« Pour la première fois dans l’histoire, un président n’a pas seulement perdu une élection, il a tenté d’empêcher un transfert pacifique du pouvoir », a accusé Biden lors d’un discours devant le Congrès à l'occasion de l’anniversaire de la proclamation de sa victoire, il y a un an, le 6 janvier, anniversaire aussi du coup de force de Trump et de ses partisans qui menaient l’attaque sur le Capitole, qu’il a qualifiée d'« insurrection armée ».

« Nous devons décider aujourd’hui quelle nation nous allons être. Allons-nous être une nation qui accepte que la violence politique devienne la norme ? Allons-nous être une nation qui autorise des responsables officiels partisans à renverser la volonté exprimée légalement par le peuple ? Allons-nous être une nation qui ne vit pas dans la lumière de la vérité mais à l’ombre du mensonge ? ». Et d’affirmer, « Je ne laisserai personne mettre le couteau sous la gorge de la démocratie ». Se voulant le président du « Retour de l’Amérique », Biden a donné une dimension internationale à son prétendu combat pour la démocratie, une lutte l’opposant à l’autocratie tant aux USA que face à… la Chine et la Russie.

Biden aimerait redonner vie au mythe de la démocratie américaine éclairant le monde pour justifier sa politique de brigandage impérialiste au service de Wall Street. Son rêve, ledit rêve américain, est en passe de devenir un cauchemar dont Trump est une des expressions mais non la cause. « N’oubliez jamais le crime de l’élection présidentielle de 2020. N’abandonnez jamais » a lancé ce dernier, suivi par la totalité ou presque des élus républicains qui ont boycotté les commémorations organisées par le Congrès. Aucun sénateur républicain n’a participé au moment de silence organisé au Sénat.

Les candidats républicains aux élections de mi-mandat, y compris les possibles successeurs de Trump que sont les sénateurs Ted Cruz (Texas) et Marco Rubio (Floride), doivent souscrire à la thèse complotiste de « l’élection volée » et refuser toute condamnation de l’ex-président pour ses appels du 6 janvier, nouveaux articles de foi du Parti républicain « trumpisé » à l’ombre duquel continue de prospérer l’extrême droite. Dans le même temps, Trump a reconstitué une équipe de campagne autour de son mouvement « Save America », qui aurait entre les mains un trésor de guerre de 100 millions de dollars en vue de « Trump 2024 » ...

La trumpisation des républicains exprime les pressions politiques qu’exerce leur électorat, le complotisme anti-Biden, produit des tensions, des violences sociales, des inquiétudes et des peurs qui agitent de larges fractions de la petite bourgeoisie et des classes populaires et qui s’inscrivent dans une évolution des rapports politiques, des rapports de classe tant aux USA que dans le monde.

Exacerbation des rapports de classe, violence sociale, l’État de classe mis à nu

Ces évolutions sont l’aboutissement de quatre décennies d’offensive libérale et impérialiste qui ont façonné le capitalisme financiarisé mondialisé d’aujourd’hui, cette « guerre de classe » dont Warren Buffet disait « mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène la guerre, et nous en sommes les gagnants ». Jusqu’alors oui, et à quel prix pour l’ensemble de la société !

Cette guerre de classe contre les pauvres, les travailleurs, les Afro-américains et les minorités n’est pas nouvelle, elle est au cœur de la société d’exploitation, mécanisme violent d’appropriation des richesses produites, de dépossession de la majorité au profit d’une minorité de plus en plus étroite, d’un capital de plus en plus concentré entre quelques mains. Se développe une absurde et destructrice contradiction entre les progrès techniques et scientifiques prodigieux réalisés grâce au travail humain et le parasitisme de l’oligarchie financière, contradiction qui engendre une régression sociale et politique sans fin.

Les inégalités de revenu et de richesse aux États-Unis battent les records des 50 dernières années, tandis que la classe moyenne américaine au lieu de croître se rétrécit.

La part relative des revenus de la classe moyenne serait passée de 62 % en 1970 à 43 % en 2018. Au cours de la même période, la part des plus riches est passée de 29 % en 1970 à 48 % en 2018 alors même que la part des faibles revenus a diminué, passant de 10 % à 9 %.

Les déplacements de richesse au profit des ménages à revenus élevés et aux dépens des ménages à revenus moyens et inférieurs sont même plus importants que les inégalités dans les revenus. La part de la richesse américaine possédée par les ménages avec les revenus les plus élevés était de 75 % en 1983, cette part a bondi à 87 % en 2016.

La violence de la régression sociale engendre la violence tout court, violence policière, violence raciale, criminalité, une violence que l’État retourne contre ses victimes sous couvert de sécurité et de protection de la population, un cycle infernal, la violence engendre la violence d’autant qu’elle est ouvertement encouragée. Les tensions et clivages sociaux qui résultent de cette situation ont conduit à une épidémie de « morts de désespoir » par surdoses médicamenteuses, addiction aux opiacés et suicides, à une baisse de l’espérance de vie, à une hausse des cas de dépression, en particulier chez les jeunes. Une dégradation accentuée par la pandémie du Covid-19.

Un terrain propice aux démagogues d’extrême droite tant que le mouvement ouvrier reste, lui, dominé par le légalisme et le respect des institutions ou sous l’influence du Parti démocrate.

Une démocratie censitaire pour et par les riches

Tout à sa croisade pour la défense de la démocratie américaine, Biden vient d’engager une bataille parlementaire pour protéger l’accès au vote des Afro-Américains. Il voudrait harmoniser au niveau fédéral les règles d’obtention du droit de vote pour empêcher les États républicains du Sud de les modifier afin de priver du droit de vote des minorités et particulièrement les Afro-Américains et de renforcer l’emprise des autorités locales sur les scrutins électoraux. Pour passer cette réforme au Sénat, il lui faudrait une majorité augmentée de 60 voix. Or le camp démocrate compte 50 voix plus celle de la vice-présidente Kamala Harris, et les républicains 50. Les velléités démocratiques de Biden vont probablement tourner court du fait du refus de deux… démocrates de le soutenir pour changer cette règle au Sénat et cela alors que déjà, en octobre, pas moins de dix-neuf États contrôlés par les républicains ont adopté trente-trois lois restreignant l’exercice du droit de vote. Nombre d’entre eux redécoupent à leur avantage la carte des circonscriptions.

Ces tripatouillages électoraux sont scandaleux mais ils ne sont pas le fond de la crise des institutions de la démocratie américaine. Celle-ci renvoie aux rapports de classe qui engendrent une ploutocratie, laquelle concède un pouvoir politique prépondérant aux super riches, à Wall Street. Les États-Unis sont devenus « une oligarchie avec une corruption politique illimitée », disait en 2015, l’ancien président Jimmy Carter, fin connaisseur des institutions américaines. Le principal champ de bataille est à Washington. Les troupes de choc sont les lobbyistes des grands groupes qui fourmillent au Congrès, dans les ministères et dans les agences de l’administration. Les munitions, ce sont les milliards de dollars dépensés chaque année dans le lobbying fédéral à 3,5 milliards de dollars en 2020 et dans les contributions aux campagnes électorales (14,4 milliards de dollars pour les élections fédérales en 2020).

Limitation du droit de vote pour les plus pauvres, manipulation et corruption pour la minorité qui détient le pouvoir vont de pair. La dépossession économique s’accompagne de la dépossession politique.

Concurrence mondialisée et militarisme contre les travailleurs et les peuples, la tyrannie de la finance à l’œuvre

La démocratie bourgeoise n’a jamais été qu’un théâtre d’ombres ayant pour fonction de présenter la politique des classes dominantes comme répondant aux besoins de l’ensemble de la population et la parer des vertus de la prétendue volonté du peuple. Une imposture qui ne peut plus résister à la réalité de la politique des classes dominantes, aux mensonges et double langage des partis institutionnels chargés de la mettre en œuvre, y compris au sein de la première puissance mondiale prise dans la tourmente de la course à la faillite du capitalisme et de son propre déclin face à l’exacerbation de la concurrence mondialisée.

Les slogans de Trump ou de Biden cherchent à flatter les illusions nostalgiques. « America great again » ou « America come back », chantent la même chanson réactionnaire mais sont tout aussi impuissants à contrecarrer la logique implacable de l’évolution des rapports de classes, évolution exacerbée par la pandémie et l’incurie des États ainsi que par le désordre produit par la concurrence mondialisée qui crée l’inflation et accentue les inégalités, aux USA comme partout dans le monde.

Les États-Unis ne sont pas « de retour », ils s’enferment dans une politique économique, sociale, une politique internationale visant à perpétuer leur domination et qui conduit inévitablement à la multiplication des conflits et des affrontements.

Ils ne sont plus en mesure d’assurer un ordre mondial capitaliste, d’apporter un minimum de régulation, par leur puissance en particulier celle du dollar, à l’anarchie de la concurrence mondialisée. Ils sont un facteur d’instabilité, de déséquilibre, de tensions et de conflits. Biden poursuit la politique de Trump avec la même rhétorique antichinoise qui vise des objectifs autant de politique intérieure, rassurer les angoisses déclinistes, que de politique extérieure. Cette arrogance belliciste nourrit les risques de conflits et empêche toute réponse internationale aux problèmes urgents de la planète, économique, sanitaire, écologique. Bien au contraire, comme la démagogie contre la Russie autour des négociations sur l’Ukraine, elle alimente les tensions internationales comme les tensions sociales et politiques aux USA.

Loin de revenir à son passé, le capitalisme américain et le système politique verrouillé du bipartisme qui lui garantissait une relative stabilité sont en train d’imploser sous le poids du parasitisme de la finance, de Wall Street qui épuise ses forces. L’absurdité de l’économie de marché et de profit entraîne une décomposition sociale qui s’accompagne de sa décomposition politique et culturelle. La menace de l’effondrement financier n’est momentanément conjurée que par un renforcement constant de l’exploitation au détriment de toute la population, du pillage de la nature au détriment de l’écologie planétaire et d’un militarisme croissant pour perpétuer une domination dépassée sur le monde.

Les prétentions de Biden de guérir les USA de la maladie profonde qui les ronge relève du charlatanisme. Elles sont un symptôme de cette maladie, la domination et l’exploitation de classe, et les nouvelles déceptions qu’elles feront naître auront des conséquences bien plus graves que la probable défaite de Biden annoncée aux élections de mi-mandat l’automne prochain. Ou plutôt, cette défaite annoncée sera la démonstration pour l’ensemble des exploité.e.s et des opprimé.e.s que le système est pourri, corrompu jusqu’à la moelle et qu’il n’y a pas d’autre issue pour éviter le pire, tant aux USA que sur la planète, que leur mobilisation et leur organisation pour donner vie, dans la tradition de leurs luttes qui ont fait l’histoire de leur pays, à une nouvelle démocratie, une démocratie révolutionnaire pour balayer la réaction et le délire complotistes des Trump and co, prendre en main la marche de la société, se gouverner soi-même, et construire sur les ruines du capital une société fondée sur l’association des producteurs, la coopération des peuples.

Yvan Lemaitre

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