« L’armée peut-elle sauver la France ? », telle était la une du torchon d’extrême-droite Valeurs actuelles publiant la deuxième tribune de militaires, cette fois d’active, dans la foulée de l’appel des généraux en retraite du 21 avril 2021, date qui faisait référence au 21 avril 1961, lorsqu’un « quarteron de généraux » perpétrait un putsch militaire à Alger contre De Gaulle pour défendre l’Algérie française. Tout un programme que reprend à son compte la deuxième tribune adressée « aux ministres, parlementaires, officiers généraux » accusés de « lâcheté, fourberie, perversion ». Il y est écrit : « La guerre civile couve en France. Si elle éclate, l’armée maintiendra l’ordre, parce qu’on le lui demandera ». Ces officiers se déclarent disponibles pour la répression contre les classes populaires clairement désignées : « Nous avons connu l’opération Sentinelle. Nous y avons vu de nos yeux les banlieues abandonnées, les accommodements avec la délinquance. »
Dans ce contexte, le « rassemblement citoyen en soutien aux forces de l’ordre » devant l’Assemblée nationale, le 19 mai, à l’appel de quatorze organisations syndicales de policiers, en réaction au meurtre du brigadier Éric Masson à Avignon, prend une signification politique inquiétante. L’initiative en revient au syndicat de policiers Alliance, noyauté par le RN, instrumentalisant la colère et le désarroi des policiers. Elle prend le sens d’une offensive politique qui associe la défense des intérêts corporatistes des forces de répression à une offensive sécuritaire et anti-institutionnelle, un coup de force.
« Le problème de la police, c’est la justice », a asséné à la tribune Fabien Vanhemelryck, secrétaire national du syndicat Alliance, après avoir fait huer la justice, trop laxiste, les différents intervenants reprenant les thèmes de l’extrême-droite, dénonçant la prétendue « impunité des délinquants et voyous », les « quartiers où règnent l’apartheid religieux » pour défendre la nécessité de « rétablir l’autorité » dans une « France gangrenée par l’insécurité »…
Union nationale fort peu démocratique
Tout le monde politique parlementaire, de Bardella à Roussel sans oublier Jadot, a tenu à s’afficher aux côtés des flics ! Tous à l’exception de LFI, ce qui lui vaut d’être la cible de la haine des défenseurs de l’ordre établi. Le tout avec la bénédiction du ministre de l’intérieur soucieux de déclarer son amour aux forces de l’ordre qui huaient le ministre de la justice accusé d’être le ministre des prisonniers ! Une farce sinistre que cette union nationale en soutien à la police illustration de la veulerie de ce monde politicien prêt à toutes les surenchères pour flatter les peurs et les inquiétudes que suscite leur politique servile à l’égard des classes dominantes.
Le comble est cette gauche de gouvernement, le PCF et le PS qui s’alignent sur l’extrême-droite sous couvert de ne pas lui laisser le terrain ! « Il y a une vraie volonté, chez les responsables politiques mais aussi au sein des syndicats de police progressistes, de ne pas laisser ce sujet de la sécurité à la droite et à l’extrême droite », assume le PC. « Ma gauche ne sera pas laxiste. La sécurité est une question populaire », proclame Fabien Roussel ajoutant que l’auteur de l’assassinat de « tout détenteur d’une autorité » devrait être puni d’une peine de « trente ans de prison ». Ce que le gouvernement vient de reprendre à son compte dans le même temps qu’il faisait voter la suppression du code de procédure pénale du rappel à la loi.
Quant à Olivier Faure, il est allé jusqu’à dire que « La police doit avoir un droit de regard sur la justice », plus à droite que la droite ! Il s’est certes rétracté, obligé, mais ces propos sont significatifs non seulement de son état d’esprit mais des pressions exercées par la police. Elle veut faire sa loi avant de faire la loi.
Marine Le Pen n’avait pas besoin d’être là. En campagne à Bordeaux, depuis un commissariat, elle s’est contentée d’exprimer son « soutien total et entier […] à titre personnel mais aussi de mon mouvement, de mes élus, au nom de millions d’électeurs qui votent pour moi ».
Les factieux ou la colonisation de l’appareil d’État par l’extrême droite ?
« Nous ne cotiserons pas à l’ambiance générale de surenchère sécuritaire » a déclaré Mélenchon tout en affirmant son attachement à la police républicaine pour dénoncer un rassemblement de « factieux ». Il y a effectivement un avertissement qu’il faut prendre au sérieux dans cette conjonction des appels de militaires et de cette démonstration politique de la police, dans ces actions extraparlementaires des deux piliers de l’appareil d’État de la bourgeoise. Les militaires se déclarent disponibles pour réprimer les classes populaires alors que la police veut imposer sa volonté à la justice voire se faire justice elle-même.
Certes, aujourd’hui, les militaires pas plus que les policiers ne préparent un coup d’État. Parmi eux, les activistes d’extrême droite se contentent de préparer l’arrivée aux affaires de Marine Le Pen. Ils y préparent l’opinion, veulent la plier à l’autorité et à la discipline de la réaction. Ils y préparent aussi l’ensemble de l’appareil d’État dit républicain pour beaucoup hostile à Le Pen bien que, pour une large part, gangrené par les mêmes préjugés. Cette offensive de l’extrême droite au sein de l’appareil d’État s’inscrit dans les évolutions à droite toute des serviteurs des classes dirigeantes dont ceux qui se rallient à Le Pen sont de plus en plus nombreux. Darmanin laissant huer son ministre de la justice en fait partie. Même s’il croit agir en tant que rival, il lui prépare, lui aussi, le terrain.
Macron, Darmanin, Le Pen, droite extrême et extrême droite, les politiciens du capital
Marine Le Pen, pas plus que les militaires qui s’expriment ne veulent renverser les institutions de la Vème République. Ils veulent au contraire utiliser et renforcer les prérogatives du pouvoir présidentiel instauré par De Gaulle contre ceux qu’ils désignent, de façon insultante, comme les « hordes de banlieue », un mythe comme l’islamo-gauchisme, plus généralement pour mater la révolte des classes populaires, celles et ceux qui luttent contre la politique du pouvoir soumise aux intérêts d’une minorité qui tient les rênes de l’économie tout en flattant le racisme et la xénophobie pour dresser les victimes de leur politique les unes contre les autres.
Ils ont l’art de la démagogie qui consiste à prendre au piège les victimes de leur propre politique pour les enfermer dans une impasse, le piège du racisme, du sécuritaire, du nationalisme pour récupérer les suffrages de la peur, sauver le pays du chaos. Pour ce faire il faut désigner un ennemi bouc émissaire, immigré, délinquant voire terroriste... Une fois le mythe construit par la machine médiatique et le pouvoir conquis, une terrible logique répressive se met en route.
Cette politique de la police et du sécuritaire répond aux intérêts des classes dominantes qui ont besoin pour faire marcher la machine à profit et à dividende de maintenir l’ordre social au sein d’une société où le chômage, la précarité, la misère, l’effondrement des services publics nourrissent les tensions, le désespoir, l’inquiétude, la violence. Maintenir l’ordre, c’est retourner la violence économique et sociale contre celles et ceux qui en sont les victimes par la violence d’État.
« Droit de regard »… sur la police et les commissariats
La machine qui se met en route trouve son énergie dans la décomposition sociale et politique engendrée par la déroute du capitalisme. Les arguments de celles et ceux qui expliquent, ce qui est vrai, que l'aggravation continue des peines encourues n'a aucun effet dissuasif sont impuissants. Les accusations de laxisme de la justice brandies par les syndicats policiers se moquent éperdument du fait que la population carcérale a crû de 60 % dans les 20 dernières années tandis que la durée moyenne des peines n'a cessé de s'élever. Tout comme ils se moquent de Dupond-Moretti se félicitant, lors de l’examen de son projet de loi pour « la confiance dans l’institution judiciaire », que « 113 000 années d’emprisonnement [prononcées en moyenne par an] entre 2016 et 2019 contre 89 000 entre 2001 et 2005, est-ce cela le laxisme ? ». Ils n’y trouvent qu’argument pour demander plus, puisque leur cerveau ne peut imaginer d’autre réponse que répressive et carcérale, sécuritaire, incapables de comprendre que c’est la violence de leur système, la violence de l’exploitation qui génère les tensions et la délinquance.
Ils ne comprennent que la force, la haine et le mépris.
Une seule chose peut enrayer la folle logique répressive qui se met en route, la mobilisation du monde du travail pour ses droits sociaux et démocratiques, les deux sont indissociables. Cela passe par s’organiser, se mobiliser sur les lieux de travail, dans les quartiers, les lieux d’habitation, d’étude pour exercer son contrôle, y compris dans les commissariats, exiger des comptes. Face aux exactions, aux agressions et provocations permanentes de la police qui se croit en territoire conquis, arrogante et méprisante, il n’y a d’autre réponse que l’organisation démocratique de la population et des travailleurs, comme lorsqu’il faut veiller sur un quartier, protéger ses cortèges en manif ou contre des nervis durant une grève. Pour assurer la sécurité quotidienne et dans les luttes, les travailleurs devront instaurer leurs propres milices pour se défendre, en créant un rapport de force qui dissuade les corps de répression, vise à les désarmer, les désorganiser.
C’est par son organisation que la population laborieuse pourra faire respecter la justice et la paix dans les quartiers, construire et faire respecter un nouvel ordre social fondé sur la dignité, le bien-être et la liberté, un ordre qui abolira la police.
Yvan Lemaitre