Mercredi, le président-pas-encore-candidat Macron s’est offert un show de deux heures sur TF1 et LCI, la télé de Bouygues, pour nous livrer la vision qu’il a de son quinquennat, entre autosatisfaction, fausses excuses pour ses « erreurs », mensonges, platitudes hors-sol…
Récusant le titre de « Président des riches » et coupant la parole à la journaliste qui tentait bien timidement de le contester, on l’a vu prétendre, invoquant l’Insee, que sa politique économique avait permis d’augmenter le pouvoir d’achat des plus pauvres. Il s’appuyait pour cela sur une étude de la Direction Générale du Trésor (DGT) concernant l’effet des mesures prises depuis 2017 selon laquelle le niveau de vie de la population aurait augmenté en moyenne de 1,6 % sur le quinquennat, plus que lors des deux précédents. Cerise sur le gâteau, l’augmentation aurait été de 4 % pour les 10 % les plus modestes et de seulement 2 % pour les 10 % les plus riches. CQFD !
La journaliste, elle, tentait de lui opposer les chiffres d’une étude plus récente, réalisée à partir des mêmes données statistiques de l’Insee par un organisme privé, l’Institut des Politiques Publiques (IPP). Mais alors que la DGT calcule les moyennes par tranche des 10 %, l’IPP le fait beaucoup plus finement, par tranches de 1 %. On constate alors que la moyenne de 4 % pour les 10 % les plus pauvres masque de fortes disparités, au point que les 5 % les plus précaires (3,34 millions de personnes) ont, eux, perdu du pouvoir d’achat, révélant le mensonge de Macron et de ses comparses. Et cette estimation est certainement bien en dessous de la réalité. L’Insee a en effet publié en mai dernier les résultats d’une enquête de 2018 dans laquelle elle évaluait le nombre de personnes qui, pour des raisons diverses dont l’extrême précarité, échappent à ses statistiques : 1,6 million, dont 900 000 dans les TOM-DOM !
A l’autre bout du panorama des inégalités de l’IPP, le niveau de richesse des 1 % les plus riches a augmenté de presque 3 %, celle des 0,1 % de 4,6 %, bien plus que les 2 % attribués à la tranche supérieure de 10 %. Les « 1 % » sont les bénéficiaires des politiques « redistributrices » de Macron : CICE pérennisé en baisse de cotisations, réductions d’impôts de production et sur les sociétés, suppression de l’ISF, sans compter les aides Covid et autres subventions publiques distribuées dans le cadre des plans de relance…
Macron s’en est justifié : « Pourquoi les plus aisés ont un pouvoir d’achat qui a augmenté ? Parce que nous avons mis en place un système pour qu’ils réinvestissent […]. Je l’assume totalement. ». Il a prétendu que ces investissements permettaient de créer des entreprises, des emplois. Mais selon Patrick Artus, économiste à Natixis, les entreprises nouvellement créées ou « relocalisées » sont des petites entreprises, et le nombre d’emplois qu’elles créent (30 en moyenne) est bien inférieur au nombre de ceux qui disparaissent (80 en moyenne) avec les fermetures de sites et les restructurations qui touchent les grandes entreprises. S’il y a plus d’entreprises créées qu’il n’en disparaît, l’emploi industriel n’en continue pas moins de diminuer, « la France de se désindustrialiser » …
Les milliards distribués au patronat s’investissent certes, mais dans la spéculation, gonflent les bulles et la dette, font flamber les Bourses et la richesse des grands spéculateurs. Et les inégalités se creusent, de plus en plus de personnes plongent dans l’extrême pauvreté. Telle est une des réponses concrètes à la question prétentieuse, « Où va la France ? », dans laquelle Macron avait emballé son dérisoire numéro d’illusionniste. Elle est l’expression de la fuite en avant d’un capitalisme à bout de souffle qui entraîne, ici comme dans le monde entier, la société dans sa marche à la catastrophe économique, écologique, sociale…
40 années de creusement des inégalités dans le monde
L’évolution des inégalités sociales en France s’inscrit dans un processus mondial dont tente de rendre compte un rapport publié ce début de mois par le World Inequality Lab (WIL), un organisme dirigé par Thomas Piketty auquel contribuent une centaine de chercheurs et analystes du monde entier. Les principaux résultats de cette étude sont résumés dans un document de synthèse [1] dont nous ne pouvons reprendre ici que quelques éléments.
Globalement, au cours des dernières décennies, les inégalités entre les nations semblent avoir diminué, mais c’est essentiellement dû à l’élévation moyenne du niveau de vie en Chine, qui masque l’aggravation de la situation pour beaucoup de pays pauvres, accélérée par la pandémie de Covid. Mais surtout, ce sont les inégalités entre les classes qui ne cessent de s'aggraver.
La concentration des richesses comme celle des revenus atteint des records. La moitié la plus pauvre de la population mondiale se partage 8,5 % des revenus et 2 % des richesses, 3 milliards de personnes ne possèdent rien. Les 10 % les plus riches concentrent en leurs mains 52 % des revenus et 76 % des richesses. C’est le résultat d’une évolution qui a vu, au fil des années, les plus riches accaparer une part de plus en plus importante des richesses produites. Le 1 % des plus riches aurait ainsi capté 38 % du patrimoine créé depuis les années 1990, seulement 2 %. La part de patrimoine des plus fortunés de la planète a crû de 6 à 9 % par an depuis 1995, bien au-dessus de la croissance moyenne de 3,2 %. Et cette tendance s’est accélérée avec le Covid, 7 % de croissance annuelle pour les 500 individus les plus riches, 9 % pour le Top 50 … Lors des premières vagues de la pandémie, la fortune des milliardaires mondiaux a augmenté de 3700 milliards de dollars. Au cours de la même période, 100 millions de personnes supplémentaires tombaient dans l’extrême pauvreté.
Le rapport compare la part des revenus et des richesses nationales qui revient à chacune des trois tranches de population (50 % les plus pauvres, 40 % du milieu, 10 % les plus riches) selon diverses zones géographiques. Quelle que soit la zone considérée, les écarts sont considérables. Parmi les plus inégalitaires, l’Amérique du Nord, l’Amérique latine… Le rapport pointe également les inégalités entre les femmes et les hommes, les améliorations, quand elles existent, restent très insuffisantes. Il constate aussi que les inégalités entre les pays riches et les pays pauvres sont aggravées par la crise climatique et la pandémie.
L’inégalité, un choix politique ?
« L’inégalité est un choix politique, pas une fatalité » écrivent les auteurs du rapport. Dans la conclusion de la synthèse, sous le titre « Redistribuer les richesses afin d’investir dans l’avenir », ils poursuivent : « […] il ne sera pas possible de répondre aux enjeux du XXIe siècle sans une importante redistribution des revenus et des patrimoines. La construction de l’État-providence moderne au XXe siècle, qui a permis d’immenses progrès en matière de santé, d’éducation et d’égalité des chances, a été liée à l’instauration de taux d’imposition fortement progressifs. […]. Une évolution du même ordre sera nécessaire si nous voulons être en mesure de relever les défis de notre siècle. »
Suit un tableau dans lequel est décliné, selon 7 niveaux de fortune commençant à 1 million de dollars, un échelonnement de taxes (de 1 % à 3,2 %) auxquelles il suffirait de taxer les plus riches, un « modeste impôt progressif sur la fortune des multimillionnaires […] susceptible de faire rentrer des recettes significatives dans les caisses des États » … Sans doute pour appeler les plus riches à leurs responsabilités …
Piketty et ses collègues n’ont pas d’autre perspective à proposer que l’impossible retour à ce qu’ils appellent « Etat-providence moderne », le capitalisme des mythiques Trente glorieuses. Il est vrai que le creusement des inégalités n’est pas une fatalité. Mais ce n’est pas une question de choix, au sens où il pourrait suffire de changer de gouvernement pour inverser les choses. Les évolutions des inégalités que décrit le rapport sont intimement liées au capitalisme lui-même dont l'évolution accentue le parasitisme des classes dominantes. Les bouleversements qu’a connus le mode de production capitaliste au cours des quatre dernières décennies sont les conséquences des jeux de la concurrence et des rapports de force, de la course au profit, de l’exploitation hors contrôle des ressources matérielles et humaines. Les conséquences de la guerre des classes menée par les classes dominantes et leur valets politiques pour accroître les profits au détriment du monde du travail et des populations. Le tableau global présenté par ce rapport en est la démonstration, un réquisitoire sans appel contre le système économique capitaliste, cause de ces inégalités insupportables et de leur évolution. « Accumulation de la richesse à un pôle, signifie donc en même temps accumulation de misère, de souffrance, d'esclavage, d'ignorance, de brutalité, de dégradation mentale au pôle opposé, c'est-à-dire du côté de la classe dont le produit prend la forme de capital » écrivait Marx dans Le manifeste communiste.
Il est impossible aujourd’hui d’inverser le processus dans le cadre du système quoi que prétendent les vendeurs d’illusions de la « gauche » réformiste, y compris « radicale ». C’est une tromperie qui ne vise qu’à maintenir en place un mode de production poussé à la faillite par le jeu de ses propres contradictions.
La lutte contre les inégalités, c’est une lutte d’ensemble, sociale et politique, pour les salaires
« Bas salaires : les grèves se multiplient dans les grandes entreprises françaises » titrait la presse il y a quelques semaines. C’était alors le cas à Leroy Merlin, Sephora, Decathlon et bien d’autres. Depuis quelques jours, c’est au tour des salariés de Dassault, d’Auchan, de Sanofi… Après les cheminots, la grève est annoncée pour Noël à Carrefour… Un mouvement semblable se produit aux Etats-Unis, « USA, la lutte des classes est de retour » titrait Médiapart. [2]
Ces grèves pour les salaires sont le seul véritable levier pour imposer une autre répartition des richesses là où elle se joue fondamentalement, au cœur de l’exploitation salariale, entre la part des richesses qui revient sous forme de salaire aux travailleurs qui les produisent, et celle qu’extorquent les patrons, la plus-value qui nourrit leurs profits.
La CGT, FO, la FSU, Solidaires et des organisations étudiantes et lycéennes appellent à une journée nationale de mobilisation pour les salaires le 27 janvier, disant qu’il est « urgent et indispensable d'agir toutes et tous ensemble, par la grève et les manifestations, pour l'augmentation immédiate de tous les salaires du privé comme du public ».
Certes, mais pas plus le soutien qu’elles affirment – c’est bien un minimum ! - aux mouvements en cours et à venir que l’appel à cette énième mobilisation d’un jour ne répondent aux exigences et aux possibilités que portent les mouvements de grève en cours, souvent déclenchés dans des entreprises « où il ne s’est jamais rien passé », à l’initiative des salariés et des militants du rang, parfois en l’absence de tout cadre syndical. Des mobilisations partielles, dispersées, mais qui portent en germe la perspective d’un mouvement d’ensemble pour imposer des salaires, des minimas sociaux et des retraites permettant de vivre décemment, indexés sur le coût de la vie.
Pour en finir avec les inégalités, en finir avec la division de la société en classes
Le creusement des inégalités sociales a poussé depuis une dizaine d’années, un peu partout dans le monde, des populations réduites à la misère, ulcérées par le mépris dont elles sont l’objet de la part de leurs dirigeants politiques et des classes dominantes, à se révolter, entrer en lutte pour leurs droits, par la grève, dans la rue, s’affrontant aux forces de l’ordre. A cela se sont ajoutés les mouvements contre les discriminations, pour les droits des femmes, contre le dérèglement climatique. Aujourd’hui, face à l’augmentation des prix, de nombreux travailleurs entrent en lutte pour leurs salaires. C’est dans cette montée de la riposte de classe des travailleurs, des jeunes, des classes populaires que se trouve la seule force capable d’imposer les « choix politiques » permettant de mettre fin à la marche à la catastrophe.
Au cœur de cet antagonisme fondamental qui s’exprime à l’échelle internationale, de cet affrontement entre les deux classes fondamentales, le capital et le travail, la bourgeoisie et le prolétariat, il y a la nécessité de la conquête du pouvoir par ceux qui produisent toutes les richesses pour liquider le pouvoir de la classe parasite et construire une société rationnelle et solidaire, débarrassée de l’exploitation et de l’oppression de classe.
Cette perspective sociale et politique passe par l’affirmation claire et nette qu’il n’y a pas d’autre issue progressiste possible que de nous unir et de nous organiser pour imposer, sur notre terrain de classe, les réponses à nos besoins. L’affirmation claire et nette que cela ne peut se faire qu’en rupture avec les institutions, les partis et organisations qui y sont intégrés et en popularisant un programme pour nos luttes qui pose la question du pouvoir, de qui décide du « 1% » d’ultra riches ou de l’immense majorité des travailleurs. En finir avec le mode de production capitaliste, mettre en œuvre une autre façon de produire et d’échanger impose de s’attaquer à la propriété capitaliste, de prendre le contrôle de l’ensemble des circuits financiers.
Daniel Minvielle