Le personnel politique des classes dominantes rivalise dans la stigmatisation des pauvres, des travailleurs, des jeunes, des immigrés. Le racisme antimusulman s’étale, décomplexé, dans tous les journaux télés et en prime time, de C8 à France 2. A à peine plus d’un an de la Présidentielle et des Législatives, c’est à qui sera le plus « crédible », le plus à même d’instrumentaliser les préjugés pour tenter de dévoyer les colères que nourrissent les conséquences dramatiques du parasitisme des classes dominantes, leur violence et leur cynisme.

Le débat Le Pen-Darmanin jeudi, entre connivences, amabilités et rivalités a donné la mesure de l’offensive en cours et de la course engagée pour savoir qui prendra le leadership du bloc réactionnaire. Darmanin a fait le boulot pour son mentor, tenté de neutraliser Le Pen que des sondages, même s’ils sont à prendre avec précaution, placent au plus haut. Sans oublier de jouer sa propre carte, il s'est mis sur les rangs des postulants à la direction d’un probable rassemblement de la droite extrême et de l’extrême droite, se revendiquant de ses origines populaires face à la millionnaire du RN.

Depuis la rentrée, le gouvernement orchestre les surenchères réactionnaires et xénophobes. Texte de loi sur la « sécurité globale » adopté en novembre à l’Assemblée qui va désormais être débattu au Sénat ; loi séparatiste en cours d’adoption par les députés, article par article, au nom des « principes républicains » ; Beauvau de la « sécurité » pour faire « aimer la police » (!) ; longue interview de Darmanin dans le torchon d’extrême-droite Valeurs Actuelles cette semaine, multiples sorties médiatiques du même tonneau de sa consœur Schiappa et, ce jeudi, débat Darmanin-Le Pen sur la chaîne du « service public »…

Sur le terrain, les forces de l’ordre, elles, imposent le couvre-feu, répriment les manifestants et évacuent violemment les squats de migrants, jetant des centaines d’adultes et d’enfants à la rue en pleine trêve hivernale et pandémie, comme cette semaine dans la banlieue bordelaise.

Darmanin-Le Pen, un même poison xénophobe au service de la bourgeoisie

Difficile de dire qui, lors du « débat » jeudi soir, était le plus réac, le plus démagogue, du petit coq satisfait ancien de la « manif pour tous », ancien collaborateur de L’Action Française nommé premier flic de France par Macron, et par ailleurs accusé de viol, ou de l’héritière du manoir de Montretout, cheffe de file du parti d’extrême-droite, depuis longtemps désignée par Macron comme sa meilleure rivale.

« On peut être d’accord, Madame Le Pen » a tenu à affirmer Darmanin. « J’aurais pu le signer votre livre [Le Séparatisme islamiste] » a assuré en retour la dirigeante RN, « vous décrivez l’islamisme de manière extrêmement claire ». Elle a regretté que le projet de loi sur le séparatisme ait été « vidé de son sens » tout en ne manquant pas de préciser qu'elle se voulait « constructive » et n’excluait pas de voter le texte en fonction de ses évolutions.

Darmanin s’est appliqué à faire la leçon : « Madame Le Pen dans sa stratégie de dédiabolisation vient à être quasiment un peu dans la mollesse, il faut prendre des vitamines, vous n’êtes pas assez dure », lui opposant « ce que dit Madame Le Pen-Maréchal, ce que dit Monsieur Collard […] Vous allez décevoir vos électeurs ! ». « Il faut travailler pour le prochain débat présidentiel » a-t-il conseillé…

L’ancienne grille de lecture qui voulait que le RN et Marine Le Pen soient un parti et une candidate « pas comme les autres » est de toute évidence définitivement caduque. De même, les proclamations antifascistes ne peuvent permettre de comprendre la situation, l’évolution des rapports politiques et d’y répondre. Macron, Darmanin, chacun sur son terrain entendent faire la démonstration qu’ils sont mieux à même que Le Pen de regrouper et diriger le bloc réactionnaire, de LREM au RN et au-delà, pour défendre les intérêts des classes dominantes dans les temps mouvementés qui s’annoncent.

Combattre le poison de la propagande raciste, nationaliste et xénophobe, qui n’est pas l’apanage du RN et de la seule extrême-droite « patentée », c’est regrouper notre classe pour faire face à la globalité de l’offensive des classes dominantes. Une offensive à la fois économique, sociale, raciste et sécuritaire. C’est agir pour l’unité des travailleurs, des jeunes, des femmes de toutes origines et de toutes générations sur le terrain de la lutte de classe pour exiger notre dû, contester cette société et porter la perspective d’un autre monde basé sur la coopération et la solidarité.

Guerre économique et idéologique contre les « classes dangereuses »

Les plans de licenciements, les menaces de fermeture d’entreprises petites et grandes annoncent une aggravation dramatique des conditions de vie, d’emploi, de travail pour des millions de personnes. Salariés, chômeurs, retraités, jeunes, petits artisans et commerçants, agriculteurs, l’ensemble du monde du travail est touché. Les classes dominantes entendent présenter la facture et bien plus encore aux travailleurs. Le Maire l’a rappelé ce week-end : « Il conviendra après la crise de tenir à nouveau les finances publiques, de rembourser la dette et de réformer les retraites […] Aujourd'hui, on protège les Français, on protège les salariés, on protège les entreprises, mais il faudra qu'on retrouve des finances publiques qui soient saines […] Nous sommes le pays développé qui travaille le moins. Et dans le même temps, nous sommes le pays qui a le système de protection sociale qui est parmi les plus généreux. Ce n'est plus tenable ».

Ce n’est en effet plus tenable pour les classes populaires ! La pandémie accélère la crise et ses ravages mais aussi les prises de conscience, la colère face au gâchis insupportable qu’engendre la course au profit, la concurrence capitaliste.

Le scandale du manque de vaccins sur fond de guerre des brevets, de marchandages, d’opacité et de concurrence entre trusts de l’industrie pharmaceutique est particulièrement choquant. Alors que la pandémie a fait officiellement plus de 2,3 millions de morts et qu’elle a des conséquences dramatiques pour les plus pauvres, la population mondiale est prise en otage dans le grand casino capitaliste. L’indécence est totale : Sanofi a annoncé un bénéfice multiplié par 3,4 en 2020 (12,3 milliards d'euros) et le versement de 4 milliards d'euros de dividendes aux actionnaires… en même temps que 1000 licenciements dont 400 chercheurs. AstraZeneca annonce un bénéfice de 3,2 milliards de dollars, doublé en un an. Pfizer prévoit pour son seul vaccin anti-Covid un bénéfice de 4 milliards de dollars en 2021.

L’exacerbation des contradictions du capitalisme, sa violence accélèrent le discrédit des classes dominantes et de leurs institutions. Ce sont ces ruptures, cette colère que les réactionnaires de tous poils tentent de dévoyer, de canaliser pour le compte de la bourgeoisie contre les exploités eux-mêmes.

Effondrement de la gauche

Face à ce front de la réaction, la gauche est déliquescente, incapable d’autre chose que de se draper dans sa vertu tel Hamon, candidat du PS en 2017, qui s’est insurgé : « Je ne regrette pas d’avoir fait barrage à l’extrême droite [en appelant à voter Macron] mais comme beaucoup d’autres j’ai été volé, cocufié en direct » (chacun.e appréciera l’image). Et tous de jouer les bonnes consciences institutionnelles pour un capitalisme « propre », « humain », « moral », « républicain » et de plus en plus « français ». Au Parlement, toute la gauche a accepté de peser un à un les « principes républicains » et s’est prêtée au vote, article après article, des unités de mesure du « séparatisme ». Certains articles se sont ainsi trouvés adoptés sans opposition, avec au mieux quelques abstentions, comme s’ils n’étaient pas partie intégrante du dispositif réactionnaire !

Après des décennies de gestion des affaires de la bourgeoisie au sommet de l’État, et encore aujourd’hui à la tête de régions, départements et métropoles, la gauche est discréditée. Le PS ayant été jusqu’à fournir nombre de lieutenants à Macron, dont Collomb, Castaner ou encore Cazeneuve, tous de grands « démocrates ».

Les différents morceaux de la gauche explosée sont empêtrés dans les rivalités d’appareils, chacun cherchant à négocier des rapports de force réels ou supposés, faisant monter les enchères en attendant le verdict des régionales. Et même si les candidats déclarés pour la Présidentielle sont tous en dessous des 10 % dans les sondages, les appétits ne manquent pas. Sans compter ceux qui, tel Montebourg, ancien copain d’Hamon, entendent « dépasser » l’affrontement droite-gauche. Montebourg défend ainsi l’idée d’une « équipe de France » face à Macron et Le Pen, et ne fait pas mystère de ses contacts avec Bertrand (LR) qui vante en retour le « patriotisme économique » de Montebourg. « Je m’en fous des partis, des appartenances, il faut remonter ce pays » explique ce dernier.

Accents patriotiques que Mélenchon a également tenu à exprimer avant de se rendre chez Hanouna le soir du débat : « Le Pen et Macron tournent le dos à la France réelle. Et nous, nous voulons faire France de tout bois ». Et Mélenchon se dit « disponible pour échanger avec tout le monde » et raconte avoir « parlé du revenu universel avec Benoît Hamon et de stratégie avec Arnaud Montebourg ».

Les sables sont mouvants, et difficile de savoir jusqu’où peuvent conduire les logiques et appétits institutionnels des uns et des autres.

Dans les Régionales, LFI compte partout sur les alliances du second tour pour espérer intégrer l’exécutif des régions. En Ile-de-France, Clémentine Autain, tête de liste LFI-PCF affiche sa volonté de « fusion des trois listes des gauches et des écologistes » au deuxième tour : « Le moment que l’on vit est extrêmement dur, si on se focalise sur nos différences, on n’est pas sortis de l’auberge ». Une petite musique bien connue.

Unir les forces démocratiques et révolutionnaires pour porter la révolte, la solidarité des travailleurs

C’est l’urgence d’une toute autre unité qui se pose au monde du travail et à ses militants, non pas sur le terrain institutionnel mais sur celui de la lutte de classe. L’unité pour porter la révolte, les exigences issues des luttes, la solidarité des travailleurs, de la jeunesse pour faire face à l’offensive sociale et politique des classes dominantes.

Les difficultés que rencontrent aujourd’hui les mobilisations, l’apathie des directions syndicales qui appellent du bout des lèvres à des « journées d’action » sans perspective ni plan pour le monde du travail, ne doivent pas masquer les prises de conscience et les maturations en cours.

De nombreuses luttes locales en témoignent, même si elles sont encore souvent le fait de minorités. Grèves contre les licenciements, pour les salaires, les conditions de travail, mais aussi mobilisations de solidarité avec des migrants, avec la jeunesse précarisée, manifestations des samedis qui perdurent à l’initiative de groupes militants…

Toutes celles et ceux, militants, jeunes, travailleurs partie prenante de ces mobilisations ressentent le besoin de coopération et de coordination, de construire des liens. Non seulement pour s’entraider à construire les luttes mais pour tisser des liens politiques autour de perspectives communes pour faire face à une offensive dont chacun a conscience qu’elle est globale, politique.

L’intensification de l’offensive sociale et réactionnaire, le virage politique en cours posent avec une acuité nouvelle la nécessité d’unir les forces démocratiques et révolutionnaires. Le NPA et LO portent une responsabilité particulière.

Comment se satisfaire des divisions du passé ? Comment défendre d’un côté la nécessité du front unique avec des organisations réformistes sans en même temps être capable d’unir nos propres forces de militants révolutionnaires pour agir ensemble, construire, confronter nos orientations, nos pratiques au sein même de la lutte de classe, porter des perspectives pour le monde du travail dans les mobilisations comme sur le terrain électoral, pour les régionales comme pour la présidentielle.

Nous avons besoin de formuler ensemble un programme pour ouvrir une perspective d’ensemble à la révolte qui couve, aux mobilisations en cours, en lien avec elles, un programme pour la transformation révolutionnaire de la société, par et pour les exploités, tout.e.s celles et ceux qui souffrent de la politique de la minorité capitaliste.

Isabelle Ufferte

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