie du luxe dans l’intérêt de la collectivité.

Mais surtout, les multinationales sont absentes de ce programme. Quand il parle des entreprises privées du secteur marchand, il parle d’incitation avec des « aides, subventions, accès au crédit en fonction de critères de responsabilité sociale et environnementale » … Quelle nouveauté ! Au mieux, il évoque que « L’État doit donc, dans un premier temps, sortir les biens communs des griffes du marché ». Comme si la remise en cause des multinationales pouvait se régler par décret… et non sur le terrain de la lutte des classes, comme une perspective pour les révoltes qui se développent en réaction aux ravages de la mondialisation.

La « planification écologique » se réduit ainsi à défendre l’intervention de l’Etat plutôt que le marché, comme si l’Etat n’avait plus aucun contenu de classe par la magie des élections. Qui dit Etat et République, dit aussi politique nationaliste, où la France est promue « fer de lance de la diplomatie climatique et écologique dans le cadre de l’ONU ». De même, les revendications de relocalisations ou de « protectionnisme écologique et solidaire », même en y accolant des adjectifs plus progressistes, restent une politique réactionnaire enfermant les travailleurs derrière les frontières et derrière leur propre bourgeoisie.

Face à la déroute du capitalisme, en appeler à l’intervention de l’Etat est illusoire. Depuis la pandémie, les Etats sont justement intervenus massivement partout, ils ont multiplié les « plans » en tout genre au service exclusif des multinationales et des financiers.

En France, l’Etat a mis 400 milliards sur la table depuis le début de la pandémie, auxquels il faut rajouter les 100 milliards du plan France Relance de 2020 et les 34 milliards de France-2030, ainsi que les dispositifs de soutien de la BCE. L’essentiel de ce « pognon de dingue » a été capté par le CAC40 qui a versé en 2021 plus de 60 milliards d’euros à ses actionnaires alors que la plupart des entreprises qui le constituent sont sous perfusion d’argent public. Ces dividendes et rachats d’action représentent 140 % des profits réalisés en 2020… Le parasitisme est total !

Quant à la « transition écologique » promise par le gouvernement, là encore, l’essentiel de l’argent public est parti en cadeaux pour les entreprises sans la moindre condition : 20 milliards d’exonération des impôts dits de « production », baisse de 10 milliards par an de l’impôt sur les sociétés profitant largement à l’industrie des énergies fossiles… Même le Haut-Conseil pour le climat s’est inquiété que 70 % des financements du plan France Relance pourrait avoir « un effet significatif à la hausse sur les émissions de CO2 » !

La « planification écologique » de Mélenchon s’inscrit en réalité dans ces politiques d’intervention de l’Etat dans la lignée du « Green New Deal », des politiques qui entretiennent les mêmes vieilles illusions réformistes, celles qu’il serait possible de changer les choses sans remettre en cause le système, possible de « bifurquer » du capitalisme avec un bon gouvernement de gauche, dans le cadre de ces institutions… et surtout en préservant la propriété privée capitaliste.

Pas de planification sans prise en main des leviers de l’économie par ceux qui la font fonctionner

La question écologique est indissociable de la question sociale, c’est une seule et même lutte contre le capitalisme pour imposer une autre logique sociale que celle du profit, un autre mode de production.

Face à l’offensive capitaliste en cours, il n’y a pas d’autre solution collective pour les travailleurs, pour la jeunesse que de postuler à diriger nous-mêmes, à imposer notre contrôle démocratique sur toute la marche de la société.

Nous ne pouvons compter ni sur l’Etat, ni sur les pouvoirs publics tout occupés à subventionner le capital comme dans le secteur automobile, où les patrons profitent des plans de relance pour se restructurer et licencier. Michelin compte ainsi supprimer 2300 emplois après avoir largement bénéficié des aides publiques et augmenté les dividendes de ses actionnaires de 15 % en 2021 !

Lutter contre les licenciements, contre la précarité, pour les salaires, impose que les travailleurs exigent des comptes, prennent leurs affaires en main en exerçant leur contrôle jusqu’au bout sur leur propre activité : contrôle sur les comptes en dénonçant cette perfusion scandaleuse d’argent public et en exigeant notre dû, contrôle sur la production de biens utiles en fonction de l’intérêt collectif et pas des bénéfices des actionnaires, contrôle sur les conditions de travail, mais aussi sur la pollution, les déchets, en commençant par assurer notre propre santé avant les exigences de rentabilité des patrons.

Porter cette perspective dans la lutte de classe, c’est porter un programme qui implique de « profondes incursions dans la propriété privée capitaliste » selon les mots de Trotsky jusqu’à l’expropriation des multinationales, pour s’en servir de levier pour réorganiser l’ensemble de la production et des échanges, dans le cadre d’une planification démocratique de l’économie.

Face à la crise écologique et sociale, l’avenir est à la planification démocratique, organisée autour du contrôle des producteurs eux-mêmes, pour que ceux qui font tourner la société puissent discuter et décider démocratiquement de comment organiser l’appareil productif, quelles productions développer ou au contraire réduire ou arrêter, comment tenir compte des contraintes écologiques, réduire et partager le temps de travail pour en finir avec ce gâchis capitaliste du chômage.

Plus que jamais, il s’agit de redonner à l’idée de planification tout son contenu de classe, révolutionnaire, en toute indépendance de cet Etat bourgeois et de ses jeux institutionnels. Il s’agit de défendre une telle planification comme une réponse globale à la faillite du capitalisme mondialisé, du marché et de la propriété privée, comme une perspective pour unifier toutes les révoltes qu’elle entraîne.

Bruno Bajou, Laurent Delage

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn