Le contraste est saisissant : alors que la situation sociale, sanitaire, économique et politique illustre la faillite capitaliste, que les institutions sont plus que jamais décrédibilisées à l’image des vieux partis qui se sont relayés au pouvoir depuis les années 80, le petit monde politicien s’agite, les yeux rivés sur l’agenda électoral. Combien de candidats à droite et à gauche à la Présidentielle, primaires ou pas ? Les Régionales auront-elles bien lieu en juin ? Le suspense est insoutenable et droite et gauche y vont chacune de leurs déclarations offusquées face à un éventuel report, jusqu’à un communiqué commun des présidents de régions toutes couleurs confondues. Les uns s’accrochent à l’espoir de maintenir leurs élus, d’autres salivent à l’idée d’en obtenir ou d’augmenter leur nombre. A gauche, les différents morceaux plus ou moins de « gauche » s’agitent et négocient, oscillent entre rivalités et amabilités… et se distribuent les postes espérés dans les arrières salles institutionnelles avec, en ligne de mire, Présidentielle et Législatives. Bien sûr le tout enveloppé des meilleurs sentiments. Quant à Macron, il se félicite. Bienvenue dans leur « monde d’après » !

Une crise sanitaire sans fin qui précipite la débâcle économique

La pandémie a officiellement fait 2,8 millions de morts dans le monde, dont plus de 300 000 pour le seul Brésil, près de 95 000 en France. Et combien de morts d’autres maladies qui n’ont pu être prises en charge à temps du fait de la paralysie des systèmes de santé ?

La catastrophe rend d’autant plus révoltant le scandale des brevets qui protègent les profits faramineux de Big Pharma et interdisent la production et la diffusion massives des vaccins. Ces brevets, de plus en plus contestés, symbolisent à eux seuls le caractère profondément rétrograde et criminel de la propriété capitaliste. Nombre de médecins dans le monde, d’associations, de collectifs en demandent la suspension. Jusqu’à la très officielle Conférence nationale de santé, organisme consultatif auprès du ministre chargé de la santé, qui « recommande » dans un récent rapport à propos des vaccins : « les pouvoirs publics doivent pouvoir assurer leur fabrication sur des chaînes de production industrielle relocalisées. Ceci peut impliquer qu’un recours au système des licences d’office soit mis en œuvre ». Ce système, qui permet exceptionnellement l’utilisation temporaire d’un brevet sans autorisation du propriétaire, les Etats se refusent à l’employer, arc-boutés dans leur défense de la sacro-sainte propriété.

Alors le gouvernement navigue à vue, en France comme partout ailleurs, sans autre politique que de restreindre toujours plus la vie privée en préservant les affaires et les profits. Les interventions de Véran, Macron ou Attal s’enchaînent et se contredisent, plus personne ne leur accorde le moindre crédit. Macron n’a aucun « remord », la belle affaire… Castex, lui, appelle à ne pas chasser les œufs à Pâques !

Face à la flambée épidémique, aux services de réanimation engorgés, les autorités sanitaires annulent hospitalisations et interventions (jusqu’à 80 % en Ile de France) pour libérer des lits. Des milliers de malades n’ont plus accès à l’hôpital. Dans une tribune publiée dimanche, 40 directeurs médicaux de l’APHP dénoncent : « Dans les quinze prochains jours […] nous savons d’ores et déjà que nos capacités de prise en charge seront dépassées […] nous serons contraints de faire un tri des patients afin de sauver le plus de vies possible ». Ils assurent n’avoir « jamais connu une telle situation ».

Et la catastrophe sanitaire accélère et accentue la faillite économique. De nombreux secteurs sont à l’arrêt et les capitalistes assèchent les fonds publics tout en accentuant l’exploitation pour maintenir leurs profits. La dette publique française a atteint 115,7 % du PIB en 2020, un chiffre jamais atteint depuis 1949. Les annonces de plans sociaux se multiplient, les travailleurs et les classes populaires paient déjà un très lourd tribut dans le monde entier.

« Le constat était prévisible écrit le journal Le Monde. Il n’en donne pas moins le vertige : la crise économique liée à la pandémie de Covid-19 et aux restrictions sanitaires a fait grimper la pauvreté […] Les chercheurs estiment à 803 millions le nombre de personnes pauvres en 2020 [vivant avec moins de 2 dollars (1,6 euro) par jour], soit 131 millions de plus que ce que l’on aurait observé sans la pandémie ».

La révolte sociale

La situation provoque désarroi et colère. Un an de restrictions, de confinements en couvre-feu, de vie sociale amputée, d’études interrompues, de dégradation des conditions de travail et d’explosion de la précarité, de chômage partiel ou total ont changé la perception des choses et de l’avenir chez beaucoup.

La contestation des classes dominantes s’exprime dans les nombreuses mobilisations. Lutte des travailleur.ses de la culture qui occupent les théâtres un peu partout en France pour dénoncer la précarité et la réforme du chômage, défendre le droit d’accès de tou.tes à la culture et à l’art ; mobilisations contre les plans sociaux ; luttes contre la précarité dans les entreprises, dans l’Education nationale avec les AED ; pour l’emploi et les salaires à la Poste ; lutte des travailleurs sociaux, des enseignants, des étudiants, des personnels de santé… la liste des colères est longue même si elles se retrouvent rarement en une des journaux.

La révolte sociale se mesure aussi au succès des mobilisations qui ont eu lieu le 8 mars où étaient dénoncés avec une même vigueur le machisme et le capitalisme ; dans celles des étudiants contre la précarité alimentaire, économique ; dans les mobilisations pour le climat ce week-end ; contre les lois liberticides et réactionnaires, la violence policière ; pour le droit au logement ; dans les manifestations de solidarité et les nombreux engagements quotidiens aux côtés des migrants... De nombreux collectifs militants continuent ou recommencent à prendre des initiatives dans lesquelles se retrouvent militants syndicaux, Gilets jaunes, collectifs de précaires, jeunes au coude à coude… La contestation imprègne l’ensemble de l’activité sociale, des travailleur.ses, de la jeunesse de façon plus ou moins visible et démonstrative en fonction des secteurs et des possibilités.

Partout, des basculements ont lieu dans les consciences, même si pèse le poids du confinement, des multiples contraintes dans cette période de trouble et de confusion politique.

Discrédit des partis institutionnels, faillite du mythe du front républicain, l’extrême-droite creuse son sillon

Face au discrédit des partis institutionnels, tous les politiciens jurent de faire du neuf, d’œuvrer au « bien commun ». Tel Xavier Bertrand, pilier de l’ex-UMP et de LR, ministre dans les gouvernements de Villepin et Fillon, actuel président de région des Hauts-de-France, qui vient de déclarer sa candidature à la Présidentielle « par devoir, parce que j'estime qu'au moment où nous sommes, le choix ce sera entre le déclin, et le redressement de mon pays ». Désormais « au-dessus des partis » il prétend parler au nom du peuple : « Je n'oublie pas d'où je viens. Agent d'assurances à Flavy-le-Martel, ce n'est pas la même chose que banquier d'affaires à Paris ou héritière ». Darmanin, lui, rappelait il y a peu ses origines immigrées face à Le Pen… Tout fait ventre.

C’est que trois sondages récents donnent Le Pen en tête au 1er tour devant Macron, qui serait vainqueur au second. Si tant est que les sondages à un an, dans une situation aussi instable que celle que nous vivons, puissent avoir le moindre crédit. Ils suffisent cependant à tou.tes celles et ceux qui tentent de raviver les peurs pour justifier de voter pour eux, les uns en rivalisant de démagogie raciste, les autres en essayant de se gauchir.

A droite et au gouvernement, c’est la surenchère réactionnaire, les envolées, de Vidal à Valeurs Actuelles, sur l’« islamo-gauchisme », l’offensive nauséabonde contre l’Unef ou encore la campagne antimusulmans suscitée par l’octroi de fonds publics à la construction d’une mosquée à Strasbourg, dans cet empire alsacien du « Concordat » où les finances publiques participent « naturellement » au financement des autres cultes…

Face à ce bloc réactionnaire, l’illusion du « front républicain » faisant « rempart » à l’extrême droite s’est largement effritée. La moitié des électeurs de gauche s’abstiendraient cette fois en cas de duel Macron-Le Pen. Un « argument » que les différents aspirant.es candidat.es à gauche tentent d’utiliser pour se propulser « meilleur.e opposant.e » à la droite et à l’extrême-droite… en gauchissant leur langage.

La gauche dans tous ses états...

Les tractations à gauche vont bon train et leur vertu a permis d’accoucher d’un accord grand angle dans les Hauts-de-France, ripolinant jusqu’au PS aux côté d’EELV, du PCF et de LFI. « Nous faisons union pour rompre l'emprise suffocante que l'extrême droite exerce sur les Hauts-de- France et tente, depuis notre région, d'étendre à l'ensemble du territoire national » expliquent les signataires qui précisent « C'est forts de nos valeurs communes et conscients de nos différences que nous faisons union pour la justice sociale et climatique, union pour la défense du service public et de l'emploi, union pour la transition écologique et la réinvention de notre modèle industriel, union pour la refondation de notre modèle démocratique ». Roulez tambours.

En Ile de France, l’accord est plus modeste, Clémentine Autain n’a réussi à allier que LFI et PCF mais appelle à une union de la gauche au second tour : « Je suis la seule à avoir dit extrêmement clairement que si je suis la première à gauche, je consacrerai toute mon énergie à ce qu’il y ait rassemblement », ce à quoi Julien Bayou d’EELV a répondu en proposant « d’explorer les conditions d’un rassemblement dès le premier tour ». Audrey Pulvar, tête de liste PS, a quant à elle assuré regarder « leurs campagnes et leurs propositions avec beaucoup d’intérêt et je ne doute pas qu’un jour, nous nous retrouverons pour discuter ».

En Nouvelle Aquitaine, LFI et sa tête de liste, Clémence Guetté, n’ont réussi qu’à agréger quelques militant.es et sympathisant.es du NPA autour de Philippe Poutou, devenu -sans l’ombre d’un débat dans le NPA Nouvelle Aquitaine ou national !- un des porte-parole de la liste… Une liste intitulée « On est là », qui détourne sur le terrain institutionnel un symbole des Gilets jaunes. Mais «  » aussi, la situation est on ne peut plus ouverte, ce qu’explique sans détour le directeur de campagne de la liste anticipant une « probable » alliance avec EELV au second tour : « Nous serons comme toujours dans une position de responsabilité », concluant « Rendez-vous au soir du premier tour ».

En Occitanie, la tête de liste EELV, Antoine Maurice, a finalement repoussé ces derniers jours les avances de LFI qui n’en insiste pas moins : « nous avons pu vérifier une très large convergence en terme de programme. Aucun désaccord majeur entre nos deux projets régionaux n’a été constaté […] Myriam Martin et Manuel Bompard ont réaffirmé qu’ils étaient prêts à renoncer à la tête de liste si cela permettait de constituer une liste de rassemblement […] nous ne nous résignons pas à une situation de division. Nous poursuivons la construction d’une liste de rassemblement, en restant disponible pour permettre la convergence avec la liste conduite par Antoine Maurice ». Celui-ci a fait savoir en retour qu’il ne fermait pas la porte à LFI et au PS… au second tour.

La politique et le programme de LFI, que Clémence Guetté, très proche de Mélenchon, a été chargée de coordonner en vue de la Présidentielle, est limpide. Derrière les formules de circonstances, l’objectif est de reconstituer le puzzle de la gauche. Comme l’explique Mélenchon, « il y a un moment où les pièces devront s’emboîter à nouveau »… et de préférence derrière sa personne. C’est le sens de sa proposition à EELV : « il reste 6 régions, acceptez qu'il y ait une région avec une tête de liste insoumise et on vous cède les têtes de listes dans les autres », enfonçant le clou sur France Inter : « Nous avons fait la preuve dans les Haut-de-France que nous, insoumis, sommes le plus grand dénominateur commun et que nous sommes capables de nous entendre avec tout le monde, avec des Verts, avec des communistes et même avec le NPA »… du moins un petit morceau.

S’enfermer dans le possible de la gauche… ou rester fidèle à la perspective de la révolution par et pour les exploité.es ?

La question est bien là pour les militants anticapitalistes et révolutionnaires : s’accrocher à la gauche pour exister, quel que soit le qualificatif qu’on lui accole, ou bien œuvrer au rassemblement des anticapitalistes et des révolutionnaires en rupture avec les illusions et les appareils réformistes et institutionnels, oser porter la perspective de la révolution par les exploité.es eux-mêmes

Au journaliste de France Bleu qui lui demandait : « le NPA s’allie avec LFI, est-ce que c’est vraiment un rapprochement naturel ? », Philippe Poutou, invité comme porte-parole de la liste On est là et de Clémence Guetté, répondait « il y a une cohérence […] on veut exprimer la colère qu’on exprime dans la rue, exprimer le fait qu’il faut que ça change, essayer de le faire dans une élection, de prendre la parole » et, plus loin, « L’élection, c’est le moyen de montrer qu’une autre politique est possible […] Oui, on veut prendre des places et dire ça doit changer avec une politique radicale qui s’en prenne aux fortunés, à tous ceux qui dirigent depuis très longtemps ».

Comme si cela ne faisait pas des décennies que la gauche appelle à voter pour elle en promettant une « politique radicale s’en prenant aux fortunés ». Mitterrand n’avait pas hésité, au congrès d’Epinay en 1971, à apostropher ses troupes : « Celui qui n'accepte pas la rupture avec l'ordre établi, avec la société capitaliste. Celui-là, je le dis, ne peut pas être adhérent du Parti socialiste »… Hollande, en 2012, avait plus modestement assuré « Mon adversaire, c’est le monde de la finance ».

Aujourd’hui, Mélenchon et LFI ont une « cohérence » limpide et assumée : ils passent des accords en fonction des rapports de forces et des calculs électoraux avec 2022 en ligne de mire. Du PS ici à l’ancien candidat NPA à la Présidentielle là si ça peut permettre de glaner quelques % de voix et des postes ou bien d’être en meilleure position pour négocier au second tour ce dont LFI ne fait pas mystère. Le seul engagement de la liste « On est là » est de ne pas s’allier avec le PS sortant, Rousset (qui est par ailleurs sous le coup d’une enquête pour suspicion de détournement de fond public). Mais tout est très ouvert avec le candidat EELV, actuel vice-président du même Rousset… Les camarades autour de Philippe Poutou, comme ceux qui espèrent encore un accord identique en Occitanie, peuvent toujours essayer de regarder ailleurs, la réalité et les logiques politiques n’en ont que faire.

Le monde du travail, les classes populaires ont payé cher les illusions institutionnelles et électorales, l’espoir d’une « gauche » qui changerait les choses, incapable de tenir le peu de promesse qu’elle s’était risquée à faire, toujours prête aux retournements.

Un programme pour changer le monde

Alors oui, il faut utiliser le terrain électoral, même s’il est un des rouages de la domination de la bourgeoisie, mais comme tribune révolutionnaire. Plus que jamais il nous faut y contester la dictature du capital, la catastrophe dans laquelle nous précipite la soif de profits d’une minorité parasite, y porter un programme pour nos luttes, pour que les opprimé.es prennent en mains eux-mêmes la direction de la société. Cela ne peut se faire qu’en toute indépendance de la gauche institutionnelle, de ses différents morceaux riches d’anciens ministres et secrétaires d’État et qui participent à des exécutifs régionaux, départementaux ou métropolitains dont la politique a peu à envier à celle de la droite.

Il nous faut oser porter partout où c’est possible la perspective révolutionnaire, communiste et socialiste, y compris dans les institutions si on peut y avoir des élus. Des militants révolutionnaires l’ont fait et continuent à le faire dans un certain nombre de communes. D’autres, dont Arlette Laguiller et Alain Krivine, ont fait entendre une voix révolutionnaire au sein du Parlement européen de 1999 à 2004 après une campagne commune LO-LCR.

Alors que jamais l’impasse capitaliste n’a été aussi évidente à la classe ouvrière et à la jeunesse du monde entier, que la conscience de l’urgence de changer le monde n’a jamais été aussi grande, la responsabilité des révolutionnaires est importante. Et on ne peut que regretter que dans le cycle électoral qui démarre, les révolutionnaires n’aient jusque-là pas été en mesure de se regrouper pour porter ensemble cette perspective, en toute indépendance et en rupture avec les politiques institutionnelles.

Ce nécessaire regroupement est inscrit dans la logique et les nécessités de l’heure. Il est de la responsabilité commune des différents courants révolutionnaires aujourd’hui de s’adresser à tous ceux qui, dans la classe ouvrière, dans la jeunesse, parmi les classes populaires contestent le capitalisme et cherchent des perspectives pour une autre société.

Le débat est incontournable. Militant.es du NPA, de LO, du mouvement libertaire, anticapitalistes et révolutionnaires… nous avons besoin de prendre ensemble la mesure de la période, de confronter nos analyses, nos pratiques, nos expériences et poser les bases d’un programme pour et par les luttes des travailleur.ses et des opprimé.es, portant la perspective un monde débarrassé de l’exploitation et de la domination de classe, la perspective socialiste et communiste.

Isabelle Ufferte

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