L’horreur de l’attaque au couteau qui a eu lieu jeudi à Nice et fait trois morts, 15 jours après l’assassinat de Samuel Paty, suscite la même stupéfaction, la même révolte mais aussi l’inquiétude, un engrenage mortifère dont chacun a du mal à imaginer l’issue. A Lyon un homme d’origine afghane en possession d'un couteau a été arrêté en plein centre-ville tandis qu'à Sartrouville, dans les Yvelines, un homme qui voulait « faire comme à Nice » a été appréhendé à proximité de l’église. Une tentative d'attaque a été déjouée au consulat de France à Djeddah, en Arabie saoudite, où un vigile a été blessé.

Ce nouvel acte de fanatisme islamiste vient accentuer le climat d’inquiétude, les peurs latentes qu’entretiennent la pandémie et la déroute économique en cours. La décomposition de la société dominée par la concurrence et la loi du profit capitaliste, les tensions guerrières internationales provoquent effroi et interrogations. Sans réponse ni issue les démagogues politiciens de tout bord tentent d’en tirer profit dans des surenchères attisées par leurs ambitions rivales et leur commune volonté de dominer les consciences. Ce qu’ils voulaient faire passer pour une guerre de civilisation prend des allures de guerre de religion. Jeudi, le glas a sonné dans toutes les églises du pays à 15 heures, heure à laquelle le Christ serait mort selon les chrétiens. Une résonance sinistre au déploiement policier ordonné par Macron.

Non à l’union nationale raciste et policière

Le jour même, à Nice, flanqué du maire Les Républicains de Nice, Christian Estrosi et du député LR Eric Ciotti, Macron a donné le ton : « Très clairement, c'est la France qui est attaquée […] Nous devons dans ces moments nous unir et ne rien céder à l'esprit de division ». Estrosi a aussitôt rebondi : « Trop c'est trop, il est temps maintenant que la France s'exonère des lois de la paix pour anéantir définitivement l'islamo-fascisme de notre territoire » alors qu’Eric Ciotti renchérissait : « Pour la première fois depuis l'occupation, la France n'est plus libre ! Notre pays est en guerre, nous sommes en guerre ! » L’extrême droite a pris le relais avec Marion Maréchal, « Le jihad est lancé contre la France. Menaces d'Erdogan, manifestations haineuses contre notre pays dans des pays musulmans, boycott de nos produits. Les cellules islamistes sont en train de se réactiver » suivie par Marine Le Pen « On ne peut pas se contenter de dénoncer le terrorisme. Le terrorisme c'est l'arme de l'idéologie islamiste, il faut à tout prix que nous prenions conscience que c'est une idéologie qui nous fait la guerre. Il faut les mettre hors d'état de nuire légalement, grâce à l'État de droit, grâce à une législation spécifique qui serait votée ici à l'Assemblée nationale, mais on n'a pas le sentiment que le gouvernement a pris conscience de cette situation ».

Au sein du milieu politique institutionnel, de ceux qui servent ou aspirent à servir les classes dominantes, quelles que soient leurs divisions et rivalités, se construit un consensus, une union nationale raciste et guerrière à laquelle se soumet la gauche malgré les injures dont elle est l’objet. Olivier Faure déclare pour le PS : « Nous faisons face à une vague d'attentats coordonnés des islamistes radicaux. Il n'y a pas de loups solitaires, il n'y a que la folie barbare d'une meute fanatique. Nous ferons face. La République et la démocratie ne plieront pas », François Ruffin, député LFI, « Les terroristes veulent le chaos, ne leur offrons pas nos divisions ».

Les ennemis rivaux de la démocratie et de la liberté

Les travailleurs n’ont pas à se soumettre à cette union nationaliste qui veut étouffer, dominer, embrigader leur colère, leur révolte et leur inquiétude non seulement devant l’horreur de l’obscurantisme religieux mais devant un effondrement social et démocratique des classes dominantes et de leurs larbins politiques pris de panique devant les conséquences de leur propre politique.

Le respect des libertés, de la vie humaine, la liberté d’opinion, la démocratie comme la solidarité et l’entraide sont les cibles des fanatiques, des djihadistes. Ils sont aussi les cibles de l’extrême droite chauvine et raciste, les cibles aussi de Macron et de ses alliés de droite ou de gauche qui jettent de l’huile sur le feu alors qu’ils portent comme l’État et la bourgeoisie française une grande responsabilité dans le développement de l’islamisme politique.

Leur politique de régression sociale engendre la montée des idées réactionnaires, l’islamisme radical ou l’extrême droite. Comment les combattre sans combattre en même temps, à la racine, le chômage et la misère, le racisme et l’exclusion sociale, les discriminations, la désespérance, les frustrations, les humiliations voire la haine, terrain favorable au fanatisme.

A l’opposé, ils flattent les préjugés en créant volontairement et consciemment un engrenage qui prend la population en otage pour mieux la soumettre aux intérêts et à la politique des classes dirigeantes.

Le terrorisme islamiste enfant monstrueux du chaos capitaliste mondialisé

Les va-t’en guerre contre le terrorisme islamiste voudraient faire oublier les responsabilités des grandes puissances occidentales dont la France dans son essor. Elles l’ont encouragé contre les luttes d’indépendance nationale, elles ont soutenu et soutiennent l’Arabie saoudite ou le Qatar qui ont financé et financent le fondamentalisme islamiste. C’est en Afghanistan, dans les années 1980, contre l’URSS, que les USA et l’Arabie saoudite ont enfanté leur monstre, Ben Laden qui leur échappa pour créer Al-Qaïda, qui, en Algérie, contribua aux Groupes islamistes armés, les GIA, qui firent régner la terreur pour imposer la charia durant la décennie noire des années 90.

Après 2001, la guerre en Afghanistan au nom de la « guerre contre le terrorisme » déclenchée par les États-Unis et leurs alliés, la guerre en l’Irak, l’effondrement du régime de Saddam Hussein pendu, le pays à feu et à sang où les forces américaines d’occupation dressèrent les Irakiens les uns contre les autres en fonction de leur religion, leur fournirent un terrain propice. L’Irak devint le point de ralliement de tous les djihadistes d’où sortit Daech qui prospéra après le départ des troupes américaines en 2011. Puis, après la guerre en Libye, la Syrie livrée aux rivalités des puissances régionales, plongée dans la guerre civile, le califat sortit de ce chaos sanglant où les milices de Daech imposèrent la terreur de la charia.

Contre le fanatisme religieux et la réaction capitaliste, un même combat démocratique

La coalition internationale a certes vaincu l’État islamique mais elle n’est nullement venue à bout du djihadisme qui naît nécessairement des désastres de la politique des grandes puissances et de leurs alliés, plus globalement de la décomposition sociale provoquée par la faillite mondiale du capitalisme.

L’engrenage né des manœuvres des grandes puissances pour perpétuer leur domination mortifère dont les populations sont les premières victimes trouve nécessairement sa réplique ici. La même logique se met en place exacerbant les tensions dans une fuite en avant grosse de tous les dangers.

Contrairement à ce que prétendent les Darmanin, Le Pen et consort, ce n’est pas une question d’idéologie contre laquelle il faudrait rentrer ou plutôt continuer la guerre. C’est une question sociale et politique, celle de la lutte contre ce système qui pervertit toutes les valeurs dont il prétend se revendiquer. Sa liberté, c’est celle de l’exploitation, sa laïcité, c’est celle où dominent la chrétienté et l’Église soutenues et financées par l’État, sa démocratie, c’est la tyrannie des banques et des gros actionnaires, sa paix, c’est la guerre permanente contre les peuples…

Les défenseurs de la république, république qui protège la domination d’une minorité bourgeoise, comme les intégristes islamistes défendent, en fait, le même ordre social libéral. Il n’y a pas d’autre issue que l’union de classe des populations dominées pour construire un autre avenir sans se laisser embrigader par les forces réactionnaires.

Yvan Lemaitre

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