Le bal des imposteurs, Macron et Le Pen, occupe le devant de la scène de cet entre-deux-tours. On nous ressert la tambouille cuite et recuite du président des riches défenseur de la République contre Le Pen, la fasciste, le scénario de 2017 en pire, produit d’un système électoral entièrement au service des forces institutionnelles qui plie les aspirations populaires à leur censure et volonté, soutenu par une presse aux ordres, fabriquant l’opinion, étouffant toute pensée pour le compte de ses commanditaires, les milliardaires.

Il est clair que Le Pen représente un danger pour l'ensemble du monde du travail, aucune voix ne doit se porter sur son nom. Ceci dit, elle est le produit des capitulations de la gauche et de la politique réactionnaire de Macron. Ce dernier au pouvoir se prévaudra de celles et ceux qui l'auront élu pour imposer l’union nationale, ses ambitions bonapartistes, sécuritaires et autoritaires pour être en mesure de conduire les affaires de la finance et des multinationales contre le monde du travail. Et la gauche se précipite pour arbitrer le débat !

Jadot, Hidalgo, Roussel ont clairement appelé à voter Macron. Il y a de quoi s’interroger au spectacle de cette gauche, incapable de s’unir au premier tour, se rassemblant derrière Macron en espérant quelques miettes du festin présidentiel car ses politiciens et appareils électoraux rivaux espèrent bien quelques retombées de leur lutte toute verbale et négociable pour « la démocratie ». Mélenchon n’a lui-même pas ménagé ses effets de tribune pour répéter, le soir du 10 avril, à quatre reprises devant les caméras : « Vous ne devez pas donner une voix à madame Le Pen » pour ajouter « Je connais votre colère, ne vous abandonnez pas à ce qu’elle vienne à vous faire commettre des erreurs définitivement irréparables. » En clair, un prudent appel à voter Macron, nouvelle mouture du vote utile qui a été désavoué par la consultation, ce week-end, des soutiens à sa candidature.

Et Macron répond à ces ralliements politiciens : « Toutes celles et ceux qui sont prêts à agir à mes côtés, je les associerai au sein du gouvernement » ou à d’autres niveaux... Alors qu’Adrien Quatennens prétend, au nom de LFI, vouloir lui « imposer une cohabitation » après les législatives de juin…

L’électoralisme ou être dupe du parlementarisme bourgeois

Cette logique électoraliste est la continuité du vote utile du 1er tour. Bien des militant.es, des travailleur.e.s, des jeunes ont cru pouvoir faire obstacle à Le Pen en se mobilisant pour Mélenchon. Au lendemain de ce premier tour, les comptes se règlent en particulier à l’encontre de Fabien Roussel et du PCF accusés d’avoir trahi l’union de la gauche ! Injuste retour des choses pour un parti qui s’est sacrifié corps et âme en participant à des gouvernements d’union de la gauche sous Mitterrand et sous Jospin avant de s’accrocher à Mélenchon de 2009 à la présidentielle de 2017, d’abord dans le Front de gauche avant que ne soit fondé en 2016 LFI et qui aujourd’hui rallie Macron ! Toute l’histoire du PC est celle d’un parti ouvrier qui, ayant abandonné toute perspective et stratégie révolutionnaires, s’est intégré aux jeux et manœuvres parlementaires, politiciennes perdant la confiance qu’il avait accumulée dans le monde du travail avant d’être envoyé au sol, ko, Mélenchon venant sans doute de lui porter un coup fatal. Les dernières villes dirigées par des élus du PC sont celles où Mélenchon fait ses meilleurs scores et, dès les législatives de juin, ces élus n’auront d’autre choix que de se rallier à l’Union populaire, l’implacable logique de l’électoralisme et du parlementarisme !

« Décider périodiquement, pour un certain nombre d'années, quel membre de la classe dirigeante foulera aux pieds, écrasera le peuple au Parlement, telle est l'essence véritable du parlementarisme bourgeois, non seulement dans les monarchies constitutionnelles parlementaires, mais encore dans les républiques les plus démocratiques» écrivait Lénine dans L’État et la révolution[1].

La démocratie parlementaire bourgeoise a pour fonction de laisser croire aux classes exploitées qu’elles peuvent agir sur l’évolution de la société par le bulletin de vote, choisir les gouvernants. Mélenchon d’ailleurs s’en expliquait clairement dans sa campagne du 1er tour en appelant à voter pour lui « pour économiser des kilomètres de manif » ! Votez pour moi, je m’occupe du reste ! La gauche comme la droite ou l’extrême droite jouent cette musique. Avec les élections, choisissez qui va vous défendre, vous protéger ! Et ensuite, tout ce petit monde des partis institutionnels s’occupe de gérer les affaires des classes possédantes au mieux de ses propres intérêts.

Notre programme est tout à l’opposé, en rupture. Il repose sur l’intervention directe de la population, des citoyens diraient certains, pour gérer leurs propres affaires et intérêts, contrôler au niveau de la municipalité, du département comme du pays et de l’entreprise, sur les lieux de travail, les lieux d’étude, la marche de la société et de l’économie.

L’évolution de la société dépend de la conscience collective de celles et ceux qui la font tourner, de leur prise de conscience qu’ils sont tout et que les détenteurs de capital qui possèdent les moyens de production sont une classe parasite qui vit du travail d’autrui, de l’exploitation. Et les progrès que les lois peuvent sanctionner comme le droit à l’avortement, l’abolition de la peine de mort, les congés payés ou autres sont toujours le fruit de changements dans l’opinion conquis à travers et par la lutte, par ceux d’en bas contre lesdites élites qui accaparent le pouvoir contre le peuple dont ils se revendiquent en permanence pour mieux le tromper.

La bataille des imposteurs

Ce deuxième tour est une leçon de choses sur la faillite de cette machine à duper les masses que sont les institutions démocratiques bourgeoises, le système électoral de la Vème république en l’occurrence. Macron, qui a mené une campagne de 1er tour très à droite autour de l'allongement de l'âge de départ à la retraite à 65 ans ou du versement du RSA sous conditions d'activité, se met à flatter les dirigeants de gauche et leur électorat. « Sur l’écologie, par exemple, sujet qui figure dans des projets de candidates et candidats qui n’ont pas franchi le premier tour mais qui ont appelé à me soutenir : je pense que c’est une bonne respiration. Dans les prochains jours, j’aurai à les dévoiler. Elles seront évidemment cohérentes avec le projet que je porte, parce que la clarté, la constance d’un projet, j’y tiens. Mais je peux enrichir mon projet. […] la planification écologique est une chose dont je peux me nourrir. » dixit Macron qui avait enterré les propositions de la convention sur le climat. Et scoop "dévoilé", lors de son meeting à Marseille, son prochain premier ministre sera aussi celui de la planification écologique ! Il est même tout disposé à discuter (bien peu) de l’âge de départ à la retraite, du calendrier de la mise en œuvre de sa réforme et tout ça sous le regard complaisant du Medef qui ne veut pas voir Le Pen aux affaires. « Dans ce moment décisif pour l’avenir de la Nation, plus rien ne doit être comme avant. C’est pourquoi je souhaite tendre la main à tous ceux qui veulent travailler pour la France. Je suis prêt à inventer quelque chose de nouveau afin de bâtir une action commune au service de notre Nation pour les années qui viennent. »

Dans ce jeu de rôle électoral, Le Pen tente de peaufiner son tout nouveau personnage, la protectrice du peuple, candidate des oublié.es, des victimes de la casse sociale... « Manœuvre », dénonce-t-elle devant les tentatives de son rival de « récupérer » les électeurs de gauche. Elle ne craint pas de se présenter comme dirigeant un gouvernement populaire et démocratique toute disposée à faire usage du référendum… Elle aussi appelle les électeurs « de droite, de gauche, d'ailleurs, de tous horizons à rejoindre ce grand rassemblement national et populaire » pour « faire barrage » à Macron et « cette caste qui nous gouverne avec arrogance », la candidate du « peuple face à l'oligarchie » !

Boycotter la mascarade électorale pour construire un rapport de force social et politique

Il y a loin de la coupe aux lèvres et ni Macron ni Le Pen ne réussiront à s’ériger en Bonaparte au-dessus des partis pour réussir à imposer leur autoritarisme à la nation. Les institutions ne suffisent pas à fabriquer un Bonaparte, et quel qu’il soit, le futur président n’aura ni grande légitimité ni grande autorité. Du point de vue des intérêts du monde du travail, de la jeunesse, la politique à avoir pour ce deuxième tour est de contribuer le plus largement possible à cette délégitimation par le boycott, à enrayer la machine électorale, cette logique du vote utile qui est d’une certaine façon inscrite dans la constitution !

Le système électoral majoritaire à deux tours, renforcé par la logique du régime présidentiel de la Vème République, a été pensé, conçu par De Gaulle et Debré, pour donner une majorité solide au président, logique renforcée par le fait que les élections législatives se déroulent maintenant dans la foulée de la présidentielle afin de mieux garantir une majorité présidentielle. Cette machine a longtemps entretenu une forme de bipartisme à la française, gauche-droite, bipartisme qui a explosé en vol sous la pression des conséquences de la crise mondialisée du capitalisme, du discrédit des vieux partis.

La machine se retourne contre ses acteurs. Le rejet de Macron a dominé le 1er tour, les électeurs se déplaçant pour voter le plus souvent guidés par le seul souci de dégager Macron. La machine va continuer son œuvre du simple fait que chacun des protagonistes n’a comme principal argument électoral que le rejet de l’autre. Le Pen voudrait un référendum anti-Macron et Macron joue du rejet de l’extrême droite.

Nous rejetons les deux et le système qui les a enfantés.

« Nous refusons de choisir entre l’extrême droite cachée de Macron et l’extrême droite assumée de Le Pen ! La classe politique vole les aspirations sociales, écologistes et progressistes de la jeunesse » disent les jeunes qui occupaient la Sorbonne. Une large fraction de la jeunesse aujourd’hui se rebelle contre celles et ceux qui voudraient les enrégimenter dans l’impasse électorale et se refuse à choisir entre la peste et le choléra, de se plier aux jeux institutionnels de cette république au service des riches et des possédants. Ils ont raison et le mouvement s’exprime bien au-delà dans les classes populaires, au sein des organisations syndicales.

Durant la campagne électorale, de multiples conflits et grèves, dans des centaines d’entreprises, ont rappelé les préoccupations du monde du travail, en premier le pouvoir d’achat, la question des salaires ; celles des jeunes aussi et de toute la population face à la crise climatique, la guerre, l’inquiétude devant un avenir qui prend un sinistre visage.

Cette révolte prend la forme du rejet de la mascarade de la présidentielle, expression d’une rupture avec leur système, d’une prise de conscience que la machine politique est destinée à nous assujettir aux projets et intérêts des classes dominantes, d’un rejet des institutions bourgeoises et de l’électoralisme, le chemin vers la prise en main de ses propres intérêts.

Loin de détourner de la politique, cette rupture est une réappropriation de la politique par ses acteurs mêmes qui veulent une véritable démocratie qui permette à la majorité d’imposer la satisfaction de ses exigences sociales et politiques, un gouvernement du monde du travail, des classes populaires qui ne craigne pas d’abolir les privilèges et les fortunes de l’oligarchie financière pour mettre en place une économie au service de toutes et tous, un monde fondé sur la coopération des peuples, la paix.

Yvan Lemaitre

 

[1] https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/08/er3.htm

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn