« Sans loi, Benalla, Avec loi Bena pas là », « Floutage de gueule », « Nous baisserons nos téléphones quand vous baisserez vos armes », l’humour était au rendez-vous des manifestations hier, dans tout le pays, la jeunesse aussi, massivement, aux cris de « Liberté, Liberté », consciente que le gouvernement met au point un arsenal législatif qui a pour objectif d’étouffer la contestation et de mettre au pas la population et qui est d’ailleurs dénoncé en tant que tel aussi bien par la Ligue des droits de l’homme, la Défenseure des Droits que l’ONU.

Vendredi, l’article 24 de cette loi, légèrement modifié par le gouvernement, avait été voté par 146 députés contre 24. Il punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la diffusion, « dans le but manifeste qu’il soit porté à son atteinte à son intégrité physique ou psychique », de l’image d’un policier ou d’un gendarme. Le mardi à Paris, la police avait avec zèle anticipé la promulgation de la loi en expulsant de manière violente des journalistes qui faisaient leur travail en photographiant ou filmant après l’ordre de dispersion de la manifestation. L’article 24 de la loi sur la Sécurité globale est le plus connu mais l’ensemble de la loi comme celle sur le « séparatisme » devenue loi « confortant les principes républicains », qui, sous couvert de lutte contre le terrorisme, fait peser des soupçons sur l’ensemble de la population musulmane, représentent un pas de plus dans les atteintes aux libertés et aux droits démocratiques, dans la continuité d’un régime d’exception unique en Europe mis en place après les attentats du 13 novembre 2015.

Pas de démocratie sans contrôle de la population sur la police

Par un tour de passe-passe plutôt minable, la loi sur la Sécurité globale fait l’objet d’une procédure accélérée parce qu’elle a été déposée par des députés et non par le gouvernement. Elle est ainsi dispensée entre autres d’une « étude d’impact » par le conseil d’État.

L’un des deux députés LREM auteurs de la loi, Jean-Michel Fauvergue, a été patron du RAID de 2013 jusqu’en  mars 2017. Le 18 novembre 2015, il avait dirigé l’attaque de l’appartement à Saint-Denis où s’étaient retranchés un des terroristes du Bataclan, un de ses complices et sa cousine. Une centaine de policiers ou gendarmes avaient tiré plus de 1500 coups de feu lors de cette opération contre 11 du côté des terroristes qui n’ont d’ailleurs pas été tués par la police mais par leur ceinture d’explosifs. Il s’était fait aussi remarquer en déclarant le 30 avril 2019 sur France 5 qu’il fallait « oublier l’affaire Malik Oussekine », cet étudiant battu à mort par des policiers voltigeurs à l’issue d’une manifestation contre la réforme Devaquet dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986. « Oublier », se libérer autrement dit de la peur de tuer des manifestants.

Concernant l’article 24 de la loi sur la Sécurité globale interdisant de diffuser des images de policiers dans un but malveillant, il a expliqué à l’Assemblée qu’il s’agissait de protéger les policiers, d’éviter « leur mise en pâture sur les réseaux sociaux » alors que les policiers sont déjà protégés par le code pénal et la loi sur la presse de 1881. Darmanin, et d’autres dont Nadine Morano de LR, ont cité en exemple les « policiers de Magnanville qui ont été égorgés devant leur enfant de six ans parce qu'on les a reconnus ». Sauf que cet assassinat monstrueux commis par un terroriste se réclamant de l’État islamique en juin 2016 n’a aucun rapport avec les photos. L’assassin avait eu l’adresse des policiers par d’autres biais. Aucun des défenseurs de la loi n’a trouvé d’exemple probant de cette « intention de nuire » qu’il y aurait derrière la diffusion de photos ou vidéos.

Par contre des photos et vidéos de journalistes indépendants, manifestants, passants ont permis de faire la preuve auprès des tribunaux de violences policières. Par exemple celles à l’origine de la mort de Cédric Chouviat, ce livreur interpellé par trois policiers le 3 janvier 2020 et mort étouffé sous le poids de l’un d’eux ou celles exercées contre Geneviève Legay, une militante d’Attac de 73 ans, jetée à terre et grièvement blessée le 23 mars 2019 par une charge policière jugée « disproportionnée » par le commandant d’un escadron de gendarmerie lui-même présent sur les lieux.

Dans ses autres articles, la loi sur la sécurité globale permet aussi à la police de transmettre directement aux postes de commandement les photos de manifestants prises par des caméras piétons ou par des drones, elle donne la possibilité aux policiers de porter leur arme hors service. Elle donne des pouvoirs « judiciaires » aux polices municipales ce qui leur permettra de constater et verbaliser maints petits délits comme la conduite sans permis, la vente à la sauvette, la revente de drogue, l’occupation de halls d’immeubles, les tags, etc. Une pression policière supplémentaire qui ne résoudra en rien la délinquance produite par la violence sociale, la précarité et l’absence d’avenir dont souffre la jeunesse des quartiers populaires.

L’ONU, saisie par la LDH, a adressé le 12 novembre 2020 à Macron des recommandations concernant la proposition de loi « Sécurité globale ». « L’information du public et la publication d’images et d’enregistrements relatifs à des interventions de police sont non seulement essentiels pour le respect du droit à l’information, mais elles sont en outre légitimes dans le cadre du contrôle démocratique des institutions publiques ».

C’est plus que vrai. Elles sont non seulement légitimes mais indispensables tant il est vrai qu’il n’y a pas de démocratie possible sans que la population puisse exercer son contrôle sur la police et les informations diffusées par la presse ou sur les réseaux sociaux sont un moyen d’imposer un minimum de transparence.

Leur République n’est pas la nôtre

Vendredi dernier était adopté définitivement par le Sénat, après, elle aussi, une procédure accélérée, la loi de programmation de la recherche (LPR), une loi contre laquelle se mobilisent depuis des mois enseignants, chercheurs et étudiants. Un amendement ajouté au départ par un sénateur de l’UDI, établit que « [le] fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité [...] ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement, est passible de sanctions », 45 000 euros et trois ans d’emprisonnement en cas d’action commise « en réunion ».

Occupations d’amphis ou envahissement de conseils d’administration tombent sous le coup de cette loi. « La matraque en pleine fac ! » comme le titre Libération. Des lieux déjà suspects parce que, selon Blanquer qui s’exprimait de cette manière le 22 octobre sur Europe 1, « ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme [y] fait des ravages ».

La prétendue lutte contre le terrorisme islamiste est devenu le paravent d’une entreprise systématique de restriction des libertés démocratiques qui s’est accélérée depuis les lendemains des attentats du 13 novembre 2016. Le projet de loi « confortant l’esprit républicain », nouveau nom de la loi « sur le séparatisme », qui doit être présenté en conseil des ministres le 9 décembre s’inscrit dans cette escalade réactionnaire. Sans entrer dans le détail, le projet de loi élargit les moyens des préfets de contrôler, d’interdire, et entend faire entrer au Fichier des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT) tous les auteurs d’apologie d’actes de terrorisme.

Le 18 novembre dernier, Darmanin, interviewé avec Dupond-Moretti dans le Figaro vante ainsi son action : « […] ont été répertoriés, en un mois, 1 856 signalements se rapportant directement à l’assassinat de Samuel Paty et, au total, quelque 270 enquêtes ont été ouvertes pour apologie du terrorisme. Elles ont débouché sur l’interpellation de 210 personnes que l’on a pu identifier. Enfin, sous l’autorité du juge et des libertés, plus de 250 visites domiciliaires [le nouveau nom des perquisitions] ont été menées depuis la tragédie de Conflans. Tout en respectant les lois de la République, la réponse est donc très ferme. »

Darmanin comme Macron reprennent à leur compte les préjugés les plus réactionnaires qui sont de croire que « l’autorité », l’étalage de la force, l’intervention et le déploiement des policiers seraient efficaces contre le terrorisme. Quel aveuglement ou quel cynisme ! En réalité ils n’ont pas d’autre réponse que sécuritaire parce que leur politique n’est guidée que par la sauvegarde d’un système d’exploitation en faillite, responsable des guerres qui ont ravagé le Moyen-Orient depuis 30 ans, responsable des ghettos pour les pauvres dans les banlieues.

Elargir le vivier de terroristes potentiel, suspecter davantage de monde, perquisitionner à l’aide de déploiements policiers, ne peut aboutir qu’à une chose, permettre aux véritables fondamentalistes qui sont une minorité de recruter plus largement dans les milieux ainsi discriminés. Quel résultat peut-on attendre de gardes à vue opérées sur des enfants de 10 ans qui ont été interpellés parce qu’ils avaient eu des propos monstrueux, sans doute, mais pas réfléchis sur la mort de Samuel Paty, sinon des sentiments de haine à l’égard de la société ?

Leur « guerre » contre le terrorisme est surtout pour eux l’occasion de créer un climat favorable à leur politique sécuritaire déployée contre toute la population.

Un bloc réactionnaire soudé par les intérêts des classes privilégiées

Bien qu’elle ne mentionne plus dans son titre ni le « séparatisme » ni « l’islam politique » comme le regrettent nombre de politiciens de droite et d’extrême droite, la loi ne parle que d’une seule religion, l’islam et aucun fanatisme religieux autre que l’islamisme n’est mentionné, intégristes chrétiens terroristes contre le droit à l’avortement, évangélistes opposés aux conceptions scientifiques... Elle prévoit de réglementer la pratique de l’islam et de contrôler les imams dont certains sont fondamentalistes, certes, en provenance de pays comme l’Arabie saoudite grand allié des Etats-unis et de la France. Se rassemble autour de ces lois une grande partie de la classe politique qui fait assaut de nationalisme, de xénophobie et d’hostilité à l’immigration, un parti de l’ordre et de l’autorité d’autant plus dur à l’égard des pauvres et des contestataires, les « protestataires » comme ils disent, qu’il est complaisant avec la corruption de son monde.

Aux surenchères démagogiques et réactionnaires des Blanquer, Darmanin, Schiappa, répondent celles de la droite.

En juin dernier, l’interdiction de diffuser des images de policiers avait été préconisée sans succès par le député LR Ciotti qui aujourd’hui jubile et s’enhardit contre les « nervis d’extrême gauche qui ont manifesté devant l’Assemblée nationale », mardi dernier. « Sans ordre et sans autorité, on ne vit pas en démocratie », précise-t-il. Ainsi, le groupe LR veut aller plus loin que la loi de sécurité globale en se prononçant pour l’armement des polices municipales et la généralisation de l’usage de caméras à reconnaissance faciale. Les députés LR réclament le durcissement de la justice y compris celle des mineurs ainsi que la création de 20 000 places de prison. Quant à Le Pen qui n’a pas besoin de dire grand-chose pour récolter la mise de cette compétition, c’est toujours le même refrain raciste et xénophobe contre l’immigration et pour la fermeture des frontières.

De surenchères démagogiques en surenchères xénophobes se constitue un bloc réactionnaire alliant LREM, LR, le RN dans une même volonté d’étouffer la contestation des privilèges des classes possédantes, d’imposer les licenciements, le chômage, la réduction des dépenses de services publics et de protection sociale, toujours plus d’injustices et d’inégalités sociales.

Les composantes de ce bloc réactionnaire bien qu’en concurrence, rivalisent sur le même terrain d’une répression accrue contre les classes populaires au nom de la lutte contre l’insécurité et d’une démagogie xénophobe, d’un racisme anti-musulman au nom de la lutte contre le terrorisme islamiste qui a pour fonction d’entretenir un climat de suspicion à l’égard d’une partie de la population et de semer le poison de la division parmi les travailleurs. Ils se positionnent comme le parti de l’ordre contre la contestation, la révolte et l’explosion sociale qui menacent les classes privilégiées et qu’ils redoutent.

Rassembler sur des bases de classe pour nos droits sociaux et démocratiques

Face à cette coalition des partisans de l’ordre établi, face à leur volonté d’imposer leur dictature au service des classes possédantes, il nous faut nous rassembler pour la défense de nos droits démocratiques mais aussi sociaux, la liberté de la presse, d’expression, de réunion, la liberté de manifester sans craindre d’être gazé, mutilé, éborgné mais aussi le droit de vivre dignement, correctement, la fin du chômage et l’augmentation des salaires, toutes choses incompatibles avec la mainmise des multinationales et la propriété privée capitaliste qui exigent une concurrence et une compétitivité sans fin.

C’est la situation elle-même, l’offensive des classes possédantes et de leurs serviteurs politiques qui nous enjoint de sortir de nos routines pour rompre avec les jeux parlementaires et politiciens. Il faut faire du neuf, nous dégager des échecs passés et des politiques faillies de la gauche qui une fois au pouvoir se plie à l’ordre social capitaliste pour nous rassembler autour d’une programme défendant les droits et intérêts du monde du travail, un programme pour révolutionner le monde.

La démocratie, la liberté comme les droits sociaux, la garantie d’un revenu digne et d’un travail sont incompatibles avec la dictature du capital et de ses serviteurs.  La lutte pour nos droits s’inscrit dans la lutte pour changer le monde, conquérir le pouvoir, la démocratie, le droit de décider par nous-mêmes et pour nous-mêmes.

Galia Trépère

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