Dans la présentation de son programme à la presse ce jeudi 17 mars, le candidat Macron a déroulé son plan sécurité, discuté la veille en conseil des ministres, un plan de 15 milliards d’euros pour les 5 ans à venir, « historique » selon Darmanin. Il s’inscrit dans la nouvelle loi de programmation pour le Ministère de l’Intérieur (LOPMI) qui ne sera discutée au parlement qu’après la présidentielle. « Nous avons, ces cinq dernières années, réinvesti dans la sécurité : 3,5 milliards d’euros supplémentaires au budget du ministère de l’intérieur », « 25 % de plus », s’était félicité Macron, lors de son déplacement à Nice en janvier dernier. Lui qui souhaitait voir « plus de bleu dans la rue », entend doubler les effectifs de police sur le terrain d’ici à 2030 et créer 200 brigades supplémentaires de gendarmerie.
Mardi 2 mars, à l’unanimité, les syndicats de police ont signé avec Darmanin le premier volet de 773 millions d’euros de ce nouveau plan sécurité, un protocole de revalorisation des métiers de la police, à la grande satisfaction de ces syndicats et en particulier d’Alliance Police nationale, bien connu pour sa proximité avec l’extrême-droite.
Pour financer les 15 milliards de son plan Sécurité, les amendes forfaitaires délictuelles pourraient être étendues à l’ensemble des délits passibles de moins d’un an de prison avec, comme l’avait précisé Macron à Nice, caressant la police dans le sens du poil, des retenues sur les salaires ou minima sociaux pour les mauvais payeurs.
En se justifiant de son bilan, les milliards consacrés à la sécurité, les 10 000 postes de policiers créés, il reprend à son compte la démagogie et les surenchères sécuritaires de la droite extrême et de l’extrême-droite, de leurs candidat.e.s Pécresse, Zemmour et Le Pen, se prévalant, sur le même terrain, d’un bilan concret.
Tous participent de cette démagogie sécuritaire, nationaliste et xénophobe qui cible l’immigration et « l’ennemi intérieur », les classes populaires, les pauvres, les jeunes des quartiers populaires, contre lesquels ils se retournent alors que leur politique est à l’origine de la régression sociale, de la véritable insécurité, sociale, dont souffre la population pauvre. L’escalade sécuritaire est l’expression de la crainte de cette caste politique et des classes dirigeantes que ce qu’ils imposent aux travailleurs et à la population comme tribut à la faillite du système, à la guerre et ses conséquences, la flambée des prix de l’énergie et des produits alimentaires, les budgets à la hausse pour l’armement, ne provoque la révolte du monde du travail, de la population. Au durcissement de la société de plus en plus brutale, violente envers les classes populaires et les pauvres, les candidats institutionnels, serviteurs des classes possédantes n’ont d’autres réponses que sécuritaires.
Les violences policières dans les quartiers populaires, dans les manifestations sont le fait d’une police mobilisée pour la répression, gangrenée par le racisme et les idées de l’extrême-droite, détestée de tous, au point que la plupart des candidats de gauche à la présidentielle, cette gauche qui, au gouvernement, a largement contribué au déploiement des politiques sécuritaires, avancent dans leurs programmes la nécessité de la réformer, sans remettre en question sa fonction même au service de l’ordre social capitaliste. Elle nous pose à nous révolutionnaires celle de formuler nos propres réponses, les réponses du monde du travail contre la violence de l’État, de ses forces de l’ordre et de ses lois liberticides, le contrôle de notre propre défense, de notre propre sécurité, des possibilités et des moyens d’en finir avec l’appareil répressif de la bourgeoisie dans la lutte pour nos besoins, nos droits, pour changer le monde.
Surenchères sécuritaires… contre les pauvres, les travailleur.se.s, les immigré.e.s, les jeunes des quartiers populaires
Lors du grand oral auquel le syndicat Alliance avait convié les candidats à la présidentielle le 2 février, Le Pen, Zemmour, Pécresse et Darmanin, se sont livrés à une surenchère sécuritaire qui répondait à la pression hystérique qu’exerce ce syndicat dont le secrétaire général, Fabien Vanhemelryck, déclarait en préambule : « Nous sommes gangrenés et la situation est grave… Vous savez que notre territoire est ensauvagé. Plus personne n’entre en prison et nos collègues et concitoyens paient l’addition ». Le ton était donné.
L’extrême-droite n’a de cesse de jouer sur les peurs et d’agiter la vision catastrophiste d’une « insécurité croissante » dont l’origine serait principalement due à « la hausse continue de l’immigration ».
Ne voulant lui laisser le terrain, Pécresse, prétendante au leadership du grand rassemblement de la droite à l’extrême-droite avait déclaré vouloir « ressortir le karcher car il a été remis à la cave par François Hollande et Emmanuel Macron depuis dix ans », « Aujourd’hui, il est temps de nettoyer les quartiers, il faut traquer les caïds, les voyous, les criminels, les dealers… C’est eux qu’il faut harceler et punir (…), priver de leur citoyenneté ».
Dans le climat de surenchère sécuritaire qui marque cette campagne, les candidats alignent dans leurs promesses des milliards, des budgets faramineux pour les forces de l’ordre et la sécurité, alors que des moyens continuent d’être supprimés dans les hôpitaux, l’éducation et que ce gouvernement est incapable de répondre aux besoins des classes populaires et de la jeunesse dont une grande partie a plongé dans la précarité alimentaire depuis la crise du Covid.
La gauche institutionnelle est elle-même incapable de formuler un projet pour y répondre, défendant le même ordre social bourgeois et cette république garante de la propriété, sa police, et on a vu ses candidats Jadot, Hidalgo et Roussel pour qui « la sécurité ne doit pas être considérée comme un sujet ‘de droite’ », participer aux côtés des forces de l’ordre le 19 mai 2021 à la manif appelée par Alliance devant l’Assemblée nationale.
La sécurité dont ils se réclament tous, c’est la défense de l’ordre social des possédants, de l’exploitation, c’est la guerre à celles et ceux qui le contestent, aux pauvres, aux travailleurs, aux immigrés, aux jeunes, désignés comme les fauteurs de trouble.
Leur politique crée l’insécurité
Ils se retournent contre celles et ceux qui subissent les conséquences de leur politique au service des intérêts de la minorité, l’insécurité sociale grandissante. La violence, la délinquance et les délits, largement exagérés par les fantasmes des réactionnaires, sont une des conséquences de la précarisation et la pauvreté, de l’insécurité alimentaire et sanitaire qui s’ancrent dans les quartiers populaires et ont gagné les zones semi-urbaines et rurales pauvres. C’est l’expression, pour une part, d’une révolte contre l’exclusion et les discriminations.
Ce qu’exploitent les démagogues, c’est « le sentiment d’insécurité » que génère leur propagande et dont l’instrumentalisation s’est renforcée au rythme de l’approfondissement de la crise et de la dégradation sociale.
Au début des années 80, pour amortir les ravages que commençait à créer sa politique d’attaques contre le monde du travail, la gauche mitterrandienne avait eu quelques velléités de mettre en place des politiques de « prévention » dans les quartiers populaires.
Pierre Mauroy, premier ministre, mettait en place en 1983 des politiques dites de prévention sociale liées à la politique de la ville et associant les élus, une « discrimination positive » en faveur des quartiers défavorisés avec les zones d’éducation prioritaire (ZEP…), autant de dispositifs sans grands moyens, bien incapables de compenser les méfaits de sa politique.
Et en 1997, sous le gouvernement Jospin, alors que Chevènement était ministre de l’Intérieur, furent créés des Contrats locaux de sécurité (CLS). La police remplaçait les éducateurs de prévention, les médiateurs, une police dite « de proximité » était renforcée dans les « zones urbaines sensibles », les banlieues populaires que l’extrême-droite commençait à qualifier de zones de « non-droit ».
Un arsenal sécuritaire qui n’a cessé de se renforcer
En 2002, Jacques Chirac, qui faisait déjà de la sécurité le thème principal de sa campagne, estimait que « plus personne ne se sent à l’abri en France » et proposait la création d’un grand « ministère de la Sécurité ». Une nouvelle « loi pour la sécurité intérieure » créait de nouveaux délits comme le racolage passif, l’outrage au drapeau national et donnait de nouveaux pouvoirs aux forces de l’ordre.
En juin 2005, Sarkozy, ministre de l’Intérieur de Chirac, déclare alors qu’il est en déplacement à la cité de la Courneuve, qu’il faudra « nettoyer la cité au karcher ». En novembre, après la mort de deux jeunes tués par la police à Clichy sous-bois, explose la révolte de la jeunesse des banlieues. Celle-ci sera le prétexte à un renforcement de la politique sécuritaire qui l’a provoquée. Avec la loi sur « la prévention de la délinquance » de mars 2007, la « rébellion », c’est à dire la résistance violente de jeunes aux provocations incessantes et au racisme des forces de l’ordre, comme « l’incitation à la rébellion » deviennent passibles d’une peine de prison. Sarkozy président fait voter en 2011, la loi liberticide LOPPSI 2 (loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) qui permet que les données de connexion soient mises à la disposition de la police, de l’URSSAF, des douanes ou encore de l’administration fiscale. Les enquêteurs peuvent s’introduire dans le domicile d’une personne à son insu pour installer un « mouchard » sur son ordinateur pour enregistrer les frappes au clavier et effectuer des captures d’écran.
Les lois sécuritaires sont encore renforcées après les attentats terroristes de 2015.
L’état d’urgence est déclaré, un tournant dans les politiques liberticides, puisqu’il deviendra permanent. Ce sont des pouvoirs accrus pour les préfets et les forces de l’ordre, souvent sans contrôle de la justice. Il sera prolongé après chaque menace ou nouvelle attaque terroriste, comme celle de Nice en juillet 2016. Macron le prolonge à son tour en juillet 2017. Il permet à la police d’assigner à résidence, de faire des perquisitions administratives et de dissoudre en conseil des ministres des associations soupçonnées de terrorisme ou de porter atteinte à l’ordre public.
En 2017, Macron fait entrer dans le droit commun une bonne partie des dispositifs de l’état d’urgence, visant non plus seulement les actes commis mais ceux soupçonnés d’être commis.
Cédant aux pressions de la police, Hollande accorde le port d’arme hors service, véritable « permis de tuer », et l’élargissement de l’anonymisation dans les procédures judiciaires, une atteinte aux droits de la défense. Des prérogatives qui n’ont cessé de s’étendre, sous Macron avec la loi relative à la sécurité globale de 2019, dite loi « anticasseurs » en réponse au mouvement des gilets jaunes, et avec la dernière loi « sécurité globale » votée en avril 2021 dont l’article 24, finalement refusé par le Conseil constitutionnel pour atteintes graves aux libertés fondamentales, en particulier au droit constitutionnel de manifester et à la liberté de la presse, voulait sanctionner la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier, d’un gendarme ou d’un militaire, pour empêcher la presse et la population de filmer et rendre publics les actes de violence de la police.
Les récentes dissolutions scandaleuses de « Nantes révoltée », « Comité Action Palestine 33 » et « Palestine vaincra » à Toulouse après celles de Barakacity et du CCIF, préludes peut-être de bien d’autres, sont le résultat de ces nouvelles mesures répressives.
Désigner des boucs émissaires, tenter de diviser pour détourner et dévoyer la révolte
Dans un contexte d’exacerbation de la guerre de classe et incapables de répondre aux besoins des travailleurs et de la population, les dirigeants politiques, jouant de l’inquiétude et des peurs face à une société chaotique, à l’incertitude de l’avenir, voudraient masquer les causes de l’insécurité sociale en désignant des boucs émissaires, migrant.e.s, jeunes des quartiers populaires, musulmans trop souvent soupçonnés d’islamisme voire de terrorisme ou, en pleine pandémie, les non vaccinés qui d’après Castex « fracturent la nation », Macron décrétant qu’« un irresponsable n’est plus un citoyen ».
Ils stigmatisent, tentent de diviser pour dévoyer la colère de celles et ceux qui subissent l’aggravation et la violence de l’exploitation. Les migrant.e.s sont parmi les principales cibles, les premiers visés par des lois toujours plus dures comme la loi « asile et immigration » de 2018, qui généralise le placement en rétention des demandeurs d’asile sous procédure « Dublin », la réduction des temps d’instruction et les reconduites à la frontière.
Les populations des quartiers populaires sont mises sous contrôle. La loi « séparatisme » votée en juillet 2021 confortant le « respect des principes de la République », au nom d’un prétendu séparatisme islamiste justifie le contrôle des associations, des écoles hors contrats et de l’instruction à domicile, des cultes. Quant à la jeunesse des banlieues, les mineurs isolés sans-papiers vus par les cerveaux malades des démagogues réactionnaires comme des « sauvageons », des délinquants responsables des violences urbaines, ils n’ont cessé d’être dans le viseur des gouvernements, qui depuis 2001 ont donné aux maires l’autorisation d’établir des couvre-feux, d’interdire la rue aux plus jeunes non accompagnés.
Contre la violence de l’insécurité sociale, celle de l’Etat et de sa police, la nécessaire intervention du monde du travail
La violence et l’insécurité qu’engendre la décomposition sociale et idéologique du capitalisme ne peuvent trouver de solution hors de la lutte de notre camp social, pour la défense de nos droits, de nos conditions de vie, pour la sécurité sociale, alimentaire, écologique de toutes et tous, en prenant nous-mêmes en main le contrôle démocratique et l’organisation de la société pour la satisfaction des besoins collectifs, en toute indépendance des institutions de la république et de la propriété bourgeoises.
Les exigences démocratiques les plus élémentaires, combattre la politique autoritaire, répressive et liberticide de l’État ne peut se faire dans le cadre de ses institutions, pas plus que dans celui d’une 6ème république « démocratisée » qui ne prétend pas sortir du cadre de la propriété capitaliste, telle que la défendent Mélenchon et ceux qui voudraient une bonne police, débarrassée de ses scories racistes et réactionnaires, au service de la population, comme si l’État et son appareil de répression étaient neutres et non pas ces « détachements spéciaux d'hommes armés » au service du capital, tels que les qualifiait Engels.
Cela d’autant que la pression de la guerre et du climat d’union nationale belliciste, la guerre sociale qu’inévitablement Macron et la bourgeoisie ne feront qu’aggraver, vont approfondir l’insécurité sociale et renforcer l’autoritarisme du pouvoir hanté par la crainte de révoltes et d’explosions sociales.
Il serait vain et illusoire de croire à une pacification des rapports entre la police et la population grâce à une police républicaine rénovée « de la cave au grenier » telle qu’elle figure dans le programme du candidat Mélenchon, à une « refondation du service public de la police ».
Plusieurs des candidats de la gauche réformiste avancent des mots d’ordre comme le rétablissement d’une police de proximité, la dissolution de la BAC, la délivrance d’un récépissé lors des contrôles d’identité ou la création d’un organisme indépendant de contrôle de l’action des forces de l’ordre, le démantèlement de la vidéosurveillance, davantage de moyens pour la prévention, le retour à des zones sans contrôles d’identité automatiques sauf en cas de flagrant délit… des exigences que les travailleur.se.s et la population inscrivent dans leurs luttes pour les droits démocratiques, pour leur contrôle sur leur propre sécurité, dans la perspective de la destruction de l’appareil répressif de la bourgeoisie et de ses institutions au service de l’ordre social capitaliste, la perspective de la démocratie directe des travailleurs et de la population.
Cette nécessité pénètre les consciences. Bien des travailleurs et des jeunes ont fait ces dernières années l’expérience de la répression et des violences policières dans les luttes, les manifestations depuis la loi travail en 2016, les gilets jaunes et toutes les manifestations de contestation du système.
Les slogans « police nationale, police du capital » expriment une prise de conscience que les forces de l’ordre et l’ensemble de l’appareil répressif de l’État protègent les privilèges des classes possédantes, bras armé dans la guerre de classe qu’elles mènent contre les travailleurs, les pauvres et que nos intérêts sont inconciliables. Notre classe doit se poser les questions de sa propre sécurité par elle-même et celles du démantèlement, du désarmement des forces de l’ordre, de l’ordre établi des classes dominantes pour, plus largement, assurer elle-même le contrôle et la protection d’une vie sociale collective et démocratique.
Christine Héraud