Macron dans son intervention télévisée du 9 novembre est parti en campagne contre les chômeurs et le monde du travail jouant de sa police sanitaire pour étouffer la contestation, laissant à Le Pen et Zemmour la démagogie des surenchères racistes et xénophobes. Chacun joue sa partition dans le cadre de leurs rivalités électorales mais il serait pour le moins aveugle de penser un instant que la posture de Macron fait obstacle à Zemmour-Le Pen. Si Macron se veut rassurant face à l’agitation hystérique et haineuse de l’extrême-droite, ce n’est que pour mieux s’imposer comme leader du bloc réactionnaire au nom de l’union nationale tant célébrée à l’occasion du 11 novembre. Cette union nationale qui, de Pétain à De Gaulle, sur les champs de bataille ou dans la guerre économique, a servi et sert à justifier les sacrifices imposés aux classes populaires pour les intérêts des classes dominantes. Qui justifie aussi la xénophobie, comme les propos de Zemmour instrumentalisant la commémoration des attentats terroristes du 13 novembre 2015 en apportent une nouvelle et insupportable démonstration.
C’est bien la politique de Macron qui contribue à semer les préjugés dont se nourrit la démagogie d’extrême droite et à créer les tensions sociales et politiques qu’elle instrumentalise.
Plus globalement, c’est l’aggravation de la crise du capitalisme, sa faillite, qui renforcent l’offensive des classes dominantes contre les travailleur.se.s et les peuples et la montée des idées réactionnaires, xénophobes, racistes, sexistes et misogynes qui l’accompagnent.
Les Marches pour les libertés du 12 juin dernier « contre les idées de l’extrême-droite », qui ont regroupé des milliers de manifestants dans plusieurs grandes villes témoignent à la fois de l’inquiétude et du rejet de ces idées, comme la manifestation de Lyon du 23 octobre contre les agressions racistes et homophobes de groupuscules identitaires, ou encore celles contre la venue de Zemmour à Nantes et Saint-Malo... L’inquiétude est profonde. Au-delà du phénomène médiatique Zemmour, il apparaît que cette offensive réactionnaire répond aux besoins des classes dominantes dans le même temps qu’elle flatte et s’appuie sur les frustrations et les peurs d’une large fraction de la petite et moyenne bourgeoisie, voire d’une fraction de la classe ouvrière.
Dynamique de fascisation de l’État et de la société, possibilité du fascisme ? Nous n’en sommes pas là et il faut se méfier des raccourcis et des analogies avec les années 30 qui se réfèrent à une période révolue et font du fascisme une menace vidée de son contenu historique. Le fascisme devient un mythe et l’antifascisme une proclamation.
Il ne s’agit nullement de minimiser les agressions en cours ni les menaces pour la suite mais surtout, plutôt que de jouer les éternels Cassandre ou de spéculer sur la possibilité du fascisme, de trouver dans ce passé auquel beaucoup font référence les expériences qui nous éclairent sur l’échec du mouvement ouvrier à y répondre.
Même si l’évolution du capitalisme est en train de créer les conditions sociales et politiques de possibles processus de même nature, quant au fond, que ceux qui ont conduit au fascisme et à la deuxième guerre mondiale, le contexte est radicalement différent, l’avenir ouvert. Si la possibilité du fascisme ou de nouveaux régimes participant des logiques de militarisation de la vie sociale et de la production est une menace bien réelle, la réponse est dans la possibilité du socialisme, sa nécessité, dans la lutte pour la conquête de la démocratie, du pouvoir pour en finir avec la domination de la classe capitaliste.
La dictature du capital contre les travailleurs et les peuples, l’éclairage des années 30
La période actuelle de décomposition sociale et politique du capitalisme présente bien des similitudes avec celles des années 30. Il est important de le comprendre au sens où l’urgence de se préparer à des combats majeurs s’impose pour le mouvement ouvrier.
Il est important de comprendre les mécanismes, les luttes de classes, les politiques qui ont conduit à l’avènement du fascisme et à la deuxième guerre mondiale pour ne pas faire du fascisme une abstraction hors de l’histoire.
L’éclairage des années 30 est indispensable, pour nous en approprier les leçons.
Pour cela, le combat de Trotsky, ses analyses, un point de vue de marxiste révolutionnaire, sont d’une précieuse utilité.
Il écrivait en 1935 dans Où va la France ? : « Mais le fond du processus est le même partout. La bourgeoisie a conduit sa société à la faillite. Elle n'est capable d'assurer au peuple ni le pain ni la paix. C'est précisément pourquoi elle ne peut plus désormais supporter l'ordre démocratique. Elle est contrainte d'écraser les ouvriers par la violence physique. Or il est impossible de venir à bout du mécontentement des ouvriers et des paysans au moyen de la seule police ; il est trop souvent impossible de faire marcher l'armée contre le peuple, car elle commence à se décomposer et cela se termine par le passage d'une grande partie des soldats du côté du peuple. C'est pour ces raisons que le grand capital est contraint de constituer des bandes armées spécialisées, dressées à la lutte contre les ouvriers, comme certaines races de chiens contre le gibier. La signification historique du fascisme est qu'il doit écraser la classe ouvrière, détruire ses organisations, étouffer la liberté politique, et cela précisément au moment où les capitalistes sont incapables de continuer à dominer et à diriger par l'intermédiaire du mécanisme démocratique. »
L’exacerbation de la confrontation entre la bourgeoisie et le mouvement ouvrier lui faisait dire qu’« il n'existe aucune voie pour retourner à la démocratie pacifique. Le développement conduit inévitablement, infailliblement, à un conflit entre le prolétariat et le fascisme. », c’est-à-dire qu’il n’offre aucune autre issue au mouvement ouvrier, à toute la société que la révolution.
A propos de la politique des fronts antifascistes, il écrivait : « Si le front unique se prend au sérieux – et c’est à cette seule condition que le prendront au sérieux les masses populaires – il ne peut se dérober au mot d’ordre de conquête du pouvoir. Par quels moyens ? Par tous les moyens qui mènent au but. [...]». Pour développer : « La lutte pour le pouvoir doit partir de l’idée fondamentale que, si une opposition à une aggravation future de la situation des masses sur le terrain du capitalisme est encore possible, aucune amélioration réelle de leur situation n’est concevable sans incursion révolutionnaire dans le droit de propriété capitaliste.
La campagne du front unique doit s’appuyer sur un programme de transition bien élaboré, c’est-à-dire sur un système de mesures, qui — avec un gouvernement ouvrier et paysan — doivent assurer la transition du capitalisme au socialisme ».
Mais en Allemagne, la bureaucratie stalinienne qui avait tourné le dos à la révolution pour défendre les intérêts de la caste parasitaire au pouvoir en URSS refusa la politique de front unique, renvoyant dos-à-dos la social-démocratie et le fascisme. Elle refusa d’user de la force et de l’armement de la classe ouvrière pour entraîner la petite-bourgeoisie ruinée et désespérée et prendre la tête de la révolution. La social-démocratie impuissante n’envisageait d’autre issue que la voie électorale, le respect des institutions et de ses gouvernements réactionnaires pour se protéger du fascisme. Désarmée politiquement et physiquement, la classe ouvrière allemande fut écrasée sans combat.
Dans la période qui suivit, la bureaucratie stalinienne prôna l’unité avec la social-démocratie, et ce fut pour entraîner la classe ouvrière dans des fronts populaires caricatures de front unique, fronts électoraux avec les partis bourgeois. La force et le combat de la classe ouvrière en Espagne ou des luttes de 1936 en France, qui ouvraient la possibilité de la révolution en Europe, furent dévoyés, piégés dans le cadre institutionnel, le respect de la propriété privée et de l’Etat bourgeois par les politiques criminelles de la social-démocratie et de la bureaucratie stalinienne.
C’est là très brièvement résumé ce qui nous semble aujourd’hui encore être les enseignements essentiels des terribles défaites des années 30 qui laissèrent les mains libres aux grandes puissances impérialistes pour entraîner le monde dans la guerre. Ces enseignements faisaient dire à Clara Zetkin dès 1923 « Le fascisme, c’est le châtiment qui s’abat sur le prolétariat pour n’avoir pas continué la révolution commencée en Russie ».
La montée de l’extrême-droite, produit de la décomposition sociale et politique du capitalisme et des reniements de la gauche
Aujourd’hui, la logique de la faillite du capitalisme mondialisé est en train de créer les conditions sociales et politiques de processus lourds de danger pour les classes populaires et les travailleurs, qui s’expriment par la montée, partout dans le monde, de multiples formes de populismes et forces d’extrême-droite. Ces processus se déroulent dans un contexte où l’affrontement de classe prend une dimension internationale comme jamais et, même si la réaction est à l’offensive, ils laissent ouvertes toutes les possibilités pour une contre-offensive démocratique des classes exploitées.
L’évolution chaotique du capitalisme mondialisé, financiarisé, son instabilité, la concurrence généralisée, la paupérisation des classes populaires et d’une partie des classes moyennes précarisées, déclassées, la survie de l’humanité menacée par les désastres écologiques, engendrent des peurs, une perte de repères qui profitent à l’extrême-droite.
Les mêmes peurs agitent les fractions de la bourgeoisie perdantes de la mondialisation, marginalisées par l’affaiblissement des Etats-Nations au profit du marché mondialisé et par le monopole des multinationales, et qui croient trouver leur salut dans le repli souverainiste, dans des références moyenâgeuses à la race, à une identité nationale fantasmée.
Ce sont ces peurs créées par la crise globale de leur propre système, le discrédit de leurs institutions que les classes dominantes instrumentalisent pour imposer leur idéologie réactionnaire, raciste et anti-immigrée, nationaliste et xénophobe, sexistes, qu’elles retournent contre les travailleurs, les classes populaires, les femmes et la jeunesse des quartiers populaires, pour diviser et dévoyer les révoltes.
L’extrême-droite se nourrit des politiques menées depuis des décennies par les partis institutionnels au pouvoir, de gauche et de droite, qui ont accompagné l’offensive de la mondialisation libérale et les attaques contre le monde du travail, sur fond de mensonges d’État, de corruption, de liens assumés avec les milieux d’affaire… et qui ont imposé une terrible régression sociale pendant que s’affichaient les profits insolents de la Bourse et des privilégiés.
Les serviteurs politiques de la bourgeoisie, de la gauche à la droite, ont renforcé l’extrême-droite en reprenant ses idées, tout en prétendant la combattre, en se présentant comme le rempart républicain contre le FN.
Les reniements de Mitterrand et de la gauche dans les années 80 qui ont imposé l’austérité contre les travailleurs comme seule réponse à la crise ont fourni au FN ses premiers élus. En 1983, Mauroy, premier ministre de Mitterrand, n’hésitait pas à stigmatiser les travailleurs immigrés de l’usine Talbot de Poissy en grève, les désignant comme boucs émissaires en dénonçant la grève comme celle des ayatollahs, distillant le poison du racisme. La démagogie et les surenchères racistes, xénophobes et sécuritaires de la classe politique n’ont fait que s’accentuer et pourrir le climat politique avec l’approfondissement de la crise et la remise en cause des droits du travail, des droits sociaux, démocratiques des travailleurs. Des lois sécuritaires et du racisme décomplexé de Sarkozy, qui déclarait le 19 juin 2005, dans la cité des 4 000 à la Courneuve qu’il allait « nettoyer au Karcher la cité » au débat constitutionnel sur la déchéance de nationalité ouvert par Hollande, président au service de la finance qu’il avait prétendu combattre, la fuite en avant réactionnaire qui fait le lit du FN-RN se poursuit avec Macron-Darmanin et les lois séparatisme et sécurité globale.
Le FN a ramassé la mise, de Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002 à sa fille en 2017. Certes, Marine Le Pen, prisonnière de ses contradictions et de ses tentatives de dédiabolisation voit s’évanouir ses espoirs de pouvoir gagner l’élection face à Macron en 2022, mais son échec profite aux forces réactionnaires qu’incarne son concurrent Zemmour, propulsé par une fraction de la bourgeoisie comme meilleur leader possible du rassemblement de la droite extrême et de l’extrême-droite, du parti de l’ordre dont elle pourrait avoir besoin contre le monde du travail.
Des logiques mortifères sont engagées. Certes, il est bien peu probable que le pitre Zemmour puisse devenir le chef d’un mouvement de masses, qui retournerait sa violence contre les classes populaires, la classe ouvrière. Mais ses discours de haine, ses appels à la guerre civile sous couvert de lutte contre le djihadisme, relayés complaisamment par les médias, contribuent à créer les conditions de l’émergence d’un tel mouvement en fonction de l’évolution de la situation économique et sociale, des besoins de la bourgeoisie.
Il ne s’agit pas de faire des pronostics ou de crier au loup mais de prendre la mesure des dangers inscrits dans la décomposition en cours du capitalisme pour formuler des perspectives d’avenir, pour imposer nos réponses, sociales et démocratiques.
Contre les populismes d’extrême-droite et de droite extrême, affirmer les intérêts de notre camp social, une lutte politique
L’extrême-droite n’est pas un parti à part, hors système, mais, les évolutions en cours le montrent, un courant politique qui a de profondes racines dans l’histoire de la bourgeoisie. La démocratie bourgeoise parlementaire ne protège de rien. Elle est aujourd’hui vidée de tout contenu et l’extrême droite pourrait tout à fait composer avec ses institutions.
Les partis institutionnels de la gauche à la droite, faute de convaincre les classes populaires et les travailleurs, n’ont manqué aucune occasion de jouer de l’extrême-droite comme repoussoir et de chercher à les enfermer dans le piège du front républicain. Cette politique de front républicain a elle-aussi fait long feu. Les limites sont de plus en plus floues entre la gauche et la droite ou l’extrême-droite et la droite extrême, tous se réclament des « valeurs républicaines », de De Gaulle et de la même mythique grandeur passée de la France. Ils distillent à différents degrés et de façon plus ou moins grossière les mêmes préjugés patriotiques, opposent travailleurs « français » et immigrés, sans papiers… tel Montebourg, un des derniers en date.
L’aggravation de l’exploitation oblige la bourgeoisie à des politiques de plus en plus autoritaires, répressives qui s’attaquent aux libertés, aux droits démocratiques, qui ont vidé de son contenu la démocratie parlementaire jusque-là maintenue par l’alternance, et fait voler en éclat ses acteurs institutionnels PS et LR. Le ni gauche-ni droite de Macron a été une réponse des classes dominantes à la crise politique, un exécutif autoritaire et répressif, sécuritaire dont l’idéologie dispute le terrain à l’extrême-droite. Une partie d’entre elle propulse aujourd’hui le démagogue Zemmour.
C’est l’ensemble des forces réactionnaires à l’offensive contre le monde du travail qu’il nous faut combattre, celles de l’extrême-droite bien sûr, et de toutes les forces politiques qui au pouvoir ou y postulant, défendent l’ordre social, les intérêts capitalistes, dans le cadre des institutions.
Les aspects spécifiques de cette lutte, contre l’extrême-droite, le racisme, le sexisme, contre toutes les discriminations et oppressions, pour la démocratie, s’inscrivent dans une politique globale contre l’offensive des classes dominantes et de l’État dans un combat démocratique pour le contrôle, le pouvoir des travailleurs sur l’économie et la société.
Rompre avec les confusions idéologiques, reconstruire les repères de classe, s’organiser pour le pouvoir des travailleurs
Les processus mortifères inhérents au capitalisme pourrissant ne laissent pas d’autre issue que révolutionnaire. C’est l’enjeu de la période. Les « moyens qui mènent au but » dont parlait Trotski dans « Où va la France ? » ne peuvent se réduire à une politique d’affrontement avec les groupuscules fascisants ni à jouer les figurants dans les mises en scène du spectacle et de la provocation Zemmour. Ce sont ceux de l’organisation collective, démocratique et de la mobilisation des travailleurs et de la jeunesse pour un autre monde. Il n’y a pas de raccourci.
La tâche peut paraître immense et décourager s’il ne se dégage pas une perspective claire qui vise le pouvoir des travailleurs et des classes populaires par la mise en œuvre d’un programme de luttes qu’il revient aux révolutionnaires, à l’extrême-gauche de formuler. Ce programme n’est pas le catalogue des revendications à opposer point par point au programme du bloc réactionnaire, que ce soit celui du RN ou de Zemmour, tous deux libéraux et qui défendent les intérêts du grand capital. C’est un programme pour la prise du pouvoir.
Pour sortir des confusions idéologiques, il nous faut discuter, convaincre autour de nous, dans les milieux militants, dans nos syndicats, sur nos lieux de travail, dans nos quartiers qu’il y a une autre issue à la crise et à la montée des idées réactionnaires, une issue qui s’inscrit dans les luttes des salariés, de la jeunesse, une issue révolutionnaire. Notre résistance quotidienne à l’exploitation, nos mobilisations et nos luttes, sont chacune l’occasion d’aider à la reconstruction d’une conscience, de repères de classe pour mener nos luttes sur notre propre terrain, en toute indépendance de classe, avec toutes celles et ceux qui veulent lutter pour un monde nouveau débarrassé des frontières et de l’exploitation.
La possibilité révolutionnaire, la possibilité du socialisme, loin d’être une utopie, s’inscrit au contraire comme une nécessité dans les évolutions du capitalisme mondialisé, dans ses contradictions entre la socialisation de la production sur la base des immenses progrès scientifiques et techniques réalisés par le travail humain et l’appropriation privée d’une minorité de parasites. Et les luttes actuelles des salariés, des sans-travail, des femmes, des opprimés à l’échelle du monde, des jeunes pour la planète portent la perspective globale de l’émancipation des exploité.e.s. Cela nécessite la construction d’un parti capable de formuler les mots d’ordres et les perspectives pour conquérir le pouvoir, la seule voie pour en finir avec la propriété privée capitaliste et les idéologies réactionnaires et fascisantes qu’elle engendre.
Christine Héraud