Les bruits de bottes aux portes de l’Europe, aux frontières de l’Ukraine, laissent entrevoir les enchaînements meurtriers et dramatiques que pourraient entraîner les négociations des rapports de force entre les grandes puissances et les États. Macron, tout préoccupé d’utiliser sa position de président du conseil européen pour donner de la hauteur à sa candidature à venir, s’est empressé de jouer le monsieur bons-offices en allant rencontrer Poutine puis, à Kiev, le président ukrainien, Zelensky, non sans avoir pris conseil auprès de Biden et de… Boris Johnson. Il pose au champion de la paix alors que la France est membre de l’Otan, principal fauteur de guerre. Poutine a salué ses efforts « pour résoudre la question de la sécurité en Europe » sans bien évidemment bouger d’un iota sur ses positions : que l’Otan s’engage par traité à ne jamais admettre l’Ukraine en son sein et qu’elle retire ses forces militaires des pays de l’Est qui en sont devenus membres depuis 1999. Macron l’a invité à « bâtir des garanties concrètes de sécurité » sans autres précisions tout en se revendiquant du droit de l’UE de s’étendre aux pays qui le souhaitent. Des déclarations pour masquer une politique agressive, réaffirmée à Kiev aux côtés de Zelensky, qui n’écartent en rien la possibilité du pire.

Depuis le ballet diplomatique s’intensifie, les tensions aussi avec le début des manœuvres militaires en Biélorussie et les propos de Biden répétant que l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe serait imminente. Ce que d’ailleurs il fait depuis des semaines...

Poutine, qui a massé aux frontières de l’Ukraine ces dernières semaines près de 120 000 soldats, ainsi que des centaines d’avions de chasse, de blindés, d’hélicoptères d’assaut et de missiles, s’est justifié de son droit à se défendre tout en restant toujours évasif sur les projets que lui prêtent les USA d’envahir l’Ukraine qui postule à intégrer l’UE et l’Otan.

Cette montée des tensions guerrières est une nouvelle étape dans la négociation armée des rapports de forces entre grandes puissances. Quelles que soient les visées des différents États engagés dans l’affrontement diplomatico-militaire, la responsabilité première revient aux USA dans la continuité de leur politique pour perpétuer leur domination sur le monde alors que celle-ci est minée par le développement des autres grandes puissances dont la Russie et la Chine, les deux « menaces », mais, plus globalement, par la mondialisation du marché et de la concurrence capitaliste.

L’Otan, coalition militaire au service des USA et de leurs alliés

La disparition du pacte de Varsovie au lendemain de l’effondrement de l’URSS en 1991 n’a pas conduit à la dissolution de l’Otan, créée pour faire face à ladite « menace soviétique ». Bien au contraire, les États-Unis ont poussé à son extension à l’est vers les pays de l’ex-glacis de l’URSS avec l’appui de l’Allemagne, désireuse de faire de la Mitteleuropa sa zone d’influence.

La même alliance est responsable de la guerre dans les Balkans, sous l’administration Clinton, qui démantela la Yougoslavie. La guerre fut menée sans l’aval de l’ONU. En créant de nouveaux États, elle donnait le signal de l’élargissement de l’Otan et de l’Union européenne, y compris à la Turquie, fortement encouragé par Washington. La Slovénie entra dans l’UE et dans l’Otan en 2004. Les dates pour la Croatie sont respectivement 2013 et 2009. Serbie, Bosnie, Kosovo, Albanie et Macédoine du Nord sont encore candidats à l’entrée dans l’Union.

Puis les États-Unis ont installé des éléments de leur bouclier antimissile en Europe de l’Est, ce qui contrevient à l’accord Russie-Otan, signé en 1997, garantissant à Moscou que les Occidentaux n’installeraient pas de nouvelles infrastructures militaires permanentes.

Depuis l’effondrement de l’URSS, l’Otan a étendu ses frontières à l’est de 1 280 kilomètres, incorporant la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. En 2021, elle a officiellement reconnu l’Ukraine elle-même comme un « membre aspirant », et la Suède et la Finlande envisagent également de rejoindre l’alliance anti-russe. La Finlande et l’Estonie sont toutes deux à moins de 200 kilomètres de Saint-Pétersbourg, et la frontière orientale de l’Ukraine est à moins de 750 kilomètres de Moscou. Les États-Unis ont déjà plus de 150 conseillers militaires en Ukraine, y compris des forces d’opérations spéciales, qui rejoignent les conseillers du Royaume-Uni, du Canada, de la Lituanie et de la Pologne.

Indépendance nationale de l’Ukraine et marchandage entre grandes puissances

Dans le cadre de cette offensive politique et militaire, les États Unis et l’UE ont déployé une offensive diplomatique en direction de l’Ukraine, offensive qui a débouché sur un coup de force au moment des manifestations de Maïdan en 2014 instaurant un régime pro-occidental. Moscou a remis la main sur la Crimée qui bénéficiait d’un statut spécial et s’est assuré le contrôle du Donbass à l’est de l’Ukraine. Depuis, ce dernier est le théâtre d’une guerre civile entre des forces pro-russes aidées directement par Moscou et les militaires ukrainiens. Les accords de Minsk, signés en 2015, qui entérinent cette « fédéralisation » forcée de l’Ukraine, ont fixé la « ligne de contact » entre les forces ukrainiennes et celles des républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk. Depuis lors, les incidents armés à la frontière ont fait environ 13 000 morts et près de deux millions de déplacés entre 2014 et 2020.

La situation s’est encore dégradée en novembre dernier lorsque les États-Unis, suivis de l’Otan, se sont saisis de manœuvres de troupes russes à la frontière pour accuser Moscou de vouloir déstabiliser l’Ukraine et de chercher un prétexte pour franchir ses frontières.

L’escalade de la force s’est poursuivie début janvier. L’entrée de troupes russes en Biélorussie le 18 janvier en vue de la « préparation de combat […] du fait de l’aggravation de la situation politico-militaire dans le monde, l’augmentation continue des tensions en Europe, notamment aux frontières ouest et sud du Bélarus » a alimenté les accusations des États-Unis, qui ont notamment débloqué 200 millions de dollars supplémentaires d’aide sécuritaire à l’Ukraine. L’Estonie, la Lituanie et la Lettonie ont quant à elles annoncé la livraison d’armes.

Aujourd’hui, s’il semble encore peu probable que l’escalade militaire puisse aller jusqu’à la confrontation directe entre les forces russes et les armées de l’Otan, il est bien difficile de voir quelle pourrait être la porte de sortie. Macron a évoqué sans la nommer une « finlandisation » de l’Ukraine, sur laquelle la Russie renoncerait à ses droits avec des garanties de neutralité. Difficile à imaginer, cette neutralité étant pour le moins incertaine au moment où justement la Finlande s’engage du côté de l’Otan et envisage d’y entrer. Aucune solution stable ne peut être trouvée de par les objectifs des parties en conflits, tant les USA et l’Otan que la Russie ou le pouvoir de Kiev, sans l’intervention directe des travailleurs, des peuples qui inspirent tant de crainte à Poutine comme à Biden.

La perpétuation de l’hégémonie américaine facteur de guerre

L’offensive libérale et impérialiste des USA au lendemain de la chute de l’URSS a provoqué une exacerbation des tensions internationales. Le développement du marché capitaliste à l’échelle mondiale s’est accompagné du développement du militarisme non seulement de la part des USA et des grandes puissances mais dans tous les États pour faire face aux conséquences politiques de la déstabilisation engendrée par l’exacerbation de la concurrence. Les guerres d’Irak, de Somalie, d’Afghanistan, du Pakistan, de Libye, de Syrie ou du Mali ont accentué les tensions et le désordre mondial, accéléré la militarisation.

En Russie, Poutine, garant du pouvoir des oligarques et de la bureaucratie, ne peut voir sa zone d’influence menacée sans réagir, sans chercher des alliés pour négocier sa place dans le cadre d’un ordre mondial fondé sur un équilibre entre les grandes puissances. Ce projet de Grande Russie inclut l’Ukraine, la Biélorussie, l’Arménie et le Kazakhstan.

Sa politique a aussi pour visée l’Europe centrale et de bonnes relations commerciales avec l’Allemagne dont le chancelier, Olaf Scholz, vient de faire le voyage à Washington pour faire allégeance à Biden. Il lui est reproché de brader les intérêts de l’Otan au profit de ses relations avec la Russie et Gazprom qui fournissent l’Allemagne en gaz.

C’est dans le cadre de cette politique que s’inscrit le rapprochement avec la Chine, avec laquelle la Russie a consolidé son alliance par le biais de diverses institutions telles que l’Organisation de coopération de Shanghai, son intégration dans la Nouvelle route de la soie et les institutions financières destinées à faire face aux sanctions économiques, entre autres, ainsi qu’en faisant bloc au Conseil de sécurité des Nations unies.

Une déclaration russo-chinoise « sur l’entrée des relations internationales dans une nouvelle ère » a été publiée à l’issue de la rencontre entre Poutine et Xi Jinping, à Pékin, juste avant l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver. Ils s’y disent « opposés à tout élargissement futur de l’Otan », faisant écho à l’exigence première de Moscou pour parvenir à une désescalade des tensions russo-occidentales en Ukraine.

La politique dont Macron se fait le champion propose comme issue à la crise ukrainienne un accord de sécurité de la Russie avec l’UE en exerçant la pression diplomatico-militaire la plus forte possible sur Poutine et, aussi voire surtout, sur les sommets de l’État et les oligarques. Un tel accord détournerait la Russie de la Chine mais il représenterait un recul pour Poutine difficilement envisageable de par la fragilité de sa dictature.

La militarisation de la concurrence mondialisée

Le bras de fer autour de l’Ukraine est une illustration, particulièrement inquiétante, de la nature des rapports internationaux dans lesquels la guerre n’est pas simplement la continuation de la politique par d’autres moyens mais bien une composante déterminante des rapports de forces, un instrument de propagande, complément indispensable de ce que les économistes aux ordres appellent hypocritement le libre marché. En filigrane des tensions et conflits diplomatico-militaires se trouvent les rivalités commerciales, en tout premier lieu celles qui touchent à l’approvisionnement en matières premières.

Ainsi l’avenir du gazoduc Nord Stream II, qui relie les côtes russes au port allemand de Greifswald via la Baltique et achemine au plus court le gaz russe en Allemagne, est au cœur des négociations en cours alors que la Russie fournit 40 % du gaz importé par l’Europe.

Par ailleurs, l’Ukraine est l’une des portes terrestres de la Nouvelle route de la soie vers l’Europe pour la Chine, qui a conclu des accords commerciaux avancés avec plusieurs pays d’Europe orientale. Les cours du pétrole, dont la Russie est l’un des premiers producteurs au monde, sont aussi liés en partie au destin de l’Ukraine. Tout affrontement en Ukraine peut faire grimper le prix du baril.

Une aggravation de la hausse des prix de l’énergie rendrait prohibitifs les coûts de production des métaux, notamment de l’aluminium et du zinc. La crise du gaz peut également contribuer à la hausse des prix alimentaires car l’énergie fossile est l’ingrédient incontournable pour la fabrication des engrais azotés. Enfin, l’Ukraine est l’un des huit grands exportateurs de blé avec environ 10 % des exportations mondiales, la Russie en représente près de 20 %.

Des menaces de sanctions qui pourraient accentuer les risques de krach

Biden brandit la menace de nouvelles sanctions contre la Russie, une arme à double tranchant dans une économie où les interdépendances sont omniprésentes. En cas d’exclusion de la Russie du système mondial de paiement SWIFT, les 56 milliards de dollars d’actifs financiers occidentaux et les 310 milliards d’euros placés dans des entreprises russes seraient menacés. La fermeture du gazoduc Nord Stream 2 envisagée par Biden entrainerait non seulement une « rupture totale des relations » de la Russie avec les États-Unis mais pourrait avoir d’importantes répercussions sur les prix de l’énergie.

Si la Russie, qui augmente délibérément le prix de ses exportations de gaz vers l’Europe en tant que mesure de pression géopolitique depuis des mois, devait décider soit d’augmenter encore le prix, soit de couper directement les approvisionnements, cela pourrait provoquer une récession et de grandes difficultés dans l’approvisionnement en électricité et en chauffage d’une grande partie de l’Europe centrale.

Une telle guerre énergétique, financière et commerciale pourrait provoquer un effondrement des places financières et plonger l’économie mondiale dans une grave récession.

« Cover the Globe », une politique de surarmement, une logique de guerre permanente

Le budget militaire de Biden 2022 augmente les dépenses de « défense » plus que sous Trump. Elles atteignent le record de 778 milliards de dollars. Biden poursuit la politique dite de « nouvelle Guerre froide » selon laquelle les États-Unis sont enfermés dans une course aux armements avec la Chine et la Russie au nom du principe que « le moyen le plus sûr de prévenir la guerre est d’être prêt à en gagner une ». Cet objectif stratégique dit « Cover the globe », « couvrir la planète », se traduit par une prévision d’augmentation du budget militaire de 3 à 5 % par an. « Cover the globe », c’est plus de 750 bases militaires, plus de 200 000 soldats stationnés à l’étranger, d’énormes et coûteux porte-avions flottant éternellement sur les sept mers, et un arsenal nucléaire massif…

Cette politique militariste des USA entraîne un surarmement de l’ensemble des États de la planète, à l’image des pays d’Europe de l’est comme l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie qui augmentent leurs propres défenses tout en appelant les États-Unis à y accroître leur propre présence militaire.

Face aux conséquences du développement du capitalisme mondialisé, de l’évolution de l’ensemble des peuples, la politique internationale des USA dépend entièrement du Pentagone, son énorme supériorité militaire étant, avec le dollar, sa principale arme pour imposer une hégémonie de plus en plus contestée et fragilisée.

Cette accumulation d’armements pour le plus grand bénéfice des producteurs d’armes, dont la France, n’est pas seulement un immense gaspillage de richesses, elle contribue à entretenir une paix armée jalonnée de conflits et de guerres locales, terrain propice à une conflagration générale voire une guerre nucléaire.

Les surenchères bellicistes comme politique intérieure, montée des nationalismes

La folie du capitalisme, la paranoïa des pouvoirs tant financiers, économiques que politiques poussent des dirigeants de plus en plus déconsidérés, confrontés à la colère populaire et aux difficultés intérieures à trouver des expédients dans des aventures bellicistes extérieures propres à flatter le nationalisme et dont personne ne contrôle les dérapages possibles.

Poutine et Biden doivent tous deux présenter une image forte et agressive, tant pour regagner leur crédibilité et leur légitimité au niveau national que pour soumettre ce qu’ils considèrent être leur zone d’influence respective : Poutine pour se remettre de la plus grande vague de protestations anti-autoritaires depuis la Perestroïka que connaît la Russie depuis plusieurs mois et des révoltes contre la corruption, les inégalités et sa politique grand-russe dans ce qu’il considère comme sa zone d’influence (Biélorussie, Kazakhstan, etc.) et Biden, qui est à la veille des élections de mi-mandat au Congrès, après un retrait humiliant d’Afghanistan et une impopularité croissante en réponse à son impuissance à appliquer ses propres décisions.

Boris Johnson déstabilisé par l’échec du brexit et les scandales devient le pire va-t-en-guerre. Macron joue au champion de la paix surtout soucieux d’afficher sa fermeté pour faire oublier les revers de ses armées au Mali et envisage d’envoyer quelques soldats en Roumanie ou de faire sortir la marine…

Les aventures militaires sont depuis longtemps une fuite en avant politique pour les régimes, les politiciens et les classes dominantes en faillite pour tenter de sauver leur pouvoir.

Le droit à l’autodétermination, la paix entre les mains des travailleurs et des peuples

Dans la cacophonie des surenchères bellicistes et nationalistes, le droit des peuples n’est défendu par aucune puissance, grande, moyenne ou petite. Les prétentions des États-Unis et de l’Otan à défendre la « démocratie » ou le caractère sacré de la souveraineté nationale de l’Ukraine contre « l’agression étrangère » sont des mensonges éculés alors que le gouvernement ukrainien et l’appareil d’État sont truffés de forces paramilitaires néonazies dont le parti Svoboda, que le Parlement européen avait formellement condamné pour ses « opinions racistes, antisémites et xénophobes », ainsi que la milice néonazie Secteur droite et le bataillon Azov. La liste des pays envahis et/ou bombardés par les États-Unis au cours des 30 dernières années, le Panama, l’Irak, le Koweït, Haïti, la Somalie, la Bosnie, le Soudan, l’Afghanistan, la Yougoslavie, le Yémen, le Pakistan, la Libye et la Syrie, souligne le cynisme hypocrite des dirigeants de l’Otan dont Macron.

Leur hystérie nationaliste rejoint celle de Poutine dans la même volonté d’étouffer le mécontentement des classes populaires, de conjurer l’émergence de mouvements de révolte sous la pression d’une union nationale mythique et mystificatrice.

Les travailleurs de Russie n’ont aucun soutien à apporter au régime de Poutine pas plus que ceux des USA ou d’Europe n’ont à rallier de quelque façon que ce soit la croisade antirusse ou antichinoise des dirigeants occidentaux.

Les uns et les autres sont engagés dans une fuite en avant économique, financière, militaire dont les populations payent le prix, un prix toujours plus lourd.

Dans tous les domaines, des risques majeurs sont devant nous, à court terme. La crise ukrainienne le démontre. Emportés par la folle logique de leur propre système, de leurs relations fondées sur la concurrence et le rapport de forces, ces dirigeants sont incapables de comportements rationnels. Leur seule raison est la défense de leur système, de leur classe, de leur pouvoir et domination. Quoi qu’il en coûte !

Face à ces menaces, le monde du travail, les populations ne pourront en finir avec les souffrances matérielles, physiques, morales qu’engendrent les infernales logiques qui se mettent en route contre eux qu’en préservant leur indépendance politique des démagogues nationalistes quel que soit leur drapeau.

Yvan Lemaitre

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