Avec plus de 150 000 manifestants dans 300 défilés à travers toute la France, le succès de ce 1er mai a permis que s’exprime, déconfinée, dans la rue, la colère qui s’accumule depuis des mois, malgré, à Paris, les exactions de la police et les agressions odieuses et inacceptables contre la CGT, un début de réponse à l'offensive antisociale et réactionnaire qui se poursuit...

Nouvelle épisode de la surenchère sécuritaire du gouvernement, le projet de loi « relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement » était présenté mercredi en Conseil des ministres. Le même jour, sept militants italiens, réfugiés depuis plusieurs décennies en France où ils ont refait leur vie, étaient arrêtés, présentés comme d’anciens membres des Brigades rouges, sous la menace d’une extradition vers l’Italie où ils encourent de lourdes condamnations.

Démagogie sécuritaire et bassesse policière qui s’accompagnent d’une offensive réactionnaire au nom de la défense des « principes de la République » contre les « communautarismes », entretiennent un climat raciste nauséabond qui encourage tous les nostalgiques de la vieille France coloniale, de la France de Pétain, de la sale guerre d’Algérie…

Un climat sécuritaire et raciste qui encourage toutes les forces réactionnaires

Ainsi 60 ans, jour pour jour, après la tentative de putsch raté des généraux défendant l’« Algérie française », le 21 avril 1961, une vingtaine de généraux d’extrême droite à la retraite, anciens de la guerre d’Algérie, et un millier d’officiers et de militaires, ont publié une tribune dans Valeurs actuelles. « [l’]heure est grave, la France est en péril » avertissent-ils et de dénoncer le « délitement » causé par « un certain antiracisme » qui n’aurait d’autre but que de préparer « la guerre raciale que veulent ces partisans haineux et fanatiques ». Surenchérissant sur la campagne du gouvernement contre « l’islamogauchisme », ils estiment que la France serait menacée par ceux qui « parlent de racialisme, d’indigénisme et de théories décoloniales », par « l’islamisme et les hordes de banlieue » pour finir en brandissant la menace d’un « putsch », de « l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national ».

Sans surprise ces généraux réactionnaires ont trouvé le soutien de Marine Le Pen et de Zemmour, nostalgique de Pétain et de Napoléon. Le Pen déclarant dans une tribune « Je souscris à vos analyses et partage votre affliction. (…) Je vous invite à vous joindre à notre action pour prendre part à la bataille qui s’ouvre, qui est une bataille certes politique et pacifique, mais qui est avant tout la bataille de la France. » Malgré ses efforts de dédiabolisation pour paraître présidentiable, elle renoue ainsi avec ce qui a toujours été le fonds politique du Front National fondé par Jean-Marie Le Pen avec d’anciennes figures de l’OAS, le racisme anti-arabe et la nostalgie de l’Algérie française.

Il aura fallu plusieurs jours pour que le gouvernement réagisse… Dans une tribune publiée lundi dans Libération, Florence Parly n’a pu que se démarquer de ces « 20 généraux à la retraite, irresponsables, qui ne représentent qu’eux-mêmes », comme dénoncer le soutien de Le Pen : « Vouloir politiser les militaires, c’est faire insulte à leur mission » et de réaffirmer : « L’immense majorité des militaires, défend les valeurs républicaines, assure la protection des Français et la défense de la France conformément au principe de neutralité et de loyauté qui fait partie et qui est au cœur de leur statut. ». Le général François Lecointre, chef d’état-major des armées, a fini par menacer de sanctions les signataires, 18 devant passer devant un conseil militaire.

L’armée, bras armé d’une société de classe

Mais au-delà du ridicule de cette tardive indignation gouvernementale, la tribune donne à voir ce qu'est la réalité de cet appareil d’État dont l’armée est le bras armé : une machine au service du maintien de l’ordre, d’un ordre établi au profit des classes dominantes et qui a l’idéologie réactionnaire et raciste de sa fonction.

Si l’armée comme la police sont gangrenées par les idées d’extrême droite, par le racisme, le patriotisme borné, le mépris des étrangers, des ouvriers, des classes dangereuses, c’est justement parce qu’elle s'est construite comme une force de répression non seulement à travers le monde contre les peuples mais aussi ici pour faire rentrer dans le rang tous ceux qui contestaient l’ordre établi, y compris par la violence comme face aux gilets jaunes et contre l’ensemble du mouvement social. Et cela sous tous les gouvernements, de droite comme de gauche.

L’armée française est le produit des guerres coloniales. Non seulement c’est l’outil avec lequel l’État français a asservi les millions de femmes et d’hommes de son immense Empire, mais aussi celui avec lequel il a mené toutes les sales guerres coloniales pour s’y accrocher en écrasant dans le sang la révolte des peuples colonisés. Et c’est cette armée qui continue aujourd’hui à faire la police en Afrique pour y maintenir les anciens rapports de pillage impérialiste, en faisant et défaisant les régimes dictatoriaux africains, multipliant les bavures contre la population civile et portant la responsabilité de massacres de masse comme au Rwanda. L’armée française est le pilier de cette Françafrique que Macron ne fait que poursuivre en adoubant vendredi au Tchad à la tête d’une junte militaire, le fils, successeur autoproclamé, du dictateur Idriss Déby, au nom de la stabilité du Sahel.

Tous ces généraux en retraite ou pas, signataires ou pas de cette tribune, ont été formés dans ces guerres impérialistes contre les peuples, leur armée c’est celle qui a exercé une répression sanglante à Madagascar, en Indochine et en Algérie, c’est l’armée des tortionnaires, des Massu, Bigeard… et Le Pen. Derrière leurs discours sur la France ou la République, ils n’ont d’autres idéologies que de faire de l’armée cet instrument au service des classes dominantes contre les peuples et le monde du travail qu’ils méprisent.

La « grande muette » n’a jamais été ni « neutre », ni muette, et encore moins la garante de la démocratie. Non seulement, elle a toujours été un repère pour les idées d’extrême droite, racistes, mais elle a aussi fourni nombre de dirigeants et de cadres aux forces politiques les plus réactionnaires de De Gaulle à Le Pen, et a régulièrement cherché à peser sur la vie politique.

En France comme ailleurs, les Etats majors des armées comme l’ensemble des classes dominantes ont bien conscience que l’accélération de la crise sanitaire, économique et sociale, et l’incapacité des gouvernements à empêcher la faillite de leur propre système, ne peuvent qu’engendrer des explosions de colère et de révoltes. Les vieux généraux « factieux » d’extrême droite se pensent comme l’ultime recours face à la faillite du système. En brandissant la menace d’un « putsch » militaire pour rétablir l’ordre ils ne font qu’exprimer de façon caricaturale ce qui a toujours été sur le fond le rôle de l’armée.

Le mythe de la neutralité d’une armée républicaine

Face à ces provocations des généraux d’extrême droite, la gauche institutionnelle et les syndicats se sont indignés, demandant au gouvernement d’intervenir contre les « factieux » mais… au nom de la défense de l’armée ! Cette indignation républicaine empêche d’ailleurs de voir l’essentiel, les propos de guerre civile et de racisme qu’ont tenus ces vieilles ganaches nostalgiques des guerres coloniales, n’ont sur le fond pas été désavoués, ni par le gouvernement, ni par l’Etat-major.

La gauche et les syndicats ne se placent que sur le terrain de la défense de prétendues valeurs de la République, de Jean-Luc Mélenchon qui, avec les députés de la FI, demandent au procureur de Paris de prendre des sanctions pour « provocation à la désobéissance de militaires » à la CGT qui écrit dans son communiqué « La neutralité de l’armée et sa subordination au pouvoir civil sont des principes républicains avec lesquels il ne peut être question de transiger. Les forces armées ont un rôle de défense et de maintien de la paix et ne doivent, en aucun cas, intervenir dans la vie politique. »

Parce qu’ils n’aspirent qu’à prendre toute leur place dans le jeu institutionnel de cette République, ils en idéalisent les institutions et donc reprennent à leur compte ce mensonge d’une mythique neutralité de l’armée qui devrait rester « républicaine » … qui n’a jamais existé !

Les partis de la gauche institutionnelle n’ayant comme horizon que les élections comme les appareils syndicaux, englués dans le piège du dialogue social, ont depuis longtemps tourné le dos à la lutte des classes, renoncé à mener en toute indépendance des institutions le combat des exploité·e·s et des opprimé·e·s pour la transformation de la société.

Une indépendance de classe… qui pose la question du pouvoir et de l'armement des travailleurs et du peuple

Ils ont depuis longtemps « oublié » que l’une des premières mesures de la Commune de Paris, dont on commémore le 150ème anniversaire, a justement été l’abolition de l’armée permanente et de la police et leur remplacement par le peuple en armes organisé dans la garde nationale. C’est une de ses leçons fondamentales : pour changer le monde, les exploités, les opprimés ne peuvent pas reprendre et utiliser, telle quelle, la machine étatique « républicaine » et notamment ses bras armés, l’armée et la police.

Pas plus l’armée que les institutions de la République, malgré leurs oripeaux démocratiques, ne sont une garantie du respect des droits démocratiques de l’ensemble de la population, car ils sont avant tout les garants du respect de l’ordre dans une société profondément divisée en classes antagonistes, garant du droit de propriété capitaliste, du pouvoir des classes dominantes à s’approprier le produit du travail humain.

Les droits démocratiques qui ont été obtenus par les luttes sociales sont en réalité perpétuellement menacés d’être remis en cause par la fuite en avant des classes dominantes, leur totale incapacité à avoir d'autres préoccupations que la défense la plus étroite de leurs intérêts de classe. Et c’est cette fuite en avant irresponsable qui accentue la catastrophe sanitaire, environnementale, économique et sociale comme l’offensive contre les travailleurs, les jeunes, les immigrés, contre toute idée de critique sociale dans une surenchère réactionnaire avec toutes les forces d’extrême-droite.

A tous les niveaux de leur combat, les classes populaires ne peuvent compter que sur elles-mêmes sur leur capacité à s’organiser collectivement pour imposer la prise en compte des intérêts du plus grand nombre, en se donnant les moyens d’exercer directement, démocratiquement leur contrôle sur la marche de la société. Cela implique d’empiéter sur la propriété capitaliste, et donc sur ce qui est en réalité la base de ces « valeurs républicaines » que défendent l’armée et la police.

Et cela ne peut donc qu’impliquer la capacité de s’organiser voire de s’armer pour se défendre face aux exactions de la police, face à la répression du mouvement social, avec la claire conscience qu’en finir avec cet ordre social implique aussi la capacité de s’opposer collectivement, par la force que donne le nombre, l’unité et la solidarité du monde du travail aux institutions qui le défendent, à l’armée, la police.

Le mouvement ouvrier, les révolutionnaires ne peuvent reprendre à leur compte de prétendues valeurs universelles de la République qui ne servent qu’à masquer la domination de classe de la bourgeoisie.

Ce 1er mai, journée internationale de luttes des travailleurs, ce sont de toutes autres valeurs universelles que les manifestants ont réaffirmées à travers le monde, celle du combat pour l’émancipation, en rupture avec cet ordre social, qui ne peut reposer que sur la solidarité internationaliste, la démocratie, la lutte collective des exploité·e·s et des opprimé·e·s, dans la perspective d’une transformation révolutionnaire de la société.

Bruno Bajou

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