Mardi dernier, le jour même où les députés votaient à une écrasante majorité sa loi sur les « principes de la République », Macron annonçait à l'issue du sommet du G5 Sahel le maintien des 5100 soldats français de l'opération Barkhane en Afrique. Ainsi sont orchestrés, au nom de la lutte contre le terrorisme, les deux volets d’une même offensive, contre les travailleurs et les peuples. En faisant discuter et approuver ses lois liberticides et discriminatoires à l’égard des musulmans, en cherchant à faire taire toute opinion contestataire en la qualifiant d’islamo-gauchiste, le gouvernement cherche à semer dans l’opinion publique le poison raciste de la division et de la délation. Il crée un climat d’hystérie réactionnaire propice aux apprentis fascisants comme ce professeur de philosophie à Trappes qui a accusé sa ville d’être gangrenée par l’islamisme et a reçu le soutien de toute l’opinion réactionnaire dont celui de Blanquer.

Les classes dirigeantes retournent les conséquences de leur politique militariste et guerrière au service des multinationales, terreau du terrorisme, contre les travailleurs et la population.

Hollande et Macron fauteurs de guerre et de terrorisme

C’est François Hollande qui avait pris l’initiative en janvier 2013 d’envoyer des troupes françaises au Mali, la plus grande opération militaire depuis la guerre d’Algérie, pour stopper, prétendait-il, l’offensive d’une colonne jihadiste lancée depuis le nord désertique du pays vers Bamako, la capitale du Mali, située dans le sud beaucoup plus peuplé et moins pauvre. Le 2 février 2013, il se faisait filmer en chef de guerre devant les troupes françaises à Bamako et Tombouctou au milieu d'une foule en liesse. La population malienne manifestait son soulagement de voir repoussées les bandes jihadistes qui semaient la terreur dans le Nord du pays. On apprendra bientôt que cette « offensive » avait été délibérément grossie par le gouvernement Hollande, les jihadistes ayant réellement fait mouvement vers le sud, mais seulement pour prendre la ville de Konna à plus de... 600 Kms de Bamako. Le gouvernement malien ayant fait appel à la France, une résolution de l’ONU couvrit l’opération. Tout la classe politique française, sans exception, approuva le principe de l'intervention et quand, au mois d’avril, le gouvernement fit voter au Parlement la prolongation de l’opération Serval, il n’y eut aucun vote contre, seul le Front de gauche se contentant de s’abstenir. Un an et demi plus tard, le 1er août 2014, celle-ci devint l'opération « Barkhane » en s’étendant aux cinq pays qui forment le G5 Sahel, le Tchad où elle prit le relais de l’opération Epervier pour sauver le pouvoir du dictateur Idriss Déby en difficultés, la Mauritanie, le Burkina Faso, et le Niger en plus du Mali, une zone éminemment stratégique à cause des précieuses mines d’uranium du Niger qui approvisionnent Areva, des mines d’or exploitées au Mali par des sociétés canadienne et sud-africaine et sans doute aussi à cause de ses frontières communes avec les pays du Maghreb dont les classes dirigeantes craignent les révoltes populaires.

Aujourd’hui, l’euphorie d’une victoire facile et populaire en 2013 a laissé place à la réalité, l’enlisement, les violences endurées par les populations, la misère, les exactions de seigneurs de guerre, jihadistes comme armées gouvernementales corrompues, se livrant aux mêmes genres de trafics, drogues, cigarettes, migrants, prises d’otages... Loin d’avoir disparu, les groupes terroristes qui avaient fusionné avec des mouvements rebelles déjà existants comme les Touaregs, se sont renforcés à la faveur de la décomposition de l’État. Ils ont recruté des jeunes poussés à s’engager par leur haine pour les troupes françaises qui permettent le maintien des cliques au pouvoir détestées, une manière aussi, souvent, de s’assurer les moyens de survivre. En janvier 2020, le gouvernement a décidé après une réunion du G5 Sahel à Pau d'envoyer 600 soldats français supplémentaires sur place et d’intensifier les opérations militaires qui ont, d'après les dires de Macron, « montré leur efficacité ». Selon des sources militaires, 1200 à 1500 jihadistes auraient été tués depuis un an. Et combien de centaines, voire de milliers de civils, comme ces villageois de Bounti qui le 3 janvier dernier ont été bombardés par deux Mirage 2000. Bilan 19 morts et 8 blessés. Ou de terroristes ou présumés tels exécutés en nombre par les troupes gouvernementales…

« L’année 2020 a été la plus meurtrière pour les civils au Sahel, avec près de 2 400 victimes au Burkina Faso, au Mali et au Niger, selon les données du site Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled), témoigne dans une tribune publiée par le Monde le 14 février dernier, le militant des droits humains Drissa Traoré. Pas une semaine ne passe sans que nous soyons alertés sur de nouvelles attaques. Les violences ont entraîné le déplacement forcé de plus de 2 millions de personnes ».

Tout est permis au nom de la lutte contre le terrorisme devenu la justification d’un emploi de la violence hors de toute règle et de toute autre justification. Hollande en a saisi l’occasion comme l’explique Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherche à l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) : « Au cours de la seule année 2013, ils [Hollande et son ministre de la Défense, Le Drian] ont ainsi lancé les opérations Serval au Mali, puis Sangaris en Centrafrique. En 2014, l’armée française devait ensuite élargir son champ d’action au Tchad, au Niger, au Burkina Faso et à la Mauritanie. Officiellement, son mandat au Sahel était uniquement de lutter contre les groupes qualifiés de terroristes. En pratique cependant, elle a aussi conforté le pouvoir de présidents parfois corrompus et autoritaires, par exemple en allant dans le nord du Tchad en 2019 stopper la progression de rebelles qui n’avaient rien de jihadistes ».

A l’issue du G5 Sahel, Macron a parlé de reconstruction et de développement, mais il ne fait que préparer les marchés qu’il compte offrir aux groupes capitalistes comme Bouygues, Bolloré et d’autres. Alors que l’opération Barkhane coûte au minimum 1 milliard d’euros par an, l’aide au développement ne dépasse pas les 100 millions d’euros.

Les guerres du capital mondialisé, terreau du terrorisme

En 2013, le gouvernement Hollande avait fait accepter l’intervention militaire au Mali en affirmant neutraliser ainsi des risques d’attentats en France. Le 1er février dernier, pour préparer l’annonce du maintien des troupes françaises au Sahel, le patron des services secrets Bernard Emié a fait état publiquement de semblables menaces : « Depuis le Mali, les terroristes réfléchissent à des attaques dans la région et en Europe », a-t-il affirmé présentant à l’appui de ses propos une vidéo montrant une réunion des principaux chefs des groupes terroristes du Sahel. Une mise en scène mensongère visant à manipuler l’opinion.

Le gouvernement est plus discret sur ses liens avec la monarchie wahhabite d’Arabie saoudite qui impose la charia à sa population et finance les courants islamistes les plus réactionnaires à travers le monde. Alors que les Etats-Unis et l’Italie viennent d’annoncer qu’ils suspendaient leurs ventes d’armes à la dictature saoudienne à cause de la guerre barbare qu’elle mène au Yémen contre les rebelles Houthis et leurs alliés, la ministre des armées Florence Parly, interrogée sur le sujet, répond n’avoir aucune information sur le fait que les armes vendues par la France, classée troisième fournisseur mondial de l’Arabie saoudite, provoqueraient la mort de civils. L’indignation de ces gens-là est à géométrie variable, leur cynisme sert les intérêts des groupes capitalistes qu’ils défendent.

Pendant des décennies après la deuxième guerre mondiale, les courants intégristes islamistes furent les alliés privilégiés des puissances impérialistes, États-Unis en premier lieu qui les financèrent et les soutinrent contre les régimes nationalistes se réclamant ou non d’idées socialistes et contre les révoltes populaires. L’Arabie Saoudite était et reste un des alliés les plus importants des États-Unis, avec l’état d’Israël, au Moyen-Orient. Avant de se retourner contre ses maîtres, Ben Laden et les combattants islamistes qui formèrent ensuite Al Qaida servirent les Etats-Unis en Afghanistan contre l’occupation « soviétique ». Ils rompirent avec les « Occidentaux » au moment de la Guerre du Golfe en 1990-91, lorsque les troupes de la coalition formée par les États-Unis contre l’Irak de Saddam Hussein s’installèrent sur les « lieux saints » en Arabie Saoudite. Auparavant en 1979, les intégristes chiites s’étaient imposés pour contrôler et soumettre la révolution qui renversa le shah, dictateur grand ami des USA. Tout en réprimant férocement les militants ouvriers, les femmes et toute contestation démocratique, les ayatollahs dévoyèrent la révolte contre l’impérialisme américain en anti-occidentalisme obscurantiste.

L’influence des islamistes jusque-là marginale auprès des populations se renforça à proportion du discrédit des régimes issus des révolutions anticoloniales et des idées dont ces derniers avaient pu se réclamer à la faveur de la caricature monstrueuse que le stalinisme avait fait du communisme et du socialisme. En Algérie, en 1991, le Front islamique de salut allait gagner les élections avant que l’armée n’annule celles-ci. La guerre civile qui s’ensuivit entre les groupes du GIA (Groupe islamique armé) et l’armée dura dix ans pendant lesquels la population fut prise en étau entre les deux camps et la terreur que chacun exerçait contre toute aspiration démocratique et progressiste.

Le 11 Septembre 2001 et la « guerre contre le Mal » déclenchée par Bush fils furent le véritable tournant dans la situation internationale. Pour maintenir leur domination sur le monde dont l’équilibre avait été rompu à cause de l’effondrement de l’URSS, les États-Unis engagèrent une offensive qui les amena à déployer leurs troupes dans une zone allant de l’Afghanistan aux pays du Maghreb, à solliciter leurs alliés et faire pression sur eux, désigner les cibles à abattre, d’abord Ben Laden et le régime des Talibans en Afghanistan puis à nouveau l’Irak en 2003 sous le prétexte fallacieux que Saddam Hussein détenait des « armes de destruction massive ».

La propagande américaine affichait comme objectif de guerre, « la démocratisation du Moyen-Orient ». Bilan, l’Irak fut détruit, son État démantelé, les divisions intérieures exacerbées. La guerre ne fit que fortifier la haine contre les armées d’occupation, les officiers et soldats démobilisés constituèrent les cadres militaires de ce qui devint plus tard Daech, les armements disséminés. Même bilan de destructions, de morts, de haine en Afghanistan et en 2011, en Libye, après une intervention conjointe des USA, de la Grande Bretagne et de la France pour renverser le dictateur Kadhafi.

Face aux réactionnaires de toutes les obédiences, l’union des peuples, la solidarité internationale

Maître d’œuvre de la campagne d’hystérie contre les musulmans, Darmanin voit dans l’islam le terreau du terrorisme, pour mieux occulter la responsabilité de l’État français, sous la houlette des USA, dans ce qui en est une des principales causes, les guerres des grandes puissances qui ravagent des pays entiers pour assurer la perpétuation de l’exploitation capitaliste à travers le monde. Elles apportent les aliments idéologiques aux forces religieuses intégristes qui veulent dominer les populations et participer aux pillages des richesses, avoir leur part du festin.

Le terrorisme islamiste fait considérablement plus de morts dans les pays musulmans, au Pakistan, en Afghanistan, en Turquie, dans les pays du Moyen-Orient, moyen de soumettre les populations et les plier à la morale religieuse et obscurantiste, qu’en Europe ou aux États-Unis. Les monstrueux attentats commis par les terroristes islamistes sidèrent l’opinion parce qu’ils introduisent la violence de la guerre dans des pays dont les classes dirigeantes mènent des interventions militaires au loin. Macron et son gouvernement, comme l’avaient fait Sarkozy et Hollande, instrumentalisent l’horreur et l’émotion qu’ils provoquent pour tenter de façonner les opinions publiques à leur main en leur inculquant la peur et la soumission, pour susciter le zèle réactionnaire d’apprentis fascistes contre les musulmans, étouffer toute opinion contestataire en la qualifiant d’islamo-gauchiste. Une sinistre mise en scène qui contribue à exacerber les tensions et les haines au bénéfice des intégristes de tous bords.

Partout dans le monde, la déroute du capitalisme, son incapacité à faire face à la pandémie s’accompagne d’une offensive réactionnaire pour étouffer la révolte des populations. Nationalisme et racisme, obscurantisme religieux, complotisme, violences policières et militaires sont leurs armes naturelles.

La lutte pour vivre dignement, les aspirations démocratiques, la solidarité, la conscience que les seules richesses sont produites par le travail humain et la coopération suscitent, face au parasitisme des classes dirigeantes, leur propagande mensongère et leur arrogance, une révolte qui fait son chemin, et s’exprime partout à travers le monde contre les classes dominantes et leurs serviteurs quelle que soit la religion dont ils s’affublent pour tenter de justifier leurs crimes.

Galia Trépère

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