La campagne présidentielle à peine finie, Macron, Mélenchon et Le Pen commençaient le troisième tour du match, chacun soucieux d’abord et avant tout de garder la main sur ses propres troupes et celles et ceux qui seraient tentés de négocier leur ralliement. Élu ou pas, tous les trois sont moulés, façonnés par les institutions de la Vème République, le régime présidentiel qui soumet l’Assemblée au président. Ils se disputent les restes des vieux partisbalayés qui se battent, pathétiques, pour tenter de sauver quelques députés, postes et sinécures pour celles et ceux qui n’ont pas pu ou su retourner leur veste à temps comme l’ont fait les Woerth, Sarkozy, Valls et autres Le Drian ou ceux dont personne ne voulait...

Le plus caméléon des trois est sans conteste le gagnant, Macron tout à son rôle de postulant Bonaparte soucieux de s’élever au-dessus des camps rivaux pour tenter d’asseoir son autorité en impulsant « un grand mouvement ». Dès le soir de son élection, il se revendiquait d’une « invention collective d’une méthode refondée » pour continuer à jouer des contradictions entre ses deux rivaux les opposer pour construire sa majorité parlementaire. A la fois dans la peau de Mélenchon et de Le Pen, il se fabrique un étrange personnage, chimère de lui-même et de ses rivaux… « Je sais que pour nombre de nos compatriotes qui ont choisi aujourd’hui l’extrême droite, la colère et les désaccords qui les ont conduits à voter pour ce projet doivent aussi trouver une réponse... », pour ajouter, « Je pense aussi à tous nos compatriotes qui se sont abstenus, leur silence a signifié un refus de choisir, auquel nous nous devrons aussi de répondre. » Se tournant vers les électeurs de Mélenchon, « J’ai entendu le message très clair qui a été envoyé » pour adresser « un message de respect, de considération et d’ambition pour ces quartiers » qui, après avoir voté Mélenchon, ont voté pour lui au second tour. Et d’annoncer pour bientôt un Premier ministre social et écologique ! Exit Castex ! Il espère ainsi fusionner les incertains des deux camps pour composer un parti unique de gouvernement, sorte de monstre de Frankenstein qui lui donnerait une incertaine stabilité politique pour servir les intérêts de la bourgeoisie. Très incertaine stabilité qui est loin d’être acquise…

L’homme de main du capital

Toutes les promesses et discours qu’il peut faire en direction de l’électorat de l’extrême droite ou du nouveau populisme de gauche ainsi que des abstentionnistes ne sont que du vent électoral au regard des mois à venir, conjonction de crises : guerre mondialisée suite à l’agression par Poutine de l’Ukraine, catastrophe climatique, pandémie, dérèglements économiques et sociaux, menace de récession mondialisée voire de krach financier... Macron se voudrait le garant d’une relative stabilité face aux tempêtes à venir, le seul qui puisse amortir les effets de ces bouleversements en France. Ralliant à lui une partie de l’extrême droite après avoir banalisé Le Pen et sa démagogie réactionnaire et une partie de l’électorat populaire de Mélenchon ainsi que les directions syndicales auxquelles il laisse entrevoir la reprise du dialogue social, il se pose en garant de l’unité nationale. C’est ce qu’il appelle « faire mieux » pour… défendre les intérêts du grand patronat contre les retraites, l’Assurance maladie, la Sécurité Sociale, les conventions collectives, la justice, sans oublier l'hôpital, la santé, l’éducation, l'énergie (EDF/GDF), le ferroviaire où la privatisation est déjà bien entamée.

Une vaste offensive libérale se poursuit contre le monde du travail et la population, contre ce qui limite encore les effets des privatisations et de la marchandisation face à une société tétanisée par la guerre, la pandémie qui n’en finit pas et l’ampleur de la catastrophe écologique en cours ainsi que par la politique sécuritaire défendue sans la moindre retenue par les médias aux ordres qui justifient les pleins pouvoirs laissés à la police. Une offensive qui trouvera dans l’agitation et les exactions de l’extrême droite de précieux auxiliaires sans oublier la démagogie électoraliste de Mélenchon qui prêche la passivité pour obtenir les votes des classes populaires sans autre perspective.

Une cohabitation avec Macron, vaine tentative de recyclage d’une politique faillie

Que Macron et Le Pen prennent une gifle électorale aux législatives serait certes une bonne chose mais le monde du travail, les jeunes auraient tort de croire que leur vote pourra changer les choses comme le prétend Mélenchon. Il a invité à ne pas « se résigner » face au « plus mal élu des présidents de la Ve République » et, résumé de son imposture, affirmé « un autre monde est encore possible si vous élisez une majorité de l’Union populaire qui doit s’élargir » et donc lui Premier ministre de Macron ! Tous pris de panique devant leur nouvel échec annoncé s’engouffrent oubliant les insultes et anathèmes. EELV, le PCF, le PS aussi, ont engagé des négociations afin de trouver un terrain d’entente. « En additionnant la gauche dès le premier tour des législatives, nous pouvons battre le bloc d’extrême droite et le bloc libéral », a assuré Roussel pris d’enthousiasme à la perspective d’un « accord global dans le respect du rapport de forces issu du premier tour, et des ancrages locaux. »

Et tous de tenter de nous convaincre, une nouvelle fois, que bien voter, voter pour eux, va changer la vie ! Et, encore une fois, vaincre le fascisme ! Il laisse croire ainsi qu’il serait possible de changer les choses par une cohabitation ! Mensonge et imposture, masque d’ambitions personnelles hors sujet.

En prime, Mélenchon cherche, à peu de frais, une caution gauche auprès du NPA et de Philippe Poutou qui a déjà beaucoup donné à LFI tant lors des élections municipales que régionales et se trouve maintenant engagé dans des négociations en vue de la constitution d’une majorité gouvernementale avec à la clé une cohabitation, Mélenchon premier ministre ! Se laisser entraîner dans cette galère serait une grave erreur alors qu’il s’agit de préparer les mobilisations en tirant les leçons du piège du vote utile. Comment est-il possible d’invoquer la lutte contre l’extrême droite, voire le fascisme, pour justifier une telle politique, le plus court chemin vers de nouvelles déceptions ?

Imposture généralisée, décomposition politique et instabilité à venir

Ce « troisième tour » de la présidentielle est dans la suite des deux premiers, nouveau symptôme d’une démocratie bourgeoise vidée de tout contenu parce que soumise aux intérêts de la finance qui ne laisse pas de place au moindre débat. « Il n’y a pas de base sociale en France pour la politique de M. Macron », avait déclaré Mélenchon au lendemain du scrutin présidentiel de 2017. La situation s’est encore détériorée durant le quinquennat, les marges de manœuvres laissées par le capital aux politiciens qui le servent sont de plus en plus étroites, et il n’y a pas plus de base sociale réelle et solide pour Mélenchon que pour Macron ou Le Pen. Les polarisations sociales sont de plus en plus fortes entre la finance, les multinationales, les couches sociales plus ou moins privilégiées qui se reconnaissent encore en elles et la majorité de la population laborieuse, des femmes, de la jeunesse, celles et ceux qui sont les cibles de l’offensive de la minorité qui dirige l’économie.

Le processus en cours de décomposition politique nourrit les projets de l’extrême-droite qui dévoient autant qu’ils le peuvent la contestation qui monte dans le pays, y compris contre les institutions. Il nourrit aussi le populisme de gauche de Mélenchon qui prétend donner une issue progressiste à cette crise tout en enfermant la contestation dans ces institutions qu’il prétend combattre. Il y a là un jeu pervers qui conduit à un approfondissent des ruptures en cours. Soit vers une extrême-droite antiparlementaire, militante et agressive visant à occuper physiquement le terrain à l’ombre de l’État et de sa police, soit vers une contre-offensive du mouvement ouvrier s’émancipant des dernières scories de cette gauche de gouvernement, cette gauche de cohabitation pour intervenir directement avec ses armes sur le terrain social et politique, se donnant son propre parti de classe pour prendre la tête de tous les mécontentements autour d’un programme pour en finir avec la domination du capital et prendre le contrôle de l’économie, de la marche de la société.

A travers le chaos capitaliste, ne laissons personne décider à notre place, organisons-nous !

La seule issue à l’impasse économique, sociale, politique est dans la prise de conscience par le prolétariat de ses intérêts communs face à la classe dominante et ceux qui la servent ou la soutiennent croyant y retrouver leurs propres intérêts, la prise de conscience qu’il est la seule classe capable de sortir la société de cette impasse dramatique. Porter cette issue, intervenir dans cette situation ne dépend pas du bulletin de vote mais de notre capacité à nous organiser pour affirmer la cohérence politique de notre camp social, un programme et une stratégie révolutionnaire capable de sortir la société de l’impasse dramatique dans laquelle l’enferme le capitalisme.

L’incantation est impuissante, l’appel à la lutte ou à descendre dans la rue sans plan ni perspective ni organisation tout autant. Définir nos tâches implique de prendre conscience du rapport de force. La caractéristique essentielle du moment que nous traversons est la confusion des esprits, la perte de tout repère qui entraîne le même « citoyen » ayant élu un maire PC à voter Mélenchon puis Macron sans savoir où il va se retrouver au troisième tour… Le facteur déterminant du rapport de force est la conscience des masses.

Le mouvement révolutionnaire sera présent en tant que tel, en toute indépendance de l’Union populaire, dans ces élections législatives puisque Lutte ouvrière présente des candidat.e.s partout, espérons qu’il y aura aussi des candidat.e.s du NPA, d’autres ne verront probablement pas d’intérêt à participer à ce troisième tour. Quoi qu’il en soit, la tâche des révolutionnaires est bien de concentrer et d’unir leurs efforts pour reconstruire des repères de classe, c’est à dire populariser les idées du marxisme, de la lutte de classe pour l’émancipation humaine, le socialisme, le communisme. Construire une culture commune qui permette au monde du travail de se penser comme la classe porteuse de l’avenir de l’humanité, pour combattre les préjugés et la morale des classes dominantes qui visent à justifier les rapports d’exploitation et d’oppression, l’économie de marché, de concurrence et du profit afin de perpétuer sa domination.

C'est bien cette prise de conscience de l'appartenance à une même classe, de nos intérêts communs qui déclenchera l'envie de se battre, de manière organisée en prenant en main la direction de nos luttes comme de nos organisations. Sans organisation, sans stratégie, la victoire n'est pas possible. La tâche de toutes et tous est d’œuvrer, chacune et chacun à son niveau, à ce travail politique, elle est immense mais aussi enthousiasmante, elle participe de notre émancipation individuelle et collective.

Yvan Lemaitre

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