Le 27 février, un collectif de féministes russes unies contre la guerre et l’occupation en Ukraine, Résistance féministe antiguerre, lançait un appel dans un manifeste 1 : « plus de 45 organisations féministes différentes opèrent dans tout le pays, de Kaliningrad à Vladivostok, de Rostov-sur-le-Don à Oulan-Oudé et Mourmansk. Nous appelons les féministes et les groupes féministes de Russie à rejoindre la Résistance féministe anti-guerre et à unir leurs forces pour s’opposer activement à la guerre et au gouvernement qui l’a déclenchée. Nous appelons également les féministes du monde entier à se joindre à notre résistance. Nous sommes nombreuses, et ensemble nous pouvons faire beaucoup : au cours des dix dernières années, le mouvement féministe a acquis un énorme pouvoir médiatique et culturel. Il est temps de le transformer en pouvoir politique. Nous sommes l’opposition à la guerre, au patriarcat, à l’autoritarisme et au militarisme. Nous sommes l’avenir qui prévaudra ».

Depuis le déclenchement de la guerre, les femmes russes sont au premier rang des manifestations, défiant Poutine et les oligarques malgré la répression, les menaces et les arrestations massives dont celle de l’activiste de 77 ans Elena Osipova, le 2 mars à Saint-Pétersbourg, dont les images ont fait le tour du monde, tenant une pancarte « Soldat, laisse ton arme et tu seras un vrai héros ». Le lendemain à Moscou des dizaines d’autres étaient arrêtées, certaines avec leurs enfants, pour avoir brandi des écriteaux « Non à la guerre ».

Femmes russes, ukrainiennes, kurdes, femmes gilets jaunes, paysannes indiennes, ouvrières d’Europe, d’Asie, d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Amérique… dans le monde entier, les femmes ont eu et ont un rôle majeur et moteur dans les combats sociaux et démocratiques pour les impulser, les organiser, fédérer et oser porter la nécessité et la perspective d’un autre monde.

Ce 8 mars, jour international de lutte pour les droits des femmes, a lieu dans un contexte bien particulier, il porte avec une acuité nouvelle la nécessité que se renforce la place des femmes dans l’organisation, la direction des luttes des classes opprimées.

Grève féministe

En France, comme dans de nombreux pays, les organisations féministes et les syndicats appellent ce 8 mars les travailleuses et travailleurs à une grève féministe. Le même jour, les salarié.es des géants de l’industrie des Ehpad Orpéa et Korian, très majoritairement des femmes, seront en grève aussi pour dénoncer la maltraitance institutionnelle faite aux personnes âgées et à celles-ceux qui prennent soin d’elles.

Premières de corvée au travail comme au foyer, les femmes sont toujours, malgré les bouleversements économiques et sociaux, les premières à subir la précarité, les bas salaires, les temps partiels imposés. Elles n’ont accès le plus souvent qu’aux emplois les moins qualifiés. En France en 2020, 23,5 % étaient employées ou ouvrières non qualifiées contre 14,3 % des hommes. Parmi le 1 % des emplois les plus rémunérés, seuls 19 % sont occupés par des femmes. En moyenne, les salaires des femmes sont inférieurs de 22 % à ceux des hommes, les pensions de retraite de près de 25 %. La plupart d’entre elles occupent des métiers dits « féminins » dont les noms parlent d’eux-mêmes : auxiliaires de vie, assistantes sociales, aides-soignantes, assistantes de direction, femmes de service, femmes de ménage ou femmes de chambres -souvent d’origine immigrée- quand on ne parle pas de « bonnes »… Ce sont les femmes qui prennent soin, éduquent, accompagnent, nettoient et récurent, portent la société à bout de bras et se battent pour un autre monde pour elles, leurs compagnons, leurs enfants.

Macron avait prétendu faire de la lutte contre les inégalités femmes-hommes la « grande cause du quinquennat ». Oxfam France et cinq associations ont publié cette semaine un rapport dénonçant un bilan « insuffisant ». C’est bien le moins qu’on puisse dire.

Les rares avancées législatives que sont le prolongement du délai d’IVG de 12 à 14 semaines ou l’ouverture de la PMA aux femmes seules et en couple homosexuel ont été gagnées par les mobilisations. De la même manière, les avancées contre les violences sexistes et sexuelles, la libération de la parole témoignant enfin de leur ampleur ne sont dues qu’au courage de femmes osant témoigner, dénoncer malgré les pressions sociales, la chape de plomb des préjugés, les intimidations. Ces mobilisations et ce courage que Macron tentait de faire taire en dénonçant une prétendue « société de l’inquisition » lorsque son ministre de la transition écologique, Hulot, était accusé d’agressions sexuelles… Ou quand il nommait au ministère de l’Intérieur Darmanin accusé de harcèlement, viol et abus de faiblesse, et Dupond-Moretti à la justice, connu pour sa complaisance et ses propos sexistes tels « le féminisme est une très grande cause, mais il est dévoyé quand il est excessif »…

« Dans chaque société, le degré d’émancipation des femmes est la mesure naturelle de l’émancipation générale »

Dans le monde entier, les luttes des femmes, leur « excessivité » ébranlent la société, les réactionnaires et toutes les églises. De la Colombie où les femmes viennent de gagner sur le fil la dépénalisation de l’avortement, dans le sillon de leur victoire en Argentine, jusqu’à l’Inde où des associations féministes viennent d’obtenir que soit envisagée (la justice ne s’est pas encore prononcée) la criminalisation du viol conjugal, provoquant une onde de choc dans le pays alors que la loi considère à ce jour que toute épouse de plus de 15 ans est par définition consentante ! Ces mobilisations, aussi subversives soient-elles, ne parviennent souvent à empêcher de profonds reculs, tel en Pologne où malgré des manifestations d’ampleur des femmes et de nombreux hommes, le gouvernement de l’ultra-conservateur Duda (aujourd’hui repeint en « démocrate » par les dirigeants occidentaux face à la Russie) a encore aggravé une des législations anti-avortement les plus restrictives du monde, condamnant dans un même élan l’IVG, la fécondation in-vitro et « l'idéologie LGBT ». De même au Texas, au cœur de la première puissance mondiale, où l’avortement est interdit au-delà de 6 semaines de grossesse depuis septembre dernier, la loi promettant 10 000 dollars à toute personne dénonçant une IVG au-delà. Le nombre d’avortements y a baissé de 60 %. En Afghanistan, les femmes sont les premières victimes de l’accord de brigands passé entre les USA et les Talibans après 20 ans de guerre.

Dans le monde entier, les femmes paient la faillite capitaliste et le tournant réactionnaire des classes dominantes et de leur personnel politique cherchant à faire taire toute contestation, toute aspiration à l’émancipation. Et elles sont les premières victimes des crises, comme en témoigne un récent rapport de l’Unicef sur la pandémie : « Du fait de la crise, 47 millions de femmes vivant dans des pays à revenu moyen ou faible n’auraient pas accès à des moyens de contraception, ce qui laisse envisager 7 millions de grossesses non désirées. De plus, les complications liées à la grossesse et à l'accouchement sont l'une des principales causes de décès chez les filles âgées de 15 à 19 ans […] Outre la santé, la Covid-19 est une menace pour la protection des femmes et filles dans le monde, dont la pandémie les a davantage exposées aux violences basées sur le genre, telles que les mutilations génitales féminines […] En raison des fermetures d’écoles, 743 millions de filles ont vu leur scolarité interrompue et présentent un risque plus important d’être complétement déscolarisées. Ce qui les expose à des risques supplémentaires de violences basées sur le genre, de mariages précoces et aggrave le fardeau du travail non rémunéré des filles »2.

En 1912, Rosa Luxemburg rappelait : « Il y a cent ans, le français Charles Fourier, l’un des premiers grands prophètes des idéaux socialistes, a écrit ces mots mémorables : « dans chaque société, le degré d’émancipation des femmes est la mesure naturelle de l’émancipation générale ». Ceci est parfaitement vrai pour la société actuelle. La lutte de masse en cours pour les droits politiques des femmes est seulement l’une des expressions et une partie de la lutte générale du prolétariat pour sa libération. En cela réside sa force et son avenir ».

Aujourd’hui, le renouveau des luttes pour les droits démocratiques et sociaux des femmes, pour l’égalité des sexes est un puissant ferment de la lutte des opprimés contre les classes dominantes.

La place déterminante des femmes dans les luttes de classes, d'émancipation

La journée internationale de lutte des femmes du 8 mars est, de par toute son histoire, intimement liée au mouvement ouvrier socialiste et révolutionnaire. Le 28 février 1909, pour la première fois, une « Journée nationale de la femme » était appelée aux Etats-Unis par le Parti socialiste d'Amérique. L’année suivante, sur proposition de Clara Zetkin, la IIe conférence internationale des femmes socialistes qui réunissait plus de 100 militantes de 17 pays adoptait le principe d’une Journée internationale de lutte des femmes et appelait « les femmes socialistes de tous les pays [à] l’organiser en collaboration avec les organisations politiques et syndicales ». La première journée, le 19 mars 1911, réunit plus d’un million de femmes en Europe exigeant le droit de vote, le droit au travail et la fin des discriminations. Des « journées des femmes » ou « journées des ouvrières » eurent lieu les années suivantes dans plusieurs pays y compris après la déclaration de guerre de 1914.

Le 8 mars 1917, à Petrograd, des milliers d’ouvrières russes descendaient dans la rue pour exiger du pain et le retour des soldats du front, la fin de la guerre, ouvrant la voie à une révolution qui allait en quelques mois porter les soviets au pouvoir.

Les femmes ont été et sont de toutes les luttes d’émancipation, contre l’exploitation et la violence capitaliste, y jouant bien souvent un rôle majeur.

Elles sont aujourd’hui en première ligne des mobilisations sociales, dans les hôpitaux, les Ehpad, l’Education, le secteur social, dans le commerce, la restauration ou l’hôtellerie, dans les luttes pour les salaires, pour l’emploi, contre la précarité...

Comme le disent les féministes russes, « le mouvement féministe a acquis un énorme pouvoir médiatique et culturel. Il est temps de le transformer en pouvoir politique. Nous sommes l’opposition à la guerre, au patriarcat, à l’autoritarisme et au militarisme. Nous sommes l’avenir qui prévaudra ».

Un avenir qui ne peut naître que sur les ruines du capitalisme, du renversement par les exploité.es eux.elles-mêmes d’un système qui plonge l’humanité dans la barbarie de l’exploitation, des oppressions, de la concurrence généralisée qui mène à la guerre. Oui, la lutte des femmes est politique et elle a besoin de se penser comme telle. Elle est un ferment révolutionnaire portant l’avenir, celui de la prise en main de la société par les travailleuses et travailleurs pour construire un monde de coopération.

Isabelle Ufferte

1 - http://europe-solidaire.org/spip.php?article61344

2 - https://www.unicef.fr/article/covid-19-recul-des-droits-des-filles-et-des-femmes-dans-le-monde

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