A peine connue dimanche dernier, la victoire de Christiane Taubira, désignée comme la candidate la plus à même de « faire gagner l’écologie et la justice sociale à l’élection présidentielle » par la Primaire populaire, a été ignorée par ses concurrents désignés pour la plupart à l’insu de leur plein gré comme Mélenchon, Jadot ou Hidalgo.

Christiane Taubira a obtenu la mention bien +, devançant Yannick Jadot, assez bien +, Mélenchon, assez bien -, Larrouturou passable + et en cinquième position Hidalgo à peine passable +… Dérisoire et ridicule, un épisode de plus dans le processus de décomposition de la gauche conséquence d’années de reniements et de trahisons. Taubira qui joue la marieuse des égos rivaux fut elle-même ministre de Hollande et de Valls. Tout un programme…

Sauver les meubles pour les législatives et l’après 2022…

Aucun des postulants volontaires ou contraints ne pense un instant pouvoir être au second tour mais il s’agit pour eux de défendre leur place ou celle de leur appareil sur l’échiquier politique. C’est bien là leur seule ambition, y compris celle de Taubira qui a revêtu les vieux habits de l’union pour mieux trouver sa place dans… les rivalités qui n’ont pas manqué de s’exprimer dans une convaincante unanimité pour la condamner.

Il faut dire qu’il faut avoir les yeux de la foi pour voir en Taubira la représentante d’une autre politique que celle à laquelle elle a participé et que celle qu’elle dit vouloir mener aujourd’hui… Ou pour voir dans cette Primaire populaire autre chose que ce qu’elle dit être, une démarche pour tenter de redonner vie au fantôme de l’union de la gauche, l’illusion d’une gauche sincère si tant est que cela puisse vouloir dire quelque chose. Ou pour voir, dans ces candidats rivaux pour mener la même politique si jamais ils étaient élus, de potentiels acteurs de la lutte contre Macron, contre l’extrême droite, pour les salaires, contre le pass vaccinal, pour des moyens dans la santé…

Les uns et les autres n’ont qu’un horizon, l’horizon bouché des rivalités parlementaires et institutionnelles et se battent pour occuper la moins mauvaise position possible en vue des recompositions qui ne manqueront de s’opérer après la déroute présidentielle. La présentielle pour préparer les législatives, échéance déterminante tant pour les finances des partis que pour les rapports de force parlementaires…

La machine républicaine grippée

La décomposition de la gauche n’est pas seulement la conséquence de ses reniements et trahisons. Elle est un des symptômes de la crise qui frappe les institutions parlementaires, leur république, cette machine à duper les masses pour donner une légitimité à la politique de classe du pouvoir et de l’État, une politique au service d’une minorité qui prétend se prévaloir de l’intérêt général. Il apparaît de plus en plus clairement que le double langage de la gauche est mensonger et hypocrite et ne vise qu’à justifier une politique qui se plie aux exigences du grand patronat. Le discours qui prétend servir les intérêts des travailleurs, des classes populaires tout en respectant ceux des classes dominantes dans le cadre du système est largement discrédité.

L’effondrement de la gauche combiné au discrédit de la droite avec laquelle elle a alterné ou cohabité au pouvoir pour conduire les politiques d’austérité ont entraîné la progression de l’extrême-droite. Cette crise nourrit le populisme et les tendances bonapartistes, celles de Macron et de l’extrême droite mais aussi, soit dit en passant, celles de Mélenchon qui voudrait surmonter la décomposition de la gauche dans le cadre des institutions bourgeoises en se faisant le rassembleur du peuple.

L’élection de Macron en 2017 a été une première réponse pour la bourgeoise dans le « dépassement » du clivage droite-gauche dans lequel le PS, principalement, ainsi que les Républicains ont été engloutis. Certes, la droite a réussi à maintenir peu ou prou ses positions grâce à son enracinement local et, surtout, en se mettant en concurrence avec Le Pen et Zemmour pour postuler à devenir la colonne vertébrale d’un hypothétique parti de droite extrême né de « l’union des droites » au détriment de Zemmour. Le plus probable est que, prise en tenaille, la candidate LR ne résiste pas à la pression. Sa défaite dès le premier tour ou même au second au profit de Macron pourrait faire de ce dernier le chef d’un grand parti d’union nationale contre Le Pen et Zemmour, un bloc réactionnaire, européano-national populiste.

Et cela d’autant plus facilement que les ralliements à Zemmour semblent attester que bien des ambitions de politiciens de droite-extrême parient sur l’union des droites contre Le Pen, pour eux obstacle sur la route du pouvoir. Comme cette dernière le dit à propos de Zemmour : « il ne se bat pas pour gagner, mais pour tuer le Rassemblement national ».

Marion Maréchal, qui ne manque pas de talent pour planter des couteaux dans le dos de ses proches, est explicite : « Eric Zemmour se bat pour la disparition du cordon sanitaire entre la droite dite “républicaine” et nous. Marine Le Pen n’a jamais été pour la disparition de cette ligne de démarcation ».

A travers cette campagne présidentielle de nouveaux rapports de force se construisent. Ces rivalités de pouvoir entre amis de longue date, cette guerre des droites, opèrent une sélection entre celles et ceux qui postulent à prendre le relais de Macron, non en 2022, mais pour la suite en anticipant la faillite de leur système et ses conséquences, c’est-à-dire une instabilité politique accrue, des révoltes, des explosions sociales. Les faux semblants démocratiques laissent la place au mépris de classe, à la peur d’une contestation radicale de leur vieux monde. C’est le système de domination de la bourgeoisie lui-même qui est en crise, affaibli par la crise de confiance selon l’expression des commentateurs, la perte des illusions des classes populaires en la république. L’élection présidentielle en cours aggravera les éléments d’instabilité qui pourraient ouvrir la porte à l’irruption du monde du travail sur le terrain politique pour dégager l’extrême droite et répondre aux questions urgentes posées à toute la société.

Préparer les affrontements sociaux et politiques à venir

Ces bouleversements sont l’expression d’évolutions déterminantes dans les rapports de classe. C’est bien de ce point de vue que l’on peut dire que nous entrons dans une période où la perspective révolutionnaire n’est plus une simple proclamation ou incantation mais prend un contenu concret et pratique au sens où aucune exigence sociale, démocratique, sanitaire, écologique, pacifique n’est compatible avec les exigences du capital, la mondialisation de la concurrence de plus en plus militarisée. Avancer de bonnes revendications sur le terrain électoral tout en disant qu’il faudra les imposer par les mobilisations devient une illusion que symbolise le slogan « dans les urnes et les luttes » qui entretient les confusions.

Chacune de nos exigences progressistes, démocratiques rentre en conflit direct avec les intérêts des classes dominantes et pose donc la question de la conquête du pouvoir pour que les classes laborieuses puissent mettre l’économie, la société au service de la population.

La France est « fatiguée » nous disent aujourd’hui les médias, propos qui rappelle ce qu’avait écrit dans Le Monde Pierre Viansson-Ponté avant que n’éclate la révolte de Mai 68, « La France s’ennuie ».

Le mécontentement, la colère se combinent à la lassitude et la fatigue qui paralysent et empêchent de formuler de nouvelles perspectives en rupture avec le passé, avec le système capitaliste et ses institutions, le réformisme. L’emprise du harcèlement moral capitaliste, des pressions économiques, la dégradation des conditions de travail, cette brutalité économique et sociale provoquent de multiples conflits locaux sans que la classe exploitée trouve encore la force d’engager l’inévitable affrontement, c’est-à-dire de contester le pouvoir.

Le déferlement réactionnaire nourrit le sentiment d’impuissance et voudrait étouffer la prise de conscience de l’antagonisme irréductible entre leur vieux monde pourri à l’image du scandale d’Orpea et les besoins humains que le développement social pourrait largement satisfaire.

Mais le pourrissement des politiciens bourgeois se disputant la place pour faire allégeance aux syndicats d’extrême droite des flics, l’antagonisme de classe sont tels que la dépression politique que nous connaissons dans notre camp prépare l’affirmation de nouvelles perspectives sociales et politiques à travers les conflits à venir.

Construire l’unité de notre camp social et politique

La dépression politique est la conséquence d’un passé qui a pris fin sans que l’avenir ait encore pu prendre forme pour paraphraser Gramsci. L’effondrement des illusions réformistes ne produit pas automatiquement une conscience de classe révolutionnaire, laissant place à la confusion, terrain des démagogues d’extrême droite. De la perte des illusions à la prise de conscience révolutionnaire, il y a un difficile parcours, une lutte pour retrouver, reformuler, s’approprier à travers l’expérience des luttes sociales et politiques les idées et la méthode du combat de classe ; reconstruire les liens sur la base des acquis et des prises de conscience collectives, retrouver la solidarité qui donne son sens, son humanité au travail par-delà les rapports d’exploitation ; retrouver la créativité de la lutte, pour ne plus craindre un avenir inconnu, oser s’affirmer dans la rupture révolutionnaire avec le capitalisme...

La candidature de notre camarade Philippe Poutou ainsi que celles de Nathalie Arthaud ou Anasse Kazib pourraient être une importante contribution à la construction d’un mouvement révolutionnaire par en bas, dans les entreprises, les quartiers populaires, la jeunesse, si elles sont capables de se mettre au service de l’unité de notre camp politique, l’unité des révolutionnaires, de rompre avec l’ignorance mutuelle, le sectarisme, héritage du passé. Il ne s’agit pas de regretter la présence de trois candidats révolutionnaires, même si cela nuit à notre crédibilité et représente une déperdition d’énergie mais de voir les faits en face. Cela ne répond pas aux besoins du monde du travail, se donner les moyens de préparer les luttes sociales et politiques à venir. Cette question est au cœur de la campagne des révolutionnaires qui ouvre et impose à toutes et tous une discussion sur la période, notre stratégie, le programme politique, non pas une discussion idéologique mais politique, pratique, concrète, militante sur les voies et moyens de faire face aux échéances à venir.

Yvan Lemaitre

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