Au final, après une campagne qui a laissé indifférente une large fraction du monde du travail, de la jeunesse et dont la guerre est venue souligner le dérisoire, les résultats du 1er tour de cette élection présidentielle pourraient ressembler à un remake de 2017, un deuxième tour Macron-Le Pen avec en troisième homme Mélenchon.
En réalité, ce remake cache de profondes évolutions. Certes Pécresse et Zemmour se sont effondrés avec respectivement 5,1 % et 7 % selon les premières estimations à l’heure où nous écrivons, effondrés au regard de leur délire politicien mais leur seule présence souligne un renforcement de la droite extrême et de l’extrême droite qui prend un visage particulièrement agressif, un visage de guerre civile, avec Zemmour imposant dans le débat le mythe complotiste du grand remplacement et la rémigration.
Au terme d'une campagne pendant laquelle il a cru bon jouer de sa stature de président, l’assurance de Macron convaincu que cette élection ne serait qu’une formalité qui ne méritait même pas un débat se trouve quelque peu ébranlée. Il n’obtient malgré tout au final autour de 28,50 %. Le président-candidat concentre sur lui tous les mécontentements. Il pensait pouvoir instrumentaliser la guerre en sa faveur jouant au chef de la diplomatie des grandes puissances occidentales et n’a réussi qu’à renforcer le rejet de l’imposteur au bénéfice d’abord de Le Pen avec environ 24 %, mais aussi de Mélenchon qui réussit à atteindre plus de 20 % des voix. Le Pen consolide sa deuxième place remportant la palme du double jeu en revêtant le déguisement cynique de la protectrice des classes populaires pour laisser Pécresse et Zemmour se faire les champions des politiques sécuritaires et racistes. La possibilité de la voir remporter le deuxième tour n’est plus une simple hypothèse mais bien une possibilité, « l’accident démocratique » à la française. Les appels du pied de Macron à l’électorat de gauche pour tenter de se donner à nouveau l’image du rempart contre l’extrême-droite sonnent tellement faux qu’ils auront bien du mal à convaincre.
Le Pen est une des pires ennemies du monde du travail mais il serait tout à fait illusoire de croire que le politicien candidat-président illusionniste qui lui a préparé le terrain pourrait lui faire obstacle. Aucune voix ne doit aller à Le Pen mais ce serait se fourvoyer que de croire que le vote Macron pourrait éviter le pire. Il n’y a pas d’autre réponse à cette imposture démocratique, au chantage électoraliste qui instrumentalise les peurs que le boycott, l’affirmation de notre indépendance de classe pour préparer la suite ! L’avenir dépend du rapport de force entre les classes, c’est à dire de la conscience, de la lucidité du monde du travail, de sa confiance en lui en toute indépendance des tactiques électorales qui ont largement démontré leur impuissance.
La démocratie bourgeoise, machine à duper le peuple, est grippée
Les vieux partis issus de l’histoire du mouvement ouvrier, le Parti socialiste au pouvoir il y a encore cinq ans et le Parti communiste, sortent exsangues de la confrontation avec respectivement environ 2 % et 2,5 %. Ils sont à l’agonie vidés de toutes forces tant ils sont partie prenante de l’ordre bourgeois à tous les niveaux et participent du nationalisme. Il en est de même des Verts qui se voyaient comme la nouvelle gauche portée par les inquiétudes suscitées par la crise écologique. Jadot ne dépasse pas 4,4 %.
Ils laissent la place à une gauche populiste, radicale dans le verbe, elle est, elle aussi, intégrée au système, prisonnière des institutions qu’elle ne remet, quant au fond, pas en cause, prônant la révolution par les urnes. Mélenchon a réussi à mobiliser autour de sa personne les espoirs d’un mouvement social sans perspective, sans politique indépendantes, désorienté par l’offensive réactionnaire, jouant des faiblesses et divisions du mouvement révolutionnaire, mais pour mieux l’associer à ses propres objectifs en réveillant les mythes d’une gauche faillie. Il voudrait offrir à la bourgeoise une politique de paix sociale en se proposant de corriger les excès du système tout en prétendant éviter au monde du travail les grèves et manifestations. Le tout, au nom de la République et de la France !
Tous les partis de cette gauche institutionnelle ont d’une façon ou d’une autre pris leur place dans l’union nationale belliciste orchestrée par Macron sous la houlette de Biden et de l’Otan. D’une façon ou d’une autre, ils se sont tous alignés, tels les élus LFI au Parlement européen.
Ce théâtre d’ombres du jeu politicien apparaît bien dérisoire au regard de la gravité de la situation tant nationale qu’internationale.
Il laisse indifférente une fraction croissante des électeurs comme en témoigne l’abstention supérieure à 26 %, qui pourrait être au niveau de celle de 2002 (28,4 %) alors qu'en 2017 elle avait atteint 22 %. Elle est particulièrement forte dans les quartiers populaires.
En 2017, l'humeur était « dégagiste », l’alternance droite-gauche ne fonctionnait plus tant leur politique au service des classes dominantes était déconsidérée. Et c’est Hollande lui-même qui avait aidé au lancement d’un nouveau produit politique sorti du sérail, ni droite ni gauche. « Révolution » proclamait dans un livre programme l’illusionniste imposteur promu par l’establishment, tête de gondole du marché politicien, Macron. Cinq ans plus tard, le marketing politicien a promu un nouvel illusionniste, monstrueux celui-là, Zemmour dont le rôle plus modeste mais bien plus pervers encore aura permis à Marine Le Pen de devenir une possible présidente de la République, « femme d’État », en se hissant sur ses épaules et en jouant des rivalités entre la droite extrême et l’extrême droite. Macron joue pour son propre compte, le même jeu. Et la gauche est appelée à arbitrer le conflit !
Déjà, en 2017, nombreux étaient ceux qui croyaient se protéger de l’extrême droite en votant Macron au second tour. Depuis il a consciemment, méthodiquement pourri la situation et mené l’offensive sur les terrains économique, social et démocratique. Ce serait être aveugle que de penser pouvoir combattre la réaction sur ce terrain. C’est un miroir aux alouettes. La question n’est pas tant de savoir qui mettra en œuvre la politique des multinationales et de la finance, qui dirigera l’armée et représentera la France dans l’Otan, mais de nous donner les moyens de combattre le capitalisme sénile qui nous plonge dans une catastrophe globale. Cela nécessite d’aller au bout des ruptures avec les illusions institutionnelles dont le mouvement des gilets jaunes a représenté une étape importante, ne compter que sur nous-mêmes.
La guerre économique et sociale pour sauver les profits et les spéculations, empêcher la banqueroute de leur système
Cette élection présidentielle, loin de rétablir la stabilité économique, sociale, politique dont rêve la bourgeoisie contribuera à la déstabilisation du système, sa fragilisation du fait de l’absence d’autorité politique du pouvoir, faiblesse que compensera l’accentuation de la politique sécuritaire quel que soit celle ou celui qui en prendra la responsabilité.
Cette instabilité politique, en relation directe avec l’instabilité économique aggravée par le covid et maintenant, la guerre, ne peut qu’accentuer la dégradation d’une économie tant nationale que mondiale maintenue sous perfusion d’argent public avec une dette à un niveau record.
Le président qui sortira des urnes n’aura d’autre choix que de se plier aux exigences de ceux qui détiennent les finances, y compris celles de l’État, et l’économie. Son plan de bataille sera à leur service contre les salariés et les classes populaires.
Pour le patronat, tout est simple, si la France affiche des déficits commerciaux, c’est le résultat d’un manque de compétitivité dont la faute principale incombe à la fiscalité et au coût du travail trop élevé. Leurs attaques se concentrent aujourd’hui sur deux points essentiels, le recul de l’âge légal de départ à la retraite, une façon de faire baisser les pensions, et les salaires pour lesquels les augmentations promises ont toutes pour contrepartie la baisse des cotisations sociales ou des impôts. Et l’inflation qui vient d’atteindre les 4,5 %, conséquence des spéculations qui s’abattent sur la moindre perspective de profit, se chargera de transférer une partie du salaire dans la poche des financiers.
Cette fuite en avant antisociale, régressive, qui prend sur les revenus du monde du travail et des classes populaires le capital nécessaire à nourrir les marchés financiers et les spéculations, a des limites et conduit nécessairement à la banqueroute, au krach, à l’effondrement de l’économie.
Le mécontentement, l’inquiétude pour l’avenir du monde et de la planète n’ont pas de réponse hors de la contestation du système
Tout au long de la campagne, une agitation sociale permanente a imposé la question sociale, celle de la répartition des richesses, de la précarité, des services publics en particulier de la santé, préoccupations principales des classes populaires. C’est ainsi que nous devons faire de la politique, avec nos armes de classe pour imposer par notre action directe nos exigences pour faire face aux drames de la société en réponse aux démagogues qui tentent de dévoyer le mécontentement.
Les exigences portées par les mouvements sociaux ne peuvent trouver d’issue et de réponses dans les urnes, elles ne pouvaient que trouver dans les candidats révolutionnaires des porte-parole. Les luttes, l’agitation sociale n’auront pas épuisé leur force, leur dynamique une fois les urnes rangées. Elles continuent et continueront à s'exprimer de diverses manières, chercheront à converger malgré la passivité des directions syndicales. Personne ne connaît les rythmes mais les éléments d’une possible explosion sociale sont en germe.
C’est à une telle situation que nous devons nous préparer.
C'est aussi à travers ces mobilisations, dans le refus de payer le prix de leur guerre que se forgera une opposition au militarisme et à la guerre.
Cette dernière n’est pas une malédiction venue d’on ne sait où, conséquence de la folie d’un dictateur. Elle est une conséquence de la faillite mondialisée du capitalisme qui accentue la concurrence, les tensions internationales dans un monde qui ne connaît d’autres relations que celles du rapport de force, des rapports de domination et d’exploitation, indissociables les uns des autres.
L’exacerbation des tensions sociales et internationales participe de l’offensive réactionnaire des classes dominantes, elle accentue les polarisations de classes, sociales et politiques.
Défendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la coopération des travailleurs et des peuples pour en finir avec la concurrence capitaliste qui conduit à la guerre, combattre la régression sociale, la crise climatique, écologique participent d’un même mouvement pour construire un autre monde.
Solder les comptes des vingt dernières années pour écrire une nouvelle page
Il y a vingt ans, le 21 avril 2002, l’extrême droite arrivait pour la première fois au second tour d’une élection présidentielle. Le 1er mai, une marée humaine déferlait pour dire « Non » au Front national. La gauche qui constituait le gouvernement Jospin sortant auquel participait Mélenchon, responsable du succès de Le Pen, se ralliait au vote Chirac (élu avec 80 % des voix) ainsi qu'une partie de l’extrême gauche.
Aujourd’hui, Le Pen non seulement est qualifiée pour le second tour mais la menace qu’elle puisse l’emporter est bien réelle.
L’explication tient à deux mécanismes combinés : l’offensive réactionnaire des classes dominantes pour maintenir leur pouvoir et privilèges, les profits, et l’incurie de la gauche qui, depuis Mitterrand jusqu’à Hollande a participé pleinement à la mise en œuvre de cette offensive libérale.
Ce constat ne peut nous empêcher de nous interroger sur les responsabilités du mouvement révolutionnaire, et en particulier sur le bilan de la politique dite antifasciste et du front unique antifasciste.
Le texte d’appel à la manifestation du 3 avril dernier contre l’extrême droite invitait à « se mobiliser encore et toujours ». Oui, mais avec quelle politique ? Les proclamations antifascistes ou unitaires, à défaut de se donner les moyens d’intervenir dans les luttes de classes réelles et de défendre un programme pour la transformation révolutionnaire de la société, ne pouvaient empêcher l’extrême droite, y compris dans sa forme la plus radicale, de conquérir le terrain politique. Les appels à la gauche républicaine en déroute, qui porte une large responsabilité dans les rapports de forces actuels, sont tout aussi vains.
Les leçons de l’histoire devraient nous mettre en garde contre les proclamations démocratiques sans contenu ni objectifs de classe, qui restent enfermées dans le cadre « républicain ». Elles doivent nous convaincre que la lutte contre les menaces de l’extrême droite, voire du fascisme, est une lutte politique globale contre le capitalisme. On ne peut dissocier la lutte contre l’extrême droite de la lutte pour les droits sociaux et politiques, contre le capitalisme, pour la conquête du pouvoir par les travailleurs et la population, pour le socialisme.
C’est principalement de ce point de vue qu’il est indispensable pour le mouvement révolutionnaire de faire son propre bilan, de tirer les leçons de son incapacité à dépasser ses divisions quand les occasions se sont présentées, tant au lendemain du mouvement de décembre 1995 alors que l'élection présidentielle de la même année avait vu Arlette Laguiller obtenir plus de 5 % des voix qu’en 1999 lorsque LO et la LCR obtenaient ensemble 5 élu.es au Parlement européen ou lorsqu’aux élections de 2002, l'ensemble du mouvement révolutionnaire obtenait plus de 10 % des voix. Ce dernier a été incapable de se rassembler pour jeter les bases d'un parti des travailleurs. Nous n’avons pas su porter une perspective concrète, vivante et dynamique, capable de regrouper au sein de la classe ouvrière et des classes populaires, dans le mouvement féministe ou la jeunesse autour d’une perspective révolutionnaire.
Les scores électoraux de Philippe Poutou et de Nathalie Arthaud se tiennent entre 0,6 et 0,8 %. Ils sont pour une part la conséquence de ce recul politique mais aussi de notre difficulté jusque-là à saisir collectivement les données de la nouvelle période pour déployer ensemble un programme, une stratégie, une politique révolutionnaire.
Ne faisons confiance qu’à nous-mêmes, notre programme, l’intervention directe des travailleur.ses
Tenter de reconstruire l’union de « la gauche » sous couvert de combattre l’extrême droite est un non-sens voué à l’échec, une impasse. Ce dont nous avons besoin, c’est de mettre en œuvre et de discuter une politique pour le monde du travail et la jeunesse autour d’un programme et d’une stratégie révolutionnaire pour donner une perspective, hors du cadre institutionnel, à la révolte que nourrissent la guerre et ses conséquences, la crise globale du capitalisme, aux explosions sociales à venir. Pour aussi créer les conditions d’un rassemblement démocratique ouvert à celles et ceux qui ont rompu avec cette gauche faillie ainsi qu’à la nouvelle génération qui s’engage en politique.
C’est bien cette rupture qui s’est exprimée dans le vote révolutionnaire en particulier autour de la candidature de Philippe Poutou, prenant depuis 2012 le relais de celles d’Arlette Laguiller puis d’Olivier Besancenot. Il est le candidat ouvrier en lutte contre les licenciements avant d’être licencié, dont le franc parler fait écho à la rupture d’une fraction du monde ouvrier, de la jeunesse non seulement avec cette gauche mais avec la politique institutionnelle, le système politicien.
Nous devons donner des perspectives à ces évolutions radicales ce qui implique de rompre avec la politique d’alliance avec LFI dont Philippe est le représentant et dont la campagne du NPA est restée prisonnière proposant un « plan B » à Mélenchon et, au-delà, à la gauche pour reconstruire une « gauche de combat » autour d’un « programme commun d’urgence ». Une politique qui ne peut être qu’une impasse.
Nathalie Arthaud y oppose une vision plus indépendante sur un terrain de classe mais qui, malheureusement, reste une proclamation par trop désincarnée, accusatrice et dénonciatrice sans réussir à formuler le lien entre les exigences élémentaires et la nécessaire conquête de la démocratie, du contrôle des travailleurs sur la marche de la société, la prise en main de l’économie, la conquête du pouvoir.
Ni le NPA ni LO n’ont réussi à formuler un programme, une stratégie révolutionnaire, tirant les leçons de cette longue période pendant laquelle le mouvement trotskyste se pensait comme une opposition au réformisme social-démocrate ou stalinien, à la gauche institutionnelle, pour se penser en parti en rupture avec cette gauche faillie comme avec la politique de sa nouvelle mouture populiste.
Il nous faut pour cela un regard libéré de ce passé. Nous avons besoin de nous penser en parti qui a pour tâche d’aider aux prises de consciences, à la compréhension des rapports de classe, de préparer la classe des exploité.es à la conquête du pouvoir, à être les acteurs de leur propre émancipation en ignorant le chant des sirènes du populisme de gauche qui s’est construit sur les ruines du socialisme et communisme.
Croire que ce projet passe par l’alliance avec LFI ou les discussions avec l’ensemble de la gauche est un aveuglement, prétendre être la seule fraction qui pourra accomplir cette tâche relève d’un volontarisme tout aussi aveugle. Ce travail ne peut se penser et se réaliser que collectivement avec la volonté de fédérer, de rassembler, d’aider à la convergence des cerveaux indispensable à celle des luttes.
Le mouvement révolutionnaire est certes minoritaire, tout particulièrement dans le jeu institutionnel truqué, mais, la campagne en a pour une part attesté, il a une réelle sympathie et suscite des attentes. Ce sont toujours les minorités qui ont ouvert la voie à l’avenir à condition qu’elles soient capables de fédérer, de rassembler au cœur même des révoltes et des luttes.
La régression sociale, la menace de l’extrême droite, la guerre mondialisée viennent brutalement nous rappeler qu’il n’y a pas de compromis possible avec les capitalistes qui nous font la guerre.
La lutte contre l’extrême droite est directement liée à la lutte contre l’offensive sociale de la bourgeoisie. L’offensive réactionnaire idéologique et offensive antisociale, offensive contre les peuples ne font qu’un, la réponse est aussi une même démarche politique et sociale, la lutte des classes exploitées pour changer le monde maintenant !
Démocratie révolutionnaire