Après que Lutte ouvrière a décidé, lors de son congrès en décembre, de présenter à l’élection présidentielle Nathalie Arthaud, que le CCR a annoncé la candidature d’Anasse Kazib, le NPA vient de décider, lors d’une conférence nationale le week-end dernier, de présenter Philippe Poutou[1]. Si cela atteste d’une réelle vitalité du mouvement révolutionnaire, nous ne pouvons que regretter la division de nos forces, en particulier le choix fait par le CCR d’accentuer cette division en rompant avec le NPA pour tenter de présenter son propre candidat. Ce choix va à l’encontre des intérêts du mouvement, il ajoute la division à la division alors que la volonté de sortir de ce morcellement devrait être au centre de nos préoccupations et de notre politique.

En effet, cette vitalité du mouvement révolutionnaire masque une grande faiblesse, son incapacité à sortir du passé pour élaborer collectivement, mettre en œuvre une analyse, une compréhension de la nouvelle période, un programme et une stratégie révolutionnaire capables non seulement d’unifier leurs rangs mais d’aider aux évolutions des consciences, à la convergence des luttes et des mobilisations pour construire une large mouvement de contestation politique de la domination de l’oligarchie financière.

Malheureusement, la Conférence nationale du NPA s’inscrit dans ce processus où l’incapacité de dépasser nos limites nourrit les divisions et rivalités fractionnelles[2].

Le candidat de la plus forte minorité

La candidature de Philippe n’a été approuvée que par une majorité relative de 44 % des voix. La fraction qui la portait, la section française de la Quatrième Internationale, la majorité relative qui dirige le NPA, n’ayant d’autre objectif que d’imposer sa politique et son candidat et réciproquement. Elle n’a réussi à avoir une majorité politique sur l’orientation qu’avec l’apport des voix d’autres camarades de la IV qui, eux, défendaient l’idée d’une « campagne sans candidat » et se sont donc abstenus sur le candidat.

La Plate-forme 2 qui portait la candidature de Philippe a refusé, à ce stade, d’associer à une équipe de porte parole comprenant Olivier Besancenot et Pauline Salingue (candidate aux régionales en Occitanie, elle aussi avec LFI) des porte-parole de courants ne partageant pas son orientation.

Philippe Poutou s’est fait le porte-parole de la liste avec LFI en Aquitaine mais il n’accepte pas des porte-parole de son propre parti !

Une direction démocratique et révolutionnaire ne devrait pas craindre d’associer à son activité, celle de tout le parti, des courants minoritaires ayant des désaccords avec elle. Ce devrait être le propre même d’une direction d’un parti censé œuvrer à l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes.

Pour notre part, nous ne pensions pas que Philippe, de par son engagement dans l’alliance électorale avec la LFI, puisse être le bon candidat pour porter une politique de classe indépendante de la gauche institutionnelle fût-elle radicale. Et nous ne pensions pas, au vu des discussions et échanges, que la déclaration proposée par la Pf2 et la pf4 était amendable. D’autant que l’autonomie complète des porte-parole à l’égard du reste du parti donne aux textes une valeur très relative.

Ceci dit, minoritaires, nous ne souhaitions pas faire obstacle à la politique de la plus forte minorité, nous nous sommes abstenus sur l’orientation et nous n’avons pas participé au vote pour désigner le candidat du NPA.

Politique unitaire vis à vis de la gauche de la gauche ou unité des révolutionnaires

Le NPA a donc un candidat. Tant mieux, dans le sens où le pire aurait été l’éclatement du parti mais ce candidat, son courant, sont plus soucieux de s’allier avec LFI ou les différentes composantes de la gauche de la gauche, que de rassembler les forces de leur propre parti. Cela hypothèque gravement sa crédibilité et sa capacité à aller jusqu’au bout de la bataille.

La divergence entre les deux orientations, en résumé recomposition de la gauche radicale ou unité des révolutionnaires, est clairement apparue. Ces camarades n’ont d’ailleurs pas éprouvé le besoin de définir leur attitude vis à vis de la candidature de Nathalie Arthaud placée au même niveau que celle de Mélenchon qui, tiennent-ils à préciser dans la déclaration de candidature, n’est pas leur « adversaire ».

Ces deux orientations forment deux lignes difficilement conciliables comme l'ont illustré le déroulement et les conclusions de la CN.

Le NPA vit un moment charnière où il va devoir se redéfinir, se refonder, se donner un programme répondant à la nouvelle période, se dégager du compromis qui a prévalu à sa fondation. Le congrès ne pourra être repoussé sine die.

La crise de direction actuelle est l’aboutissement du compromis entre la politique des partis larges et le projet de construction d’un parti des travailleurs tel que nous l’avions repris et défendu après l’appel d’Arlette Laguiller au lendemain de la présidentielle et le mouvement de décembre 1995.

Ce compromis a connu une première crise en 2012 avec le départ des camarades de la Gauche Anticapitaliste aujourd’hui dissous dans LFI, contradiction qui a continué à se développer pour déboucher sur une nouvelle étape de la crise à partir de 2018, c’est à dire après le congrès de la IVème Internationale puis celui du NPA.

Loin de faire la critique de la politique dite des partis larges à la lumière de ses échecs et de l’évolution sociale et politique après la crise de 2008-2009, le congrès de la IV s’est dégagé de la pression qu’avait, de fait, exercé le NPA pour réaffirmer cette orientation erronée qui plus est dans un contexte radicalement différent de celui qui lui avait donné le jour au lendemain de la chute du Mur.

En 2018, le congrès du NPA a vu la fraction de la IV devenir la plus forte des minorités pour s’imposer comme « majorité de travail » et mettre en œuvre sa politique en particulier par ses porte-parole totalement autonomes par rapport au NPA.

En juillet dernier, elle a engagé une politique contre les fractions, une politique de scission-exclusion. Puis, elle a pris pour cible le CCR isolé par ses méthodes antidémocratiques et proclamatoires, accentuées par le harcèlement dont il était l’objet. Les camarades de la Pf2 et de la Pf4 avaient déclaré à l’issue du dernier CPN que la CN devait enregistrer la rupture avec le CCR. Ils ont atteint leur objectif, permettre à la fraction VIème Internationale de garder la majorité pour imposer son orientation en imposant son candidat.

On ne peut que regretter que l’ensemble des fractions aient repoussé, entre temps, la discussion pour définir les bases programmatiques qui nous rassemblent aujourd’hui dix ans après la fondation du NPA, travail qui avait pourtant été décidé à la quasi majorité lors du CPN de juillet dernier !

La démarche des camarades de la section française de la IV est opposée à toute politique de rassemblement des révolutionnaires en symétrie d’une certaine façon à ce qu’elle dit reprocher aux camarades du CCR.

Elle pratique ce qu’elle prétend combattre, incapable d’accepter et de faire vivre une démocratie directe entre révolutionnaires.

Un débat public sur les perspectives du mouvement révolutionnaire

Il est évident que Philippe Poutou ne peut être le candidat d’une politique indépendante de la gauche de la gauche, de LFI, pour porter une voix de classe indépendante des institutions.

Pour tenter de dépasser ce clivage, nous avions avancé l’hypothèse de la candidature d’Olivier Besancenot qui, lui, ne symbolisait pas au même niveau l’alliance avec la LFI, avec une équipe de porte-parole de l’ensemble des sensibilités. Cette proposition a été repoussée, ce refus est politique.

La Pf2 comme la Pf4 ont voulu imposer au NPA une politique qui s’inscrit dans la perspective des recompositions ou plutôt des décompositions dans la gauche de la gauche, en particulier pour l’après Mélenchon. Et les trois porte-parole en échappant à tout contrôle, autonomes, utilisent leur position au service de cette politique à l’image de Philippe Poutou organisant, en Aquitaine, une scission dans son propre parti pour s’allier aux régionales avec LFI.

Il y a là un profond désaccord politique.

Cette politique est une impasse et surtout ne répond pas aux besoins du mouvement ouvrier. Nos axes de campagne devraient intégrer les bouleversements engendrés par la faillite du capitalisme, dont la pandémie est une des manifestations, l’impasse historique dans laquelle il est.

Nous devons travailler à une critique socialiste du capitalisme pour le contrôle des travailleurs sur l’économie et la marche de la société, pour un autre mode de production, une autre façon de produire, le socialisme, le communisme.

Une telle orientation est incompatible avec une politique s’inscrivant dans la recomposition-décomposition de la gauche.

Ceci dit, notre propos n’est pas de faire obstacle aux décisions de la CN, nous prendrons nos responsabilités politiques au sein du NPA et du mouvement révolutionnaire dans la campagne à venir et surtout pour participer au travail des anticapitalistes et révolutionnaires afin aider le monde du travail à faire face aux tempêtes qui s’annoncent.

« Dans l’activité révolutionnaire, le changement de soi-même coïncide avec la modification des conditions » écrivait Marx[3]. Nous sommes devant de profondes modifications des conditions tant économiques, sociales que politiques, une transformation globalisée de notre environnement qui bousculent les relations militantes, humaines, sociales et en conséquence les idées. La campagne de la présidentielle sera un moment important de ces transformations dans un contexte social explosif, le mouvement révolutionnaire sera contraint de se transformer lui-même.

La campagne avec trois candidats anticapitalistes et révolutionnaires potentiels sera l’occasion d’un large débat public à travers lequel nous voulons espérer que s’écrivent de nouvelles convergences pour penser et faire vivre une stratégie révolutionnaire répondant aux exigences de la situation.

Yvan Lemaitre

 

[1]https://nouveaupartianticapitaliste.org/videos/conference-de-presse-de-philippe-poutou

[2]https://lanticapitaliste.org/agir/conference-nationale-presidentielle-du-npa

[3]L’idéologie allemande, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000.htm

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