Les rivalités et paranoïas qui agitent les diverses ambitions au sein d’une gauche moribonde, sans idées et dont le seul horizon est l’ordre institutionnel de la république bourgeoise, offrent un spectacle, une farce, pour le moins affligeants. L’entrée en scène de Taubira au moment où Montebourg se retire ne renouvelle guère la prestation des vieux acteurs de 2002. « Je veux prendre toute ma part contre la démoralisation, contre les discours de haine et les propos belliqueux », dit-elle, contre le « mépris » en se gardant bien d’attaquer qui que ce soit… Hidalgo a failli hausser le ton, « maintenant, c’est projet contre projet », a-t-elle lâché sans rire ! Et le PS cherche les moyens de se rapprocher de Jadot… Quant à Fabien Roussel, candidat du PCF, il appelle à « construire la France des jours heureux » et « refonder la gauche » pour « mettre dehors les libéraux, les corrompus et la République des privilèges pour construire une République sociale, démocratique et laïque au service du peuple et de la nation [...] reprendre le pouvoir à la finance ».

Chacune et chacun se veut le champion d’une nouvelle union de la gauche dont il peut seul être le chef tout en essayant de faire oublier un lourd passé de reniements qui a vu la gauche, chaque fois qu’elle a été au gouvernement, servir la classe dominante… C’est cette aspiration à l’unité, illusoire et désespérée, de celles et ceux qui ne voient pas d’autre choix que la gauche, prisonniers eux-aussi du cadre institutionnel, que cherche à instrumentaliser la Primaire populaire. Celle-ci a décidé des candidats dont les noms seraient soumis, entre le 27 et le 30 janvier, au vote… malgré eux ! Taubira est la seule à se prêter au jeu en se présentant comme « celle qui accepte les risques d’une investiture citoyenne, celle qui accepte de constater qu’à l’échelle des candidats, à l’échelle des partis, l’union n’a pas été possible ». Une façon embrouillée de dire que puisque l’union n’est pas possible elle sera candidate...

Jean-Luc Mélenchon reste hors du jeu. La « tortue électorale sagace » suit son bonhomme de chemin, indifférente aux « mésaventures du centre gauche ». « Je le dis une bonne fois pour toutes : je ne suis pas leur copain ! ». « Ce n'est pas d'union dont on a besoin, c'est de mobilisation. Laissez-nous faire campagne ! ». Fortes paroles dont le contenu reste un peu flou, lui aussi enfermé dans le carcan institutionnel de la république face au mur de l’argent sur lequel se sont rompus les phrases et les discours creux de la gauche ayant, depuis des décennies, abandonné toute stratégie socialiste, communiste, révolutionnaire pour lui préférer l’or et les tapis rouge de la république.

La rupture des classes populaires avec le théâtre d’ombre des institutions garantes de l’ordre établi

La mauvaise comédie laisse indifférente la grande majorité des classes populaires prises par la lutte quotidienne contre les difficultés et qui ont de plus en plus conscience que ces rivalités d’ambition n’ont rien à voir avec leurs intérêts. Les contraintes de la pandémie, la police sanitaire organisée par le pouvoir soumis aux intérêts de Big Pharma et du CAC 40 ont aggravé la situation du plus grand nombre, les inégalités. Le mépris du pouvoir pour les soignants comme pour le personnel de l’éducation nationale ou l’ensemble des travailleurs, tout.e.s les premier.e.s de corvées, les invisibles devient insupportable. Un profond mécontentement s’accumule qui n’est pas dupe des discours électoraux ni de cette démocratie pervertie qui laisse le bon peuple choisir le président qui concentrera entre ses mains, pendant 5 ans, tous les pouvoirs au service de la défense des intérêts des grandes fortunes sous le regard soumis d’un parlement tout autant rançonné que le pouvoir par les financiers qui détiennent la dette...

Ainsi, à l’autre pôle de la société, chez les riches, les financiers, les grands patrons, l’argent coule à flots grâce aux largesses des États et des banques centrales. Oxfam vient de publier des données significatives : la fortune des milliardaires dans le monde a plus augmenté en 19 mois de pandémie que durant les 10 dernières années ; depuis la pandémie, le monde compte un nouveau milliardaire toutes les 26 heures, alors que 160 millions de personnes sont tombées dans la pauvreté ; avec les 236 milliards supplémentaires engrangés en 19 mois par les milliardaires français, on pourrait quadrupler le budget de l’hôpital public ou distribuer un chèque de 3500 euros à chaque Français.e.

A elles seules, les 5 premières fortunes de France concentrées dans l’industrie du luxe – celles de Bernard Arnault (LVMH), Françoise-Meyers Bettencourt (L’Oréal), François Pinault (Kering), des frères Alain et Gérard Wertheimer (Chanel) – ont doublé, augmentant de 173 milliards d’euros en 19 mois. Ces 5 milliardaires français possèdent désormais autant que les 40 % des Français les plus défavorisés.

Dans le même temps, la pauvreté s’est aggravée. 7 millions de personnes ont besoin d’aide alimentaire pour vivre, soit 10 % de la population française, et 4 millions de personnes supplémentaires sont en situation de vulnérabilité.

Cette évolution scandaleuse est le fruit pourri de la politique du « quoi qu’il en coûte » des gouvernements et banques centrales qui, pris de panique devant les risques d’effondrement du système, ont injecté des milliards dans l’économie. Ces derniers ont alimenté les spéculations et la hausse des cours des actions et permis l’explosion de la fortune des milliardaires la plus importante jamais enregistrée, en attendant le krach.

Pour mettre un terme à cette folie spéculative, cette course au profit qui croit pouvoir éviter la faillite en accumulant, en gaspillant, en dilapidant toujours plus de richesses au prix d’une régression sociale généralisée et d’une aggravation de la crise écologique, le plus court chemin vers l’inévitable krach, il n’y a pas d’autre moyen que la défense de nos droits dans le but de l’expropriation de l’oligarchie financière et pour cela de postuler au contrôle de la marche de la société.

Surmonter les divisions, unir nos forces, nous organiser sur les lieux de travail et dans la lutte

On voit bien que la colère qui sourd à travers le pays, la révolte sur les lieux de travail, les inquiétudes de la jeunesse, l’envie d’agir de millions de femmes ne trouvent pas les canaux pour s’exprimer, devenir une force capable de bouleverser le rapport de force, de redonner confiance à l’ensemble des exploités, des dominés. La journée du 13 dans l’éducation nationale a été une vivante expression de ces multiples aspirations mais, à défaut d’imaginer une suite, des perspectives, cette colère devient frustration ou lassitude comme l’ont montré les limites de la journée du 20 appelée par les organisations syndicales sans autre objectif que de laisser s’exprimer le mécontentement.

La journée du 27, journée de grèves et de manifestations à l’appel de la CGT, FO, FSU, Solidaires, et des organisations de jeunesse, prend dans ce contexte une particulière importance. Mais là encore les organisations syndicales n’ont d’autre objectif que de faire pression dans le cadre du dialogue social. Cette politique ne peut déboucher que sur de nouvelles frustrations, voire de nouvelles démoralisations si ne s’affirme pas une volonté d’agir en dehors du cadre imposé par les directions syndicales, si nous ne nous décidons pas à bousculer la donne, à nous organiser sans rester prisonniers des structures syndicales pour prendre la parole, décider et diriger nos propres mobilisations et combats, leur donner un programme et une perspective.

Il n’y a pas d’issue sans rupture avec l’ordre institutionnel établi tant électoral et parlementaire qu’autour du dialogue social, de la collaboration de classe, ce qui veut dire sans prise de conscience de la nécessité impérieuse de nous organiser pour faire de la politique à tous les niveaux, y compris dans nos organisations syndicales, nos associations, une politique qui réponde aux besoins du monde du travail qui ne peuvent se concilier avec ceux des grandes fortunes, de l’oligarchie financière qui dirigent ce pays et le monde. La lutte contre l’offensive réactionnaire, contre l’extrême droite suppose de ne faire aucun compromis avec le nationalisme, le patriotisme. Elle est une lutte internationaliste pour une démocratie qui n’a rien à voir avec la défense de la république.

Le monde du travail a besoin de son propre parti, radicalement différent des partis de la gauche dirigés par des chefs exclusivement soucieux de leur propre carrière, qui ne rendent aucun compte à leur propre parti, simple machine électorale bureaucratique. Ce parti sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, adapté aux conditions de notre époque, fondé sur un marxisme vivant dégagé des dogmes et caricatures.

Il ne résultera pas d’hypothétiques discussions avec la gauche, Roussel ou Mélenchon, d’une union populaire, ou d’une unité de la gauche radicale. Il ne peut se construire, à travers les luttes de classes, qu’en indépendance de ces partis institutionnels et de leurs préoccupations. L’unité du mouvement révolutionnaire représenterait une étape, une impulsion importante voire décisive ne serait-ce qu’en rompant avec les routines et divisions des divers groupes révolutionnaires voués à leur autoconstruction. Elle n’ouvrirait cependant une réelle perspective que si elle ne se limitait pas à une unité par en haut ou simplement électorale, comme cela a pu se produire dans le passé entre la LCR et LO, mais si elle s’ouvrait largement sur le monde du travail pour impulser une dynamique, un mouvement, melting-pot entre les différentes traditions et générations.

La campagne de notre candidat Philippe Poutou ainsi que celle des autres candidats révolutionnaires sera utile au monde du travail si elle constitue un pas en avant dans ce sens plutôt que de s’ignorer et perpétuer voire de renforcer les divisions sectaires, c’est-à-dire si notre campagne est en prise directe avec les mobilisations en cours pour contribuer avec l’ensemble des militant des luttes, à l’auto-organisation, faire vivre la démocratie des assemblées générales et des comités de grève, la prise en main de leurs affaires par les travailleurs eux-mêmes.

La démocratie ne se partage pas. La faire vivre dans les mobilisations, c’est la faire vivre dans sa propre organisation, dans les rapports aussi avec les autres organisations ou courants, faire vivre les fractions et les tendances comme des outils pour la discussion, définir les divergences dans le but de les dépasser et renforcer la conscience et l’action collective. La faire vivre dans l’ensemble du milieu militant, avec les travailleurs, rompre avec les pratiques des appareils petits et grands pour élaborer ensemble le programme et la stratégie de la révolution à venir, participer à la construction de l’affrontement qui mûrit entre le patronat, le pouvoir et le monde du travail.

Yvan Lemaitre

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