Castex, Véran, Blanquer, jouant les bateleurs de foire, ont à nouveau fait leur show pour confirmer, la mine grave, la fin de la limitation des déplacements à 10 km et la réouverture des écoles puis des collèges et lycées… sans que rien n’ait changé par ailleurs ! Les réanimations, et plus généralement les services hospitaliers continuent à déborder, les personnels exténués démissionnent à tours de bras. Les enseignants sont renvoyés au front sans plus de moyens, sans vaccination pour la grande majorité ni protection supplémentaire.

Les bonnes nouvelles sont pour les entreprises, garanties par Le Maire de continuer à « bénéficier du soutien des pouvoirs publics ». La possibilité qui leur a été donnée de souscrire des prêts garantis par l’Etat (PGE) est prolongée jusqu’à la fin de l’année. Elles pourront les utiliser pour rembourser leurs dettes… une cavalerie financière sans aucun risque pour les banques puisque l’Etat se porte garant, avec notre argent. Pendant ce temps, les licenciements, les annonces de fermeture continuent, dans l’automobile comme chez Bosch à Rodez, Man à Saint-Nazaire ou GFT à Blanquefort ; l’aéronautique comme chez les nombreux sous-traitant d’Airbus, le commerce, l’hôtellerie, le prêt-à-porter, etc. Sans compter les dizaines de milliers d’auto-entrepreneurs, artisans, commerçants et autres « indépendants » et précaires aujourd’hui sans travail. Des générations de jeunes arrivent sur le marché du travail sans trouver autre chose que quelques heures de caissiers, livreurs, manutentionnaires, brutalement confrontés à l’exploitation, à la violence sociale et au cynisme de cette société qui nourrissent l’inquiétude d’un lendemain difficile à imaginer et la colère, la volonté de changer les choses.

Les appareils politiques institutionnels sont eux focalisés sur les élections régionales et départementales dans deux mois avec en ligne de mire la présidentielle dans à peine un an, bien loin des priorités et préoccupations du monde du travail et de la jeunesse.

Samedi dernier 17 avril, ils étaient une vingtaine à avoir répondu à l’appel de Yannick Jadot (EELV). Verts de toutes les nuances, PS venus à 5, LFI représentée par Eric Coquerel (Mélenchon étant en « tournée » en Amérique latine), Génération.s, PCF, PRG, jusqu’à Matthieu Orphelin et Emilie Cariou, députés ex LREM, et Corinne Lepage, ex ministre de Chirac et Juppé passée elle aussi par LREM, il y avait du beau monde pour débattre à huis clos dans une ambiance parait-il « calme et tranquille ». Il n’y a pas eu de « fumée blanche » comme s’est empressé de le préciser Julien Bayou, rival de Jadot et candidat, de même qu’Eric Piolle, à la primaire écologiste à venir. Les participants ont convenu de se revoir en mai, scellant d’ici là un pacte de « non-agression ».

Jadot, qui en 2017 avait retiré sa candidature avant même le vote des militants au profit du vainqueur de la primaire PS, Hamon, voudrait aujourd’hui jouer un rôle plus glorieux à la faveur des nouveaux rapports de forces. Il défend un accord pour les législatives assorti d’un programme de gouvernement et d’un candidat commun en 2022… Quelques jours avant la réunion, il expliquait : « L'histoire ne nous pardonnera pas de ne pas avoir été à la hauteur des enjeux climatiques, sociaux et démocratiques. Le moment nous oblige à trouver tous les chemins du rassemblement pour ensuite entraîner et mobiliser autour d'un projet » ou, encore, « les marches, les manifestations, les tribunes ne seront pas suffisantes face aux périls » agitant le danger d’une extrême droite « victorieuse à la prochaine élection présidentielle ». Un argument qu’ils sont un certain nombre à agiter… au milieu des rivalités et appétits plus que jamais aiguisés. Jusqu’au PCF qui tente de planter dans le décor l’inconnu Fabien Roussel qui entend maintenir sa candidature à la Présidentielle « quoi qu'il en coûte » : « Si j'y vais, ce n'est pas pour décevoir et partir après avoir fait un petit tour de piste » assurant vouloir « mettre la gauche en orbite, il faut qu'elle fasse rêver de nouveau » … Gare quand même retour sur Terre !

Quant à leur meilleur ami à tous Jean-Luc Mélenchon, qui pendant la réunion jouait les leaders Maximo bravant le Covid outre Atlantique, il a pris soin d’annoncer sa candidature bien avant. Sa campagne est en route, des parrainages de maires à la création du réseau social « Action populaire », dont le nom sonne étrangement, en passant par ses visites en Bolivie et Equateur. Les derniers sondages, à prendre avec toutes les précautions d’usage vu les multiples inconnues et l’instabilité de la situation, le donnent à 8 % derrière Hidalgo (8 à 9 %) et Jadot à 10 %.

A défaut de ce que retiendra « l’histoire », ce sont bien ces rapports de force qui sont au centre des préoccupations et contorsions des un.es et des autres. Si pas une seule prise de parole ne se fait sans évoquer la possibilité d’un rassemblement pour 2022, deux pôles sont en cours de constitution : un « écolo-socialiste » et celui autour de LFI qui travaille sa posture « radicale » et ne craint pas de gauchir son apparence, entre autres par des accords avec une partie du NPA aux régionales en Occitanie et Nouvelle Aquitaine, tout en laissant grandes ouvertes les possibilités d’alliances et recombinaisons. Car derrière la prétendue intransigeance des un.es et des autres, les régionales illustrent abondamment la souplesse des échines et des « convictions ». De la liste rassemblant PS, EELV, PCF et LFI dans les Hauts de France… au ralliement de LFI à la liste que conduit l’ex-macroniste Orphelin en Pays de Loire, le feu d’artifice est coloré.

L’illusion institutionnelle

La liste conduite par Myriam Martin (LFI) en Occitanie à laquelle se sont rallié.es des militant.es NPA prévoit dans « l’accord politique » signé « une fusion au 2ème tour avec une autre liste pourra être envisagée si celle-ci permet de garantir la représentation de nos électeurs et la défense de nos propositions et si elle est nécessaire pour empêcher l’hypothèse d’une victoire de la droite ou de l’extrême-droite dans notre région » (c’est nous qui soulignons). Le prétendu rempart de la gauche n’a servi depuis des décennies qu’à tromper les travailleurs. Il a directement contribué au renforcement du Front national, propulsant Le Pen père au 2ème tour en 2002 après 20 ans de politiques anti-ouvrières orchestrées par la gauche au gouvernement. Un « barrage » transformé en tremplin.

Du gouvernement Mauroy en 1981 à celui de Jospin en 2002 (gouvernement, il est utile de s’en souvenir, qui à lui seul a privatisé plus que ceux de Balladur et Juppé réunis), toutes les nuances de cette gauche « plurielle » ont mis la main à la pâte de la casse libérale. Ils ont engagé avec méthode l’offensive contre les acquis qu’avait imposés le monde du travail au cours des « trente glorieuses ». Jusqu’à un certain Jean-Luc Mélenchon, entré dans le gouvernement Jospin en 2000 comme ministre délégué à l'Enseignement professionnel. L’animateur du courant oppositionnel de la Gauche socialiste avait jugé bon de rentrer dans le rang le temps d’engager la réforme de l’enseignement professionnel… Il expliquait alors sans état d’âme « Ce n'est pas plus dur d'être dans un gouvernement en étant en désaccord avec certaines choses que d'être dans un groupe parlementaire et de voter pour un texte alors que l'on est contre »…

Aujourd’hui, le duel annoncé Macron-Le Pen, que les sondages donnent pour acquis, et la « possibilité non négligeable » selon eux d’une victoire de la candidate RN, sont autant d’arguments pour ceux qui, à gauche, appellent à l’unité dans les élections. Au nom de la lutte contre « le danger fasciste » pour certains ou, plus prosaïquement, pour « empêcher l’hypothèse d’une victoire de la droite ou de l’extrême-droite ».

La question s’invite dans les débats militants et traverse les organisations, les syndicats, les collectifs de lutte, tou.te.s celles et ceux qui veulent agir pour changer le monde, éviter qu’il bascule un peu plus vers la catastrophe et s’interrogent.

Comment se rassembler, quelle unité construire, autour de quelles perspectives ? Comment faire face à la progression du bloc réactionnaire qui se réorganise, se répartit les rôles au service des classes dominantes, de Le Pen qui travaille sa « normalisation » et son profil de présidentiable à Darmanin qui l’estime trop « molle », Schiappa en croisade raciste et républicaine contre les pauvres au nom de la « laïcité », et bien d’autres qui brandissent haut le nationalisme, le patriotisme, la dévotion républicaine visant à lier les mains et les consciences des travailleurs ?

Une « alternative crédible » ?

« Le problème est que face à Macron, les forces antilibérales et anticapitalistes, ainsi que le mouvement ouvrier en crise, sont incapables de proposer une alternative crédible. C’est paradoxal alors que la critique du capitalisme est désormais audible largement » écrivent dans un texte publié par la revue Contretemps « 14 militants anticapitalistes participant ou ayant participé à Ensemble et ayant approuvé la participation à la France Insoumise ». Ces militants - qui ne signent pas nominativement - reprochent aux révolutionnaires et anticapitalistes, et entre autres au NPA, de ne pas suffisamment prendre la mesure du recul du mouvement social, de ce que « les grèves et les manifestations ne suffiraient pas à imposer une rupture et qu’il ne serait pas possible de contourner la politique institutionnelle et électorale ». « Pour nous, il est temps que les anticapitalistes rompent avec le commentaire politique stérile et les interminables débats stratégiques abstraits » expliquent-ils.

Leur texte n’en est pas moins intéressant car il illustre cet acharnement d’une fraction des anticapitalistes à demander aux « forces antilibérales » une « alternative crédible ». Une quête qui ressemble fort à celle du Saint Graal et qui illustre la grande difficulté de ces militant.es à prendre la mesure des bouleversements dans les consciences des opprimé.es, des travailleur.ses, des jeunes du monde entier, leur manque de confiance dans la capacité des exploité.es de prendre leurs affaires en main. Théorisant leur propre démoralisation, ils se réfugient dans la quête d’une alternative et d’une unité introuvable des « forces antilibérales et anticapitalistes ». Il n’y aura pas d’alternative raisonnable, « crédible » (pour qui d’ailleurs ?) à l’offensive capitaliste, à l’avidité des classes dominantes, à la folie de leur système dont le seul moteur est la recherche de profit, la reproduction du capital. Une folie qui engendre une crise majeure aux conséquences dramatiques pour les classes populaires du monde entier qu’accélère la pandémie.

C’est la même logique politique qui est à l’œuvre au sein de la principale fraction du NPA, dite « regroupement des 3 et 4 octobre », dont les animateurs sont membres de la section française de la IVème internationale (SFQI) dont sont également membres les animateurs d’Ensemble.

Le choix fait par cette fraction d’engager le NPA dans des alliances avec LFI en Occitanie et en Nouvelle Aquitaine, par-delà l’absence de processus démocratique de décision et l’opposition de très nombreux camarades du parti, relève du même manque de confiance dans les travailleurs et leurs luttes comme dans nos idées.

Ces camarades écrivaient en décembre dernier « Nous souhaitons dès maintenant, comme la LCR l’avait fait en son temps, lancer un projet de dépassement ou de refondation du NPA » [1]. Force est de constater que ce prétendu « dépassement » se fait dans des alliances avec LFI sur des bases politiques qui rompent avec les textes fondateurs du NPA et ses délimitations avec lesquelles, justement, plusieurs courants ex-NPA ont rompu pour rejoindre LFI, dont celui de Myriam Martin, aujourd’hui tête de liste LFI-NPA en Occitanie, qui entend « constituer une alternative à la gestion de la majorité régionale sortante ».

Il ne peut y avoir d’alternative à la politique des Macron et consort, pas plus qu’à celles des exécutifs régionaux autre que l’alternative qu’imposera l’affrontement de classe, l’exigence déterminée des premiers de corvée, des 99 % qui font tourner la société, postulant à en prendre le contrôle, contestant le pouvoir à la finance, à la minorité parasite qui pille les richesses produites, pour le mettre au service de l’intérêt collectif. Une « alternative » par et pour les opprimé.es eux-mêmes qui s’inscrira loin des alcôves institutionnelles.

Travailler à l’unité des travailleur.ses, c’est travailler à celle des révolutionnaires

Le monde du travail, les premier.es de corvée, la jeunesse, les classes populaires sont chaque jour davantage confrontés à la violence capitaliste, à la catastrophe économique, sociale, sanitaire, écologique, démocratique et morale qu’il engendre.

La révolte sourd de tous côtés. Une révolte qui s’exprime dans les luttes, même si celles-ci restent encore hésitantes et le fait de minorités. Une fraction des exploité.es, des opprimé.es, reprend confiance dans son bon droit et dans la capacité à s’organiser, à prendre en main les affaires de la collectivité.

Le mouvement des Gilets jaunes a donné la mesure des bouleversements en cours, des possibles. Passant par-dessus la paralysie et l’apathie des organisations syndicales et de la gauche, des salariés, des mères de famille, des chômeurs, jeunes et moins jeunes, ont trouvé l’énergie, la détermination, la confiance nécessaires pour occuper les ronds-points, s’organiser, se regrouper à des dizaines de milliers dans toutes les villes du pays, faisant face à la violence d’Etat. Ils ont rendu leur révolte et leur confiance contagieuses et ont fait entendre leur voix sans filtre institutionnel. Ils ont profondément changé la donne, la perception de la lutte pour des millions de travailleur.ses qui ont participé ou se sont solidarisés du mouvement.

La jeunesse lycéenne, collégienne, s’est mobilisée et organisée dans le monde entier contre les ravages écologiques du capitalisme, portant haut et fort l’exigence d’une autre société, d’un autre mode de production. Les mouvements féministes et MeToo ont contribué à libérer la parole des femmes, des victimes de viols, d’inceste, entraînant dans le monde entier un vaste mouvement de contestation du machisme, du patriarcat et du capitalisme. Le mouvement Black Lives Matter a essaimé lui aussi dans de très nombreux pays, faisant se lever des millions de jeunes, de femmes, d’hommes contre les violences policières, le racisme, la ségrégation de sociétés profondément marquées par le colonialisme…

C’est à l’unité et à la cohérence de ces mouvements, de ces révoltes, de ces aspirations qu’il est urgent qu’œuvrent les militants anticapitalistes et révolutionnaires, contre les tentatives de dévoiement sur le terrain institutionnel pour leur donner, au contraire, toute leur portée émancipatrice et révolutionnaire.

La question du nécessaire contrôle des travailleurs sur la société, sur la production et la distribution des richesses qu’ils produisent est posée avec acuité aujourd’hui. La crise sanitaire, la pénurie de vaccins, l’opacité de leur élaboration et production, la concurrence criminelle que se livrent les multinationales de Big pharma et les Etats, éclairent à eux seuls la nécessité de ce contrôle ouvrier et populaire.

Œuvrer à l’unité de notre classe en portant la perspective révolutionnaire, la perspective socialiste et communiste, ne peut se faire sans œuvrer avec la même conviction et détermination à l’unité des révolutionnaires, confrontant démocratiquement au sein de la lutte de classe elle-même les conceptions, les orientations, les pratiques différentes au lieu de se réfugier dans le sectarisme auto-satisfait si répandu.

Une telle politique n’est pas affaire de proclamation, de bluff gauchiste, sa crédibilité se juge dans le travail pratique pour unir nos forces.

Personne ne peut se satisfaire de l’incapacité des militant.es et courants révolutionnaires de porter ensemble, dans les élections régionales de juin, une orientation d’indépendance de classe, révolutionnaire, portant un programme pour les luttes et pour le contrôle des travailleurs sur la société. Nos camarades de Lutte Ouvrière ont su se donner les moyens d’être présents dans ces élections mais soucieux uniquement de leur propre construction, abdiquant d’avoir une politique vis-à-vis de l’ensemble des militant.es révolutionnaires et anticapitalistes. Nous appellerons partout, comme une grande partie des militants du NPA, à voter pour leurs candidats, sur la base de notre propre campagne et en portant cette exigence qui devrait s’imposer à tous, œuvrer concrètement au rassemblement démocratique des révolutionnaires.

Isabelle Ufferte

 

[1] https://nouveaupartianticapitaliste.org/opinions/vie-interne/un-parti-pour-lunite-dans-les-luttes-et-pour-la-rupture-anticapitaliste-et

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to Twitter

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn