Mercredi dernier, la chambre des représentants a adopté par 232 voix pour dont 10 républicains l’article accusant Trump d’« incitation à l’insurrection » alors que 197 républicains l’ont rejeté. Ce vote engage le processus d’empêchement qui ne pourra aboutir, de toute façon, qu’après que Biden ait pris ses fonctions. Et il faudrait 17 dissidents républicains pour obtenir la condamnation de Trump. Ce dernier a réagi, dans son rôle, avec mépris et arrogance : « Ce canular de mise en accusation est la continuation de la plus grande et de la plus vicieuse chasse aux sorcières de l'Histoire de notre pays. Il provoque une colère, une division et une douleur énormes, bien plus que la plupart des gens ne s'en aperçoivent, ce qui est très dangereux pour les États-Unis, surtout en cette période très sensible ».

Le show de la prise du Capitole, dernière démonstration visant à nier les résultats de l’élection, permet à Trump d’occuper le terrain, de mobiliser ses troupes, de voler ou du moins d’escamoter la victoire de Biden. L’ombre projetée de l’émeute du 6 janvier accompagnera ce dernier tout au long de son mandat comme la menace qu’il représente planera le 20 janvier, jour de son investiture, sur le Capitole transformé en camp retranché, « le temple de la démocratie » occupé et protégé par la garde nationale après que la police a complaisamment laissé l’extrême-droite se livrer à ses exactions, au mieux passive voire ouvertement complice.

Les inévitables analogies historiques avec les années trente, marche sur Rome de Mussolini, coup d’État raté de Munich par Hitler, voudraient souligner l’avertissement que constitue le 6 janvier. Certes, le 6 janvier marque un tournant mais il serait erroné de se laisser dominer par l’événement tant la situation est ouverte et inédite. Le 6 janvier marque une étape dans le discrédit du mode de domination de l’oligarchie financière américaine. Il l’aggrave, encourage l’extrême droite mais aussi et peut-être surtout ouvre une porte à l’intervention des véritables forces vives de la démocratie, le monde du travail, les femmes et la jeunesse, les Afro-américains, les minorités victimes de discrimination. Ce sont elles qui ont dégagé Trump sans avoir encore les moyens d’intervenir pour leur propre compte. Ce sont elles qui détiennent les clés de l’avenir.

Une mascarade tragique

Le 6 janvier est un avertissement surtout parce qu’il est le symptôme de la déroute du capitalisme, de la fin du dit rêve américain qui prétendait offrir à l’humanité un avenir de démocratie et de bien-être. Ce rêve est devenu un cauchemar habité par un aventurier ambitieux.

Trump n’avait pas de projet de coup d’État pas plus qu’il n’avait de réel projet politique si ce n’est son ambition politique sans limite. Il a su capter le vent de révolte contre l’establishment qui soufflait à travers les USA. Pour le diriger, il l’a encouragé, flatté et dévoyé en renforçant en son sein sa fraction militante, l’extrême-droite suprémaciste, raciste qui formait le gros des émeutiers du 6 janvier.

Ce jour-là, porté par son propre délire de puissance, par sa volonté de continuer d’occuper la scène, d’afficher son mépris vengeur contre Biden, les démocrates, cet establishment qui au final ne l’a pas accepté, il a galvanisé lors de son meeting « Save América » ses troupes tout en se gardant bien de prendre de responsabilité directe. « Nous n'abandonnerons jamais. Nous ne concéderons jamais [...]Nous ne reprendrons jamais notre pays en étant faibles. [...] Vous devez être forts. » « Je sais que tout le monde ici marchera bientôt vers le Capitole, pour pacifiquement, patriotiquement faire entendre vos voix », pour ajouter plus tard par tweet : « Ce sont les choses et les événements qui se produisent lorsqu’une victoire électorale sacrée est si peu cérémonieuse et si vicieusement retirée à de grands patriotes qui ont été mal et injustement traités pendant si longtemps », pour ensuite condamner « une attaque odieuse ». « Je vais désormais me concentrer sur une transition de pouvoir ordonnée et sans accrocs », sans pour autant reconnaître la victoire de Biden. Combinant politique institutionnelle et démagogie antiparlementaire, il désavoue les émeutiers : « Des millions de nos concitoyens ont vu mercredi une foule prendre d'assaut le Capitole et saccager les couloirs du gouvernement. Comme je l'ai toujours dit je crois au respect de l'Histoire et des traditions de l'Amérique, et non à leur destruction. Je crois à l'État de droit, et non pas à la violence ou aux émeutes. » Mike Pence s’adressait, lui, aux démocrates : « Travaillez avec nous pour faire baisser la tension, et unir notre pays alors que nous nous préparons à introniser le président élu Joe Biden en tant que prochain président des États-Unis ». Il protégeait ainsi son boss après avoir pris quelques distances utiles pour ne pas insulter l’avenir…

Leur démocratie ou la fraude électorale généralisée au service de Wall Street

Chacun déploie sa mise en scène sur ce théâtre d’ombre qu’est la démocratie bourgeoise.

« Laissez-moi être clair : les scènes de chaos au Capitole ne représentent pas qui nous sommes » avait déclaré Biden prenant la pose de la respectabilité et de la réconciliation nationale. « Le travail du moment et le travail des quatre prochaines années doivent être la restauration de la démocratie, de la décence, de l’honneur, du respect de l’État de droit, de la simple décence, du renouvellement d’une politique ».

Biden tente de hisser son pâle personnage au niveau de l’histoire, Trump essaye de postuler pour l’avenir alors que Nancy Pelosi, présidente démocrate de la Chambre des représentants, voudrait bien le ruiner pour assurer la main des démocrates.

Chacun joue son rôle dans le show politique dont Trump reste encore le producteur, un show où chacun manipule l’opinion en préservant les institutions américaines garantes du pouvoir des classes dominantes.

Trump n’a pas pour projet de les discréditer ni de les ruiner même si sa folle avidité de pouvoir l’aveugle au point d’ouvrir la porte aux apprentis fascistes qui ont profité de sa démagogie pour s’engouffrer dans l’antiparlementarisme violent.

Républicains comme démocrates sont de vieux routiers de cette « fraude électorale généralisée » qui est le fond de ladite démocratie américaine contrôlée, encadrée, régulée par deux machines bureaucratiques dirigées et financées par et pour les milliardaires.

L’indignation exprimée au lendemain du 6 janvier par la plupart des chefs d’État et politiciens dont Macron, ne vise qu’à donner le change tant tous sentent bien que c’est leur propre machine à duper le peuple qui est contestée et menacée. Eux qui avaient su, en 2016, reconnaître l’élection de Trump bien qu’il avait récolté près de 4 millions de voix de moins que Clinton, lui en veulent aujourd’hui de cracher dans la soupe, de prendre le risque d’accélérer la ruine de leurs faux-semblants.

La démocratie américaine est née et s’est affirmée dans le sang et les larmes du génocide contre les Indiens, de l’esclavage et du racisme, de la guerre du Vietnam, des multiples coups d’État organisés à travers le monde, d’une brutale exploitation des travailleurs, des migrants…

C’est bien la face grimaçante de ce passé de violences sociales, politiques, policières et militaires qui a surgi brutalement au Capitole, la suprématie blanche décomplexée, le ressentiment racial, l’autoritarisme, la misogynie, les appels à la violence, la cruauté, dont l’ambition de Trump a fait ses ingrédients. Il n’a pu y parvenir que parce que cette folie maladive est au cœur même de la violence capitaliste, violence de l’esclavage nu, violence de l’esclavage moderne du salariat, violence qui nourrit et flatte les pires préjugés alimentés par l’insécurité, les frustrations et les peurs. Ce faisant, il a entraîné avec lui le parti républicain mû par les mêmes ambitions politiciennes tout en ouvrant les portes à l’extrême droite.

L’exacerbation des inégalités ou le terreau de la décomposition sociale

Le fossé entre cette démocratie corrompue pour et par les riches et les classes populaires ne cesse de s’approfondir sous l’effet de l’offensive des capitalistes amplifiée, depuis un an, par la pandémie. Trump l’a utilisée pour son propre bénéfice, mû par son arrivisme étranger à toute autre considération même et y compris les intérêts de sa propre classe. Il a ainsi contribué à révéler et à approfondir les failles d’une démocratie qui n’a jamais été que l’instrument de domination de la grande bourgeoisie américaine.

Avec 387 000 morts et des records de décès quotidiens -4 000- et de contaminations, les États-Unis sont le pays qui compte le plus de victimes au monde. Le désastre sanitaire trouve ses origines, encore bien plus qu’ailleurs, dans la logique destructrice des intérêts privés, de la concurrence, de la course au fric qui flattent, au sein des classes populaires, un individualisme stupide qui se vante de braver le virus. Le système de santé est désorganisé. Plus de 30 millions d’Américains n’ont pas d’assurance santé. Les travailleurs, les ouvriers, les personnels de santé, les aides à domicile, les plus pauvres, les Noirs, les Hispaniques, sont deux à trois fois plus frappés que les cadres et les plus aisés.

La crise du Covid a accéléré et aggravé une décomposition sociale conséquence de la logique de classe à laquelle obéit l’économie.

Des millions de personnes ont perdu leur emploi. Les demandes d'allocation-chômage ont bondi de 25 % soit 1,15 million, selon les derniers chiffres diffusés la semaine dernière. Certains ont vu leurs revenus diminuer en raison de congés, de réductions de salaires, de gels ou de réductions des heures de travail. Des millions d’enfants ne reçoivent plus de repas gratuits ou subventionnés à cause du passage, en tout ou en partie, à l’enseignement en ligne. Les licenciements, les mises à pied et les réductions de salaires provoqués par la pandémie ont réduit les revenus alors que le prix des denrées alimentaires n’a fait qu’augmenter.

A l’opposé, les bourses ont quasiment retrouvé leur santé d’avant la pandémie, boostées par le soutien de l’État. Comme ailleurs, c’est en créant massivement de la dette que le gouvernement fédéral a fait face à l’effondrement économique. Non seulement les taux d’intérêt sont quasi nuls, mais la Réserve fédérale a massivement racheté des dettes d’entreprises. L’économie américaine vit de plus en plus à crédit. Biden, dans la continuité de Trump, a annoncé un plan de relance de 1900 milliards et il présentera, lui aussi, la facture aux classes populaires.

La dérive réactionnaire engendrée par le pourrissement du capitalisme

Le désarroi social et moral de larges fractions des classes populaires, aveuglées par leurs propres angoisses, trouve un écho dans la logorrhée démagogique de Trump qui dévoie leur méfiance pour tout ce qui vient d’en haut, contre la science au nom d’une idéologie capitaliste de la loi du plus fort, de l’individualisme. La mascarade complotiste est un sinistre dévoiement d’une légitime méfiance et révolte contre un système où une classe minoritaire et parasite contrôle la marche de l’économie et s’approprie une part sans cesse croissante des richesses produites par la population travailleuse à son détriment.

Ce complotisme est alimenté par la propagande des classes dominantes, de ses politiciens et de leurs mensonges démagogiques que Trump se contente d’exacerber.

La politique nationaliste blanche de Trump, sa xénophobie raciste, la diabolisation des immigrants mexicains en tant que « trafiquants de drogue, criminels, violeurs » jaillit directement de la mise en concurrence des salariés pour le plus grand bénéfice du patronat.

Le 6 janvier a surpris le monde. Il était en fait annoncé, inscrit dans la logique politique de Trump, emporté par sa propre démagogie, prêt à tout pour conserver le pouvoir, inscrit aussi dans la situation sociale et politique qui a produit Trump, le pourrissement du capitalisme là où il est le plus développé.

La déroute du capitalisme US a une double expression, intérieure et internationale, qui se résume dans le slogan « America great again », la démagogie nationaliste et la guerre commerciale contre la Chine pour dévoyer le mécontentement populaire tout en justifiant une politique extérieure agressive et militariste.

Les tensions et l’instabilité intérieures participent du même processus que l’affaiblissement de la position des USA dans le monde.

Biden sera bien incapable d’inverser la tendance qui a des causes profondes, historiques, l’évolution du capitalisme financier et mondialisé arrivé à bout de souffle, ne pouvant se survivre que par une exploitation accrue des travailleurs et des peuples comme de la nature et de la planète.

Sa politique poursuivra sur le fond celle de Trump, accentuant les tensions intérieures et internationales, sous la pression des républicains contestant sa légitimité même et derrière lesquelles les milices suprémacistes blanches, auxquelles Trump avait demandé de « rester en retrait et de se tenir debout », feront leur sale boulot contre les forces démocratiques et progressistes, contre le mouvement ouvrier.

Pour ces dernières s’engage une bataille pour rassembler les colères et les révoltes, les exigences sociales et démocratiques, économiques et écologiques vers un même projet pour le socialisme.

En réponse à la faillite du capitalisme, la lutte pour le socialisme

Au lendemain du 6 janvier, l’AFL-CIO, principal syndicat américain, déclarait : « L’assaut meurtrier du Capitole par une foule cherchant à inverser les résultats d’une élection libre et claire, encouragée et inspirée par le président Donald Trump, a été l’une des plus grandes attaques contre la démocratie de l’histoire américaine. Et le fait que les intrus aient pu investir les couloirs du Congrès sans problèmes est l’un des ultimes exemples de ce pourquoi nous devons liquider les structures et les forces du suprématisme blanc.

Trump est un affront pour chaque syndiqué, et un danger clair et direct pour notre nation et notre république. Il doit partir ou être démis tout de suite, que ce soit par sa mise en accusation ou par le 25° amendement de la constitution.

Ceci n’est pas une déclaration faite à la légère par le syndicalisme américain. Elle n’est pas motivée par la politique ou l’idéologie, mais par la conviction fondamentale que la préservation de notre démocratie est essentielle – bien qu’elle ne soit jamais garantie une fois pour toutes. Haine et insurrection n’ont pas leur place en Amérique ».

Cette déclaration s’inscrit entièrement dans la politique du parti démocrate et reprend le refrain de la « préservation de notre démocratie », mot ou plutôt euphémisme qui n’a d’autre fonction que de désigner de façon flatteuse la domination de Wall Street, et cela au nom de l’apolitisme !

Cet apolitisme est en réalité le nom de la collaboration de classe.

La situation aux USA illustre le trait dominant de la situation internationale aujourd’hui, l’absence d’un projet démocratique et révolutionnaire pour les luttes et mobilisations du prolétariat, la crise du projet révolutionnaire, socialiste et communiste.

L’enjeu de la période est d’œuvrer à l’émergence au sein du monde du travail d’une force politique indépendante du capital et des institutions qui ne se plie pas au bipartisme et construise un nouveau rêve américain, la transformation révolutionnaire du monde.

Cette nécessité a trouvé une expression institutionnelle quand, au terme du deuxième mandat d’Obama, une opposition a pris forme dans le camp démocrate autour de Sanders qui a osé parler du socialisme. Il devint le porte-parole des mouvements populaires, dénonçant les millionnaires qui « achètent des élections », la fermeture des usines, la militarisation des corps policiers contaminés par le racisme, bref, la machine exprimant la domination du 1 %. Au final, il a malheureusement mais sans surprise rallié Biden, comme la gauche dont il avait aidé le développement et dont les élues se retrouvent dans la fraction des Democratic Socialists of America (DSA).

Ce mouvement a été la manifestation sur le plan politique du renouveau des luttes depuis Occupy Wall Street qui a abouti, cet été, au soulèvement de Black Lives Matter. Ce renouveau reste encore politiquement prisonnier du cadre institutionnel. Une nouvelle étape s’ouvre à lui afin de faire face à l’impérieuse nécessité de faire entendre sa propre voix politique et construire le lien programmatique entre les mille et une manifestations de la lutte de classe sous toutes ses formes et la perspective d’en finir avec la domination d’une classe parasitaire, dépassée historiquement.

Yvan Lemaitre

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to Twitter

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn