A l’heure où tout ce que la gauche institutionnelle compte de partis, courants et autres mouvements, cherche à donner un minimum de crédit à son ambition de retourner aux affaires au sommet de l’Etat, l’anniversaire du 10 mai 1981 était l’occasion à ne pas rater. Une « révolution suspendue » d’après Mélenchon qui a consacré une conférence entière sur le sujet. Chacun y est allé de sa commémoration, revendiquant et s’inscrivant dans la continuité de cette heure de gloire de la gauche unie pour gérer les affaires de la bourgeoisie… cherchant à faire oublier que sa fonction a été d’orchestrer l’offensive libérale pour le compte des classes dominantes confrontées à la récession économique. La même offensive, dans le cadre de la mondialisation capitaliste, que Thatcher en Angleterre et Reagan aux USA avaient déjà engagée avec brutalité.

L’arrivée de François Mitterrand au pouvoir après 23 ans de gouvernements de droite et l’entrée de 4 ministres PCF dans le gouvernement (Georges Marchais avait recueilli 15,3 % des voix au 1er tour, Mitterrand 25,8 %) avaient alors suscité un grand espoir dans le monde du travail et parmi nombre de ses militant.e.s. Espoir bien déraisonnable qui n’allait pas tarder à provoquer de profondes désillusions d’autant que l’ensemble des organisations de la gauche institutionnelle, politique et syndicale, s’employait à appeler à « donner du temps » et à faire taire toute contestation, entre autres en organisant l’exclusion des opposants dans les syndicats, en tentant de disqualifier les grèves telle celle des ouvriers des chaînes automobiles en 1983 qualifiées de « grèves des ayatollahs » par le pouvoir. La suite a été chèrement payée, économiquement, socialement et politiquement par le monde du travail et ses militant.e.s.

La gauche a fait plusieurs retours au gouvernement, dont Jospin comme premier ministre de Chirac en 1997 avec trois ministres PCF dans son gouvernement et… un certain Jean-Luc Mélenchon qui semblait bien alors avoir enterré la « révolution ».

40 ans après, les rapports de force ont profondément changé. L’extrême-droite, absente de la présidentielle en 1981, fait jeu égal avec Macron dans les sondages. Et quel que soit celui ou celle qui arrivera en tête au second tour, ce sera pour mettre en œuvre des attaques violentes et profondément réactionnaires contre le monde du travail et les classes populaires. L’intensification de l’exploitation nécessite, pour les classes dominantes, des politiques de plus en plus sécuritaires, xénophobes, antidémocratiques pour contraindre et faire taire, diviser autant que faire se peut les exploités.

Aujourd’hui, de droite comme de gauche, les partis qui se sont relayés au pouvoir tout au long des 40 dernières années, à tour de rôle ou ensemble dans des gouvernements de cohabitation, sont totalement discrédités. Les processus de décomposition s’accélèrent, qu’illustrent et expriment les tractations et autres psychodrames dans le cadre de la constitution des listes régionales.

A gauche, le PS (6,36 % en 2017) n’en finit pas d’imploser, nombre de ses anciens chefs de file ont rejoint Macron, qu’il a lui-même enfanté. Son secrétaire général en est réduit à implorer une « union de la gauche » tandis qu’Anne Hidalgo trace sa route et vient d’apporter son soutien à Darmanin jugeant que l’interdiction de la manifestation de soutien au peuple palestinien à Paris samedi était une « décision sage » !

Le PCF, qui survit à l’ombre du PS dans nombre d’exécutifs locaux, cherche à ne pas disparaître. Après s’être rangé derrière Mélenchon en 2012 et 2017 (après les 1,93 % de l’ancienne ministre Marie-Georges Buffet en 2007), il vient de désigner Fabien Roussel pour 2022. Plein d’entrain, ce dernier a déclaré : « soit je décolle et c’est une chance pour la gauche, soit je reste au ras des pâquerettes et ça ne change rien pour la gauche »...

Quant à Mélenchon, « prêt à gouverner demain », l’ambiance de 2017 et ses 19,57 % sont bien loin. Ses 17 députés, sa surface médiatique, sa stratégie « fine » d’alliances s’adaptant aux possibilités locales qui vont d’un transfuge de LREM au… « porte-parole national du NPA » en passant par bien des combinaisons différentes, rien n’y fait, les sondages restent à ce jour de marbre. Jusqu’à son meilleur ami, Ruffin, qui évite soigneusement de se prononcer sur sa candidature : « J'attends de voir, je me donne mon temps, j'ai mon agenda ».

La mouvance « écologiste », elle, est en pleine agrégation-désagrégation, oscillant de Lepage, ancienne ministre de Sarkozy, ou Orphelin, député ex-LREM, aux différents courants concurrents d’EELV. Voulant croire son heure venue mais dévorée d’ambitions rivales et confrontée à l’exercice délicat du pouvoir dans de grandes villes, sa route n’est pas des plus tranquilles.

Rivaux ici, alliés là, les différents bouts de la gauche se disputent le leadership sans autre perspective que de gérer le capitalisme à travers la collaboration de classe. Tous se situent dans le cadre institutionnel, l’Etat de la bourgeoisie, aucun ne remet en cause la propriété capitaliste. Comme s’il pouvait y avoir la moindre issue à la catastrophe dans laquelle la faillite du capitalisme plonge les classes populaires, la jeunesse, sans arracher le pouvoir des mains des classes dominantes, sans expropriation des multinationales de l’industrie et de la finance sans indemnité ni rachat.

« Comment en sortir » ?

Une récente étude de l’Observatoire des multinationales dénonce : « En ce printemps 2021 […] alors que les groupes du CAC 40 continuent à bénéficier d’aides publiques massives... ils s’apprêtent à verser plus de 51 milliards d’euros à leurs actionnaires. Soit 22 % de hausse par rapport à l’année passée, alors que le résultat net agrégé du CAC 40 s’est effondré de plus de 55 % ». (https://multinationales.org/Allo-Bercy-Pas-d-aides-publiques-aux-grandes-entreprises-sans-condition)

Dans un article de Médiapart sur le sujet, Laurent Mauduit, qui semble découvrir que « l’État est en fait complice de ce capitalisme prédateur, puisqu’il agit comme lui, et sert d’abord ses intérêts » s’inquiète : « on sent bien que le capitalisme financiarisé connaît une phase d’emballement ; et que le fond du problème n’est pas seulement le partage des richesses entre le capital et le travail ». « Les dérives de ce capitalisme financier soulèvent un débat majeur : comment en sortir ? La survie de la gauche dépend de la réponse qu’elle y apportera ».

Comme si la gauche institutionnelle, gouvernementale, pouvait apporter une réponse aux « dérives » du capitalisme par quelques mesures contraignantes, comme si ce n’était pas la marche même du capitalisme, la course effrénée, aveugle aux dividendes, la concurrence généralisée, la menace permanente d’un krach qui entraînaient les travailleurs et les classes populaires du monde entier dans une spirale d’exploitation, de misère et de violence. Le fond du problème n’est pas, en effet, « seulement le partage des richesses entre le capital et le travail », il est bien le fonctionnement même de la société, de l’économie, la question de son contrôle par les travailleurs, les classes populaires et la nécessité vitale, ici comme à l’échelle internationale, d’exproprier le capital, d’enlever à une minorité parasite les moyens de nuire.

Des programmes qui se situent dans le cadre de la domination capitaliste, de l’Etat de la bourgeoisie

Roussel, qui n’a pas de mots assez forts pour condamner « la finance » et entend « tourner la page des heures tristes et renouer avec les jours heureux », n’a pas tardé à montrer son sens des responsabilités, faisant de la question sécuritaire une priorité de sa campagne. « Il est important de montrer que la gauche sur ce sujet porte des propositions. Ma gauche en tout cas, sur cette question, ne sera pas laxiste » a-t-il assuré, promettant la création d’une police nationale de proximité de 30 000 hommes et femmes et appelant à « écrire noir sur blanc 30 ans de prison minimum pour un crime à l’encontre de tout détenteur de l’autorité publique » après la mort d’un policier à Avignon.

Mélenchon a lui sobrement tweeté « Honneur à la victime. Guerre aux trafiquants. Pas de récupération politicienne ». LFI n’est pas en reste sur la question de l’Etat, de sa justice et de sa police. « L’Avenir en commun », programme du candidat Mélenchon, explique ainsi « La République a besoin d’une justice, mais également d’une police qui lui soit loyale, et attachée aux principes de l’État de droit ». Il entend « augmenter globalement les effectifs de la police nationale et de la gendarmerie » et appelle à mettre « la jeunesse au service de l’intérêt général et de la sûreté de la Nation : créer un service citoyen obligatoire et une garde nationale »… Comme si l’Etat, la Nation, la Patrie étaient des notions neutres, et non au service des possédants et de leur « ordre » !

Le PCF comme LFI raisonnent dans le cadre de la société capitaliste qu’ils se proposent de gérer, comme la « gauche » l’a toujours fait, comme eux-mêmes le font là où ils en ont l’opportunité dans les exécutifs locaux ou l’ont fait hier au gouvernement.

Leur politique économique en découle. L’Avenir en commun appelle à « mettre fin au pillage économique de la Nation », à « instaurer un protectionnisme solidaire pour produire en France et assurer notre indépendance », à « moduler l’impôt sur les sociétés selon l’usage des bénéfices pour encourager l’investissement en France »…

L’ensemble des mesures qu’ils envisagent visent à tenter d’imposer une « autre répartition des richesses » au patronat. Ils proposent ainsi « d’instaurer un quota de travailleurs précaires dans les entreprises, 10 % dans les PME, 5 % dans les grandes entreprises ». Lors d’une conférence de presse présentant cette semaine la partie du programme consacrée au « progrès social et humain », Clémence Guetté et Manuel Bompard qui en sont les coordinateurs annonçaient l’objectif du plein emploi, des 32 heures, d’une « garantie dignité » assurant à tous l’équivalent du seuil de pauvreté (1063 euros), la proposition d’un emploi ou d’une formation payés au SMIC à toute personne perdant son emploi… Autant de « mesures », expliquaient-ils, destinées à être débattues « avec les autres organisations politiques de gauche pour finaliser le programme ».

Pas question d’interdire les licenciements, d’ouvrir les livres de comptes, d’en finir avec le secret bancaire et commercial, d’imposer le contrôle des travailleurs sur l’économie…

« Refermer la parenthèse ouverte en 83 » ?

« 1981 aurait dû être le début d’une nouvelle épopée lancée par les français, une révolution. Et d’ailleurs ceux qui avaient préparé cet événement pensaient qu’ils allaient faire une révolution […] Le but était de faire de la France une société socialiste. C’était le dénominateur commun de toute la gauche politique » a assuré Mélenchon lors de la conférence donnée le 10 mai (https://www.youtube.com/watch?v=KpqO9Af0Z1Q&t=3s), pointant du doigt ceux qui pensent « que rien ne valait la peine. C’est une façon de propager l’idée qu’aucun changement n’est possible, sinon dans le sens de toujours plus de libéralisme […] et on va rabâcher sur tous les tons le tournant de 83 […] c’est être passé à côté du sens des événements dont nous sommes les héritiers ». Oubliés les licenciements massifs dans les aciéries, le renflouement des « fleurons » de la bourgeoisie française « nationalisés » pour mieux les restructurer à coups de plans massifs de licenciements et d’investissements tout aussi massifs avec les fonds publics… avant de les reprivatiser pour une bouchée de pain. Oubliées les conséquences sociales, politiques dramatiques pour le monde du travail, les cadeaux royaux faits aux réactionnaires, à l’extrême droite qui remportait une première victoire politique à Dreux dès 1983…

Mélenchon croit « à la sincérité de ceux qui nous ont parlé d’une pause ». Le problème, explique-t-il droit dans les yeux, c’est que « l’absence de mobilisation populaire est un des facteurs essentiels d’explication de ce qui s’est passé en 1983 ». Les travailleurs n’ont pas été à la hauteur de ses attentes. Le reste, c’est la situation internationale, l’offensive capitaliste, la propagande hostile, « trois dévaluations, le contrôle des changes, l’emprunt forcé… il régnait une atmosphère d’affolement […] l’action permanente de la droite, le chômage qui augmentait dans tous les pays… ».

1983 ne serait donc qu’« une parenthèse pas refermée » et 1981 « une révolution suspendue ». « Le processus est resté suspendu jusqu’à ce que l’histoire le ramène sur le devant de la scène, nous verrons quand et comment, et pourquoi pas dès 2022 »… D’autant que les « motifs d’enthousiasme et l’optimisme » ne manquent pas : c’est « plus facile pour nous en 2022 avec Biden qui vient de prendre des mesures fiscales, sociales et économiques extrêmement proches de ce que nous-mêmes nous proposons ici pour notre pays »… même s'il reste une ombre au tableau, il est « resté productiviste ».

La boucle est ainsi bouclée, et la suite est simple : « Accordons-nous sur les données concrètes d’un programme et le reste nous sera donné par surcroît invite-t-il. Aujourd’hui il y a ce programme, c’est l’avenir en commun […] Je pourrais le mettre en application demain s’il le fallait ».

Ce conte pourrait faire sourire si les enjeux n’étaient si essentiels pour le monde du travail et au-delà l’ensemble de la population. Comme si face à l’effondrement annoncé, la question était de décliner une succession de bonnes mesures et d’aligner les cahiers thématiques, qui plus est d’un point de vue essentiellement français ! Comme si l’urgence pour les militant.es du monde du travail, de toutes celles et ceux qui veulent bâtir un autre monde, n’était pas d’essayer de prendre la mesure des bouleversements en cours et de ce que la décomposition du capitalisme, sa violence portent à la fois de dangers mais aussi de révoltes, de mobilisations des exploité.es et opprimé.es du monde entier les amenant à postuler eux-mêmes et elles-mêmes au contrôle, à l’organisation et à la direction de l’économie et de la société !

Prendre la mesure des bouleversements politiques, porter la nécessité du contrôle des travailleurs sur l’économie 

Les trompettes de cette « gauche » sonnant « l’unité pour changer les choses maintenant » sont quelque peu fêlées. Si des travailleur·ses, des militant.es voudraient pouvoir y croire, l’évidence de l’impasse s’impose face à la gravité de la situation. La gauche institutionnelle, qu’elle soit parlementaire ou syndicale, est en crise, incapable d’apporter des réponses à la faillite capitaliste car il ne peut y en avoir dans le cadre de ce système. Elle ne peut échapper à l’implosion et la décomposition en cours.

Il nous faut prendre la mesure de l’effondrement politique général, dont le tournant réactionnaire qui s’accélère est une des composantes, alors que les antagonismes de classes s’exacerbent.

Tout dans la situation invite les révolutionnaires à porter la perspective et la nécessité du contrôle des travailleurs sur l’économie et la société, l’urgence que ce soient les producteurs eux-mêmes qui décident de la production, l’organisent en fonction des besoins déterminés par les classes populaires elles-mêmes. La perspective révolutionnaire, socialiste et communiste prend chaque jour une actualité plus grande.

Dans ce contexte, la campagne des régionales aurait pu être l’occasion pour les courants révolutionnaires de se regrouper pour porter cette perspective, malgré le peu d’intérêt qu’y accorde le monde du travail tant le cirque électoral, les manœuvres des appareils sont loin des préoccupations populaires. On ne peut que regretter que le NPA en tant que tel n’ait pas été en mesure de porter cette politique dans ces élections et que les militants qui s’y sont engagés le fassent de la pire des manières aux côté de LFI. Nous appellerons donc, comme de nombreux militants du NPA, à voter partout pour les listes présentées par Lutte Ouvrière, les seules qui se situent en totale indépendance des politiques institutionnelles, dans le camp des travailleurs. Nous le ferons en menant notre propre campagne et, en particulier, en portant la nécessité de l’unité des révolutionnaires qui s’ignorent aujourd’hui de façon irresponsable.

A moins d’avoir la prétention quelque peu irraisonnable d’avoir seul la vérité révélée et la recette de la révolution, il est de la responsabilité commune des courants révolutionnaires de se regrouper, de débattre, d’essayer de formuler un programme pour le monde du travail, ses luttes, posant la question du pouvoir, de la révolution. Tout dans la situation devrait pousser à construire un tel cadre de débat, d’élaboration, d’organisation appelant à en être partie prenante toutes celles et ceux qui, aujourd’hui, veulent changer le monde.

Isabelle Ufferte

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