L’évolution de la société sous la pression de l’offensive capitaliste, de l’État et des politiciens suscite un large mécontentement, une profonde révolte, une envie de changer le monde qui a bien du mal à trouver les moyens d’agir. Dans la jeunesse tout particulièrement, plus largement dans le monde du travail, dans les milieux militants, syndicalistes aussi.

Les forces politiques ou syndicales censées porter des idées démocratiques, progressistes, contestataires sont toutes, d’une façon ou d’une autre, intégrées à l’ordre social, cet ordre prétendument républicain qui est celui de l’exploitation et de l’oppression, du racisme et des politiques sécuritaires, un ordre dépassé et sans avenir.

De nombreuses mobilisations locales ont lieu, porteuses de dignité, d’engagement, de courage, d’autres, plus larges se sont développées dans tout le pays comme les marches des jeunes pour le climat, les luttes des femmes ou le mouvement des gens du spectacle qui ont fait de l’abrogation de l’assurance-chômage, de la lutte contre la précarité, leur combat.

Ils sont nombreux, les jeunes qui s’engagent dans une cause parce qu’ils sont révoltés par le système productiviste et consumériste, l’inaction des gouvernements contre le réchauffement climatique et la crise écologique, la misère et l’exclusion, le racisme et les violences policières, l’oppression patriarcale, l’exploitation.

Rien d’étonnant à ce qu’ils se tiennent à distance des partis de gauche institutionnels gangrenés par le carriérisme et prêts à renier au pouvoir ce qu’ils ont promis avant l’élection. Et le mouvement révolutionnaire souvent trop tourné vers le passé ou dogmatique, enfermé dans ses certitudes, a bien du mal à représenter à leurs yeux une perspective crédible. Outre que le « marxisme » ou le « communisme » est assimilé le plus souvent à Staline ou à Kim Jong Un -ce qu’enseignent les programmes officiels au collège et au lycée-, il est bien trop divisé par des querelles incompréhensibles au commun des mortels. Ou souvent il apparaît de trop lié aux appareils, voire intégré dans ce passé dominé par le stalinisme ou les dictateurs nationalistes qui se revendiquaient du communisme comme Mao.

La contradiction entre des idées ou des sentiments anticapitalistes qui ont un écho de plus en plus large et la faiblesse des idées capables d’exprimer cette révolte anticapitaliste, de lui offrir des perspectives politiques, créent un terrain favorable aux conceptions anarchistes, libertaires souvent empreintes d’individualisme.

Une partie de la jeunesse préfère se tourner vers des mouvements qui lui apparaissent plus collectifs, plus solidaires, plus démocratiques, XR, Youth for Climate, la solidarité alimentaire, les maraudes auprès des sans-abri, ou bien plus radicaux comme l’anti-fascisme qui théorise l’affrontement avec les groupes d’extrême droite. Et beaucoup parmi eux se disent davantage anarchistes ou libertaires que marxistes, manifester leur indignation et leur révolte de manière démonstrative ou construire des relations humaines qu’ils veulent généreuses et affranchies du conformisme social mais sans imaginer qu’il soit réellement possible de changer le monde, renverser le système capitaliste, en finir avec l’exploitation et l’oppression.

Leur indignation contre le capitalisme ne débouche pas sur la compréhension des possibilités de construire un autre ordre social, leur refus ou leur méfiance vis à vis de l’État les détourne de la question du pouvoir, de la politique, secrète une méfiance voire une hostilité aux partis synonymes d’embrigadement.

Ces légitimes interrogations, doutes ont parcouru toute l’histoire du mouvement ouvrier en particulier dans ses débuts, au XIXè siècle quand s’est forgé le marxisme et plus tard au moment de la Commune de Paris. Elles y ont reçu des réponses qui ont gardé leur actualité. C’est pourquoi nous voudrions revenir sur ces discussions entre les conceptions anarchistes et marxistes alors en formation, en particulier à la critique que Marx faisait de la pensée d’un des fondateurs de l’anarchisme, Proudhon et à travers laquelle il a élaboré la théorie du socialisme scientifique, à travers aussi la Commune, l’expérience d’un pouvoir inédit, démocratique et révolutionnaire.

De l’indignation et de la révolte à la conscience

D’une certaine façon, nous nous retrouvons aujourd’hui dans une situation proche de celle du mouvement ouvrier à ses débuts quand il fut confronté à la vraie nature du pouvoir de la bourgeoisie ayant renié les idéaux républicains pour imposer sa dictature et qu’il dut élaborer sa propre théorie. Le discrédit qui frappe le marxisme, les idées du communisme et du socialisme, nous oblige comme alors à repenser toutes les questions de la lutte pour l’émancipation afin de formuler nos réponses en particulier face à la critique de celles et ceux qui ne s’y reconnaissent pas.

S’indigner, se révolter, dire que le capitalisme est mauvais ne suffit pas, et pour agir il y a besoin d’une théorie pour comprendre les bouleversements sociaux, savoir dans quel sens exercer son action, en prévoir les effets, les résultats. Cette théorie, Marx et Engels l’ont élaborée en s’engageant de plain-pied dans les combats de leur temps, dans les débats d’idées, les polémiques.

Animés par leur révolte et leur volonté de changer le monde, en même temps qu’ils se plongeaient dans l’étude des économistes qui cherchaient à décrypter le système de la production marchande et capitaliste, Marx et Engels fréquentaient les militants du mouvement ouvrier qui étaient influencés par les premiers socialistes, les socialistes utopiques. Fourier, Owen imaginaient une société future basée sur la coopération et la disparition de la propriété privée. Ces « socialistes de l’utopie » en étaient réduits à échafauder des modèles tout faits de société, de petites communautés unies par la coopération consciente et la mise en commun des biens qu’il s’agirait de multiplier. Pour Marx et Engels, il fallait donner aux idées du socialisme une base matérielle, les inscrire dans l’histoire économique et sociale, politique, l’histoire des luttes de classes.

« Certes, le socialisme antérieur, écrit Engels dans Socialisme utopique, socialisme scientifique, critiquait le mode de production capitaliste existant et ses conséquences, mais il ne pouvait pas l'expliquer, ni par conséquent en venir à bout ; il ne pouvait que le rejeter purement et simplement comme mauvais. Plus il s'emportait avec violence contre l'exploitation de la classe ouvrière qui en est inséparable, moins il était en mesure d'indiquer avec netteté en quoi consiste cette exploitation et quelle en est la source. Or le problème était, d'une part, de représenter ce mode de production capitaliste dans sa connexion historique et sa nécessité pour une période déterminée de l'histoire, avec, par conséquent, la nécessité de sa chute, d'autre part, de mettre à nu aussi son caractère interne encore caché. C'est ce que fit la découverte de la plus-value. Il fut prouvé que l'appropriation de travail non payé est la forme fondamentale du mode de production capitaliste et de l'exploitation de l'ouvrier qui en résulte ; que même lorsque le capitalisme paie la force de travail de son ouvrier à la pleine valeur qu'elle a sur le marché en tant que marchandise, il en tire pourtant plus de valeur qu'il n'en a payé pour elle ; et que cette plus-value constitue, en dernière analyse, la somme de valeur d'où provient la masse de capital sans cesse croissante accumulée entre les mains des classes possédantes. La marche de la production capitaliste, aussi bien que de la production de capital, se trouvait expliquée.

Ces deux grandes découvertes : la conception matérialiste de l’histoire et la révélation du mystère de la production capitaliste au moyen de la plus-value, nous les devons à Marx. C'est grâce à elles que le socialisme est devenu une science, qu'il s'agit maintenant d'élaborer dans tous ses détails et ses connexions ».1[1]

Le socialisme ne pouvait prendre un contenu pratique et concret qu’en s’inscrivant dans l’histoire des luttes de classe, dans l’évolution de l’ensemble des sociétés humaines. C’est tout aussi vrai aujourd’hui, les idées du socialisme et du communisme ne peuvent retrouver un contenu démocratique et progressiste qu’inscrites à nouveau dans l’évolution de la société, des luttes de classes. Au XIXè siècle, comme aujourd’hui, le monde était en pleine transformation. La révolution française avait renversé le pouvoir des vieilles classes féodales, bouleversé l’Europe mais la monarchie n’avait pas disparu, et l’exploitation encore moins, elle avait seulement pris une autre forme. La nouvelle classe exploitée qui était née de la révolution industrielle en Angleterre subissait des conditions de vie et de travail épouvantables alors que l’industrie créait des richesses formidables, des villes sortaient de terre comme ces dernières années en Chine. De toute évidence, ce qui transformait les sociétés humaines, c’était la façon dont les richesses sont produites, les nouvelles techniques utilisées et les rapports humains qui s’organisent autour. Marx et Engels, qui avaient été fortement influencés par la philosophie de Hegel, avaient rompu avec son idéalisme et étaient devenus matérialistes, convaincus qu’il existe une réalité indépendamment de la conscience qu’en ont les humains et que le mouvement des idées est le reflet du mouvement réel du monde et non l’inverse comme le pensait Hegel.

Le socialisme n’est plus une utopie mais bien une perspective historique inscrite dans l’évolution sociale. Les contradictions du capitalisme sont les forces accoucheuses de la révolution socialiste. Il ne s’agit pas d’inventer un modèle auquel aurait à se conformer la société comme l’imaginaient les socialistes utopiques, de créer des communautés, il s’agit de libérer la société du carcan de la propriété capitaliste qui est entrée en contradiction avec la socialisation et la mondialisation des moyens de production, l’économie.

Ces idées gardent toute leur pertinence aujourd’hui, même si on peut dire que la question se pose dans des termes inverses de ceux de l’époque de Marx. La classe ouvrière n’était alors qu’embryonnaire, elle n’apparaissait pas encore comme la force sociale qui pourrait en finir avec la propriété privée des moyens de production et prendre en main collectivement l’économie pour la mettre au service des besoins de la population. Comme l’écrivait Engels, à l’immaturité des conditions objectives correspondait l’immaturité des théories. Aujourd’hui, les conditions objectives, le développement du capitalisme, sont pleinement mûres pour une transformation socialiste, révolutionnaire de la société. C’est la théorie qui a été avilie, dévoyée, dénaturée. Au cœur de la bataille idéologique, il y a la bataille pour la renaissance du marxisme.

En réponse aux confusions de Proudhon, Marx et la critique de l’économie politique

Comme beaucoup de jeunes contestataires aujourd’hui, Proudhon ne voyait pas pourquoi les travailleurs ont intérêt à s’organiser, à se battre, à lutter pour leur salaire. De toute façon, l’augmentation serait toujours rattrapée par les patrons, par la hausse des prix, etc.

C’est en débattant de ces questions avec lui que Marx est amené à s’occuper sérieusement d’économie, à travailler pour comprendre le système capitaliste, ce qu’est une marchandise, ce qu’est le salaire, ce qui permet aux patrons de s’enrichir du travail des ouvriers, etc.

Et déjà comprendre que la production de marchandises, leur échange, les prix, la monnaie, l’argent sont le résultat d’une histoire, le produit d’une évolution et non le résultat de décisions prises un beau jour par deux hommes qui auraient décidé d’échanger le produit de leur travail ou par des rois qui auraient créé les pièces d’or.

Proudhon en effet a tendance à penser cela et à juger des choses en y voyant les bons côtés et les mauvais côtés, les avantages, les inconvénients, et à rechercher comment éliminer le mauvais côté pour ne garder que le bon. Il ne comprend pas, en particulier ce qu’est le salaire. Il croit que le salaire d’une journée est l’équivalent de ce que produit une journée de travail et, à partir de là, il imagine un système juste et équitable, de banques d’échange qui permettraient d’en finir avec l’injustice.

Cette trouvaille qui crée l’illusion de pouvoir abolir l’argent et l’exploitation a suscité de nombreuses expériences qui toutes ont fait faillite. Proudhon avait l’illusion qu’on peut « abolir » l’argent, la monnaie parce qu’on l’aurait décidé, par décret. Il ne comprend pas que la monnaie est d’abord une marchandise comme les autres dont la seule différence avec les autres est qu’on est sûr de pouvoir l’échanger avec une autre et que cette marchandise équivalent général entre toutes les marchandises est un rapport social né du développement de la production, de la division du travail, de la généralisation de l’échange des marchandises, en un mot du développement du capitalisme. Les hommes ne pourront s’en passer que quand ils seront en mesure de contrôler, de planifier démocratiquement la production des biens qui leur sont nécessaires et, à partir de là, leur répartition.

« La propriété, c’est le vol » mais aussi l’exploitation capitaliste, le salariat

Proudhon s’était rendu célèbre par sa formule, « la propriété, c’est le vol », qui dénonçait avec audace le fondement même de la société de classe. Cependant, la formule ne révélait pas l’essentiel, la nature du rapport d’exploitation capitaliste, le salariat par lequel se crée la plus-value.

De la même façon que la valeur d’échange d’une marchandise est déterminée par la quantité de travail qu’elle contient, le temps de travail nécessaire pour la produire, le salaire est déterminé par le temps de travail qu'il faut pour produire tout ce qui est nécessaire à l'entretien de l'ouvrier. Le salaire tend toujours à graviter autour du minimum nécessaire pour entretenir l’ouvrier. C’est on ne peut plus visible aujourd’hui avec la baisse continue des salaires réels, soit qu’ils ne suivent pas la hausse des prix soit qu’un salarié licencié retrouve un emploi à un salaire inférieur. Et tant que les capitalistes resteront maîtres des moyens de production, les ouvriers n’auront pas d’autre possibilité que de vendre leur force de travail comme n’importe quelle autre marchandise. Le salaire, même s’il peut fluctuer selon le rapport de forces entre patrons et salariés, correspond au temps de travail nécessaire pour produire cette force de travail et lui permettre de revenir au boulot, nourriture, logement, vêtements, etc. Il n’a rien à voir avec le produit ou le travail réalisé par l’ouvrier que s’approprie le patron. Quand il faudrait 5 heures de travail pour produire ce qui entretient la force de travail, l’ouvrier travaille beaucoup plus longtemps, 8 heures ou 10 heures, offrant ce travail gratuit au patron et ce surtravail est la seule source du profit capitaliste.

Transformer la société, c’est en finir avec la propriété des moyens de production par les capitalistes, l’esclavage salarié. Et c’est bien la classe des salariés, la classe ouvrière qui en a la capacité de par sa position dans les rapports de production. Elle est la classe révolutionnaire qui mettra fin à l’esclavage capitaliste et par là à l’exploitation en prenant possession collectivement de l’économie. Telle est la conclusion de Marx toujours valable aujourd’hui quelle qu’ait été l’évolution du prolétariat, de celles et ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre.

Changer le monde sans prendre le pouvoir ?

Quand on voit la violence de la répression policière et l’acharnement de la justice contre les militants, manifestants, jeunes dans les cités de banlieue ces dernières années, on comprend assez facilement qu’il faudra mettre hors d’état de nuire cette machine de répression, l’État. Il faudrait l’abolir, disent les anarchistes. Mais de quelle manière, sans étape ? N’y aura-t-il pas besoin de contraintes vis-à-vis des classes dominantes, l’Etat peut-il disparaître brutalement ? Comment croire que c’est possible ? Il faudrait que les travailleurs s’interdisent de prendre le pouvoir parce que le mal, c’est l’État, le pouvoir, l’autorité ?

L’État, une machine spéciale de répression, des « détachements spéciaux d’hommes armés », disait Engels, n’a pas existé de toute éternité. Il est né avec la société de classes, pour maintenir la classe exploitée dans la soumission et empêcher le conflit incessant entre des classes sociales aux intérêts opposés.

Les États bourgeois modernes, avec leur machine spéciale de répression, se sont développés et renforcés à travers la lutte des classes. Dans Le 18 brumaire de Napoléon Bonaparte, publié juste après le coup d’État de 1851, Marx a étudié comment en France, l’appareil d’État de la bourgeoisie, hérité de la monarchie absolue, a été perfectionné sous Napoléon Ier, la Restauration, et enfin Napoléon III dans la lutte contre la classe ouvrière. Ce qui lui faisait conclure qu’il fallait détruire cette machine d’État pour changer les choses.

Il apparaît clairement aujourd’hui que l’État est essentiellement une machine spéciale consacrée à la répression pour protéger les pouvoirs et les privilèges des capitalistes et des plus riches. Les illusions sur un retour possible des prétendus « jours heureux » -on se demande de quoi il s’agit, la période des guerres coloniales ?- ont fait long feu alors que les services publics sont réduits à la portion congrue avant d’être complètement démantelés sous l’action des gouvernements de gauche comme de droite.

La démocratie est tronquée, la population ne décide de rien. Les liens entre l’État et le monde de l’argent, capitaliste, de la Bourse, sont tellement étroits que le pouvoir de la bourgeoisie est à l’abri de n’importe quel changement de personnes ou de dirigeants. Ne voit-on pas les mêmes hauts fonctionnaires, ministres, PDG d’entreprises passer de la haute administration au privé et inversement mais toujours grassement rémunérés ? Le suffrage universel, insistait Engels, est « l’indice qui permet de mesurer la maturité de la classe ouvrière. Il ne peut être rien de plus, il ne sera jamais rien de plus dans l’État actuel ».

La classe exploitée ne peut se libérer qu’en renversant cette machine d’État, c’est-à-dire en la brisant et cela n’est possible qu’en substituant à cette machine qui assure la dictature de la bourgeoisie son propre pouvoir, son propre État, que Marx et Engels appelaient alors la dictature du prolétariat en opposition à la dictature de la bourgeoisie.

La Commune a montré dans les faits ce que cette dictature du prolétariat peut être, un État ouvrier, le plus démocratique qui soit et bon marché. Elle a supprimé l’armée permanente et la bureaucratie, en faisant élire tous les responsables, en les rendant révocables, en les payant à un salaire d’ouvrier.

Et ce ne serait pas possible aujourd’hui ?

Marx et Engels ont prolongé cette courbe en montrant à partir de là comment l’État pourrait dépérir, s’éteindre. Les marxistes partagent avec les anarchistes l’objectif d’une société sans État mais les anarchistes pensent qu’il serait possible d’abolir l’État et que les travailleurs doivent s’interdire de construire un État centralisé, de prendre et d’exercer le pouvoir. Inutile de dire que la dégénérescence de l’état soviétique issu de la révolution russe et le monstre bureaucratique qu’il est devenu renforce considérablement ces craintes, mais c’est bien là l’indice et le résultat de la défaite de la première vague révolutionnaire mondiale, de la contre-révolution opérée derrière la dictature du petit Père des peuples Staline, encensé par un mouvement ouvrier qui n’avait plus rien de révolutionnaire ni marxiste.

Renoncer à ce que les travailleurs et la population constituent leur propre pouvoir, leur Etat, ce serait accepter par avance d’être les victimes de répressions sanglantes comme cela a été le cas au moment de la Commune de Paris, dans le Chili d’Allende et comme le promettent aujourd’hui à leur façon les vieilles badernes réactionnaires qui ont signé la lettre des généraux.

Dans un article de 1873 intitulé De l’autorité, Engels polémique avec les anarchistes. « Les antiautoritaires demandent que l’État politique autoritaire soit aboli d’un coup, avant même qu’on ait détruit les conditions sociales qui l’ont fait naître. Ils demandent que le premier acte de la révolution sociale soit l’abolition de l’autorité.

Ont-ils jamais vu une révolution, ces messieurs ? Une révolution est certainement la chose la plus autoritaire qui soit ; c’est l’acte par lequel une partie de la population impose sa volonté à l’autre au moyen de fusils, de baïonnettes et de canons, moyens autoritaires s’il en est ; et le parti victorieux, s’il ne veut pas avoir combattu en vain, doit maintenir son pouvoir par la peur que ses armes inspirent aux réactionnaires. La Commune de Paris aurait-elle duré un seul jour, si elle ne s’était pas servie de cette autorité du peuple armé face aux bourgeois ? Ne peut-on, au contraire, lui reprocher de ne pas s’en être servi assez largement ? »[2]

Être conscient que seule l’action collective peut changer le monde, c’est faire de la politique, s’organiser

Proudhon n’avait pas compris le rôle historique qui revenait au prolétariat, il voyait dans les grèves et les coalitions d’ouvriers une des conséquences du désordre capitaliste et non l’avenir. Mais les luttes ouvrières se développant, même les militants qui se réclamaient de lui ont mené des grèves et se sont organisés, ont ouvert un autre chemin.

Aux conceptions des socialistes utopiques qui voyaient la transformation de la société par l’adoption des plans géniaux qu’ils avaient pu concevoir, se substitue la lutte de classes réelle, les efforts des travailleurs pour limiter la concurrence entre eux pour faire face aux patrons, puis des engagements qui unissent l’ensemble des travailleurs contre la bourgeoisie, ce qui de fait donne une dimension politique à la lutte, en posant la question du pouvoir, non pas dans les élections mais dans la lutte de classes. C’est à travers ce développement de l’activité de la classe ouvrière que va se réaliser l’union entre le mouvement ouvrier et les idées du socialisme.

« L'Internationale a été fondée, écrivait Marx à Bolte en novembre 1871, pour mettre à la place des sectes socialistes ou semi-socialistes l'organisation réelle de la classe ouvrière. […] L'évolution du sectarisme socialiste et celui du véritable mouvement ouvrier vont constamment en sens inverse. Tant que les sectes se justifient (historiquement), la classe ouvrière n'est pas encore mûre pour un mouvement historique indépendant. Dès que celle-ci est arrivée à cette maturité, toutes les sectes sont essentiellement réactionnaires ».[3]

Nous sommes devant une nouvelle phase de développement du mouvement ouvrier, de sa renaissance à travers laquelle cette union entre le mouvement ouvrier et les idées du socialisme va trouver, inventer de nouveaux chemins pour peu que le marxisme retrouve sa jeunesse contestataire loin des caricatures ou de l’académisme pour se nourrir des forces vives de la contestation.

Tous les moyens sont bons pour y aider, y compris la participation aux élections et l’utilisation des institutions, que dénoncent nos camarades anarchistes, comme tribune d’agitation et de propagande, en aucun cas en laissant croire qu’il serait possible d’y agir pour changer la vie ou même quelque chose.

Par contre, toute action doit être envisagée dans l’objectif de rendre plus clairs et conscients l’intérêt et la nécessité de mener une lutte globale qui débouche sur la prise du pouvoir et la direction de la société par les travailleurs eux-mêmes. Et même lorsque, comme aujourd’hui, on n’en est pas encore là, chaque lutte catégorielle, locale, ou partielle, chaque combat politique doit s’inscrire dans cette préoccupation. Faire vivre publiquement cette perspective, contribuer à regrouper autour d’elle toutes celles et ceux qui s’y reconnaissent, courants ou individus, aidera à l’émergence d’un parti des travailleurs, révolutionnaire dans lequel marxistes et anarchistes, libertaires pourraient militer ensemble, débattre démocratiquement de leur politique et confronter leurs idées.

 

Galia Trépère

 

[1]https://fr.wikipedia.org/wiki/Socialisme_utopique_et_socialisme_scientifique

[2]Cité par Lénine dans l’État et la révolution, https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/08/er4.htm

[3]https://www.marxists.org/francais/marx/works/1871/11/kmfe18711123.htm

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