Depuis l’annonce du duel Macron-Le Pen, les esprits sont monopolisés, captés par ce deuxième tour pourri, prisonniers des débats entre droite extrême et extrême droite, entre fascisation et fascisme. Et cela d'autant que les scores du mouvement révolutionnaire sont faibles.

Cependant, ce premier tour est révélateur d’évolutions au sein du monde du travail et de la jeunesse qui créent une situation inédite et rouvre la discussion sur de nouvelles possibilités pour le mouvement révolutionnaire. Cela nous oblige à prendre la mesure des effets de la crise globale du capitalisme, des ruptures, de la révolte profonde qu’elle provoque. Répondre aux nouvelles questions posées implique de tourner la page de la période passée, d’en faire le bilan pour regarder vers l’avenir, dépasser nos contradictions et nos divisions.

Après 5 ans d’offensive antisociale et réactionnaire du gouvernement Macron, ce second tour intervient dans un contexte très différent de 2017… Un contexte marqué par l’accélération de la décomposition du capitalisme, par les résistances et les explosions de colère qu’elle a entraînées, comme celle des gilets jaunes, du mouvement social, du mouvement féministe ou de la jeunesse contre les violences policières, racistes et l’inaction climatique. Ces cinq années ont approfondi des ruptures dans une fraction de la population, et notamment dans la jeunesse, rupture avec le système et ceux qui le défendent, rupture avec le jeu de dupe des élections.

L’abstention qui a atteint plus de 26 %, plus qu’en 2017, est en partie le reflet du rejet de ce vieux monde et du cirque électoral, de la conscience que ce n’est pas là que se joue notre avenir.

Le premier tour a aussi amplifié le discrédit et l’effondrement des vieux partis gouvernementaux de la Vème République qui, de la droite avec LR, à la gauche avec le PS, le PCF ou les Verts, ont tous participé à l’offensive des classes dominantes contre le monde du travail et la jeunesse.

Et, fait positif, avec près de 22 %, le score de Mélenchon est le reflet d’une mobilisation dans les banlieues ouvrières, dans les cités, au sein de la jeunesse à la recherche d’une perspective politique. Ce succès de la LFI, de la campagne de « l’Union populaire » porte, de fait, un renouveau même si Jean-Luc Mélenchon cherche à recycler les scories des vieux partis réformistes issus de l’histoire du mouvement ouvrier et si son programme est condamné à l’impuissance puisqu'il se refuse à remettre en cause le cadre institutionnel.

Ce mouvement de rupture se prolonge depuis le 1er tour dans le refus du chantage au « barrage républicain », dans le refus même de ce deuxième tour réactionnaire, véritable déni démocratique, qui s’exprime dans les syndicats, sur les lieux de travail, dans la jeunesse... comme avec le mouvement des étudiants qui ont occupé la Sorbonne plusieurs jours avec comme mots d’ordre : « Ni Macron ni Le Pen », « Plutôt gilet jaune que castor ».

La révolte d’une fraction de la jeunesse témoigne d’une indépendance, d’une volonté de s’émanciper de ce jeu de dupe piégé que sont les élections et de faire gripper la machine électorale pour tenter de se faire entendre directement par les mobilisations. Les campagnes des révolutionnaires, celle du NPA comme celle de LO, n’ont pas réussi à exprimer cette révolte, ou du moins à formuler une perspective, un programme dans laquelle elle puisse se retrouver.

De l’affirmation anticapitaliste et révolutionnaire, à l’appel à une « gauche de combat », les ambiguïtés de la campagne de NPA

Les résultats des révolutionnaires, de notre camarade Philippe Poutou et de Nathalie Arthaud de Lutte Ouvrière, sont l'expression de la fraction la plus consciente du mouvement en cours, celle qui est convaincue que le changement ne pourra venir que de nous-mêmes, de nos luttes, pour en finir avec cette société. Bien des jeunes qui cherchaient à exprimer leur colère, leur révolte, qui étaient en recherche d’une perspective pour changer les choses, ont hésité entre le vote Poutou, Arthaud ou Mélenchon.

Ces hésitations sont à la fois le reflet de leur prise de conscience nouvelle, de leurs interrogations mais aussi du fait que Mélenchon a pu leur apparaître comme formulant un programme suffisamment crédible, même s’ils avaient bien des désaccords, pour exprimer leur révolte… en tout cas plus crédible, plus structuré que celui des révolutionnaires qui faisait l’impasse sur la question du pouvoir.

Les enjeux des semaines et des mois qui viennent sont d’aider les évolutions en cours, aider à formuler une réponse globale à cette faillite du capitalisme et aux menaces qu'elle fait peser sur l’ensemble des populations et sur l’environnement, une réponse qui ne peut qu’être hors du cadre institutionnel, une perspective révolutionnaire qui réponde à cet éveil des consciences. Car le mouvement n’est pas une simple mobilisation électorale éphémère mais une révolte profonde d'une fraction de la jeunesse contre un monde sans avenir.

Il faut l’aider à construire son propre avenir !

Cet avenir ne peut être un plan B pour ouvrir le débat « à gauche » pour reconstruire une gauche de « combat » autour d’un « programme commun d’urgence » ou autres formulations tel qu'y invitait Philippe Poutou mais bien un programme qui conteste celui de Mélenchon en liant la réalisation des exigences sociales, démocratiques, écologiques à l'intervention directe des classes exploitées pour imposer leur contrôle sur la marche de la société.

Faute de donner une crédibilité à cette perspective révolutionnaire en toute indépendance de la gauche en décomposition et des illusions institutionnelles auxquelles elle s’accroche, la campagne du NPA est restée dominée politiquement par celle de Mélenchon.

Pendant toute la campagne, l’orientation donnée par la direction du NPA n’a fait qu’accentuer les ambiguïtés entre cette perspective anticapitaliste, révolutionnaire que portait de fait la candidature du NPA et la politique de recherche d’unité avec la gauche, qui même qualifiée de « radicale », « de combat », revient à se mettre à la remorque de la politique de LFI, contribuant à laisser le terrain au « vote utile ».

Cette pression au « vote utile » s’est exercée jusque dans nos propres rangs, où des camarades ont appelé publiquement à voter Mélenchon… comme une abdication de nous-mêmes et surtout un renoncement à s’adresser à cette partie de la jeunesse, venue de plus en plus nombreuse dans nos meetings, intéressée de découvrir les idées défendues par les révolutionnaires.

La campagne du NPA est ainsi restée suspendue entre deux orientations contradictoires, l’affirmation anticapitaliste, révolutionnaire et la recherche d’unité avec une gauche « radicale ».

Au lendemain du 1er tour, l’ambiguïté ne fait que s’accentuer avec les appels à la recherche d’une « union de la gauche », au nom du danger de l’extrême droite, de la lutte antifasciste ! Ces appels à l’union de la gauche sont autant d’impasses qui n’offrent d’autres perspectives que de retomber dans les mêmes vieilles illusions réformistes institutionnelles, comme celles qui se dessinent, avec les futures élections législatives, d’imposer une cohabitation de « gauche » à Macron.

Cela ne peut que nous paralyser en nous limitant à n’être que l’aile radicale « utile » des futures recompositions à gauche alors que la popularité que la campagne de Philippe a pu rencontrer dans la jeunesse devrait au contraire nous mettre en position de contester radicalement l’orientation politique de la LFI, pour disputer son influence sur le terrain des idées, du programme, de la lutte pour le pouvoir.

Avec la jeunesse, dépasser nos divisions pour répondre aux enjeux de la période

La campagne de Nathalie Arthaud s’est positionnée clairement en rupture avec la gauche institutionnelle, sur un terrain de classe, en affirmant le communisme comme seule perspective… mais comme une proclamation de principe, désincarnée, accusatrice et dénonciatrice. Pour LO, le parti comme le communisme deviennent une proclamation pour l’avenir, sans parvenir à prendre en compte ni les conditions et les enjeux de la nouvelle période ni la réalité du mouvement révolutionnaire tel qu’il existe aujourd’hui, 20 ans après ses scores de 10 % obtenus lors des élections de 2002.

Or tout l’enjeu de la période est bien là : prendre la mesure des bouleversements en cours comme faire son propre bilan, en dépassant les sectarismes et les divisions, tirer les leçons de son échec collectif à donner un prolongement à ses succès électoraux d’il y a 20 ans, ainsi qu’à porter une perspective révolutionnaire concrète, vivante et dynamique capable de regrouper au sein du monde du travail et de la jeunesse.

Les deux campagnes, celle de Nathalie comme celle de Philippe, sont ainsi restées marquées par la difficulté à formuler à partir des conditions actuelles le lien entre un programme partant des besoins immédiats du monde du travail et de la jeunesse et une stratégie révolutionnaire dans la perspective de la conquête de la démocratie, du contrôle et de la prise en main collective de la marche de la société, la conquête du pouvoir.

S’approprier sa propre révolte, son propre combat, « ni dieu, ni césar, ni tribun ! »

Ces élections s’inscrivent dans un moment charnière de l’histoire, l’aboutissement de l’offensive des classes dominantes qui, à travers la lutte des classes, ont imposé leur mondialisation financière en exacerbant toutes les contradictions du mode de production capitaliste… réduisant à néant les illusions sur la possibilité de le réguler, de concilier marché, profit et démocratie, bien-être, santé.

Le monde est entré dans une phase d’instabilité, une guerre économique et sociale permanente et sans fin, marquée par la crise mondialisée du capitalisme ouverte en 2008-2009, comme par la vague des révolutions qui parties du monde arabe ont secoué le monde, marquée aussi par une accélération sans précédent de la crise climatique qui a révélé toute l’incurie des classes dominantes et des gouvernements et provoqué la révolte d’une large fraction de la jeunesse. Une instabilité qui nous a fait entrer dans l’ère des pandémies conséquences des ravages environnementaux de la mondialisation et maintenant dans une guerre dont personne n’est capable de prévoir l’enchaînement dramatique.

Aucun gouvernement ne pourra, dans le cadre des institutions bourgeoises, faire face aux conséquences de cette spirale mortifère dans laquelle le capitalisme en faillite nous entraîne. Quelle que soit l’issue du second tour, le nouveau ou la nouvelle président·e se pliera aux exigences des classes dominantes, des multinationales et de la finance et mènera l’offensive à leur service contre les classes populaires, accentuant pour cela les politiques sécuritaires et entraînant une dégradation des conditions de vie des populations.

C’est une situation porteuse de dangers liés à la montée des forces réactionnaires mais aussi et surtout pour nous, de révoltes, d’explosions sociales à venir, de mobilisations de l’ensemble des exploité·e·s et des opprimé·e·s, et notamment de la jeunesse ici comme à travers le monde.

Et alors que, fort de son succès électoral du premier tour, l' « Union populaire » de Mélenchon va chercher à s'élargir non seulement à ce qui restera de l’effondrement des partis de gauche mais aussi jusqu’à nous pour capter cette révolte qui monte pour son propre compte, dans le cadre institutionnel, il est urgent et nécessaire d’œuvrer à l’union des anticapitalistes et révolutionnaires pour ouvrir d’autres perspectives et lui disputer l’influence dans les luttes à venir comme, demain, dans la lutte pour la conquête de la démocratie, le pouvoir des travailleurs et de la population.

Les manifestations du 1er mai ainsi que les législatives pourraient être des pas dans ce sens, à condition de rompre avec les vaines illusions de reconstruire une « union de la gauche » face au danger de l’extrême droite.

Au contraire, il nous faut mettre en œuvre et discuter une politique pour regrouper le plus largement au sein du monde du travail et de la jeunesse autour d’un programme et d’une stratégie révolutionnaires pour donner une perspective, hors du cadre institutionnel, à cette révolte que nourrissent les conséquences de la crise globale du capitalisme, une union anticapitaliste et révolutionnaire.

La jeunesse n’a pas d’autre choix que de construire l’avenir du monde pour construire son propre avenir en redonnant confiance et conscience aux plus anciennes générations souvent trahies, déçues. Elle est la nouvelle jeunesse des idées du socialisme et du communisme, le nouveau visage de la démocratie et de la révolution.

Bruno Bajou

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